1Parmi les questions qui n’ont pas encore été éclaircies par la recherche historique sur le dernier concile figure en bonne place le rôle qu’y ont joué quelques éminences de la curie romaine (le secrétaire d’État Amleto Cicognani) ou quelques responsables de la machine conciliaire (le secrétaire général Pericle Felici). Tel était aussi le cas du cardinal Eugène Tisserant, doyen du Sacré Collège et, à ce titre, second personnage de l’Église catholique¹.

2Celui-ci est tout à la fois très présent et très visible à Vatican II, avec sa légendaire barbe orientale qui le fait immédiatement remarquer. Chaque matin de congrégation générale, il arrive un peu en avance à Saint-Pierre et gagne d’un pas pressé sa place au centre de la table de présidence, sans jamais s’arrêter pour converser avec l’un ou l’autre évêque. C’est lui qui entonne la prière de début de séance ; lui aussi qui entonne la prière de fin des travaux ; et c’est lui encore qui entonne le De profundis après annonce du décès d’un Père conciliaire. Mais par-delà ces fonctions cérémonielles, ou de représentation, a-t-il eu une influence autre qu’anecdotique ou fonctionnelle sur le cours de l’assemblée ? Une réponse nuancée s’impose après consultation des Actes officiels et des archives de Vatican II, qui contiennent près de cinq cents documents à son nom², alors que le concile n’occupe – significativement ? – que peu de place dans ses papiers privés³.

3Pour définir la juste part du cardinal Tisserant à l’événement Vatican II, trois étapes successives sont à considérer : sa réaction à l’annonce de Jean XXIII et son rôle dans la préparation du concile ; ses interventions, ponctuelles mais importantes, en faveur de la majorité de l’assemblée jusqu’en octobre 1963 ; son irritation croissante face aux lenteurs et aux lourdeurs du concile, qui provoque bientôt chez lui un net retrait, sans le faire basculer pour autant dans le camp de la minorité⁴.

Une entrée en concile à reculons

4Secrétaire de la Congrégation romaine pour l’Église orientale depuis 1936, le cardinal Tisserant doit se rendre en Éthiopie au mois de janvier 1959. Comme il sera absent de Rome le 25, Jean XXIII le prévient de la convocation du concile en audience, le 16 janvier. Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne manifeste guère d’enthousiasme pour cette perspective. Non qu’il nie l’urgence de réformes au sein de l’Église catholique. Principal cumulant de la curie dépeuplée de Pie XII, il n’a cessé de se plaindre du mauvais fonctionnement des services centraux de l’Église et souhaite vivement qu’ils deviennent plus efficients⁵. Bien qu’il manque d’une formation philosophique et théologique approfondie, et qu’il n’ait jamais été membre du Saint-Office, congrégation compétente en la matière, il a exprimé depuis les années 1930 une sympathie prudente pour certains courants réformistes alors suspects et parfois soumis à sanctions : opportunité de développer le pluralisme liturgique en Occident par introduction des langues vernaculaires dans les offices ; utilité de restaurer le diaconat permanent pour pallier le manque de prêtres ; importance de la liberté de recherche dans le domaine de l’exégèse biblique ; vœu d’une détente dans les rapports entre science et foi, sur la question des origines du monde ou de celles de l’homme notamment. Et bien sûr établissement de relations cordiales avec les chrétiens séparés d’Orient, dont sa congrégation a la charge.

5D’emblée, il déclare pourtant à Jean XXIII qu’il ne veut jouer aucun rôle dans la préparation ni dans le déroulement du concile⁶. Argument invoqué ? La lourdeur et la multiplicité bien réelles de ses tâches en curie. Mais ne peut-on deviner aussi une certaine réserve envers l’événement qui s’annonce ? Cette décision est rapidement renforcée par sa « démission » de la Congrégation orientale, en novembre 1959, que Tisserant vit très mal. Une telle « démission », qui lui a été explicitement demandée par le secrétaire d’État Domenico Tardini au nom du pape, le prive d’une bonne partie de l’influence que lui donnait à Rome la maîtrise d’un secteur d’intervention propre, autrement important que les charges qu’il conserve, la haute main sur les archives et la bibliothèque du Vatican par exemple⁷. Il s’éloigne alors de Jean XXIII qu’il connaissait bien pour l’avoir eu sous ses ordres comme délégué apostolique à Istanbul, et dont il attendait beaucoup.

