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    Plan détaillé Texte intégral Ce qui fait la norme et ce qui fait le goût Distinction sociale et distorsion carthaginoise Pas un point final, mais une virgule bien appuyée Notes de bas de page Auteur

    Au prisme des goûts

    Ce livre est recensé par

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    La norme des uns, le goût des autres

    Construction et représentation de la distinction sociale en contexte funéraire phénicien

    Marie De Jonghe

    p. 181-191

    Texte intégral Ce qui fait la norme et ce qui fait le goût Distinction sociale et distorsion carthaginoise Pas un point final, mais une virgule bien appuyée Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    Vous n’avez pas imaginé une minute que ça pouvait être… par goût ?

    Jean-Pierre Bacri, Le goût des autres, film réalisé par Agnès Jaoui, 2000.

    1Peut-on vraiment parler de goût lorsqu’il est question de la mort ? Peut-on vraiment assigner la notion de goût à un ensemble de gestes aussi particuliers que ceux inhérents au monde funéraire ? Ces deux questions semblent a priori incongrues si l’on se réfère au goût kantien et à son universalité, mais elles prennent leur place dans la vision « bourdieusienne » du goût, qui se construira dans l’un de ses ouvrages les plus connus1.

    2Les funérailles doivent être le reflet de ce que l’être humain a été, en accord avec son goût, celui de sa famille et sa persona sociale2. Autant de choix qui correspondent à autant de normes. Depuis la cérémonie qui sera religieuse ou non, l’inhumation ou l’incinération, le lieu du repos éternel, jusqu’à des choix bien plus matériels, la musique de la cérémonie et le choix du cercueil, tout définit dans la mort ce qu’a été le défunt de son vivant. Le cercueil par exemple, devient aujourd’hui plus que jamais porteur et manifestation du goût du défunt et/ou de sa famille : « Les Français veulent un cercueil à leur goût », est un article publié en 2014 sur le journal en ligne 20 minutes et dans lequel on peut lire :

    Le carton permet une personnalisation qui correspond à l’esprit du disparu, à sa profession ou à une passion […]. Nous avons réalisé toutes sortes de motifs, des tractopelles, des chevaux de Camargue, une Ferrari et même des timbres-poste3.

    3Si le goût entre donc bien en ligne de compte dans l’étude des pratiques funéraires, la question qu’il convient de se poser est celle de sa place au sein de la norme funéraire. Le monde funéraire est par excellence un monde de normes, de règles, d’interdits, et il semble assez légitime de s’interroger si ce cadre, parfois rigide, autorise la manifestation du goût de l’individu, de sa famille ou de son groupe social. Pourtant, dans ce monde a priori fait de règles et de normes, les diverses formes des sépultures phéniciennes connaissent une ampleur considérable d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Que ce soit par l’architecture funéraire, les pratiques ou bien le mobilier, souvent tout change d’un site à un autre (parfois au sein d’un même site), et le spectre des possibles est considérable. Ce monde de normes devient alors un concept aussi élusif que celui du « goût phénicien » ou du « monde phénicien ».

    4Poser une réflexion faisant le lien entre le goût et la norme c’est donc s’interroger sur comment s’exprime le goût individuel dans la sépulture, ou bien le goût du groupe dans un ensemble de tombes, celui qui forme le carcan social, et si les deux sont éventuellement distinguables. En dépassant ainsi les notions d’une norme ou d’un goût qui seraient communs à l’ensemble des sépultures phéniciennes de Méditerranée occidentale, l’objectif est de recentrer le faisceau de l’étude sur la tombe elle-même, pour distinguer d’éventuelles tendances. La tombe s’entend alors comme une « semiosphère »4 qui permet d’exprimer des manifestations du goût, disposition qui génère des actions et des réactions attendues par la société. Le goût se révèle donc comme une pratique incarnée qui exige un espace social et physique pour sa performance : elle est jouée par le corps et s’y inscrit5.

    5La tombe est a priori tout à fait valide pour étudier la question des consommateurs du goût et leur position au sein de l’espace social. S’il est vrai que les pratiques funéraires phéniciennes obéissent à un certain nombre de normes et de règles, elles sont aussi remarquables et remarquées par leur variabilité, d’une région à une autre, d’un site à l’autre et parfois même au sein de la nécropole elle-même. Dès lors, interroger le goût en contexte funéraire c’est interroger la représentation de la position du défunt dans la société, celle que la société lui octroie dans la mort et les stratégies de distinction mises en place pour la revendiquer. Le goût devient alors un objet intermédiaire6 qui permettrait de faire le lien entre la norme et l’identité, la production et la réception, et dans le contexte des nécropoles peut-être avant tout sur les sociabilités de réception.

