Léon Bourgeois vu par Clemenceau
« Le cerveau d’un chef mais le cœur d’un suivant »
p. 81-96
Résumé
Malgré un a priori favorable, Clemenceau, chef des radicaux intransigeants, se montre vite très dur à l’encontre de Léon Bourgeois qui incarnera un radicalisme plus accommodant. Les injonctions à agir dont Clemenceau accable le premier gouvernement radical homogène, dirigé par Bourgeois, restent sans écho. Les faiblesses de caractère décelées chez celui qui est devenu un dignitaire du parti radical exaspèrent Clemenceau pendant l’affaire Dreyfus : par calcul politique et par tempérament, Bourgeois s’efface. Il préfère se consacrer aux affaires internationales et représente la France aux deux conférences de La Haye (1899 et 1907), puis à la conférence de la paix de 1919 pour promouvoir la SDN. Clemenceau traite l’arbitrage international par le mépris et raillera l’impuissance de la SDN.
On notera néanmoins, malgré leur opposition de tempérament et un désaccord sur les moyens de parvenir à leurs fins, une réelle concordance sur ces dernières, qu’il s’agisse du radical-socialisme, individualiste et solidaire, ou du nécessaire établissement d’une paix par le droit entre les nations.
Texte intégral
1À Clemenceau on compare plus volontiers Gambetta, Briand ou Poincaré que Léon Bourgeois auquel les biographies du Tigre n’accordent d’ailleurs qu’une place secondaire. La plus volumineuse, la plus complète, celle de Jean-Baptiste Duroselle – que Bourgeois semble agacer (l’historien le qualifie de « solennel, creux et peu actif1 ») –, ne le cite qu’en passant. Clemenceau et Bourgeois, s’ils se sont croisés quelquefois en dehors de la vie politique, n’ont jamais été intimes ni même proches. Pourtant, le chef du radicalisme intransigeant s’est tôt intéressé à son puîné de dix ans mais qu’une génération semble séparer de lui – l’un a subi l’épreuve du Second Empire alors que l’autre n’avait pas vingt ans quand la République fut proclamée.
2Les deux tempéraments forment un net contraste, componction d’un côté, acerbité de l’autre : Bourgeois est un homme de compromis, un homme d’appareil ; Clemenceau, « radical contre les radicaux2 », ne cède rien – trêve de transactions, de belles paroles, il faut agir dira-t-il sans cesse.
3L’impatience mordante du tombeur de ministères, son ironie tranchante, n’épargnera pas Bourgeois quand ce dernier tâchera, au pouvoir, de rendre la République plus républicaine, plus sociale. Les critiques de Clemenceau se feront plus féroces encore à l’occasion de l’affaire Dreyfus, Bourgeois, ministre ou chef du parti radical, se faisant d’une prudence confinant, à la longue, à la pusillanimité. Enfin, sur les questions internationales, Bourgeois paraît au Tigre trop peu réaliste avec sa défense de l’arbitrage et sa société des nations.
Le radical-socialisme à l’épreuve du pouvoir
Exercer le pouvoir pour agir – « Une république veut des hommes agissants »
4Le radicalisme des débuts politiques de Léon Bourgeois agrée à Clemenceau. Le jeune député de la Marne, tombeur du général Boulanger en 1888, intègre très vite un gouvernement, à trente-six ans (alors que Clemenceau devra à son inflexibilité d’attendre l’âge avancé de soixante-cinq ans pour qu’on lui confie son premier portefeuille).
5Deux ans plus tard, le 3 mars 1890, à la Chambre, Clemenceau loue les déclarations « si claires, si nettes, si précises » prononcées à la tribune par Bourgeois, qui vient d’être nommé ministre de l’Intérieur, avant de préciser que la politique ainsi « exposée dans un langage très élevé » est la sienne. L’éloge, sans doute sincère, est surtout tactique : il s’agit de pousser Pierre Tirard, le président du conseil, à suivre la « politique radicale » énoncée par son ministre de l’intérieur, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse et la réforme de l’impôt. Mais, dix jours plus tard, le gouvernement est renversé et Charles de Freycinet, chargé de former son quatrième ministère, déplace Bourgeois à l’instruction publique et aux beaux-arts où il restera jusqu’en 1892. C’est en tant que tel qu’il autorise la représentation à la Comédie-Française de Thermidor, de Victorien Sardou. Constans, nouveau locataire de la place Beauvau, obtient la censure de la pièce après qu’elle a provoqué des troubles à l’ordre public, ce qu’explique Bourgeois lors de la séance du 29 janvier 1891, sans se prononcer sur le fond mais laissant entendre son désaccord avec les accents contre-révolutionnaires de la pièce. C’est à cette occasion, on s’en souvient, que Clemenceau, qui vote la confiance au gouvernement, affirme que la Révolution est un bloc3.
6Battu aux élections générales de 1893, il reste à Clemenceau sa plume, redoutée, qu’il écrive dans La Dépêche ou dans son propre journal, La Justice. C’est Camille Pelletan qui mène les radicaux les plus avancés à la Chambre, tandis que Léon Bourgeois s’impose peu à peu comme l’un des principaux dirigeants de l’aile modérée des radicaux-socialistes. Soucieux que le radicalisme ne reste pas drapé dans une vertueuse mais stérile intransigeance, il est un partisan résolu de la « concentration républicaine4 », donc prêt à s’allier avec les opportunistes – et donc à composer – pour gouverner. Clemenceau ne l’ignore pas et malicieusement insiste sur ce que Bourgeois a de plus radical dans son propos en l’enjoignant d’en tirer les conséquences pour l’action. Dans La Justice du 7 août 1894, il loue le « beau discours de philosophie politique » prononcé par Bourgeois à Nantes au congrès de la Ligue de l’enseignement. Tous deux partagent le principe d’individualisme solidaire sur lequel repose le radicalisme. À l’État d’impulser des réformes fiscales, financières, économiques et sociales afin que la société s’acquitte de son devoir envers l’individu dès lors à même de se cultiver et d’agir. Pour Clemenceau, « une république veut des hommes agissants, non des êtres passifs subissant inertement la loi des oligarchies sociales, ou d'une hiérarchie gouvernante ».
