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    Plan détaillé Texte intégral Une structuration qui s’ancre dans une histoire lointaine L’influence du tabligh La matrice islamiste Les stratégies étatiques Les courants soufis encore insuffisamment étudiés Notes de bas de page Auteur

    Islams de France, Islams d’Europe

    Ce livre est recensé par

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    Les acteurs institutionnels de l’islam français

    Omero Marongiu-Perria

    p. 69-75

    Texte intégral Une structuration qui s’ancre dans une histoire lointaine L’influence du tabligh La matrice islamiste Les stratégies étatiques Les courants soufis encore insuffisamment étudiés Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Je commencerai en donnant quelques précisions sur l’ancrage qui est le mien, c’est-à-dire les études que j’ai conduites et comment j’ai été amené à travailler sur la question des acteurs institutionnels de l’islam français et de la matrice islamique. En 2002, j’ai soutenu une thèse de doctorat intitulée « L’islam au pluriel. Étude du rapport au religieux chez les jeunes musulmans ». C’est en analysant les manières d’être et les modes d’appropriation de l’islam chez les publics jeunes, les 18-30 ans, que j’ai été amené à m’intéresser de plus près aux mouvements de prédication présents en France. En remontant le fil historique, je me suis aperçu de deux choses. La première, c’est que ces mouvements ne datent pas d’une période récente. Je vous renvoie pour cela à l’ouvrage de Sadek Sellam, la France et ses musulmans1, dans lequel il retrace les relations des pouvoirs publics français, mais aussi de l’armée et du monde universitaire ou intellectuel, avec les musulmans présents sur le territoire depuis au moins le milieu du 19e siècle. On peut observer un foisonnement intellectuel, une certaine forme de prédication, des polémiques et des joutes intellectuelles de haute voltige, comparé parfois à ce qu’on peut voir aujourd’hui dans le rapport de la France à ses musulmans. La deuxième chose dont je me suis aperçu, c’est que l’histoire récente de cette présence militante musulmane en France reste encore à écrire ou en tout cas à approfondir depuis la parution en 1987 de l’ouvrage de Gilles Kepel, les Banlieues de l’islam2. Il y présentait un certain nombre d’associations musulmanes en se focalisant notamment sur le tabligh, un mouvement de prédication fondamentaliste piétiste présent dans la société française depuis le début des années 1960. Kepel s’est également attardé assez longuement sur l’UOIF (l’Union des organisations islamiques en France, qui est devenue l’Union des organisations islamiques de France par la suite) en essayant d’analyser en profondeur la structuration et les modes de prédication de ces différents protagonistes. Depuis cette époque, il y a une dominante de la politologie dans les études universitaires appliquées à l’islam. Le prisme de départ est très focalisé sur la relation que ces associations ou ces mouvements de prédication entretiennent soit avec les pays d’origine, soit avec la matrice originelle. Dans un cas, il s’agit d’un mouvement qui a pris naissance en Inde, pour le tabligh, dans l’autre cas, c’est la matrice islamiste telle que les Frères musulmans l’ont définie, puis la façon dont elle s’est développée dans le monde. C’est ce prisme de départ qu’il faudrait décentrer pour établir une véritable sociologie des religions appliquée à l’islam, ce qui n’est pas encore le cas à l’heure actuelle.

    2Ce que je vais vous livrer ici est issu d’une perspective de « recherche-action » et d’un certain nombre d’entretiens et de recherches personnelles que j’ai menés sur le terrain. Je me suis focalisé en particulier sur la structuration et l’évolution des Frères musulmans en Europe et plus précisément en France, en m’intéressant au désengagement militant. Je pense, à ce propos, que nous sommes aujourd’hui dans une autre époque, qui est celle des allégeances plurielles des nouvelles générations à l’islam et que nous ne sommes plus dans les modes d’engagement totalisants tels que les générations précédentes ont pu les vivre.

