Les plébiscites du Schleswig, de Klagenfurt et d’Allenstein : approche croisée des fonds conservés aux Archives nationales
p. 145-150
Texte intégral
1L’approche au niveau de l’organisation administrative des trois plébiscites d'Allenstein1, de Klagenfurt et du Schleswig2 se fait en recoupant les apports de trois fonds qui se sont retrouvés durablement conservés aux Archives nationales, à la suite d’un dépôt effectué par le ministère des Affaires étrangères dans les années vingt et trente pour l’essentiel.
2Ma communication tournera autour de ces trois plébiscites. Tout d’abord, j’évoquerai succinctement l’histoire de l’entrée de ces fonds en dépôt aux Archives nationales dans les années trente et jusqu’à nos jours puisque la plupart d’entre eux n’ont pas été repris par le ministère des Affaires étrangères depuis. Puis je reviendrai sur le contenu de ces trois fonds qui ne se recoupe pas totalement, puisque deux d’entre eux présentent des documents à caractère spécifique.
Dépôt et classements aux Archives nationales
3Les fonds conservés aux Archives nationales viennent compléter ceux des Archives diplomatiques. En effet, plusieurs dépôts d'archives qui relevaient du Quai d'Orsay ont eu lieu dans les années vingt et trente à une époque où les Archives diplomatiques étaient saturées. On peut signaler particulièrement la Haute Commission interalliée des territoires rhénans, services et comités communs aux puissances occupantes (AJ/9), la Commission interalliée des réparations (AJ/6) ou les commissions des plébiscites (AJ/11).
4La question de l’entrée de ces fonds aux Archives nationales est directement liée à la clôture de l’activité d’un certain nombre de grandes commissions interalliées qui ont travaillé entre 1920 et le début des années trente pour l’essentiel. Tout d’abord, la Commission interalliée des réparations qui représente un fonds extrêmement important de 4 533 articles3 et celui de la délégation française à la Commission interalliée des réparations4. Ce fonds est entré en dépôt en trois grandes périodes : en 1926, au cours de années trente et jusqu’en 1980.
5L’autre fonds particulièrement important déposé par les Affaires étrangères aux Archives nationales sont les archives de la Haute Commission interalliée pour les territoires rhénans et du Haut-commissariat français5 qu’on appelait couramment les papiers Tirard. Paul Tirard a d’abord été président du Haut-commissariat français puis très rapidement également président de la Haute commission interalliée. C’est un fonds encore plus volumineux que celui de la Commission des réparations. Il est entré à peu près dans la même chronologie en dépôt aux Archives nationales dans les années 1928 et 1930, époque à laquelle les bâtiments des Archives diplomatiques du Quai d’Orsay étaient saturés. Les fonds d’autres commissions présents aux Archives nationales intéressent surtout des questions de tribunaux arbitraux, des affaires à caractère économique et comptable.
6Enfin, les Commissions des plébiscites6 sont une émanation du dispositif lié à la mise en œuvre des réparations, en application du traité de Versailles pour les plébiscites de Schleswig et d'Allenstein et en application du traité de Saint-Germain-en-Laye pour le plébiscite de Klagenfurt7.
7Il y a trois temps principaux en matière de valorisation de cet ensemble documentaire. Dès juin 1930, le ministère des Affaires étrangères met deux archivistes à disposition auprès de Jean Couprie, ancien secrétaire du Haut-commissariat français pour les territoires rhénans, afin d’engager l’élaboration d’un premier inventaire encore succinct8. Au cours des décennies suivantes, les inventaires demeurent relativement succincts et les fonds ne sont accessibles que sur autorisation du Quai d’Orsay, ce qui les rend peu ouverts à la recherche dans cette période.
8Au cours des années 1980, l’élaboration de l’état général des fonds des Archives nationales amène à jeter un éclairage sur eux dans la mesure où il faut leur donner une constitution intellectuelle un peu plus structurée. On doit donc en établir une description sommaire, d’une à deux pages.