7Or l’alliance avec les modérés ne peut qu’entraver la réalisation des réformes. C’est pourquoi il se réjouit que Bourgeois, début 1895, ne parvienne pas à former un gouvernement avec eux : « M. Bourgeois s’obstinait à marier ce qui divorce par nature. Il a échoué. Je l’en félicite cordialement, ainsi que la Chambre et le pays lui-même. C’est son succès momentané qui eût été le gâchis, mais le pire de tous, le gâchis profond, non apparent sous un vernis d’entente et de concorde5. »
À l’épreuve du pouvoir – « Il n’a même pas osé se mesurer avec un préfet »
8Logiquement, le directeur de La Justice accueille plutôt favorablement le cabinet formé par le même Bourgeois en novembre 1895 puisque composé exclusivement de radicaux, le premier du genre. L’inquiétude surjouée de la droite et de bien des modérés d’alors, agitant le spectre du socialisme, ne doit toutefois pas nous induire rétrospectivement en erreur : comme le souligne Jacques Kayser, l’équipe radicale au pouvoir « n’aurait pu être plus pâle6 » et Jean-Thomas Nordmann a raison de n’y voir rien de plus que « le premier ministère à prédominance radicale7 »… Aussi, si Clemenceau est satisfait de la rupture avec l’opportunisme, il ne déborde pas d’enthousiasme, peu confiant dans la trempe de chef de Bourgeois. Le président de la République, Félix Faure, a favorisé la combinaison, tablant, comme la droite et une bonne partie du centre, sur la chute rapide du gouvernement, afin de lever pour un long temps l’hypothèque radicale et d’en revenir à des ministères modérés appuyés sur les ralliés8. Clemenceau, dans la Justice du 3 novembre, somme Bourgeois d’agir vite : » Il semble, en effet, que les ennemis des réformes ne lui laisseront point de relâche. C’est une heureuse chance pour lui, car c’est l’obligation d’agir. S’il se tient sur la défensive, il est perdu. » Il se réjouit du ton inhabituellement ferme de la déclaration du président du conseil devant la Chambre9.
9On se doute qu’il faudra peu de temps à l’ancien tombeur de ministères pour donner de la plume comme s’il se fût agi d’un sabre. L’action du cabinet doit, selon lui, avant tout, porter sur la défense nationale et il écrit plusieurs articles circonstanciés sur la réforme de la marine, en particulier, et poursuit de ses exhortations le ministre Édouard Lockroy, à « l’inertie tapageuse10 ». La base radicale souhaite une épuration du personnel administratif et judiciaire11, Clemenceau y tient également. Dans La Dépêche du 21 décembre 1895, il raille la timidité du gouvernement qui se contente de déplacer quelques préfets, de peur de déplaire à ses adversaires ; Léon Bourgeois, également ministre de l’intérieur, « fait danser ses préfets. Le violoneux de mon village en ferait bien tout autant ». La politique menée à Madagascar ne trouve pas plus grâce à ses yeux : « Le ministère Bourgeois […] a courageusement entrepris de contenter tout le monde par le moyen d’un Protectorat d’annexion qui ressemblerait à une annexion de protectorat12. » Le chimiste Marcellin Berthelot, ministre des affaires étrangères, est, moque-t-on, si étranger aux affaires qu’il doit, fin mars, démissionner. Clemenceau écrit l’avoir, au début, soutenu, mais : « Dites-moi ce qu'il a fait pour prouver que ses détracteurs avaient tort13. » Il se satisfait de son remplacement par Bourgeois lui-même : « […] j’incline à penser que les qualités et les défauts de M. Bourgeois le rendent plus propre au maniement diplomatique qu’au gouvernement des préfets14. » Dès le 4 février, le soutien se faisait déjà moins fervent : « […] je désire encore sincèrement le maintien du ministère, moins pour les avantages positifs qu’en peut retirer le parti des réformes, qu’à cause des sottises réactionnaires dont la chute de M. Bourgeois sera sûrement l’occasion. »
10Il semblait jusque lors acquis que le Sénat ne réclamerait pas le pouvoir de renverser l’exécutif ; du moins, malgré l’article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 qui dispose que « les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la politique générale du gouvernement […] », la pratique institutionnelle donnait-elle cette possibilité à la seule chambre élue au suffrage universel direct. Félix Faure, alors président de la République, ne pense pas autrement15. Or la chambre haute engage une épreuve de force avec le ministère. Clemenceau, qui ne croit plus guère (s’il y a vraiment cru) à la capacité de Bourgeois à réformer, en est réduit à l’encourager à tenir tête.