    Une structuration qui s’ancre dans une histoire lointaine

    3Si on reprend l’histoire récente, il faut remonter au début des années 1960 avec la présence sur le sol français de deux grandes figures de musulmans. La première est celle de l’ouvrier, déjà présente au début du 20e siècle et dans l’entre-deux-guerres, mais de façon plus massive et plus durable à partir des années 1960 avec les accords de charbonnage et les accords industriels entre la France et ses anciennes colonies. Leur présence s’est en partie structurée sur fond d’évolution du droit associatif français. Jusqu’au début des années 1980, il n’était pas possible pour des personnes étrangères de créer des associations sans l’aval préalable du ministère de l’Intérieur. Mais la promesse de François Mitterrand de libérer le droit associatif a entraîné une croissance exponentielle des associations cultuelles et culturelles musulmanes entre 1981 et 1987, moment où Gilles Kepel sort son livre, les Banlieues de l’islam. De quelques dizaines d’associations, on voit l’installation dans la société française de plus de 600 associations. Mais, à côté de la figure de l’ouvrier, il y a celle de l’étudiant et de l’intellectuel musulman, qui sont aussi des personnages récurrents de l’islam de France depuis le 19e siècle, c’est-à-dire antérieurement à la présence massive de musulmans. Cette présence est déjà en partie structurée. Dès les années 1930, on a de grandes figures intellectuelles musulmanes algériennes en France comme Malek Bennabi, lettré et très francophone, ou Messali Hadj, dirigeant d’un mouvement plutôt religieux. On a donc un foisonnement intellectuel et une structuration avec des revues qui perdurent après la Deuxième Guerre mondiale. Au début des années 1960, il existe une association qui s’appelle l’AEIF (Association des étudiants islamiques en France) créée en 1963, qui périclite dans les années 1970, et renaît une seconde fois dans les années 1980 sous le nom d’Association des étudiants islamiques de France. Il s’agit d’un regroupement d’intellectuels musulmans dont certains s’inscrivent dans le courant des Frères musulmans.

    4L’organisation de la présence musulmane s’ancre donc dans une histoire lointaine, et si l’on veut comprendre cette grande trame des relations entre la France et ses musulmans, on ne peut pas se contenter de considérer uniquement les modes de structuration des associations musulmanes tels qu’on les a connus au début des années 1980.

    L’influence du tabligh

    5Au début des années 1960, l’Association des étudiants islamiques en France joue un rôle dans l’émergence d’un certain nombre de lieux de culte et dans une réflexion de type académique et militante sur l’islam. Mais elle n’a pas un grand impact sur le rapport à l’islam et sur la structuration progressive des musulmans ouvriers présents dans la société française. Le groupe de prédication qui a eu un impact important sur le regain de religiosité des musulmans entre la fin des années 1960 et le début des années 1980 est plutôt le mouvement du tabligh. Le terme vient du verbe arabe ballagha, qui signifie « transmettre », dans le sens de prédication. C’est un mouvement qui a pris naissance vers 1927 dans le nord de l’Inde, initié par des membres d’une famille de traditionnistes musulmans – spécialistes de la tradition prophétique, du hadith –, la famille des Kandhalawi. Différents personnages de cette famille ont eu une audience assez importante auprès des musulmans vivant dans les campagnes du nord de l’Inde. Leur prédication est centrée sur un discours religieux assez simple à destination de personnes qui ne sont pas lettrées et ont un faible bagage intellectuel et une faible connaissance religieuse. Elle est à visée apologétique puisqu’il s’agit de combattre la déperdition de l’identité religieuse dans les campagnes musulmanes du nord de l’Inde face à la prédication de mouvements chrétiens dans cette région. Elle est également fondée sur une stricte orthopraxie : il s’agit d’être un bon musulman, de faire ses prières quotidiennes, de célébrer ses offices quotidiens, d’être assidu dans son rapport à Dieu et dans sa manière de pratiquer la religion. Ce mouvement de prédication a progressivement essaimé et il a entretenu des liens avec d’autres mouvements, notamment par l'intermédiaire de l’une de ses grandes figures – Muhammad Ilyas Kandhalawi (1885-1944) – qui a fait plusieurs séjours à La Mecque pendant la période du pèlerinage et qui y a rencontré des musulmans du monde entier. C’est aujourd’hui le mouvement fondamentaliste musulman le plus structuré à l’échelle de la planète, en nombre d’adhérents, en nombre de ramifications, de centres présents de par le monde, etc. On trouve ce mouvement aussi bien en Amérique du Sud qu’au Japon. Il est centré sur l’imitation de ce que l’on pense être la pratique des premiers musulmans qui se traduit par un habit spécifique, un mode de vie centré sur la pratique de la prière, le respect des interdits et un mode de prédication très particulier. C’est aussi un mouvement apolitique. Le but est de faire en sorte que les musulmans retournent à une certaine assiduité religieuse pour que la société puisse se transformer. Si je reprends la terminologie de Gilles Kepel, nous serions ici dans un mouvement de prédication « par le bas », c’est-à-dire qu’il s’agit de réislamiser la société en faisant une prédication directement orientée vers les musulmans. Ce mouvement n’a pas de visée « hors champ musulman », c’est-à-dire que la prédication de ses membres est destinée uniquement aux musulmans. Vous pouvez éventuellement en rencontrer en France, lorsque vous voyez des groupes de prédication musulmans qui circulent deux par deux sur la voie publique avec une djellaba en général et puis une ‘imama (un turban) sur la tête. Ils sont surnommés par un certain nombre de musulmans « les témoins de Jéhovah de l’islam » dans le sens où ils ont une forme de prédication qui s’apparente un peu à celle du groupe précité. En fait, historiquement parlant, en termes de prédication, ce sont les premiers musulmans qui ont réellement fait une prédication à grande échelle sur le territoire français de sorte que les musulmans puissent préserver leur identité dans l’attente du retour éventuel au pays. Parallèlement à cela, il y a également une présence d’intellectuels musulmans en lien avec la matrice islamiste. Ce premier mouvement, le tabligh, je le qualifie de « fondamentalisme piétiste », car ses adeptes sont dans une lecture littérale des textes religieux et s’affilient à une doctrine qui consiste à revenir à la pratique des anciens. Ils sont apolitiques et leur prédication est uniquement centrée sur une orthopraxie stricte par rapport à ce qu’ils pensent être la pratique religieuse des premiers musulmans.

