La paix selon Léon Bourgeois
Une vision syncrétique
p. 13-28
Résumé
Le pacifisme de Léon Bourgeois puise ses racines dans une œuvre originale, centrée sur la conceptualisation du solidarisme que l’auteur et homme politique a défendu de manière théorique et pratique, à la faveur d’un syncrétisme éthique et d’un engagement diplomatique, dégageant une appréhension proto-réaliste des relations internationales. Éclectiques, les écrits de Léon Bourgeois concilient des sources philosophiques, morales et religieuses contrastées pour bâtir la notion centrale de dette sociale, dont la portée contribue à mettre en lumière un libéralisme socialisant qui oblige l’individu associé et qui lui permet de jouir de son autonomie. Cohérents, ces mêmes écrits, indissociables d’un investissement personnel et majeur au service de la paix, intègrent, dans une dynamique cosmopolitique, les États au sein de la société internationale et encadrent leurs rapports sur le fondement d’un dispositif juridique consensuel et arbitral. La Grande Guerre conduira Léon Bourgeois à infléchir ce cadre dans une perspective plus contraignante, qui envisage une forme de fédéralisme international éloignée du modèle universaliste.
Remerciements
Il nous importe, à titre liminaire, d’adresser nos sincères remerciements au directeur de cet ouvrage collectif : Monsieur le Professeur Maurice Vaïsse.
Texte intégral
1« Mais longtemps encore la Société des nations sera travaillée, comme chacune des Sociétés nationales, par des conflits. Ici la grève s’appelle la guerre, qui est comme une grève de l’humanité. Il faut donc s’efforcer d’établir la paix par la justice dans la Société des Nations, comme dans chacune des Sociétés particulières. Le principal collaborateur à cette œuvre de paix est Léon Bourgeois2. » C’est sous la plume de l’historien Ernest Lavisse que cet éloge a été rédigé, à l’occasion d’une préface à la première partie de La Politique de la prévoyance sociale. Ce court extrait met en lumière la visée pacificatrice de l’œuvre et de l’action du porte-voix du solidarisme, en insistant sur l’étroite relation qui relie la paix à la justice. La première n’est en effet pas concevable sans la réalisation de la seconde, Léon Bourgeois précisant, par l’un des apophtegmes qui parsèment ses écrits, que « toute semence de justice […] est une semence de paix3 ». La justice est bien le fondement, précise l’auteur, de la liberté, de la paix, de l’ordre et de l’harmonie4. Architectonique, la justice se situe donc au cœur de la réflexion solidariste sur la paix à l’échelle nationale comme internationale. Or elle est toute entière déterminée par le concept originaire du solidarisme : celui de dette sociale.
2Selon Léon Bourgeois, la société repose en effet sur l’obligation qui pèse sur les individus d’acquitter une dette sociale qui les lie au nom d’un quasi-contrat formulant un consentement rétroactif de participation à la vie sociale. En somme, les individus ont accepté, avant leur naissance, d’être les débiteurs des bienfaits que la société a accumulés en leur faveur, de telle sorte qu’ils s’engagent auprès de leurs contemporains, en particulier ceux qui subiraient un dommage social, mais également auprès des générations futures, afin de contribuer à la réalisation de l’idée de progrès. Cette dernière tend à se situer à l’intersection du déploiement de la liberté individuelle et de l’associationnisme mutualiste, dans la continuité de l’œuvre du penseur des Lumières Condorcet (1743-1794) et surtout des travaux du philosophe de l’idée-force Alfred Fouillée (1838-1912). La protection de la propriété privée est aussi cardinale que l’investissement individuel au sein d’un tissu associatif qui, scientifiquement prégnant, amortit socialement les éventuels préjudices subis par certains. Déjà, le solidarisme ainsi présenté organise la synthèse, la conciliation d’orientations a priori contradictoires. Déjà, le solidarisme constitue un pont reliant l’héritage de l’individualisme libéral et la prétention socialisante de l’organicisme associationniste. C’est l’éclectisme propre à la philosophie politique et juridique de Léon Bourgeois qui autorise ce syncrétisme doctrinal et qui explique la pluralité des sources du solidarisme5. Cette diversité conjugue un idéalisme spécifiquement pacifiste qui se recommande du scientisme et du positivisme alors en vogue, lors de la seconde moitié du xixe siècle. Elle se nourrit également de la réception morale des présupposés maçonniques et d’une certaine interprétation des dogmes chrétiens. Ensemble, ces différentes influences ont été absorbées dans la matrice doctrinale que constitue, en quelque sorte, le solidarisme. Ce dernier entend pacifier les rapports sociaux au sein de la patrie, mais également dans le monde, au terme d’un encadrement juridique des rapports interétatiques.