11Il fallait d’emblée camper sur le terrain radical, celui des réformes sociales et marcher droit à l’ennemi plutôt que d’attendre l’attaque inévitable des sénateurs. Bourgeois résiste tout de même « aux injonctions de la turbulente cohorte du suffrage châtré16 ». Jusqu’à la séance du 21 avril 1896 qui, résumera Jacques Kayser, prendra « l’allure d’une exécution17 ». Pour La Dépêche du même jour, Clemenceau a affûté sa plume d’oie : « Le Sénat veut du sang. Il se réunit demain pour un grand carnage de ministres. C'est la furieuse insurrection des béquilles. » On va tuer César : « Le rôle du tyran est tenu, comme on sait, par M. Bourgeois que la nature semblait avoir créé pour d’autres destinées. Que reproche-t-on, au fond, à cet homme très doux ? Rien, sinon d’occuper une place dont s’accommoderaient d’autres. » Comme tous les commentateurs, Clemenceau voit bien que l’ajournement des crédits pour l’opération militaire à Madagascar n’est qu’un prétexte : c’est le projet d’impôt personnel et progressif sur le revenu de Paul Doumer, ministre des finances, que les sénateurs ont en ligne de mire. Ils votent l’ajournement par 176 voix contre 90. Bourgeois se retire. Clemenceau écrit n’avoir aucun ressentiment contre le vaincu, ajoutant néanmoins : « M. Bourgeois, dit-on, a déserté le combat. Je ne le nie point. Mais qui donc pouvait attendre autre chose de lui, quand, pendant cinq mois de ministère, il n’a pas même osé se mesurer avec un préfet18. » Faiblesse de caractère qu’il ne manquera pas rappeler dans les années à venir. Le 20 octobre, il écrit à son ami le comte d’Aunay ne pas faire la différence entre les discours de Bourgeois et ceux du modéré Louis Barthou, ministre de l’intérieur du ministère Méline qui a succédé au gouvernement radical : « Même musique sur des instruments divers. Flûte ou clarinette, c’est toujours du vent. Il paraît que les électeurs se contentent de cette pâture. Moi, non19. »
12Clemenceau n’en reste pas là et saisit l’occasion de la crise ministérielle pour plaider, au long de plusieurs articles, en faveur de la révision constitutionnelle. Toutefois, après l’échec du ministère Bourgeois, les radicaux atténueront leurs revendications et, au lieu de la suppression du Sénat, réclameront la démocratisation de son recrutement. Et, ironie de l’histoire, Clemenceau en 1902 et Bourgeois en 1905 deviendront des représentants du « petit suffrage », le second, comme une revanche, en devenant même président de 1920 à 1923 (il sera à ce titre, en tant que président de l’Assemblée nationale, destinataire de la lettre où Clemenceau l’informe, après son échec face à Deschanel à l’élection préparatoire, qu’il retire à ses amis l’autorisation de poser sa candidature à la présidence de la République)… Quand il sera à son tour au pouvoir, en 1906, Clemenceau s’appliquera à lui-même les conseils d’énergie prodigués à « l’aimable » M. Bourgeois, revendiquant le titre de « premier flic de France » et se faisant surnommer le Tigre, au point d’éloigner de lui le parti radical qui finira par se lasser de la manière forte. On notera que Clemenceau se heurtera lui aussi à l’hostilité du Sénat pour ses réformes les plus audacieuses – dont, à nouveau, l’impôt sur le revenu. Mais c’est la Chambre qui le renversera en 1909. On ne reviendra pas sur son second passage à la présidence du conseil où il ne se contentera pas de déplacer quelques préfets.
13Sauf, on le va le voir, son bref passage à l’Instruction publique en 1898, les réalisations ministérielles de Bourgeois, que ce soit aux affaires étrangères en 1906 ou au travail et à la prévoyance sociale de 1912 à 1914 et en 1917, ne retiendront plus guère l’attention de Clemenceau. Et même s’il ne voit que lui pour succéder à Waldeck-Rousseau en 1902 (ce sera en fait Combes), sa religion sur ses capacités à diriger est faite et, dans L’Homme enchaîné du 1er novembre 1915, il raillera la disjonction structurelle entre le verbe et l’action chez celui qui sera, avec quelques autres, ministre d’État sans portefeuille dans les ministères Briand (1915-1916) et Painlevé (1917), formant un « chœur des vieillards » dont certains des membres, « qui ne sont pas sans philosophie [Bourgeois est ici visé], comprendront peut-être plus tard que, si on leur a demandé de faire fonction d’oracles plus ou moins écoutés, c’est qu’on ne leur demande rien de plus que de faire fonction de paravents protecteurs, à l’usage des chefs qui ne craignent, du pouvoir, que les responsabilités ».
Mêlée sociale et solidarité
14Dans le milieu des années 1890, face à la progression des socialistes, les radicaux renouvellent et renforcent leur réflexion sur la question sociale. En 1895, Clemenceau publie un recueil d’articles qu’il intitule La Mêlée sociale20, précédé d’une substantielle préface où il explique que les socialistes n’ont pas le monopole du socialisme, idée qu’il réitérera dans trois articles initialement rédigés en langue anglaise pour la revue new-yorkaise The Forum et traduits dans La Justice sous le titre « Le socialisme en France », les 26, 27 et 28 mai 1897. Léon Bourgeois, quant à lui, après son bref passage à la présidence du conseil, publie Solidarité21, là aussi un recueil de textes exposant ce qu’est le solidarisme et qui deviendra, écrira en 1907 Célestin Bouglé, « une manière de philosophie officielle22 » de la IIIe République, en tout cas la doctrine sociale des radicaux23. Clemenceau possède l’ouvrage dans la bibliothèque de son appartement de la rue Franklin24. Il ne reprendra pas à son compte les principaux concepts développés par Bourgeois – à commencer par le mot « solidarisme » – comme l’idée de « dette sociale », de « quasi-contrat », de « coopération », de « mutualisme », mais les deux hommes se rejoignent sur l’essentiel. Si, comme l’explique Marie-Claude Blais, le « solidarisme revendique une base strictement individualiste25 », c’est aussi le cas du socialisme de Clemenceau. Tous deux condamnent, d’une part, l’économisme du laisser-faire (« économistes » est alors le nom donné aux partisans du libéralisme économique) et, d’autre part, le collectivisme, la lutte des classes et, a fortiori, la dictature du prolétariat. Aucun des deux ne sacralise l’État : l’un n’y voit qu’une création des hommes, le garant de tous les contrats ; l’autre une organisation au service de l’épanouissement de l’individu. Ils revendiquent son intervention pour l’accomplissement d’une politique sociale avancée : impôt sur le revenu, taxation de l’héritage, assistance publique etc.