    La matrice islamiste

    6Parallèlement à cela, il existe des mouvements qui sont plutôt affiliés à la matrice islamiste. Par islamisme, j’entends de manière très précise ce que l’on appelle dans le registre sociologique « l’islam politique », en référence aux tendances de l’islam qui considèrent que la société doit être gérée selon le code de loi musulman (charia). La constitution doit être puisée directement dans les sources scripturaires musulmanes avec un projet de société centré sur une certaine vision de ce que doit être une société musulmane et se double d’une prédication pour que les musulmans soient dans une pratique la plus stricte possible. Il s’agit de faire en sorte que le système politique soit transformé pour être calqué sur la charia. Il existe donc, depuis les années 1960, un certain nombre de figures présentes sur le territoire français mais qui n’avaient pas de lien direct avec les ouvriers musulmans travaillant en France.

    7Et il s’est produit une jonction à la fin des années 1970 entre des étudiants venus principalement des pays du Maghreb, et en nombre moins important du Proche-Orient, jonction qui n’a pas été suffisamment étudiée jusqu’à aujourd’hui. Les associations qui commencent alors à émerger sont dirigées par des primo-migrants, des migrants plus âgés, dont la préoccupation est de stabiliser leur petite communauté de foi à l’échelle locale en se dotant d’infrastructures cultuelles, des mosquées, mais également péricultuelles comme des boucheries halal, des associations cultuelles pour transmettre aux enfants une culture, une religion, un patrimoine, etc. Et ces étudiants ont été islamisés soit dans la matrice islamiste, dans leur pays d’origine, soit sur le territoire français entre deux tendances des Frères musulmans qui ont donné naissance à deux associations à la fin des années 1970. La première, c’est l’UOIF, qui a le plus d’audience. C’est le relais direct des Frères musulmans sur le territoire français. De manière très concrète, les Frères musulmans ont mis en place un système pyramidal à partir de l’Égypte avec un responsable dans chaque pays d’islam, arabe ou non arabe, et pour l’Occident une division en deux parties avec une structure qui était censée chapeauter l’Europe de l’Ouest et une autre qui chapeautait l’Amérique du Nord et le Canada. L’UOIF est en tension avec une autre association qui s’est s’affiliée à une doctrine dissidente en référence à la situation en Syrie à la fin des années 1970 et qui a repris l’intitulé de l’association tombée en désuétude déjà citée, qui s’appelle l’AEIF (Association des étudiants islamiques en France).