3Il s’agit ainsi d’admettre que le solidarisme, en tant que tel, prétend réaliser l’idée d’une paix par l’association consentie des individus et par la soumission consentie des États au droit. Dès lors, l’origine des prétentions pacifistes du solidarisme réside dans l’éclectisme des influences retenues par Léon Bourgeois pour bâtir sa doctrine. Celles-ci, on l’a dit, sont diverses et contradictoires. Elles sont néanmoins soigneusement sélectionnées pour construire un système intellectuel qui prétend innover et surtout, dépasser les deux menaces idéologiques que l’auteur souhaite neutraliser : l’individualisme atomiste des économistes d’une part, le collectivisme liberticide des socialistes d’autre part. Dans la cohérence de cet édifice doctrinal, l’une des finalités du solidarisme est d’assurer la concorde sociale, d’empêcher que les excès individualistes et que les atteintes à la propriété privée n’engendrent un nouvel état de guerre, la défaite de 1871 étant, alors, encore dans les esprits. Dans cette perspective, Léon Bourgeois réconcilie les acquis libéraux de la Révolution de 1789 et les pensées associationnistes repérables dans les utopies socialistes, comme dans l’organicisme conservateur de l’historien scientiste Hippolyte Taine (1828-1893). Cette recherche d’un juste milieu conciliateur s’inscrit probablement dans la continuité du libéralisme spécifique des Doctrinaires6, cherchant à allier l’ordre et la liberté. En tout état de cause, elle pèsera décisivement sur la création du Parti radical et radical-socialiste qui, précisément, incarnera, après sa création le 23 juin 1901, une quête de modération républicaine. Celle-ci articule la préservation de la sphère individuelle et la socialisation partielle des richesses qui culmine dans l’instauration d’un impôt sur le revenu, initié par Léon Bourgeois lui-même7. Confronté à l’étude des relations internationales, celui qui se verra décerné le prix Nobel de la paix en 19208 applique cette même dialectique de la contrainte et de la libre initiative, en élaborant néanmoins un véritable cadre juridique à la prévention des conflits qui sera traduit dans un projet avorté de Société des Nations. Léon Bourgeois, attaché à la notion de patrie, reconnaît aux États leur qualité de sujets souverains du droit international public, libres de recourir au procédé médiateur de l’arbitrage, tout en les éveillant à une nécessaire solidarité des nations destinée à maintenir la paix.
4De ces brèves considérations introductives, il importe de retenir que le solidarisme de Léon Bourgeois présuppose l’idée même de paix. Le bien-être de la société, nationale comme internationale, dépend d’une prise de conscience de la solidarité naturelle qu’il convient, en ce qu’elle génère des inégalités, de tendre vers la réalisation de la justice sociale. Ce projet pacifiste se fonde, dans l’œuvre intellectuelle de Léon Bourgeois, sur un éclectisme doctrinal. Il porte en germe, transposé aux relations interétatiques et animé par le concept cardinal de dette sociale, un ordre international déterminé par la recherche juridique de la paix.
Le solidarisme, pacifisme social fondé sur un éclectisme doctrinal
5Les sources de la doctrine solidariste défendue par Léon Bourgeois sont plurielles et contradictoires. Le solidarisme réconcilie des antagonismes théoriques de manière sélective, de telle sorte qu’ils sont assimilés pour légitimer une philosophie politique nouvelle et synthétique. C’est en cela que cette doctrine est éclectique : elle se propose de renouveler, par un choix réfléchi de références intellectuelles, le traitement moral et théorique de la notion de solidarité. La solidarité défendue par Léon Bourgeois suppose la réalisation d’un devoir associatif qui n’a pas vocation à totalement étreindre la liberté individuelle. Contrainte et libération sont destinées à coexister dans une doctrine qualifiable de libéralisme socialisant, tant l’individu est incité à se mêler à ses semblables pour mieux jouir de ses propres biens et de son autonomie.
Une synthèse éthique
6C’est dans La Nouvelle Revue, au printemps de l’année 1895, que Léon Bourgeois a jeté les bases du solidarisme, dont la présentation sera ordonnée et complétée dans l’opuscule Solidarité, publié en 1896. L’un des articles que rédige Bourgeois assimile le solidarisme à une « synthèse qui n’est pas achevée ». Il ajoute immédiatement que c’est « une doctrine déjà en possession de ses procédés de recherche et de raisonnement, maîtresse de son but et de ses moyens […] ». Puis Léon Bourgeois indique que le solidarisme incarne une combinaison de « la méthode scientifique et de l’idée morale9 ». Cette disposition englobante de la doctrine puise dans une grande variété d’influences intellectuelles. Elle se recommande aussi et indubitablement de l’engagement maçonnique de Léon Bourgeois, qui a façonné, en partie dans Solidarité, une pensée éminemment syncrétique. Elle irradie dans un discours prononcé au Congrès d’Éducation Sociale en 1900, dans lequel Léon Bourgeois invoque les grands courants de la philosophie qui n’ont pas réussi à dépasser l’opposition paradigmatique entre « l’ordre et le progrès, la justice et la liberté », avant de suggérer que le solidarisme réalise « la conciliation entre les contradictoires10 ». Dans cette perspective, Léon Bourgeois emprunte d’abord à l’idéalisme cosmopolitique des stoïciens pour fonder le devoir de solidarité. Postulant l’existence d’une « solidarité-fait » qui rend compte du lien naturel et indépassable qui lie les êtres sans néanmoins empêcher les situations d’inégalité et de domination, Léon Bourgeois plaide, dans l’Essai d’une philosophie de la solidarité, pour la reconnaissance d’une « solidarité-droit11 » qui intime aux hommes de se rendre, rappelant la philosophie de Descartes et des Lumières au sens large, maîtres de la nature pour devenir libres et associés, ainsi que pour réaliser le lien naturel qui les détermine. Plus précisément, Léon Bourgeois reprend clairement le thème de la confraternité du stoïcisme à son compte. L’homme, dit-il en ce sens, est « soumis à des rapports de dépendance réciproque, qui le lient à ses semblables, à la race dont il sort, aux autres êtres vivants, au milieu terrestre et cosmique12 ». Cette assise philosophique poursuit deux finalités fondamentales dans l’économie du solidarisme : insinuer, d’une part, l’idée d’une rationalité humaine portée vers l’association, en particulier par l’éducation qui est centrale dans le stoïcisme comme chez Bourgeois ; enraciner, d’autre part, le principe libératoire que confère, pour l’individu, l’accomplissement du devoir de solidarité. Se trouve alors posée l’obligation de contribuer au bien-être organique de la société que l’éducation doit rendre évidente à tous13. Se trouve simultanément reconnue une liberté individuelle qui s’obtient lorsque cette obligation est remplie.