9C’est toutefois seulement au cours de la dernière décennie, dans la dynamique de la création du nouveau bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine, que les fonds des plébiscites intègrent le chantier des fonds, c’est-à-dire à un grand chantier de reconditionnement préalable au transfert des fonds dans ces nouveaux locaux. En ce qui concerne les trois fonds de plébiscites en question ici, ces opérations ont eu lieu en 2012. Mais cela s’inscrit dans une dynamique de traitement documentaire beaucoup plus vaste et, à partir de 2015, des répertoires numériques détaillés sous une forme normalisée sont réalisés pour l’ensemble de ces fonds, sous la responsabilité de Roseline Salmon. Ces inventaires sont publiés depuis l’été 2018 dans la salle des inventaires virtuelle des Archives nationales. Une partie de ces travaux a été conduite en partenariat étroit avec les Archives diplomatiques mais aussi avec l’Institut historique allemand qui y voyait un intérêt pour faire effectuer des travaux de recherche de thèses par exemple.
10Ces trois fonds disponibles ne représentent pas de gros métrages mais présentent un intérêt documentaire élevé.
Commissions internationales et commissions locales
11Ces fonds présentent l’intérêt de pouvoir passer du plus haut niveau, c’est-à-dire du niveau des commissions interalliées ou internationales jusqu’au niveau le plus local des bureaux de vote organisés dans les villes au sein des comités de vote locaux, ou dans les campagnes. On a une gradualité complète de la chaîne d’action descendante et remontante selon la nature des opérations.
12On a un vrai reflet de ce principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes car on a vraiment fait en sorte de donner une place importante à l’examen des réclamations des contentieux dans un contexte social et politique relativement tendu et instrumentalisé9.
La formation des commissions
13Les commissions internationales d’organisation pour chacun de ces trois plébiscites étaient composées de cinq membres dont le président et le vice-président, dans deux cas sur trois, étaient britanniques, et dans l’autre cas français. Ceux-ci étaient assistés d’un à deux commissaires selon les cas d’espèce, qui étaient de l’autre nationalité, représentant les puissances alliées en fonction d’éléments contextuels. On voit donc là un souci d’équilibre et d’équité dans la représentation nationale, tant au plus haut niveau de l’organisation qu’au niveau intermédiaire des commissions de contrôle, comme on les appelle au niveau des districts, ou au niveau communal où il y a toujours une logique de co-contrôle de nationalité. On discerne aussi une ligne de force structurante assouplie par la prise en compte de logiques contextuelles notamment dans le cas du plébiscite du Schleswig. La Suède et la Norvège sont représentées parce qu’elles sont intéressées par ces logiques de redécoupage des frontières régionales, tandis qu’on a un représentant de chacune des nationalités serbe, croate et slovène qui siègent dans le cadre du plébiscite de Klagenfurt avec l’Autriche.
14La présidence des commissions était principalement assurée par des diplomates anglais exceptée dans le cas de Klagenfurt où l’Italie est directement intervenante au double titre de représentante des pays alliés mais aussi de puissance régionale qui va l’amener à avoir des intérêts partagés avec l’Autriche, son ennemi d’hier.
Composantes communes et spécificités des trois fonds
15Les trois fonds sont structurés autour de la documentation des votes. En effet, dans les trois cas, on a une parfaite conservation des listes de vote, des procès-verbaux locaux de synthèse et des documents intermédiaires. Ces listes ont été établies délibérément en double exemplaire pour le plébiscite d’Allenstein.
16On pourrait établir, à l’issue d’un travail d’élaboration assez long, une cartographie extrêmement fine de la géographie électorale de ces plébiscites, qui permettrait d’appréhender les micro-critères qui ont présidé au résultat : contexte économique, statut des votants, origine géographique, etc.
17Le fonds du plébiscite de Klagenfurt, expression d’une consultation qui se déroule en deux temps et qui implique quatre nationalités, est de prime abord le plus riche puisque c’est le seul des trois à conserver la quasi intégralité des procès-verbaux des séances du comité de délimitation des frontières avec l’Autriche10. Il contient également des dossiers de travail de la Commission interalliée et des dossiers de travail des conseils de district.
18Le fonds du plébiscite du Schleswig a été amputé semble-t-il dans les années trente de la partie du comité des délimitations11. Il présente plusieurs atouts spécifiques notamment une excellente conservation des organes de communication que la commission a élaborés à destination des populations dans le cadre de l’organisation du plébiscite, des informations diffusées dans la presse locale ou des démentis également, puisque la presse locale, parfois, instrumentalise une action de lobbying.
19On a également conservé dans les fonds des notes de renseignement notamment du deuxième bureau de l’armée d’occupation belge qui témoigne de l’attention portée à ces manœuvres de désinformation pour évidemment travailler à les contrer et à rétablir les réalités, les vérités d’organisation des scrutins.