    8Ce qui fait que nous avons en France, au niveau de la structuration associative, une partie du tissu associatif encadrée par le fondamentalisme piétiste et une autre partie encadrée par une fédération d’associations, l’UOIF d’une part et l’AEIF de l’autre, qui va tomber en désuétude. Elles sont issues de cette matrice militante islamiste qui s’est essoufflée au fur et à mesure puisqu’en contexte sécularisé se pose un problème très simple pour tous les mouvements de prédication qu’ils soient d’obédience fondamentaliste ou d’obédience islamiste : la question de la doctrine. Quelle doctrine définir en contexte sécularisé et quels modes de prédication (dans quelle langue, selon quelles modalités pour les nouvelles générations, etc.) ? C’est pour cela qu’avec Samir Amghar nous avons pris le contrepied des approches dominantes à l’heure actuelle pour aborder plutôt l’essoufflement de tous ces mouvements aujourd’hui à partir du prisme non pas de la désadhésion, mais de la désaffiliation doctrinale chez les nouvelles générations de musulmans.

    Les stratégies étatiques

    9À côté de cela, le paysage islamique français est dominé également par des associations qui ne sont pas directement issues de matrices de prédication ou de matrices en lien avec l’islamisme mais plutôt de stratégies des États pour encadrer les populations musulmanes. Au tournant des années 1980-1990, les amicales algériennes ou marocaines ont été supplantées par des associations structurées dans le champ religieux. C’est pour cela que nous avons aujourd’hui des associations comme le RMF (Rassemblement des musulmans de France) et l’UMF (Union des mosquées de France) qui sont des résurgences du type d’encadrement qui avait cours jusqu’au début des années 1980 à travers les amicales qui sont tombées en désuétude par l’essoufflement de leurs cadres.

    Les courants soufis encore insuffisamment étudiés

    10Enfin, on trouve aussi d’autres types d’associations qui sont plus en lien avec les courants soufis et qui évoluent dans des sphères très particulières. C’est un tissu associatif qui est extrêmement éclaté et encore insuffisamment étudié. Seules des monographies pourraient nous renseigner de manière plus précise sur les tendances doctrinales, les modes d’affiliation, la structuration de ces associations sur le territoire français.

    Notes de bas de page

    1 Sadek Sellam, La France et ses musulmans. Un siècle de politique musulmane (1895-2005), Fayard, 2006.

    2 Gilles Kepel, Les Banlieues de l’islam. Naissance d’une religion en France, Seuil, 1987.

    Auteur

    • Omero Marongiu-Perria

      Spécialiste de l’islam, chercheur associé à l’Institut du pluralisme religieux et de l’athéisme (IPRA), universités de Nantes et du Maine

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    1 Sadek Sellam, La France et ses musulmans. Un siècle de politique musulmane (1895-2005), Fayard, 2006.

    2 Gilles Kepel, Les Banlieues de l’islam. Naissance d’une religion en France, Seuil, 1987.

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    Ce livre est cité par

    • Rhazzali, Mohammed Khalid. (2023) Religion and Prison in Contemporary Muslim Societies: Religious Intervention in the Carceral Space of Post-Revolutionary Tunisia. Religions, 14. DOI: 10.3390/rel14040474

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    Marongiu-Perria, O. (2019). Les acteurs institutionnels de l’islam français. In Élise Voguet & A. Troadec (éds.), Islams de France, Islams d’Europe (1‑). Diacritiques Éditions. https://doi.org/10.4000/books.diacritiques.1385
    Marongiu-Perria, Omero. « Les acteurs institutionnels de l’islam français ». In Islams de France, Islams d’Europe, édité par Élise Voguet et Anne Troadec. Marseille: Diacritiques Éditions, 2019. https://doi.org/10.4000/books.diacritiques.1385.
    Marongiu-Perria, Omero. « Les acteurs institutionnels de l’islam français ». Islams de France, Islams d’Europe, édité par Élise Voguet et Anne Troadec, Diacritiques Éditions, 2019, https://doi.org/10.4000/books.diacritiques.1385.

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    Voguet, Élise, & Troadec, A. (éds.). (2019). Islams de France, Islams d’Europe (1‑). Diacritiques Éditions, Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman. https://doi.org/10.4000/books.diacritiques.1312
    Voguet, Élise, et Anne Troadec, éd. Islams de France, Islams d’Europe. Marseille: Diacritiques Éditions, Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman, 2019. https://doi.org/10.4000/books.diacritiques.1312.
    Voguet, Élise, et Anne Troadec, éditeurs. Islams de France, Islams d’Europe. Diacritiques Éditions, Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman, 2019, https://doi.org/10.4000/books.diacritiques.1312.
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