7L’éthique solidariste se nourrit ensuite, dans la continuité de cet emprunt substantiel à la morale stoïcienne, d’une reprise plus discrète de quelques acquis de l’idéalisme de Kant et de Condorcet. À l’endroit de Kant, Léon Bourgeois réinvestit ponctuellement la conception organique de la société, suivant laquelle une « réciprocité entre les parties14 » caractérise les rapports interindividuels. Surtout, la notion centrale de devoir est réinvestie à la lumière de l’obligation morale kantienne de respecter la loi morale, cette dernière reposant sur la rectitude rationnelle de la volonté et sur une forme de désintéressement. À la faveur de cette acception du devoir, Léon Bourgeois emprunte également à Kant le postulat de l’égalité de valeur sociale, c’est-à-dire l’équivalence des statuts individuels au sein de la société. Toutefois, cette égalité ne saurait disqualifier la possibilité pour tout individu de prospérer et d’étendre le périmètre de sa propriété privée. Elle n’est, pose l’auteur de façon grave, qu’une « égalité non des conditions, mais du droit entre les hommes15 ». Du reste, Bourgeois conclut, toujours en sollicitant l’universalisme rationnel de Kant, qu’aucun homme ne doit être un moyen pour les fins d’un autre16. À l’endroit de Condorcet, Léon Bourgeois reproduit la conviction, partagée par Germaine de Staël et Benjamin Constant, grandes figures du libéralisme politique entre 1790 et 1830, de la « perfectibilité indéfinie de l’espèce humaine17 ». Léon Bourgeois conçoit ainsi le progrès moral de tout individu au croisement de son engagement social et de son épanouissement personnel, ce qui tend à rejoindre le projet émancipateur des Lumières et des révolutionnaires. Il retient également les esquisses mutualistes qui avaient pu notamment apparaître dans l’œuvre de Condorcet18 et qui seront bien évidemment diversement réinvesties par la tradition socialiste, du patron et inspirateur du coopératisme de la première moitié du xixe siècle Robert Owen au penseur inclassable du socialisme libertaire Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), pour ne citer qu’eux. Aussi, cet entre-deux social-libéral rejoint-il le socialisme républicain du théoricien et homme politique de la Seconde République Pierre Leroux19. Cette oscillation s’arc-boute parallèlement sur des analyses d’ordre scientiste. Fondées sur la dépendance microbienne, ces analyses contribuent à légitimer la compréhension organique de la société, l’interdépendance sociale et la promotion du procédé associatif comme révélateur d’une inclination naturelle. Léon Bourgeois conjugue notamment, sur ce point, l’apport scientifique du zoologiste Henri Milne-Edwards et la conception panthéiste du monde du philosophe et moraliste Jean Izoulet20. L’observation scientifique prouve que les différents organismes vivants sont naturellement reliés les uns aux autres, révélant ainsi une nature associative d’essence quasi-divine. Sur ce point, Léon Bourgeois se rapproche aussi de la notion de fait social telle que le sociologue Émile Durkheim l’entend, à savoir comme une réalité objective qui s’impose socialement et intérieurement aux individus, ce qui permet de renforcer sa doctrine associationniste. Placées dans une direction évolutionniste, qui permet d’ailleurs à Bourgeois de recourir au positivisme comtien, ces considérations valident, en creux, la sélection naturelle et, dans le sillage de l’idéologie libérale d’Herbert Spencer, justifient l’intervention minimale de l’État au profit d’une initiative individuelle encouragée à multiplier les contrats d’association21. La loi inexorable et scientifique du progrès de l’esprit humain doit conduire les individus à prendre conscience de leur naturalité sociale et débitrice, au détriment des croyances et de la métaphysique. Certains pourront, suivant leurs facultés propres, maximiser leurs jouissances, l’État n’ayant qu’une fonction de coordination des prétentions contractuelles qui étendront les réseaux associatifs.
8C’est, enfin, dans la spiritualité maçonnique et dans les emprunts aux doctrines chrétiennes que Bourgeois conforte la disposition réformatrice du solidarisme. L’œuvre du tenant du solidarisme, lui-même précocement initié à la franc-maçonnerie, s’inscrit en effet dans un contexte de réflexion maçonnique centré sur la résolution des difficultés sociales. Les thématiques retenues dans les convents des premières années de la décennie 1890 sont tout à fait explicites : l’amélioration du sort des travailleurs, l’abolition de la misère, l’hypothèse d’un impôt unique sur le capital22. Aussi, Léon Bourgeois n’hésite pas à employer, particulièrement dans Solidarité, des formules qui retranscrivent presque littéralement des passages du rituel d’initiation maçonnique. Le recours fréquent au trio passé-présent-futur, en tant qu’il lie les générations anciennes à celles qui existent et qui apparaîtront23, renvoie à deux aspects maçonniques : la chaîne générationnelle qui lie les hommes entre eux, d’une part, une triade temporelle d’autre part. Quant au christianisme, Léon Bourgeois a façonné les notions cardinales du solidarisme – la dette sociale et l’impôt progressif sur le revenu - au terme d’une instrumentalisation du protestantisme social promu par le philosophe du néo-criticisme Charles Renouvier (1815-1903). Le projet de laïcisation de la République défendu par ce dernier s’est fondé sur une conception protestante du politique que Léon Bourgeois a débarrassée de ses contours confessionnels. Bourgeois s’est inspiré du thème renouviériste de la solidarité dans le mal, tout en excluant la solidarité dans le bien que les protestants libéraux et sociaux souhaitaient promouvoir24. Le promoteur du solidarisme s’éloigne également de Renouvier comme, un peu plus tard, du fondateur de l’École de Nîmes et dirigeant du mouvement coopératif français Charles Gide (1847-1932). Léon Bourgeois ne retient en effet pas pleinement le coopératisme, dans la mesure où celui-ci fait peser trop de contraintes sur la propriété individuelle25. Cette sécularisation des interprétations religieuses du politique et du social se poursuit vis-à-vis du catholicisme social. À ce titre, Léon Bourgeois retire la notion de fraternité de son assise religieuse pour l’intégrer dans l’interdépendance sociale, tout en lui affectant une dimension juridique au sens où elle participe, sous le patronage de la solidarité, à la recherche de la justice sociale26. Face à l’ambivalence sociale-libérale du solidarisme et sous la décisive influence d’Alfred Fouillée27, la charité est neutralisée au profit d’une solidarité qui se borne à soumettre les individus au statut de l’équivalence sociale, mais certainement pas à l’égalitarisme économique.