15Leur radical-socialisme diverge donc moins sur le fond qu’en ce qui concerne la politique d’alliances – pas d’ennemi à gauche pour Clemenceau, concentration républicaine pour Bourgeois –, mais aussi une certaine idée de l’individu. Clemenceau, jusqu’au terme de sa vie politique, restera l’individu incoercible, insoluble dans la moindre organisation quand Bourgeois est un homme de parti – pour peu, bien sûr, qu’il soit, comme le parti républicain radical et radical-socialiste de 1901, aussi peu coercitif que possible. L’affaire Dreyfus sert de révélateur des deux tempéraments : les intérêts de parti conduisent Bourgeois à une prudence… radicale ; le primat de la conscience mène Clemenceau à se faire le héraut du dreyfusisme.
L’affaire Dreyfus – L’insurrection de l’individu contre la prudence partisane
Bourgeois à l’instruction publique – « M. Bourgeois en sera pour sa courte honte »
16Début 1896, Bernard Lazare échoue à appeler l’attention de Bourgeois, alors président du conseil, sur les anomalies du procès de décembre 189426. Toujours en janvier 1896, le conseil des ministres prend la décision de ne pas autoriser Mme Dreyfus à rejoindre son mari à l’île du Diable27. Bourgeois, quoique dubitatif, restera fuyant. En février 1898, un tiers des députés radicaux votent un texte de René Viviani réaffirmant la subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil. Le texte est repoussé et Bourgeois fait partie de ceux qui s’abstiennent28. « Faute grave » que lui reproche Clemenceau dans L’Aurore : « Il subit, il accepte, il entretient l’équivoque, feignant de confondre avec l’armée nationale dans son ensemble, les quelques privilégiés qui prétendent, pour l’exploiter, se mettre au-dessus des lois […]. » La campagne pour les élections générales approche et donc « on n’ose pas » s’expliquer sur l’armée, « sur la folie de l’antisémitisme et sur le péril clérical29. » Peu de temps après, dès qu’ils apprennent que le candidat Eugène Réveillaud s’est déclaré favorable à la révision du procès Dreyfus, Bourgeois et Cavaignac renoncent à aller le soutenir. Clemenceau fulmine dans son article du 30 mars 1898 : au lieu de « rallier les esprits autour de l’idée d’une justice légale », les deux hommes « ont préféré se mettre en queue de leurs troupes dévoyées30 ». Après les élections, Henri Brisson devient président du conseil pour la seconde fois (du 28 juin au 26 octobre 1898) et Bourgeois son ministre de l’instruction publique.
17C’est en cette qualité que ce dernier interdit au poète Maurice Bouchor de lire les vers d’un poème composé pour le centenaire de la naissance de Michelet, lesquels convient les générations nouvelles « à rapprendre au monde que la France est le champion du droit ». Bouchor préférera ne rien lire du tout plutôt que d’amputer son texte31. Clemenceau ironise : « […] et Michelet, grâce au radicalissime Bourgeois, ne subit pas l’affront d’entendre glorifier les Droits de l’Homme sur sa tombe », tant il est vrai que le mot « justice » fait « grincer » le ministre32. Il va plus loin le 30 juillet, voyant Brisson et Bourgeois « coalisés contre la loi pour écraser un Juif parce que Juif33 ». Rien n’y fait. Le doyen de la faculté des Lettres de Bordeaux, Paul Stapfer, dans son éloge funèbre du recteur Auguste Couat, évoque-t-il implicitement son soutien à Dreyfus, prononce-t-il le mot « justice » ? Il est suspendu pour six mois. Selon Clemenceau « c’est plus qu’un crime, c’est une turpitude34 ». Bourgeois n’ose toutefois pas frapper Ferdinand Buisson, professeur à la Sorbonne, qui, sur la tombe de son ami Félix Pécaut, le 3 août, se déclare publiquement dreyfusard. Le 19 août, Clemenceau fait l’éloge des éducateurs qui cherchent à éclairer les masses : « M. Bourgeois peut les suspendre, les interdire, essayer de les intimider par ses circulaires. Ils passent, labourant, jetant au sillon les moissons de l’avenir, et Bourgeois en sera pour sa courte honte35. » Et alors même qu’au conseil des ministres du 26 septembre 1898 le ministre de l’instruction vote en faveur de la révision, il n’en a pas moins, selon Clemenceau, « le cerveau d’un chef et le cœur d’un suivant36 ».
Un chef de parti silencieux – « Depuis quand ne livre-t-on bataille qu’à coup sûr ? »
18Bourgeois, redevenu simple député, signe le manifeste des groupes républicains qui s’oppose au projet de loi de dessaisissement de la chambre criminelle de la Cour de cassation – chambre suspectée de dreyfusisme –, de la procédure en révision, au profit des chambres réunies37. « Écrire est de tout journaliste. C’est pour la tribune qu’on est à la Chambre », rappelle Clemenceau dans son éditorial du 11 février 1899 – les députés viennent d’adopter le projet de loi. Or « Bourgeois, Poincaré devaient parler. Ils se sont tus. L’événement du jour, c’est leur silence38. » Car « le devoir du chef, aux heures difficiles, est de se mettre à la tête des soldats. Depuis quand ne livre-t-on bataille qu’à coup sûr39 ? » Clemenceau revient à plusieurs reprises sur ce qu’il qualifie de désertion, seuls Millerand et Pelletan ayant sauvé l’honneur parce qu’ils sont montés, eux, à la tribune pour protester « contre ce crime abominable qui consiste à donner au justiciable d’autres juges que ceux assignés par la loi40 ».