6On ne saurait pourtant imaginer que le doyen du Sacré Collège soit absent de la genèse du concile. Aussi le cardinal Tisserant est-il nommé membre de la commission centrale préparatoire et, contre son gré⁸, membre de la sous-commission des affaires mixtes chargée d’une délicate coordination entre les soixante-dix schémas rédigés par les dix commissions préparatoires sans grande concertation. D’autant que, comme doyen du Sacré Collège, il est amené à présider ces deux instances en l’absence fréquente du pape. Il y adopte d’emblée une posture fonctionnelle qu’il conservera durant toute la phase conciliaire : faire appliquer strictement le règlement tout en veillant à la clarté et l’efficacité des débats ; mais intervenir le minimum sur le fond de ceux-ci, à une exception notoire près : éviter la condamnation par le concile du communisme comme régime politique. Aussi est-il difficile de tirer de ses quelques remarques sur les schémas préparatoires et de ses votes en commission centrale, où son rang l’amène à se prononcer en premier, une vision nette de sa position. Ses critiques des textes examinés portent principalement sur leur manque de réalisme pratique, dans le cas des visites pastorales⁹, ou de réalisme intellectuel, dans celui de l’apparition de l’homme sur terre¹⁰. Quant à ses votes, ils vont dans le sens des futurs ténors de la majorité conciliaire (Frings, Döpfner, Liénart, Bea), plutôt que dans celui de leurs futurs adversaires de curie (Browne, Confalonieri, Ottaviani). Ces indices sont cependant fragiles : il reste délicat de déterminer le sentiment profond du cardinal Tisserant. Comme à l’accoutumée, il s’acquitte avec conscience de charges qu’il n’a pas briguées, mais sans trop s’y impliquer personnellement. Sa place est donc minime dans la préparation du concile, dont il regrettera après coup l’insuffisance¹¹. Elle a cependant pu bénéficier de ses qualités d’organisateur et de sa longue expérience des réunions au sommet de l’Église.

Au secours de la majorité

7Le cardinal Tisserant n’intervient pas plus durant le concile que dans sa phase préparatoire. Il est toutefois en mesure, du fait de sa fonction de président du conseil de présidence en l’absence du pape, de donner quelques coups de pouce ponctuels, mais décisifs, à la majorité de l’assemblée en formation.

8On pourrait croire l’inverse au vu de son comportement lors de la première congrégation générale, le 13 octobre 1962, au cours de laquelle il refuse de donner la parole au cardinal Liénart qui veut demander le report des élections aux commissions conciliaires chargées d’examiner les schémas préparatoires : c’est contre son gré que l’évêque de Lille prend malgré tout la parole¹². En fait, dans une lettre de la veille au secrétaire général du concile, M^gr Felici, il suggérait lui aussi un report. Comme son vœu, réitéré au début de la séance du 13, a reçu une réponse négative, l’homme de devoir qu’il est s’incline et tente en vain de faire respecter la décision prise ; mais il n’en pense pas moins. Le cardinal Siri, archevêque de Gênes, pense d’ailleurs, à tort, qu’il est de mèche avec Liénart et Frings¹³.

9Dans l’examen du schéma sur la liturgie, son intervention la plus importante n’est pas celle qu’il prononce à Saint-Pierre le 24 octobre 1962 : plaidoyer rigoureux et argumenté pour le pluralisme des rites et des langues, elle fait pourtant l’admiration du père Henri de Lubac¹⁴. Le 15 octobre précédent, en effet, la voix du cardinal Tisserant a été décisive au conseil de présidence pour que le débat s’engage sur la liturgie et non sur un des textes de la commission théologique préparatoire comme le voulait le cardinal Ottaviani, président de celle-ci, au nom de la supériorité du doctrinal sur le pastoral. La décision qui permet au concile de se roder sur un sujet moins polémique y est acquise par cinq voix, dont celle de Tisserant, contre quatre¹⁵, au grand dam d’Ottaviani qui, dans une lettre du 18 octobre, lui manifeste « son étonnement et son désappointement » : « Une telle inversion offense la tradition des conciles et les exigences de la théologie, laquelle enseigne que la doctrine de la foi est le fondement et la raison d’être non seulement de la liturgie, mais de toute la vie de l’Église », écrit-il¹⁶, en discordance manifeste avec le discours d’ouverture de Jean XXIII.