Un libéralisme socialisant
9De ce panorama très rapide des sources doctrinales de Léon Bourgeois, il apparaît que le solidarisme dégage un libéralisme socialisant28. D’un côté, le devoir de solidarité contraint les individus à se lier les uns aux autres pour réaliser un idéal de justice tout à la fois naturel et moral, présupposant l’égalité sociale des associés. De l’autre côté, ce même devoir de solidarité, lorsqu’il est rempli, libère les individus de l’obligation de contribuer au bien-être de la communauté sociale afin d’être en mesure de jouir du premier et du plus sacré des droits humains tel que Léon Bourgeois le proclame : le droit de propriété29. Cette synthèse a largement pesé sur le programme idéologique du Parti radical et radical-socialiste que Léon Bourgeois a façonné, avec l’appui de son ami Ferdinand Buisson, et qualifié de « véritable parti de la conservation sociale30 ». Philosophe et président de la Ligue de l’Enseignement avant Léon Bourgeois, Ferdinand Buisson a particulièrement œuvré en faveur d’un système éducatif laïc, dans le cadre des débats entourant l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État de 190531. Colauréat du prix Nobel de la paix en 1927, il a entretenu une longue complicité intellectuelle et idéologique avec Léon Bourgeois. Cette conciliation a tendu, en outre, à dégager une représentation associative de l’État. Ce dernier intervient, d’une part, pour soutenir l’Éducation nationale, en tant qu’elle annonce l’égalité sociale, et pour corriger les inégalités les plus manifestes. Il laisse, d’autre part, l’initiative contractuelle au bénéfice des individus et des groupements, en tant que seul garant du respect des conventions établies. Elle se recommande donc d’une prémisse libérale qui fait de l’individu un obligé constamment libérable de sa dette sociale32 et qui renvoie notamment aux considérations émises outre-Manche par les penseurs du mouvement du New Liberalism (dans lequel on peut intégrer le philosophe Thomas Hill Green, le sociologue Leonard Hobhouse et l’économiste John Hobson33). Ce dernier courant, à la suite de John Stuart Mill, entendait promouvoir la justice sociale en conciliant les exigences de la liberté et de l’égalité, suivant un « gradualisme34 » qui impose la réforme prudente de la démocratie politique. Ainsi, il apparaît que l’œuvre de Léon Bourgeois traduit un libéralisme spécifique, un « libéralisme de la règle35 » pour reprendre une formule de Bernard Manin, qui soumet la liberté individuelle à une conscience sociale à la fois contraignante et libératrice. En cela, elle continue une tradition française du libéralisme du xixe siècle qui envisage l’individu dans son rapport au groupe, avant de célébrer l’autonomie du jugement individuel. Il s’agit du libéralisme étatiste des Doctrinaires36 qui, pétri de philosophie spiritualiste, tend à soumettre l’individu à une raison qui commande, historiquement, l’instauration d’un ordre politique et social prudemment démocratisé. Dans une perspective proche mais réorientée, Léon Bourgeois pense un ordre associatif qui s’impose à la volonté individuelle sans l’emprisonner, afin de parvenir à la concorde sociale, mise à mal par la paupérisation grandissante de la population française.
Le solidarisme, pacifisme moral porteur d’un ordre international
10Dans la logique organiciste du solidarisme, le devoir associatif contraint les États autant que les individus au sein de la société nationale. Face à la délicate question de la souveraineté des États, Léon Bourgeois développe une réflexion juridique autour du consensualisme, principe qui promeut l’expression librement contractualisée des volontés, et de l’arbitrage. Cette réflexion inaugure, à certains égards, le solidarisme contractuel. L’âpreté du conflit mondial commencé en 1914 le conduit à penser une Société des Nations contraignante, dont les éléments constitutifs révèlent une appréhension spécifiquement réaliste de l’ordre international.