    Ce qui fait la norme et ce qui fait le goût

    6Archéologiquement, la norme funéraire est définie comme un système qui nous permet d’approcher l’idéologie d’une société, et par extension l’identité de l’ensemble culturel. Cette idée renvoie plus précisément à la définition proposée par J.-P. Vernant de « l’idéologie funéraire » :

    Tous les éléments significatifs qui, dans les pratiques comme dans les discours relatifs aux morts, renvoient aux formes de l’organisation sociale, aux structures du groupe, traduisent les écarts, les équilibres, les tensions au sein d’une communauté, portent témoignage sur sa dynamique, sur les influences subies, sur les changements opérés7.

    7Ces normes sont une réaction à la crise qui correspond à la réorganisation de la société à la suite de la perte d’un de ses membres8 ; faire face à cette crise implique alors la mise en place d’un processus normé. Selon la définition proposée par F. Bocquentin9, il existe pour le monde funéraire deux types de normes : une norme absolue et une norme conditionnelle. La norme absolue est appliquée indistinctement à tous les membres de la société, tandis que la norme conditionnelle est articulée en obligations distinctes. Ces obligations relèvent par exemple de la bonne ou de la mauvaise mort, du sexe du défunt, ou encore par exemple de la distinction aristocratique.

    8À ces gestes normés répond un système codifié que les survivants au défunt sont tenus d’observer. Toutefois, ce système n’est pas nécessairement contraignant et il peut laisser la place à une certaine individualité, qu’il s’agisse de celle du défunt ou du groupe auquel il appartient. C’est la distinction entre « le devoir faire » et le « pouvoir faire »10, auxquels on opposera également les pratiques exceptionnelles ou atypiques. Le « pouvoir faire » exprime soit une volonté de personnaliser le traitement rendu au défunt, soit une adhésion à une mode ou à une tendance suivie par un groupe plus ou moins important de personnes. Ce choix peut également devenir une norme implicite s’il est partagé par tous. L. Barray propose, dans le cas d’une différence aristocratique, que la norme spécifique permette alors une distinction :

    Conformité à une norme implicite ou explicite obligeant tous les membres des élites à adopter les mêmes référents culturels afin de se distinguer avantageusement de la masse des gens du commun. Différenciation nécessaire cependant entre eux, dans la mesure où chacun cherche, malgré les contraintes imposées par la norme sociale, à signifier sa différence11.

    9Donc, percevoir la norme c’est rechercher d’abord les obligations, puis ce qui peut être fait. À cet ensemble s’ajoute également une limite de choix, dans la mesure où le « pouvoir faire » est également encadré par des interdits.

    10Dès lors, une réflexion sur les normes permet-elle de comprendre celle que l’on attribue aux tombes phéniciennes ? Dans une certaine mesure, mais le premier obstacle auquel nous nous heurtons est celui de déterminer une norme absolue pour les sépultures phéniciennes, à une exception près. Le droit à la sépulture n’est pas accordé à tous les membres de la société, et les de cet accès à la nécropole relèvent probablement d’une norme absolue que l’on ne peut caractériser avec certitude.

    11Pour le reste, la diversité de l’architecture funéraire, des pratiques funéraires ou encore du mobilier doivent nous interroger sur les capitaux culturels et économiques à l’œuvre, comment ils se manifestent, et si la volonté même de les manifester trouve sa place dans les interstices laissés par la norme relative. C’est donc l’occasion d’analyser les lieux de réception de ces goûts, autour de trois principaux critères : les architectures, les pratiques et le mobilier, et trois assertions généralement admises les concernant.

    12L’un des premiers critères déterminants dans la caractérisation d’une norme est logiquement celui du mode de sépulture. Malgré la diversité de représentation connue pour les nécropoles phéniciennes, il s’agit de la variable qui reste la plus stable de l’ensemble, en raison notamment de son obligation d’exécution. Puisqu’il faut gérer le corps du défunt, le mode de sépulture est donc davantage une obligation que peut l’être celui de l’architecture funéraire par exemple.

    13Pourtant, si ce constat d’une prédominance de la crémation est réel pour la majorité des tombes de Sicile, de Sardaigne et de péninsule Ibérique, la situation est bien différente à Carthage et à Utique, où c’est l’inhumation qui est majoritaire, et de très loin (voir la carte ci-après).

    Carte. — Localisation des établissements phéniciens en Méditerranée

    a. – Établissements pour lesquels une nécropole est publiée ; b. – Dépôts primaires à inhumation ; c. – Dépôts primaires à crémation ; d. – Dépôts secondaires à crémation

    Source : Élaboration de M. De Jonghe.