10Le débat sur la liturgie ne tarde pourtant pas à s’enliser dans la litanie des interventions répétitives pour ou contre l’introduction des langues vernaculaires et de la concélébration ou sur le rôle des conférences épiscopales dans la réforme. Lassé de ce qu’il considère comme une perte de temps, le cardinal Tisserant joue de son statut de président pour faire procéder, le 14 novembre, à un vote de principe sur la recevabilité du schéma discuté, moyennant amendements renvoyés en commission. À la surprise de bien des observateurs, trompés par la tactique d’obstruction des opposants, une énorme majorité se dégage en faveur du texte. Le lazariste italien Annibale Bugnini, secrétaire de la commission liturgique préparatoire, mais écarté de la commission conciliaire, ne s’y trompe pas : il remercie chaudement Tisserant d’avoir décidé ce scrutin qui peut être considéré comme l’acte de naissance de la majorité conciliaire¹⁷.

11La deuxième des trois seules interventions publiques du cardinal Tisserant à Saint-Pierre est tout aussi marquante que la première. Le 16 novembre 1962, dans le débat sur le texte controversé de la commission théologique préparatoire concernant les sources de la foi, il prononce une vibrante défense et illustration de l’exégèse, alors attaquée dans l’enceinte conciliaire et autour par les Pères et experts du « parti romain ». Il utilise à cet effet un argument imparable à leurs yeux : une référence à Pie XII dont l’encyclique Divino afflante Spiritu de 1943 a été accueillie avec soulagement par des biblistes sous étroite surveillance depuis la crise moderniste. Cette encyclique, Tisserant la connaît mieux que personne, puisqu’elle a été rédigée sous sa direction par la commission biblique pontificale qu’il continue de présider. Après une nouvelle intervention sur des points mineurs du texte, il ne semble pas favorable, par légalisme une nouvelle fois, à son renvoi en commission mixte le 21 novembre : il transmet au concile la décision de Jean XXIII, sans y avoir été associé.

12Une semaine plus tard, il manifeste son déplaisir d’apprendre par un tiers la manœuvre qui consisterait à faire voter le concile sur le schéma dédié à Marie avant la présentation du schéma sur l’Église. Elle fait long feu, mais elle a suscité son mécontentement : non seulement elle tendait à bousculer le calendrier établi, mais elle était discutable d’un point de vue théologique, puisque « le schéma sur la Madone apparaissait comme un corollaire du schéma De Ecclesia, à traiter après celui-ci¹⁸ ».

13La tâche conciliaire du cardinal Tisserant décline dès la fin de la première session, ce qui le soulage visiblement. Il ne fait pas partie de la commission de coordination rendue nécessaire par les failles du règlement et le fiasco de la préparation. La nomination de quatre modérateurs par Paul VI, dont il n’est pas plus proche que de Jean XXIII, le décharge de la direction de l’assemblée, ce dont il se félicite. Il faut donc une circonstance extraordinaire pour qu’il joue, une dernière fois, un rôle clé en faveur de la majorité de l’assemblée. Dans un climat de tension aiguë, il préside les deux réunions des organes dirigeants du concile, les 23 et 29 octobre 1963, au cours desquelles est débattu le droit des modérateurs à poser aux Pères cinq questions décisives sur le De Ecclesia, concernant les pouvoirs des évêques, individuellement et collégialement, ainsi que la restauration du diaconat permanent. La discussion oppose les modérateurs et les principaux ténors de la majorité, qui sont favorables au scrutin, à la commission doctrinale du cardinal Ottaviani et au secrétaire général Felici, qui sont contre. Sur le fond, Tisserant paraît hésitant en matière de collégialité, mais on le sait très favorable au diaconat, célibataire ou marié. Sur la forme, dans ce cas comme dans celui de la liturgie, il est favorable au vote de principe qui débloquerait la situation en fournissant le sentiment de l’assemblée. Après une première réunion sans résultat au cours de laquelle il s’énerve de l’obstruction des opposants et menace de claquer la porte, il parvient le 29 octobre à obtenir une majorité en faveur du passage au vote. Paul VI ratifie la décision et les scrutins du 30 octobre donnent une large majorité aux partisans de la collégialité, et du diaconat dans une moindre mesure. Le schéma sur l’Église est sorti de l’ornière. Cette intervention du cardinal Tisserant est toutefois la dernière en faveur de la majorité conciliaire : un mois plus tard, il intervient dans un sens opposé.