La recherche juridique de la paix internationale
11Dans la cohérence de sa doctrine, Léon Bourgeois n’entrevoit la paix internationale que par le prisme de la justice, ce qui le conduit à développer ce qu’il nomme une « diplomatie du droit ». Cette diplomatie assigne aux États le même devoir qui pèse sur les individus au sein de la société nationale, suivant la dynamique associationniste que génère la dette sociale. Toutefois, le prisme tend ici à s’inverser : la solidarité des nations entre elles ne doit pas aboutir à reléguer les droits auxquels celles-ci peuvent prétendre au nom de « l’idée de patrie ». À l’image de l’indépendance et de la dignité de la personne humaine, il convient certes de reconnaître les « devoirs réciproques » des « États civilisés », mais aussi et surtout de leur garantir « la plus haute des indépendances » pour satisfaire la loi de la « conscience commune37 », derrière laquelle se dissimulent les réquisits fondamentaux du solidarisme. Toutefois, il insiste parallèlement sur l’autonomie propre à chaque État, autonomie qui doit trouver à s’exprimer juridiquement, de telle sorte que l’on puisse échapper à la « diplomatie de la force38 ». Ainsi, Léon Bourgeois transpose la solidarité sociale au niveau des relations internationales, dans un cheminement qui rappelle les cercles concentriques du stoïcisme primitif, reliant tous les êtres, depuis leur for intérieur jusqu’au cosmos. Néanmoins, la dépendance n’est plus seulement organique et spirituelle, mais centralement juridique, tant le contrat prend une place prédominante dans la caractérisation des liens de solidarité. Léon Bourgeois établit d’ailleurs une gradation : « de même que le contrat a introduit la justice et la paix dans les rapports du droit privé, de même le contrat de prévoyance et de garantie sociales mettra la justice et la paix dans les rapports sociaux39 ». Il n’est donc pas étonnant que cette dépendance atteigne les rapports internationaux, qui ont vocation à être encadrés par les traités et les éventuels accords de médiation. Léon Bourgeois identifie les exigences de la « solidarité-droit » à destination des États dans une optique réformiste qui s’équilibre autour de la reconnaissance des souverainetés et d’une officialisation des obligations associatives.
12À l’appui de deux exemples qui ont valeur d’arguments, la conférence navale de Londres qui s’est tenue de décembre 1908 à février 1909 d’une part, établissant une Cour internationale des Prises40, dont l’autorité fut finalement rejetée par quelques grandes puissances, et l’arbitrage de Casablanca d’autre part, résolvant en mai 1909 un litige opposant les autorités militaires françaises occupant la ville au consul d’Allemagne, Léon Bourgeois proclame l’existence d’une société internationale dont les membres doivent devenir conscients41. Les États sont donc invités à prendre la mesure des liens naturels de solidarité qui les rassemblent au sein de ce qu’il nomme une « alliance universelle ». Sous « l’empire du droit », ils répondent ainsi à « l’obligation de principe42 » que commande la solidarité internationale. Cette aspiration juridique à la solidarité internationale prend tout d’abord la forme d’une promotion des cours de justice qui, par l’effet du débat contradictoire et d’une égale prise en considération des prétentions des États-parties, permet de dégager les « tendances contraires » et d’obtenir une solution médiane propice à éviter le conflit armé. Elle se fixe, ensuite, sur l’arbitrage en tant que procédé consensuel destiné, là également, à anticiper les désaccords et leur éventuelle résolution par la force. Ensemble, ces deux exigences aboutissent, lors de la Conférence de La Haye pour le désarmement et la prévention de la guerre de 1899, à la création de la Cour permanente d’arbitrage. Avec le juriste Louis Renault et le diplomate Paul d’Estournelles de Constant, respectivement lauréats du prix Nobel de la paix en 1907 et en 1909, Léon Bourgeois est l’un des principaux promoteurs du recours à l’arbitrage lorsque surgit un différend entre nations. D’ailleurs, ces mêmes protagonistes ont composé le groupe parlementaire français de l’arbitrage international43. Échouant à rendre ce recours impératif comme à imposer le désarmement des puissances44, Léon Bourgeois parvient à enraciner le principe de l’arbitrage obligatoire, en tant que premier Délégué de la France et président de la Commission de l’arbitrage, lors de la seconde Conférence de 190745. Néanmoins, le fonctionnement de cette dernière ne le satisfait pas pleinement, notamment en matière de nomination et de répartition des juges46. Il n’en demeure pas moins qu’une nette majorité d’États participant à la Conférence accepte de ratifier un traité multilatéral d’arbitrage obligatoire. De ce point de vue, la réflexion juridique de Léon Bourgeois sur les relations internationales, indissociable de son action diplomatique, dessine les contours de ce que la doctrine civiliste appellera le solidarisme contractuel, depuis l’œuvre du civiliste René Demogue au début du xxe siècle jusqu’aux écrits du professeur et spécialiste du droit des contrats Christophe Jamin47. Synthétiquement, cette doctrine considère que la force obligatoire du contrat, exprimée par l’accord des volontés des parties, ne saurait surpasser la validité du contrat, elle-même déterminée par l’exigence de solidarité. Elle ajoute que le contentieux contractuel doit laisser une large marge de manœuvre au juge, notamment dans la perspective de réformer toute convention qui méconnaîtrait cette exigence, de telle sorte que le juge apparaît comme un aiguilleur de solidarité. On retrouve ici le jeu d’équilibriste que Léon Bourgeois souhaite instaurer, entre liberté consensualiste des parties d’établir leurs conventions et contrainte solidariste judiciairement incitée et ultimement sanctionnée. Semblablement à René Demogue qui identifie dans le contrat un « microcosme48 » entre parties liées par le but commun de la solidarité, Léon Bourgeois envisage la société internationale comme un organisme composé de nations libres et interdépendantes. Cette articulation juridiquement encadrée va traduire, en creux et en raison du conflit mondial, un réalisme spécifique des relations internationales.