19Bourgeois fait l’objet de nouvelles railleries dans l’éditorial du 6 juin 1899 : Clemenceau loue Viviani d’avoir défendu l’honneur républicain à la Chambre (il s’agissait de mettre le général Mercier en accusation) : « Où étaient les autres ? Je sais que Bourgeois s’était enfui aux tréteaux de la Conférence41 » de la Haye pour représenter la France. Il le soupçonne d’être parti tout exprès pour les Pays-Bas « afin de refuser tout poste ministériel jusqu’à la liquidation de l’affaire Dreyfus42 ». Après la chute du cinquième ministère Dupuy, le 12 juin 1899, le président Loubet, après les tentatives infructueuses de Poincaré et Waldeck-Rousseau, consulte Bourgeois qui refuse de constituer un cabinet radical. Il se « dérobe » aux yeux d’un Clemenceau invariablement ironique : « Le chef du parti radical sauve la République en Hollande43 » ; et, amer : « Le parti radical, par la voix de son chef, refuse d’être au péril et à l’honneur. C’est la dernière faute44. »
20Il reviendra à plusieurs reprises sur cette « fuite » peu glorieuse du chef d’un des principaux partis républicains, « homme aussi capable de raisonner qu’il est incapable d’agir45 » alors que la République est en danger. Waldeck-Rousseau finira par réussir à former un cabinet de « défense républicaine ».
L’esprit de parti – « L’homme le plus fort du monde, c’est l’homme le plus seul »
21Pour Clemenceau, Bourgeois n’aura pas été un acteur de l’Affaire alors qu’il aurait pu, qu’il aurait dû l’être, non seulement en tant que chef de parti mais en tant qu’individu pourvu d’une conscience morale. Au-delà du fait que Bourgeois ait déserté la lice par calcul autant que par faiblesse de caractère, Clemenceau attribue les défaillances successives des radicaux et de leurs dignitaires au fait que « depuis longtemps déjà on avait vu les radicaux se gouvernementaliser avec une facilité singulière », et s’il sait gré à Brisson et Bourgeois – tout de même – d’avoir fait des efforts pour entraîner leurs troupes, il se désole de leur timidité et de leur incohérence46. Mais il n’y a là incohérence que si l’on suit la logique de l’individualisme de Clemenceau qui plaide pour l’insurrection de la conscience individuelle – qui toujours doit prévaloir sur les intérêts de parti (« Les chefs du parti radical auront l’énergie nécessaire s’ils savent que leur parti n’est pas d’humeur à les suivre quoi qu’ils fassent47. ») L’Affaire aura été l’expérience décisive qui éloignera à jamais Clemenceau du parti en tant qu’organisation : « Ce n’est pas des hommes rassemblés qu’il faut attendre l’action », écrivait-il déjà dans L’Aurore le 6 novembre 1898. Il se fera sarcastique, d’ailleurs, dans Le Bloc, au moment de la constitution du parti républicain radical et radical-socialiste à laquelle Bourgeois prendra une part éminente, et ne cessera dans tous ses écrits de rappeler la formule finale de L’ennemi du peuple, d’Ibsen, en en faisant presque sa devise : « L’homme le plus fort du monde, c’est l’homme le plus seul. » Il loue ces hommes qui ont su se « débarrasser […] des attaches de discipline volontaire, devenues des entraves, pour marcher librement à l’étoile48 ». On n’est pas plus éloigné d’un Bourgeois pour qui le triomphe des idéaux radicaux passe par l’action collective, partisane, fût-ce au prix de compromis, mais d’autant plus efficace que le parti a un but, une méthode, une morale et une philosophie, et une doctrine politique49.
Guerre et Paix
L’arbitrage international – « L’escapade bien inutile de M. Bourgeois à La Haye »
22Pendant l’Affaire, donc, Bourgeois représente la France à la Conférence de La Haye. Clemenceau s’est toujours montré dubitatif et le plus souvent très critique vis-à-vis de l’arbitrage international, à rebours du parti radical qui en réclamera d’ailleurs, à travers la figure de Léon Bourgeois, la paternité50. Ses commentaires sur la Conférence de 1899 sont sans équivoque : Clemenceau parle de l’escapade « bien inutile » de Bourgeois « puisque demain nous aurons probablement la guerre sans même qu’une tentative d’arbitrage ait été essayée – […]51 ». On sait que Léon Bourgeois a échoué, se heurtant au refus de la délégation allemande, à imposer l’arbitrage obligatoire52. Le 6 novembre 1899, dans La Dépêche, Clemenceau ne peut que constater la vanité de l’effort : « [M. Bourgeois] allait sauver la paix du monde à la conférence internationale convoquée par Nicolas II. Le résultat de cette parade diplomatique est connu. On pérora gravement, longuement, on fit couler l’encre et le champagne à flots pour “organiser l’arbitrage”. Moyennant quoi, la guerre vient de s’engager entre l’Angleterre et les Boers, sans que le mot d’arbitrage ait été même prononcé par une seule puissance. » Sans jamais admettre les avancées qu’elle a permises, Clemenceau reviendra sur la Conférence dans Le Bloc du 7 avril 1901, sans varier : « M. Léon Bourgeois pérora doctement […]. La belle palabre achevée, nous fûmes pacifiés tout juste comme devant. » Bourgeois, qui a refusé de rester ministre des Affaires étrangères, en octobre 1906, quand Clemenceau a constitué son premier gouvernement, retourne en 1907 à la seconde conférence de La Haye. Malgré son scepticisme, c’est pourtant à la Cour de La Haye que Clemenceau accepte en 1908 de confier la résolution de l’affaire marocaine qui oppose la France à l’Allemagne. La Cour donnera d’ailleurs raison à Paris sur tous les points de droit dans sa sentence du 22 mai 190953.
23En 1913, lors de l’élection présidentielle, Clemenceau échoue à imposer son candidat, Jules Pams, face à Raymond Poincaré, soutenu par Bourgeois54. Mais c’est avant tout à Poincaré que Clemenceau en voudra jusqu’à la fin. Pendant la guerre, hormis ses passages au gouvernement en tant que ministre d’État sans portefeuille qui, on l’a vu, ont suscité les sarcasmes du sénateur du Var, Bourgeois appartient aux commissions sénatoriales de l’armée et des affaires étrangères, présidées par un intraitable Clemenceau. Le sénateur de la Marne, loin d’être un pacifiste béat, n’est pas si éloigné des positions du Tigre puisqu’il soutient alors une occupation prolongée de la rive gauche du Rhin comme garantie des réparations dues à la France, se montre favorable à la frontière de 1790 et préconise une séparation de la Rhénanie du reste de l’Allemagne55. Il soutient Clemenceau au moment de son arrivée au pouvoir, en novembre 1917, même s’il ne fera pas partie du nouveau gouvernement.
