Conclusions : le point de vue juridique
p. 115-118
Texte intégral
1Ces interventions permettent de rappeler la complexité et les risques de confusion auxquels nous faisons face, ne serait-ce qu’en termes de vocabulaire employé. Lorsqu’un fait divers affecte un pays, la tentation est grande de se tourner vers la Justice et d’exiger des réponses rapides, voire immédiates.
2En tant que juge des enfants, je ne suis pas directement confrontée à des jeunes qui reviennent du djihad. Le juge des enfants n’a en effet pas la compétence du juge d’instruction, il n’instruit pas en matière criminelle. En revanche, les juges des enfants et les éducateurs avec lesquels nous travaillons se posent de multiples questions quant à la définition de ce qu’est un jeune radical. Quand on parle d’un jeune radical, on pense aujourd’hui à un jeune radical dans sa pratique de l’islam.
3On pourrait imaginer que dans le cadre de la nouvelle loi pour les cas d’apologie du terrorisme, le tribunal soit régulièrement saisi. Je travaille à Bobigny et en réalité je n’ai vu passer qu’un seul dossier à ce propos sur l’ensemble du tribunal pour enfants composé de près de quinze cabinets. La loi Cazeneuve1 a redéfini et fait entrer dans le Code pénal les cas d’apologie du terrorisme qui relevaient auparavant de la loi sur la liberté de la presse de 1881. Cette nouvelle loi a des conséquences importantes en termes de poursuites et de répression, puisqu’elle rend possibles la détention et le passage en comparution immédiate des accusés. Il y a eu un certain nombre d’affaires dont les médias se sont fait l’écho après les événements de janvier, dans lesquelles des peines très diverses, parfois très sévères, ont été prononcées par des juridictions françaises pour apologie de crime terroriste.
4Pour vous expliquer l’apologie de crime terroriste, je vous donne le seul exemple apparu au tribunal de Bobigny. Il s’agit d’un jeune homme qui commence à être connu des services de justice, ou, plus précisément, des permanences pénales des juges des enfants, puisqu’il a déjà été déféré quatre fois devant le juge après une garde à vue. Ce jeune est d’abord suivi par les services de la protection de l’enfance, son dossier est donc ouvert à mon cabinet. Ce mineur a apparemment chanté dans la rue une chanson dont les paroles sont « Al-Qaïda, al-Qaïda ». Il n’a pas dit grand-chose d’autre. Il s’agit du seul dossier d’apologie du terrorisme traité par le tribunal de Bobigny qui sait, selon moi, faire la part des choses et ne défère pas à tout-va pour des comportements d’adolescents.
5Alors, évidemment, nous avons tous entendu parler dans les médias de personnes qui ont menacé de sortir des Kalachnikovs en faisant l’apologie des derniers attentats. Il s’agissait alors d’adultes, parfois en état d’ivresse, qui ont écopé de peines parfois très sévères pouvant aller jusqu’à quatre ans d’emprisonnement, en comparution immédiate. Pour des adolescents, on peut se poser la question de ce que cela peut donner. J’ai lu ce qui se passe dans des tribunaux de province où des jeunes ont été déférés. On trouve par exemple le cas d’une jeune fille de 14 ans qui, lors d’un contrôle dans le tram, a dit « Attention, on est les sœurs Kouachi, on va sortir nos Kalachnikovs. » Quelle réaction avoir ? Comment réagirais-je si j’étais saisie de ces affaires-là, parce que finalement on se dit toujours qu’il faut faire la part des choses ?
6J’ai trouvé les propos de Claire de Galembert sur la question de la radicalité en prison et de la référence au religieux en prison très intéressants parce qu’elle a souligné le fait qu’il y a autant de situations que de jeunes détenus. Il y a un risque de confusion, de paranoïa, qui pourrait amener les jeunes qu’on interroge à penser que parce qu’ils prononcent les mots « prière » ou « religion », on les range sous une étiquette. Or il y a, pendant ce temps-là, des jeunes en danger qui ne sont pas suivis par un juge des enfants, et cela me paraît plus préoccupant.