20Ces fonds de plébiscites par-delà la dimension du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes apportent donc des éléments d’enseignement intéressants sur la capacité des nations alliées à mettre en place une organisation la plus transparente et la plus performante possible pour permettre d’assurer aux scrutins la plus grande véracité possible, et également de permettre aux électeurs de se mobiliser le plus largement possible autour de ces consultations.
Bibliographie
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« Die Volksabstimmung 1920 – Voraussetzungen, Verlauf und seine Folgen : Jahrestagung der Historischen Kommission für ost- und westpreußische Landesforschung vom 16. Bis 18. Juni 2000 in Allenstein/Olsztyn », AHF Informationen [Arbeitsgemeinschaft außeruniversitärer historischerForschungseinrichtungen in der Bundesrepublik Deutschland e.V] Nr. 54, 20.09.2000
MARTONNE Emmanuel de, « Le plébiscite de Klagenfurt », Annales de Géographie, t. 30, n° 163, 1921, p. 79-80.
10.3406/geo.1921.9056 :RHEINHEIMER Martin (dir), Grenzen in der Geschichte Schleswig-Holsteins und Dänemarks, Wachholtz Verlag GmbH, 2006.
SALMON Roseline, « Le plébiscite de Klagenfurt du 10 octobre 1920 », Cartes et géomatique : revue du Comité français de cartographie, n° 228, juin 2016, p. 133-151.
Notes de bas de page
1 Aujourd'hui Olsztyn (Pologne).
2 « Die Volksabstimmung 1920 - Voraussetzungen, Verlauf und seine Folgen : Jahrestagung der Historischen Kommission für ost- und westpreußische Landesforschung vom 16. bis 18. Juni 2000 in Allenstein/Olsztyn » ; E. Martonne de, « Le plébiscite de Klagenfurt » ; R. Salmon, « Le plébiscite de Klagenfurt du 10 octobre 1920 » ; M. Rheinheimer (dir). Grenzen in der Geschichte Schleswig-Holsteins und Dänemarks.
3 Cote AJ/6. Documents couvrant la période 1919-1930 (514 mètres linéaires).
4 Cote AJ/5. Documents couvrant la période 1919-1931 (71 mètres linéaires).
5 Cote AJ/9. Documents couvrant la période 1918-1930 (630 mètres linéaires). La Commission interalliée des territoires rhénans (CITR) devient en 1920 la Haute Commission interalliée des territoires rhénans (HCITR). On peut distinguer dans la sous-série AJ/9 deux fonds spécifiques : le fonds de la CITR et de la HCITR proprement dites, ainsi que des divers comités en dépendant (coté AJ/9/1 à AJ/9/2888 et AJ/9/6574 à AJ/9/6678), le fonds du Haut-commissariat français (coté AJ/9/2889 à AJ/9/6573).
6 Cote AJ/11. Documents de 1920 (33 mètres linéaires)
7 Le traité de Versailles (articles 109 à 114) prévoit l’organisation d’un plébiscite au sujet du Schleswig, afin de déterminer la frontière entre l’Allemagne et le Danemark. Le plébiscite a lieu les 10 février et 14 mars 1920.
Le traité de Versailles (articles 94 à 97) prévoit la tenue de plébiscites dans les districts d'Allenstein et de Marienwerder [aujourd’hui Kwidzyn (Pologne)] afin de fixer les frontières de la Pologne et de la Prusse orientale. Le plébiscite se tient le 11 juillet 1920.
Le traité de Saint-Germain-en-Laye (articles 27, 49 et 50) prévoit l’organisation d’un plébiscite afin de fixer la frontière entre l’Autriche et l’État serbe-croate-slovène dans la région de Klagenfurt en Carinthie. Ce plébiscite se tient le 10 octobre 1920.
8 À cette époque, seules les archives de personnel avaient rejoint le Quai d’Orsay pour des raisons de continuité administrative autour de ces dossiers.
9 Pour le plébiscite du Schleswig (voir AJ/11/3).
10 Cote AJ/11/44 dossier 2. Le Comité de délimitation est actif de fin juillet à septembre 1920.
11 Qui se retrouve peut-être au sein du fonds de la Conférence de la paix des ambassadeurs ?
Auteur
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Samuel Gibiat
Samuel Gibiat est conservateur général du patrimoine aux Archives nationales.
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