Irritation et retrait

14Tisserant n’a pas attendu le milieu de la deuxième session pour s’impatienter de la lourdeur et de la lenteur d’une assemblée qu’il qualifiait dès le 2 novembre 1962 de « machine épouvantable¹⁹ ». Et son irritation va croissant jusqu’à ce qu’il soit assuré que le concile mette enfin un terme à ses travaux en 1965. Mais, fait nouveau, cette irritation englobe désormais certains des éléments les plus en pointe de la majorité.

15Le 25 novembre 1963, en début de séance, il émet une vive protestation contre la distribution, aux portes de Saint-Pierre, d’une pétition signée par vingt-cinq évêques, allemands ou français, demandant un rejet du schéma de décret sur les moyens de communication sociale, jugé très inférieur à son objet. Son intervention lui a peut-être été soufflée par M^gr Felici, mais elle est cohérente avec la posture qu’il a adoptée : sans se prononcer au fond, il s’indigne qu’on puisse ainsi faire pression sur le vote d’un document qui a déjà été approuvé par le concile. Et il défend vigoureusement sa position auprès des protestataires qui lui ont manifesté leur étonnement.

16Durant l’intersession de 1964, il multiplie les instances, auprès du pape notamment, pour que la troisième période de Vatican II soit aussi la dernière. Il revient en effet de son voyage au Mexique de l’été avec la conviction que les évêques sont las d’être aussi longtemps éloignés de leur diocèse. Et il ne cache pas sa position lors de son allocution inaugurale, le 20 septembre 1964. Aussi, lorsqu’un évêque brésilien demande, au nom de cent douze confrères latino-américains, une quatrième session nécessaire à l’épuisement du programme prévu, cette requête est-elle interprétée comme un désaveu du cardinal²⁰.

17L’attitude de celui-ci vis-à-vis de la presse, qu’il n’a jamais aimée, s’est elle aussi modifiée en cours de route. Alors qu’il ne défendait guère le secret conciliaire en 1963, avec l’argument selon lequel il n’avait été respecté ni à Trente ni à Vatican I, il insiste pour que les Pères évitent de s’épancher auprès des journalistes, ce qui menace de troubler la sérénité des débats. Et il s’en prend aux experts, dans lesquels il n’hésite pas à voir « la peste du concile²¹ ». Lui qui n’est pas théologien, et qui n’a guère recours au théologien qu’il s’est choisi, considère que leur manie de couper les cheveux en quatre allonge artificiellement les discussions. On peut penser que cette mise en garde vise surtout les experts de la majorité, mais elle n’est pas à sens unique. Son auxiliaire à Porto et Santa Rufina, M^gr Tito Mancini, qui a signé en confiance une pétition contre la collégialité de M^gr Dino Staffa, secrétaire de la Congrégation des séminaires et universités, doit se rétracter après une lettre sévère.

18Peut-on pour autant ratifier l’opinion du regretté Evangelista Vilanova selon lequel le cardinal Tisserant, « figure particulièrement autoritaire, forma avec le cardinal Cicognani et le secrétaire général Felici le triumvirat qui exerça une influence prépondérante dans la seconde moitié de Vatican II²² » ? La documentation accessible ne permet pas de confirmer un tel jugement, du moins pour ce qui concerne Tisserant. Ses relations notoirement médiocres avec Paul VI l’empêchent de peser vraiment : il regrette souvent d’être si peu écouté du pape. Et s’il connaît Cicognani de longue date, il n’a pas de relations étroites avec Felici.

19Le cardinal Tisserant ne réapparaît au premier plan que lors de deux péripéties notoires des troisième et quatrième sessions. Le 19 novembre 1964, c’est lui qui annonce la décision de faire droit au recours de la minorité et donc de ne pas soumettre au vote la déclaration controversée sur la liberté religieuse. Comme toujours, il ne se prononce pas sur le fond, mais se borne à transmettre une décision venue de plus haut et à faire respecter le règlement. Le texte est si différent de la mouture précédente qu’on peut à bon droit le considérer comme nouveau. Or, il a été distribué tardivement : on ne saurait donc le voter sans discussion. En privé, il affirme, contre certains chroniqueurs, qu’il a bien consulté les modérateurs et ses coprésidents avant de faire l’annonce. Il souligne aussi son rôle dans la permission accordée à M^gr De Smedt, évêque de Bruges, de lire la relation qu’il avait préparée, lecture suivie de longs applaudissements qui traduisent la frustration d’une bonne partie des Pères²³.