7Je me suis également intéressée au phénomène sectaire. Comment aborder les dérives dans l’islam chez les jeunes que l’on ne voit pas dans nos cabinets, dont les familles n’ont pas saisi le juge des enfants ou qui n’ont pas fait l’objet de signalement par les services sociaux ? Pour ces jeunes-là, comment aborder ce problème qui est effectivement une dérive sectaire ? J’ai l’impression que cette obsession de la radicalité peut nous éloigner des vrais problèmes et notamment de cette jeunesse qui, bien que minoritaire, est véritablement en danger.
8La dernière chose que je voudrais dire à propos de la radicalité et qui me préoccupe davantage est plutôt de l’ordre d’un repli identitaire. Des jeunes qui nous diraient : « Moi je me réclame de l’islam et je ne me réclame plus de la loi, je ne me réclame pas en tout cas de la loi républicaine », est-ce de la radicalité ? Pas forcément, parce qu’il ne s’agit généralement pas de personnes susceptibles de passer à l’acte, qui risquent de tomber dans des réseaux ou de devenir terroristes. Mais je crois que l’on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur les raisons de cette affirmation.
9J’ai eu une discussion assez intéressante avec un jeune homme, quelques mois avant les attentats de janvier. Il m’expliquait qu’il ne fume pas de cannabis pendant le mois du ramadan parce que c’est interdit par l’islam. Je lui ai donc demandé pourquoi il se conformait à une loi religieuse, alors que je doute que le cannabis ne soit proscrit que pendant la durée du ramadan ; mais il ne m’a pas répondu. J’ai raconté l’anecdote à des amis qui m’ont fait remarquer que j’étais peut-être un peu naïve et que, parce que le ramadan ne durait qu’un mois, ce n’était pas trop compliqué, alors qu’arrêter de fumer l’était plus. Certains jeunes ont ce genre de réactions qui nous laissent penser à un repli identitaire sans pour autant que cela représente un danger immédiat de dérive. C’est une situation complexe et pleine d’enjeux. Finalement, quand on n’a rien, vers quoi se tourne-t-on ?
10Au tribunal des enfants, on a jugé un mineur qui nous a parlé pour la première fois de religion. Il n’est absolument pas connu de nos services pour être particulièrement tourné vers la religion, mais je pense qu’il a eu honte ce jour-là d’être au tribunal, devant ses parents qui sont musulmans. Ce jeune a un triple problème d’alcool, de cannabis et de délinquance. Suite à de nouvelles infractions, il a finalement été incarcéré. Lorsqu’il a été questionné sur comment il pensait s’en sortir, il a répondu qu’il avait désormais trouvé la solution : la prière. Cela m’a semblé être un recours à la dignité, une volonté de dire, notamment à ses parents : « Je ne suis pas celui que vous pensez. » Il est donc important de nuancer. Les juges des enfants et les éducateurs réfléchissent à ce qu’il est possible de faire.
11Après les événements de janvier, tout le monde s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. Il existe une pression chez certains éducateurs qui disent qu’ils ignorent sur quels critères ils doivent réaliser des signalements.
12Certains parents se présentent parfois en disant qu’ils ont peur que leur fils parte pour le djihad, mais il apparaît que ce qui les contrarie vraiment c’est que leur enfant se soit converti à l’islam alors qu’ils ne sont pas musulmans. Il s’agit d’une provocation de la part de leur enfant. Que faut-il faire de tous ces éléments ? Il existe des mesures de réparation, des stages de citoyenneté pour des mineurs primodélinquants. Toutefois, il serait peut-être judicieux de réintroduire le débat sur la laïcité, sur la différence entre obéir à une loi républicaine et obéir à une loi religieuse, sans évidemment stigmatiser une population musulmane, car cela est complètement interdit et serait absolument inefficace et improductif. Par conséquent, il me semble important de rouvrir le débat sur la laïcité afin de l’expliquer véritablement. Un certain nombre de jeunes se sentent en effet stigmatisés car la laïcité se limite pour eux à l’interdiction de porter un signe religieux à l’école ; or on ne doit pas réduire la laïcité à cela.
Notes de bas de page
1 Loi publiée au Journal officiel n° 263 du 14 novembre 2014.
Auteur
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Claire Paucher
Juge des enfants au Tribunal de grande instance de Bobigny (93)

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