La SDN – « Faites-vous battre, peu m’importe »
24De même que pour l’arbitrage, on trouve un Clemenceau plutôt incrédule quant au projet de société des nations, conçu par Léon Bourgeois et défendu ardemment par le parti radical. Reste qu’on oublie souvent que la position française, pendant la conférence de la paix en 1919, est moins minimaliste que celle des Anglo-américains : une SDN sans force armée serait vouée, selon Clemenceau, à l’impuissance, point de vue partagé par Léon Bourgeois qui, comme délégué de la France pour discuter du projet, se heurte au refus des anglo-saxons, lesquels ne veulent pas non plus d’un contrôle permanent des armements ni d’une exclusion définitive de l’Allemagne de l’organisation56. Clemenceau entend se servir de cet échec – « Faites-vous battre, peu m’importe », dit-il à Bourgeois – pour demander des garanties supplémentaires sur le Rhin, conformément à la tactique qu’il a adoptée dès le début du mois de février, consistant à faire des concessions à Wilson et Lloyd George sur les sujets qui ne concernent pas la question frontalière, pour mieux, quand elle sera abordée, faire valoir ses exigences. « En d’autres termes – déclare Bourgeois au président Poincaré, le 27 mars 1919 –, il me demande simplement de me faire tuer dans la tranchée, pendant qu’il combat ailleurs. Je veux bien. Mais je ne sais pas si c’est le bon système57. » Le jour même, Clemenceau déclare à ses partenaires du Conseil des Quatre : « La Société des Nations nous est offerte comme un moyen de nous donner la sécurité dont nous avons besoin : j’accepte ce moyen ; mais si la Société des Nations ne pouvait pas donner de sanctions militaires à ses arrêts, il faudrait trouver cette sanction d’un autre côté58. ». Cet « autre côté », c’est bien sûr la rive gauche du Rhin.
25Le 24 mai 1919, Bourgeois confie à Poincaré regretter que Clemenceau prépare une paix anglo-saxonne, et estime qu’il aurait fallu laisser de ses colonies à l’Allemagne qui, sans elles, se sentant comprimée, « envahira la Russie et se retournera contre [nous] ». Selon Poincaré, son interlocuteur déplore que Clemenceau ait tout laissé faire, « ne voyant qu’une chose, c’est qu’il parlait anglais et qu’on pouvait s’en faire gloire59 ». Le général Mordacq note pour sa part que Bourgeois s’est montré d’une parfaite correction avec le président du conseil et ne prenait pas d’initiative sans lui en référer auparavant60. Bourgeois deviendra la même année le premier président de la SDN et recevra le prix Nobel de la paix en 1920 en reconnaissance de sa contribution décisive à la création de l’organisation internationale.
La solidarité internationale – « Il sera peut-être donné à nos neveux… »
26Il serait certes commode mais excessif de déceler ici la division classique entre « idéalistes » et « réalistes » : d’un côté Léon Bourgeois défend la paix par le droit, la solidarité entre les nations étant un fondement et un facteur de civilisation ; de l’autre Clemenceau raille une SDN destinée à être aussi bavarde qu’impuissante et ne compte que sur les garanties obtenues contre une nouvelle agression du Reich. Certes, mais tous deux s’accordent sur deux points essentiels : « l’institution ou, même simplement l’idée d’un ordre de paix, est la caractéristique irréductible d’un commencement de “civilisation61” » ; ensuite, on l’a vu, le droit sans la force pour l’appliquer n’est rien. C’est, plus que sur les principes, sur leur conception de l’humanité qu’ils diffèrent. Sans doute Bourgeois en a-t-il une appréhension moins noire ou, selon le point de vue adopté, moins lucide que Clemenceau. Celui-ci dit bien sa « confiance invincible dans l’heureuse évolution de l’espèce humaine », mais ce qu’il constate de son état le conduit à se défier des rhéteurs de la paix et à renvoyer à nos neveux la réalisation de « quelques parties [d’un idéal de paix], d’autant plus hasardeuses, hélas ! qu’elles seront plus grandes et plus belles62 ».
27Cette faiblesse de l’homme est bien sûr extensible à l’homme politique. Si, en 1929, Clemenceau juge la SDN avec une certaine condescendance, c’est qu’il prête plus attention que ne le faisait Bourgeois aux failles des dirigeants pour appliquer les décisions de l’organisation internationale : « Un Parlement de surparlementaires sans outil d’autorité, voilà donc le talisman qui nous fut remis pour le plein jeu de nos insuffisances de caractère. Rien ne pouvait mieux convenir à notre verbeuse apathie. » Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter que ce sera la gloire du traité de Versailles d’avoir tenté de bâtir une Europe de droit : « Il dépendra des gouvernements à venir d’y travailler autrement que par des fléchissements de volonté63. »
Conclusion
28Clemenceau n’a jamais eu pour Bourgeois l’animosité éprouvée à l’encontre d’un Poincaré ou d’un Briand. Malgré, on l’a vu, des traits assassins, un rudoiement presque permanent, la sous-estimation de ses réalisations, il a toujours respecté en Bourgeois l’intellectuel, le fin diplomate – ce dernier dût-il exaspérer l’irréductibilité du Tigre. Ils partagent un même radicalisme individualiste et solidaire, fondé sur la raison critique ; tous deux sont soucieux d’accomplir les promesses de la Révolution française par les voies légales et démocratiques, la question sociale, malgré une nette différence de style, étant sans doute ce qui les rapproche le plus. On a vu que même sur le plan international, si le Père la Victoire juge Bourgeois bien idéaliste, leurs conceptions convergent plutôt.