La maturation d’un ordre international spécifiquement réaliste
13Léon Bourgeois a été un acteur de premier plan des relations internationales du début du xxe siècle, notamment en tant que président de l’Association française pour la Société des Nations, à partir de novembre 191849. Sans entrer dans le détail des tractations diplomatiques, projets, affrontements et renoncements qui ont mené à la création de la Société des Nations50, il importe de signaler que le contexte de la Grande Guerre a très certainement marqué un infléchissement de son pacifisme juridique initial, consensuel et judiciairement médiatisé, dans une direction contraignante et presque méfiante. Du reste, le projet de Société des Nations défendu par Léon Bourgeois, marqué par la volonté d’ériger une organisation internationale dotée d’un dispositif de sanctions diplomatiques, économiques et militaires, butera contre la conception anglo-saxonne, en particulier portée par le président Woodrow Wilson, du mode de résolution des conflits. Léon Bourgeois n’est en effet pas parvenu à convaincre, on l’a vu, de l’utilité d’un désarmement finaliste des nations réunies au sein de la Société. Logiquement, l’idée d’une armée internationale51 comme l’arsenal de sanctions juridiquement contraignantes n’a pas prospéré. Plus fondamentalement, Léon Bourgeois s’oppose à l’universalisme que semblent partager Wilson et Clemenceau, tendant à percevoir dans la Société des Nations une organisation dépourvue d’instrument de force internationale et consacrant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Léon Bourgeois exclut la reconnaissance de ce droit, tout au moins au sortir de la guerre, dans la mesure où il pourrait avoir pour effet de déstabiliser l’équilibre européen alors instauré. C’est, en particulier, l’Allemagne qui est visée par cette exclusion52. Critique de la démarche wilsonienne qu’il juge trop personnelle, Léon Bourgeois paraît privilégier une vision à la fois fédéraliste et proto-réaliste des relations internationales qui intègre les nations qui y auront souverainement consenti, dans une société soumise à un devoir solidariste de participation que le droit, conventionnel et judicaire, pourra rendre pleinement effectif. Quittant le giron médiateur et arbitral du droit solidariste des relations interétatiques, Léon Bourgeois pose les linéaments d’un ordre international qui recherche, par la légitimité d’un droit contraignant et empêchant le recours à la force, la réunion des conditions de la stabilité internationale53. C’est dans cette perspective aronienne que l’œuvre internationaliste de Léon Bourgeois présente des aspérités réalistes, qui l’éloignent de l’idéalisme pacifiste et qui le rapprochent encore, dans une certaine mesure, du libéralisme de la règle précédemment évoquée. Cette orientation, fondée sur la soumission acceptée des États à un système juridique, est d’ailleurs renforcée par une intelligence quasi-utilitariste de la société internationale que Léon Bourgeois semble emprunter au philosophe du droit anglais Jeremy Bentham (1748-1832). L’idéal de justice sociale et internationale cède parfois le pas, dans les écrits de Bourgeois, à une approche empirique et privatiste de l’association entre les nations. Individualisés, les États semblent en effet perçus comme liés au nom d’un affectio societatis, c’est-à-dire en vertu d’une volonté sous-jacente de constituer une société pour satisfaire ce que Léon Bourgeois nomme, sans jamais promouvoir une quelconque volonté générale ou même un intérêt général des nations réunies, des « intérêts internationaux communs54 ». Autrement dit et dans une perspective de nouveau civiliste, les États feraient société car il en relèverait de leurs intérêts propres, commerciaux et sécuritaires. Néanmoins, Léon Bourgeois ne renonce pas, dans sa démarche systématiquement synthétique, à l’idée d’une paix internationale comme praxis d’une solidarité considérée comme principe d’éducation et d’action.
Conclusion
14Au moment de clore cette présentation, il apparaît que le pacifisme solidariste de Léon Bourgeois se révèle riche de sa complexité et de sa nature protéiforme. Fondée sur une assise intellectuelle dense, convoquant, par un syncrétisme éclectique, de multiples sources, la réflexion de l’auteur dégage une conception réformiste de la justice sociale qui s’équilibre autour d’un libéralisme socialisant, lui-même ancré sur un individu paradoxalement débiteur et libérable. Cette tension réformiste rejaillit sur la société internationale que Léon Bourgeois promeut. La paix ne règnera sur cette dernière que par la diffusion du projet solidariste et par l’admission d’un droit conventionnel, susceptible d’imposer des décisions voire des sanctions aux États souverains, lorsque l’ordre international l’exigera. Sont ainsi conjugués l’idéal cosmopolitique et une forme de réalisme fédéralo-empirique que commande l’aléa des rapports interétatiques. Certes, le solidarisme défend la concordance des consciences individuelles et sociales, dans l’État et entre les États, sans fixer, de manière clairement identifiable, un substrat éthique au devoir individuel. Parallèlement, il fait peser sur l’individu et l’État l’obligation de réparer les injustices antérieures, atrophiant ainsi leurs subjectivités55. Toutefois, malgré la défaillance d’un fonds proprement spirituel, le solidarisme défendu par Léon Bourgeois constitue une synthèse libérale inédite dans l’histoire des idées politiques, à l’orée du xxe siècle. Cette synthèse envisage la paix comme une véritable théorie de la justice, sociale et internationale, articulant une dialectique motrice du devoir et de la libération destinée à amoindrir les inégalités et à sanctuariser l’autonomie individuelle. Oscillatoire, cette conception de la paix prend davantage sens dans l’engagement personnel de son promoteur. Or, Léon Bourgeois n’a cessé de rechercher la justice sociale par ses écrits programmatiques et surtout par son action législative et diplomatique. Ainsi, il faut s’en remettre au constat d’Alexandre Mérignhac, professeur de droit international public, qui affirmait, à propos de Léon Bourgeois, qu’il était un « dialecticien consommé, [un] orateur entraînant et applaudi, [un] apôtre éloquent des doctrines pacifiques56 ».
Notes de bas de page
2 L. Bourgeois, La Politique de la prévoyance sociale.- La doctrine et la méthode, p. XII-XIII de la préface.
3 Ibid., p. 215. Voir également : L. Bourgeois et A. Croiset, Essai d’une philosophie de la solidarité, Conférences et discussions, p. 93, p. 96 et p. 102.