20Un an plus tard, dans une situation voisine, il refuse de prendre en compte le recours de M^gr Carli, évêque de Segni et porte-parole de la minorité, concernant la nécessité d’ajouter une condamnation explicite du communisme au schéma sur l’Église dans le monde de ce temps, texte dont Tisserant aurait volontiers fait l’économie pour que le concile se termine plus vite... Non seulement il ne se repent pas d’avoir omis de réunir le conseil de présidence pour examiner le recours, mais il s’en justifie oralement et par lettre auprès du pape le 26 novembre 1965. Il s’est abstenu de convoquer cette instance parce que le cardinal Wyszynski, très hostile au communisme, en fait partie et qu’il n’aurait pas manqué de plaider en faveur du recours, ce qui aurait enfreint la consigne de Jean XXIII, confirmée par Paul VI, d’éviter toute prise de position politique au concile. Et il absout bien vite M^gr Achille Glorieux, secrétaire de la commission pour l’apostolat des laïcs, principal responsable de l’oubli de la pétition²⁴.

21Ces incidents, pour révélateurs qu’ils soient, sont toutefois d’un poids moyen sur l’achèvement et le contenu de l’œuvre de Vatican II. C’est donc bien d’un retrait conciliaire du cardinal Tisserant qu’il faut parler à partir de l’automne 1963. Ce retrait, d’ordre épidermique plus que doctrinal, ne le fait pourtant pas se ranger dans la minorité. Sa lettre pastorale de carême 1966 aux fidèles de Porto et Santa Rufina vante l’heureuse issue de l’événement. On a toutefois remarqué que, d’une ecclésiologie « très traditionnelle », elle retenait surtout ce qui, dans l’œuvre de Vatican II, concerne l’Église au détriment des autres documents du corpus conciliaire²⁵. Le cardinal Tisserant, qui a été nommé membre de la commission pour la révision du code de droit canon en 1963, devient président délégué de la commission centrale de coordination des travaux postconciliaires en janvier 1966. Comme il n’appartient pas au cercle restreint des proches collaborateurs de Paul VI, il s’acquittera de ces deux tâches avec plus de conscience que de plaisir, sans beaucoup influer sur les décisions prises.

22Au total, le cardinal Tisserant ne fut donc pas un acteur majeur du concile Vatican II, du moins pas un acteur à la mesure de ce qu’on pouvait attendre d’un doyen du Sacré Collège. Et ce parce qu’il ne l’a pas voulu. Derrière l’argument de la surcharge de travail, constamment mis en avant, il faudrait évaluer le poids d’autres facteurs : son expérience des synodes orientaux par exemple, qui le rend sceptique sur la capacité d’un concile à effectuer l’aggiornamento de l’Église, lui qui est habitué à traiter les affaires en cours par prompte décision hiérarchique. Il est d’autant moins enclin à s’engager dans l’aventure conciliaire que sa « démission » forcée de la Congrégation orientale marque le déclin sans retour de son influence en curie, qui n’a jamais été considérable, mais qui pouvait s’appuyer auparavant sur un secteur d’activité stratégique au sein de l’Église : les nombreuses fonctions curiales qui lui restent après 1959 sont plus honorifiques ou de représentation que de pouvoir. Et son influence sur Jean XXIII, puis sur Paul VI, est plus réduite que ce qu’elle était sur Pie XII et surtout sur Pie XI, « son » pape. Cependant, le président du conseil de présidence du concile a pu peser sur certains débats, de façon ponctuelle et sans sortir de la posture fonctionnelle dans laquelle il s’est volontairement confiné. Ses interventions qui ont le plus compté, au vu de l’histoire générale de Vatican II, sont celles en faveur du schéma liturgique à l’automne 1962, pour le déblocage du schéma sur l’Église un an plus tard, et contre la condamnation par le concile du communisme comme régime politique en 1965.