29Mais pour Clemenceau l’idée, en politique, ne vaut que par l’ardeur qu’on met à la réaliser, fût-ce seul contre tous. À ses yeux, Bourgeois, tout subtil (mot qui revient souvent sous sa plume pour le qualifier) et lettré qu’il soit, n’a pas la stature du meneur d’hommes. Son efficacité, Clemenceau l’a montrée dans l’éclat du verbe, quand « parler, c’est agir », dans l’exercice du pouvoir, dans l’épreuve de force ; Bourgeois a davantage déployé la sienne dans la persuasion, le conseil, dans la réunion de ce qui est épars.
30Au fond, la dissonance de leurs tempéraments tend à voiler le fait qu’ils représentent les deux faces d’un radical-socialisme d’identique nature.
Notes de bas de page
1 J.-B. Duroselle, Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, 1 077 p., p. 495.
2 A. Thibaudet, La République des professeurs, Paris, Hachette (Coll. » Pluriel »), 2006, 284 p, p. 112.
3 Comme il s’en expliquera à la Chambre lors de l’interpellation du 29 janvier 1891, le ministre des beaux-arts, Léon Bourgeois, même si ses sentiments personnels ont été « profondément froissés par certains passages de Thermidor » a autorisé, en effet, la représentation de la pièce de Victorien Sardou à la Comédie-Française car rien ne justifiait une censure préventive. Or cette pièce exalte Danton, dénonce le tyran Robespierre et fait le procès de la Terreur. Si bien que l’extrême gauche juge l’œuvre, donnée dans un théâtre subventionné, contre-révolutionnaire et, lors des premières représentations, manifeste si bruyamment son mécontentement qu’il est impossible aux comédiens de jouer jusqu’au bout. Aussi, et puisque le ministre de l’Intérieur dispose d’informations selon lesquelles les troubles vont aller croissant, au nom de l’ordre public, le gouvernement interdit-il la pièce (à la place de laquelle on jouera le Tartuffe de Molière). La séance du 29 janvier est très agitée. Quand vient son tour de parler, Clemenceau se veut clair et net : la pièce est contre-révolutionnaire et on se cache derrière Danton pour attaquer la République. Il reproche à Joseph Reinach d’être monté à la tribune pour « éplucher » la Révolution, prendre ceci, rejeter cela. Or, dit-il : « que nous le voulions ou non, que cela nous plaise ou que cela nous choque, la Révolution française est un bloc », un bloc « dont on ne peut rien distraire », ajoute-t-il au milieu d’exclamations à droite et d’applaudissements à gauche. Pour lui, si la discussion est si vive sur ce « mauvais drame » joué à la Comédie-Française, c’est que la Révolution n’est pas finie : « […] c’est que nous en sommes encore les acteurs, c’est que ce sont les mêmes hommes qui se trouvent aux prises avec les mêmes ennemis. » Encore aujourd’hui, l’expression selon laquelle la Révolution est un bloc est mal interprétée car on fait dire à Clemenceau qu’il avalise la Terreur. Il s’expliquera notamment dans L’Aurore du 5 mars 1898, reprenant un article du Journal de 1896 : « Je leur répondis par la théorie du Bloc, qui signifie simplement que l’histoire nous montre la Révolution comme un tout grandement profitable et qu’on est mal venu à en revendiquer le bénéfice, quand on prétend répudier toute solidarité avec ceux qui firent le gigantesque effort pour nous assurer ce résultat. / Est-ce à dire que j’ai nié les horreurs de la Révolution ? Je les ai proclamées, au contraire, puisque j’ai parlé des victimes innocentes. » Le Bloc est le nom que Clemenceau donnera à l’hebdomadaire qu’il fondera en 1901 (et dont il sera l’unique rédacteur).
4 Voir F. Buisson, La politique radicale – Étude sur les doctrines du parti radical et radical-socialiste, Paris, V. Giard & E. Brière, 1908, 454 p., p. 66 ; J.-M. Mayeur, La vie politique sous la Troisième République (1870-1940), Paris, Seuil (« Points Histoire »), 1984, 449 p., p. 115 sq.
5 La Justice, 27 janvier 1895.
6 J. Kayser, Les grandes batailles du radicalisme (1820-1901), Paris, Marcel Rivière, 1961, 407 p., p. 228.
7 J.-T. Nordmann, Histoire des radicaux – 1820-1973, Paris, La Table ronde, 1974, 529 p., p. 109.
8 F. Faure, Journal à l’Élysée (1895-1899), Édité et présenté par B. Joly, Paris, Éditions des Équateurs, 2009, 408 p., p. 104 ; Ferdinand Buisson, op. cit., p. 76-77.
9 La Justice, 7 novembre 1895.
10 La Dépêche, 4 février 1896 ; La Justice, 6 février 1896.
11 J. Kayser, op. cit, p. 231.
12 La Dépêche, 4 janvier 1896.
13 La Dépêche, 4 février 1896 ; La Justice, 6 février 1896.
14 La Dépêche, 7 avril 1896 ; La Justice, 10 avril 1896.
15 F. Faure, op. cit., p. 147-148.
16 La Dépêche, 18 février 1896 ; La Justice, 21 février 1896.
17 J. Kayser, op. cit., p. 239.
18 La Dépêche, 28-IV-96 ; La Justice, 30 avril 1896.
19 G. Clemenceau, Correspondance (1858-1929), Édition établie et annotée par S. Brodziak et J.-N. Jeanneney, Paris, Robert Laffont (« Bouquins »), 2008, 1 100 p., p. 252. C’est la seule mention de Léon Bourgeois dans la correspondance connue de Clemenceau.
20 Clemenceau, La Mêlée sociale, Paris, Charpentier, 1895, 470 p. ; réédité par S. Brodziak, avec une préface de J.-N. Jeanneney, Paris, Honoré Champion, 2014, 450 p.