4 Ibid., p. 15.
5 On ne peut ici que renvoyer à l’indispensable ouvrage de M. Sorlot, Léon Bourgeois, un moraliste en politique, notamment le chapitre intitulé « Un moraliste en politique », p. 77 et s. Parmi les livres essentiels à la compréhension du solidarisme, il faut mentionner : M.-C. Blais, La Solidarité, histoire d’une idée, p. 27 et s. ; ainsi que : S. Audier, Léon Bourgeois. Fonder la solidarité, p. 17 et s. Du même auteur : La Pensée solidariste. Aux origines du modèle social républicain (textes réunis et présentés par), p. 15 et s. Voir également l’article de S. Berstein, « Léon Bourgeois et le solidarisme », in A. Niess et M. Vaïsse (dir.), Léon Bourgeois, du solidarisme à la Société des Nations, p. 7-16.
6 Le groupe des Doctrinaires, parmi lesquels on retrouve des figures telles que Pierre-Paul Royer-Collard (1763-1845) et François Guizot (1787-1874), a visé, par la réflexion et l’action politiques, la réconciliation de la société post-révolutionnaire avec son héritage monarchique, aboutissant, depuis la Seconde Restauration commencée en 1814 jusqu’à la Troisième république, à la défense d’une doctrine libérale et conservatrice.
7 Président du Conseil des ministres entre novembre 1895 et avril 1896, Léon Bourgeois présente, en janvier 1896, un projet de loi sur l’impôt sur le revenu qui, adopté par la Chambre des députés, n’est pas examiné par le Sénat. Voir l’article documenté de M.-C. Blais, « Aux origines de la solidarité publique, l’œuvre de Léon Bourgeois », p. 17.
8 Voir, sur ce point : M. Vaïsse, « Léon Bourgeois, Prix Nobel de la Paix », in A. Niess et M. Vaïsse (dir.), Léon Bourgeois, du solidarisme à la Société des Nations, p. 127-133.
9 L. Bourgeois, « Lettre sur le mouvement social. La doctrine de la solidarité », p. 391-392.
10 L. Bourgeois, « Rapport de M. Léon Bourgeois au Congrès d’Éducation Sociale en 1900 », p. 163.
11 L. Bourgeois et A. Croiset, Essai d’une philosophie de la solidarité, Conférences et discussions, p. 13 (voir également p. 10).
12 L. Bourgeois, Solidarité, p. 46-47. Les occurrences du thème de l’interdépendance réciproque sont surabondantes, notamment ibid., p. 50, p. 82 et p. 113.
13 Ce dont rend compte de manière éclatante le recueil de discours suivant : L. Bourgeois, L’Éducation de la Démocratie française, discours prononcés entre 1890 et 1896. Voir notamment le discours prononcé en 1892, lors de la distribution des prix du Concours général, p. 98 et s.
14 L. Bourgeois, Solidarité, p. 44.
15 Ibid., p. 107.
16 Voir ibid., p. 73, p. 169 et p. 243.
17 N. de Condorcet, Tableau historique des progrès de l’esprit humain, p. 285.
18 Sur ce point, voir : M. Hamburger, Léon Bourgeois (1851-1925) : La politique radicale socialiste, la doctrine de la solidarité, l’arbitrage international et la Société des Nations, p. 63. Voir aussi : S. Audier, Léon Bourgeois : fonder la solidarité, p. 63.
19 Sur Pierre Leroux, voir : A. Le Bras-Chopard, De l’égalité dans la différence. Le socialisme de Pierre Leroux.
20 L. Bourgeois, Solidarité, p. 55-57.
21 Ibid., p. 27. Auguste Comte est cité et exploité p. 60 et p. 117. Quant au schème évolutionniste et libéral (notamment sur le rôle minimal de l’État) de Spencer, il est tout à fait notable p. 40-42 et p. 48-49 et p. 61.
22 En ce sens, voir : A. Bauer, J.-C. Rochigneux, Questions à l’étude des loges dans les obédiences de la franc-maçonnerie française, p. 33-34.
23 Notamment : Léon Bourgeois, Solidarité, p. 81. Sur les principes et la symbolique maçonniques, voir : C. Bryon-Portet, « Le principe de triangulation dans les rites maçonniques », p. 265.
24 Voir C. Renouvier, Science de la morale, p. 80 et p. 401. À confronter notamment à : L. Bourgeois, « Discours prononcé par M. Léon Bourgeois, Président de la Ligue de l’Enseignement à la séance d’ouverture du Congrès de la Ligue, à Bordeaux, le 26 septembre 1895 », en particulier p. 309.
25 Charles Gide, qui a pu être considéré comme le « père du solidarisme », a consacré un cours annuel à la solidarité : C. Gide, La Solidarité : cours au Collège de France, 1927-1928. À propos du coopératisme, voir : C. Gide, « L’idée de solidarité en tant que programme économique » (mars 1893), in La Coopération – Conférences de propagande, p. 172.
26 Léon Bourgeois retient certes la devise républicaine, mais il tend à agglomérer sans les remplacer, la liberté, l’égalité et la fraternité au sein la solidarité, faisant de la fraternité un sentiment moral concourant à la justice sociale que poursuit la solidarité-droit : voir l’« Extrait du compte rendu de la séance du Congrès d’Éducation Sociale du jeudi soir 27 septembre 1900 », in Solidarité, (l’édition utilisée est la troisième de 1902), p. 189-219, p. 211.
27 Notablement : A. Fouillée, La Science sociale contemporaine, notamment p. 326.
28 En ce sens, voir l’article pionnier de J. Hayward, « The official social philosophy of the French Third Republic: Léon Bourgeois and solidarism ».
29 L. Bourgeois, Solidarité, p. 19 : « La propriété individuelle est, comme la liberté elle-même, un droit inhérent à la personne humaine ; la propriété individuelle n’est pas seulement une conséquence de la liberté, elle en est aussi la garantie ; ce caractère du droit de propriété est donc absolu […]. » Voir également L. Bourgeois et A. Croiset, Essai d’une philosophie de la solidarité, Conférences et discussions, p. 34 ; et le climat lockien de : L. Bourgeois et A. Mérin (expliquée et accompagnée de lectures), Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789), p. 21-22 et p. 26.