21 L. Bourgeois, Solidarité, Paris, Armand Colin, 1896 ; réédité par Marie-Claude Blais, Paris, Le Bord de l’eau, 2008, 258 p.
22 C. Bouglé, Le solidarisme, Paris, Giard et Brière, 1907, cité par Marie-Claude Blais, in Léon Bourgeois, op. cit., p. 16.
23 Ferdinand Buisson, op. cit., p. 210 sq.
24 Il possède également L’éducation de la démocratie française, recueil de discours prononcés par Léon Bourgeois de 1890 à 1896 (publié par É. Cornély en 1897, 288 p.) ainsi que le premier tome d’un ouvrage collectif sur Le Mexique au début du xxe siècle, Bourgeois ayant rédigé le chapitre sur les « Institutions politiques, judiciaires et administratives » (p. 151-192) (publié chez Delagrave en 1905, 395 p.) ; rien de Bourgeois, en revanche, dans sa bibliothèque vendéenne.
25 M.-C. Blais, in Léon Bourgeois, op. cit., p. 19.
26 P. Oriol, Bernard Lazare, Paris, Stock, 2003, 457 p., p. 227.
27 J. Reinach, Histoire de l’affaire Dreyfus, Paris, Robert Laffont (« Bouquins »), 2006, Tome 1, 1137 p., p. 426.
28 J. Kayser, op. cit., p. 260.
29 Article reproduit dans G. Clemenceau, L’Iniquité, Paris, Mémoire du Livre, 2001 (Stock, 1899), Édition établie par Michel Drouin, 587 p., p. 250-253 (2 février 1898).
30 G. Clemenceau, L’Iniquité, op. cit., p. 339-340.
31 J. Reinach, op. cit., Tome II, 1 179 p., p. 30-31.
32 G. Clemenceau, Vers la réparation, Paris, Mémoire du Livre, 2003 (Stock, 1899), Édition établie par Michel Drouin, 763 p., p. 75 (article de L’Aurore du 29 juin 1898).
33 Op. cit, p. 78.
34 Op. cit., p. 86 (article de L’Aurore du 3 août 1898).
35 Op. cit, p. 149.
36 Op. cit., p. 626 (article de L’Aurore du 20 novembre 1898).
37 P. Oriol, L’histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, Paris, Les Belles Lettres, 2014, 1489 p., p. 840.
38 G. Clemenceau, Contre la Justice, Paris, Mémoire du Livre, 2007 (Stock, 1900), édition établie par Michel Drouin, 616 p., p. 356.
39 Op. cit., p. 375 (article de L’Aurore, du 14 février 1899).
40 Op. cit., p. 476 (article de L’Aurore, du 5 mars 1899).
41 Georges Clemenceau, Justice militaire, Paris, Stock, 1901, 473 p., p. 110.
42 Op. cit., p. 143 (Article du 15 juin 1899).
43 Op. cit., p. 171 (Article du 21 juin 1899).
44 La Dépêche, 25 juin 1899.
45 Georges Clemenceau, La Honte, Paris, Stock, 1903, 356 p., p. 46 (Article du 14 janvier 1900).
46 Op. cit., p. 339 (Article du Bloc du 3 novembre 1901).
47 La Dépêche, 11 juin 1898.
48 La Honte, op. cit., p. 338.
49 Léon Bourgeois, préface de F. Buisson, La politique radicale, op. cit., p. III-VII.
50 F. Buisson, La politique radicale, op. cit., p. 258-259.
51 La Dépêche, 7 octobre 1899.
52 P. Renouvin et J.-B. Duroselle, Introduction à l’histoire des relations internationales, Paris, Pocket, 2016 (Armand-Colin, 1991), 527 p., p. 278.
53 G. Bonnefous, Histoire politique de la Troisième République – L’avant-guerre (1906-1914), Paris, PUF, 1965, 458 p., p. 116-120.
54 R. Poincaré, L’Europe sous les armes, 1913, Paris, Plon, 1926, 367 p., p. 36-37.
55 G.-H. Soutou, La grande illusion, quand la France perdait la paix (1914-1920), Paris, Tallandier, 2015, 379 p., p. 210-213.
56 G.-H. Soutou, op. cit., p. 307.
57 R. Poincaré, À la recherche de la paix, 1919, Paris, Plon, 1974, 505 p., p. 283.
58 P. Mantoux, Les délibérations du Conseil des Quatre – 24 mars-28 juin 1919, Tome I, Paris, CNRS, 1955, 523 p., p. 44-45.
59 R. Poincaré, À la recherche…, op. cit., p. 451.
60 Général Mordacq, Le ministère Clemenceau, Journal d’un témoin, Tome III (novembre 1918-juin 1919), Paris, Plon, 1931, 368 p., p. 256-257.
61 G. Clemenceau, Au soir de la pensée, Tome II, Paris, Plon, 1927, 498 p., p. 413.
62 Op. cit., p. 412-3.
63 G. Clemenceau, Grandeurs et misères d’une victoire, Présentation de Jean-Noël Jeanneney, Paris, Perrin, 2010 (Plon, 1930), 337 p., p. 170-171.
Auteur
Samuël Tomei est diplômé de l’Institut d’études politiques de Grenoble et docteur en histoire contemporaine de l’Institut d’études politiques de Paris, avec une thèse (dirigée par Serge Berstein) sur Ferdinand Buisson (1841-1932), protestantisme libéral, foi laïque et radical-socialisme (Prix de l’Assemblée nationale, 2004). Il est actuellement rédacteur des débats à l’Assemblée nationale. Il a notamment publié : Clemenceau le combattant, Paris, La Documentation française (coll. « Tribuns »), 2008 ; Le pouvoir, symboles et mythes, Paris, les éditions du Palais, 2011 ; Clemenceau au front, Paris, Pierre de Taillac-Ministère de la défense, 2015 ; Dictionnaire Clemenceau (avec Sylvie Brodziak, dir.), Paris, Robert Laffont (coll. » Bouquins »), 2017.

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