30 Comité exécutif du Parti républicain, radical et radical-socialiste, Premier Congrès du Parti républicain, radical et radical-socialiste, p. 54.
31 Voir l’étude magistrale de S. Tomei, Ferdinand Buisson (1841-1932), Protestantisme libéral, foi laïque et radical-socialisme. Dans le second volume, l’auteur pointe notamment la discrétion de Léon Bourgeois quant à la question de la laïcité (p. 554 et s.). Sur le solidarisme en tant que « doctrine » sociale du Parti radical, voir p. 780 et s. (vol. 2).
32 La doctrine de la solidarité « est la justification même de la propriété libérée. » L. Bourgeois et A. Croiset, Essai d’une philosophie de la solidarité, Conférences et discussions, p. 45.
33 Il n’est, en conséquence, pas anodin que Léon Bourgeois ait soigneusement conservé les numéros de la Revue britannique dans sa bibliothèque personnelle.
34 M. Freeden, The New Liberalism. An Ideology of Social Reform, p. 38.
35 B. Manin, « Les deux libéralismes : la règle et la balance », in I. Théry et C. Biet (textes réunis et présentés par), La Famille, la loi, l’État. De la révolution du Code civil.
36 Sur ce courant doctrinal, voir : P. Rosanvallon, Le Moment Guizot ; L. Jaume, L’Individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français ; A. Craiutu, Le Centre introuvable. La pensée politique des Doctrinaires sous la Restauration ; P. Raynaud, Trois révolutions de la liberté. Angleterre, Amérique, France, p. 325 et s.
37 L. Bourgeois, Pour la Société des Nations, p. 16, p. 23-24.
38 Ibid., p. 16.
39 L. Bourgeois et A. Croiset, Essai d’une philosophie de la solidarité, Conférences et discussions, p. 50.
40 Plus précisément des prises, en temps de guerre, des navires et des marchandises.
41 L. Bourgeois, Pour la Société des Nations, p. 17 et s.
42 L. Bourgeois, « Préface » à l’ouvrage de G. Scelle, Le Pacte des Nations et sa liaison avec le Traité de Paix, p. VIII.
43 J.-M. Guieu, « Des parlementaires au service de la paix. Le groupe parlementaire français de l’arbitrage international (1093-1914) », p. 38 et s.
44 Voir en ce sens : M. Vaïsse, « La Société des Nations et le désarmement », in United Nations Library, The League of Nations in retrospect – La Société des Nations : rétrospective, p. 245. D’ailleurs, Léon Bourgeois est quelque peu réticent face à l’enjeu financier qu’engendrerait le désarmement. Il s’est surtout heurté à l’opposition anglo-saxonne, ce qui l’amène finalement à concevoir le désarmement comme « une conséquence et […] non pas une préparation ». Cf. L. Bourgeois, Pour la Société des Nations, p 175.
45 On ne peut ici qu’inviter le lecteur à consulter l’indispensable article de S. Jeannesson, « Léon Bourgeois aux conférences de La Haye de 1899 à 1907 : solidarisme et démocratisation des relations internationales ». Voir également : A. Niess, « Léon Bourgeois (1851-1925), juriste et ange de la paix ».
46 L. Bourgeois, « Discours », in Groupe parlementaire français de l'arbitrage international (coll.), La Deuxième Conférence de La Haye : discours prononcés à la séance de rentrée du Groupe de l'arbitrage, p. 59.
47 R. Demogue, Traité des obligations en général, Paris, tome 6, p. 9. C. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Le contrat au début du xxie siècle, Études offertes à J. Ghestin.
48 R. Demogue, ibid.
49 Voir : J.-M. Guieu, « La Société des Nations et ses organisations de soutien dans les années 1920 », p. 13.
50 Nous renvoyons à l’un des ouvrages de référence : J.-M. Guieu, Le Rameau et le glaive. Les militants français pour la Société des Nations, notamment p. 34 et s., ainsi que p. 53 et s.
51 Voir : A. Niess, « Léon Bourgeois (1851-1925), juriste et ange de la paix », p. 144.
52 Sur ce point, voir l’étude de S. G. Blair, La France et le Pacte de la Société des Nations. Le rôle du Gouvernement français dans l’élaboration de la Société des Nations, p. 229.
53 Voir, notamment : D. Battistella, « L’ordre international. Portée théorique et conséquences pratiques d’une notion réaliste », p. 91.
54 Cette formule est employée dans un discours prononcé par Léon Bourgeois au sein de la Commission de la conférence de la paix, le 11 octobre 1907 in E. Lémonon, La Seconde conférence de la paix, La Haye (Juin-octobre 1907), p. 168.
55 Voir en ce sens : M.-C. Blais, La Solidarité, histoire d’une idée, p. 277.
56 A. Mérignhac, La Conférence internationale de la paix : étude historique, exégétique et critique des travaux et des résolutions de la conférence de La Haye de 1899, p. 28.
Auteur
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Caroline Tixier
Caroline Tixier est attachée temporaire d’enseignement et de recherche en droit public à l’Université Sorbonne Paris Nord et doctorante en science politique à l’Université Paris II Panthéon-Assas. Caroline Tixier soutiendra prochainement une thèse sur la philosophie politique et juridique de Léon Bourgeois. Auteure d’une dizaine d’articles scientifiques, elle enseigne l’histoire des idées politiques et le droit public. Elle est également lieutenant de vaisseau de réserve au sein de l’État-major des Opérations de la Marine nationale.

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