    14Les raisons du choix entre crémations et inhumations soulèvent beaucoup de questions pour les sépultures phéniciennes de Méditerranée occidentale, mais il me paraît raisonnable de penser qu’il s’agit ici probablement de l’expression d’une norme qui touche, au-delà de la représentation sociale du défunt, mais davantage à son origine socioculturelle, voire à l’origine de celle‑ci en Orient. Il est par ailleurs intéressant de constater qu’il n’existe, à ma connaissance et pour la période archaïque, aucune sépulture contenant deux modes de sépultures différents. La norme absolue existe sans doute ici, mais ses limites nous échappent.

    15En ce qui concerne l’architecture funéraire, ce sont essentiellement des fosses, mais il existe une vingtaine d’architectures funéraires différentes sur un spectre allant de la cavité naturelle, c’est-à-dire sans intervention humaine réelle sur la tombe elle-même outre le dépôt du corps, aux tombes bâties avec puits ou couloir d’accès, que l’on connaît notamment pour Trayamar, Carthage ou encore Utique (fig. 1). Ici déjà on commence à apercevoir ce qui, au sein de la norme funéraire, peut relever d’une affaire de goût, de distinction, bref, de mise en valeur du statut social du défunt. En effet, le coût de construction d’une tombe à puits et chambre compartimentée bâtie est considérable en comparaison avec une simple fosse évidemment, mais aussi avec une tombe à puits et chambre excavée latéralement. En effet, la chambre compartimentée bâtie nécessite non seulement le creusement préalable de la chambre et du puits, mais également de parementer les murs avec des blocs de grand appareil ainsi que d’installer les dalles contrebutées du plafond et le fronton. Puis on y ajoute deux sarcophages et leurs dalles de couverture respectives.

    Fig. 1 — Trois exemples de sépultures phéniciennes à Carthage

    a. – Probablement Douimès, restitution d’une tombe à chambre excavée latéralement au puits d’accès ; b. – Carthage Dermech, plan et coupes de la tombe 25 ; c. – Carthage Byrsa, tombe à fosse A.185 avant et après enlèvement des dalles de couvertures

    Sources : Gauckler, 1915, vol. 1, p. 441, fig. 1 (a) ; Bénichou-Safar, 1982, fig. 78 (b) ; Lancel (dir.), 1982, p. 243 (c).

    16Les tombes bâties, à chambre compartimentée ou non, sont le reflet d’un pouvoir, d’une richesse, en somme du statut du défunt pouvant se permettre la construction de ce type de structures. Ils traduisent aussi un besoin de représentation d’un statut social différent, perceptible au-delà du dépôt du mobilier. Face à ce type d’installation exceptionnelle, on ne peut que rappeler les théories liées à la compétition sociale comme fondement de l’idéologie aristocratique. La composition des assemblages mais aussi l’architecture funéraire ne permettent pas simplement la signalisation du statut social des défunts ou de leur richesse. Ils participent à la manifestation de l’idéologie statutaire et de sa compétition12. Dès lors, est-ce qu’une forme architecturale peut être associée à une catégorie sociale définie ? Cela est impossible à dire pour le moment, mais il est probable que le propos soit à nuancer. C’est en tout cas ce que laissent à penser les sépultures de Carthage pour lesquelles le mobilier d’une fosse simple et celui d’une tombe à chambre bâtie sont étonnamment similaires. De plus, certaines architectures sont directement corrélées au mode de sépulture choisi, et donc aux normes qu’il véhicule. Il ne s’agit plus alors d’une distinction sociale de l’ordre de la simple opposition entre « riches » et « pauvres ».

    17Le mobilier déposé dans les tombes phéniciennes, et particulièrement les vases — qu’ils soient de céramique ou de pierre —, constitue un assemblage dont l’homogénéité a été caractérisée depuis longtemps. Le fameux « kit » funéraire phénicien, composé des six formes céramiques, a avant tout été théorisé pour Carthage, pour lequel elles sont, il est vrai, très récurrentes, et c’est une observation qui a été faite très tôt par P. Gauckler et A. L. Delattre au moment de leurs fouilles respectives à la fin du xixe siècle. Dans la tradition historiographique, ce trousseau est composé de ce « kit » : deux grands conteneurs (jarre ou amphore), une œnochoé à bobèche, une œnochoé à bec pincé (ou trilobé) et une lampe généralement posée sur un plat (fig. 2). Cette homogénéité a été relevée d’un bout à l’autre de la Méditerranée13 et B. Mura propose comme critère représentatif d’une uniformité dans les ensembles sépulcraux cette standardisation du mobilier14. Le mobilier représente donc un symbole de l’homogénéité là où l’architecture et le mode de sépulture font défaut. Il est d’ailleurs le plus souvent le premier moyen de caractériser une tombe comme phénicienne. Pourtant, lorsque l’on regarde plus attentivement les compositions des mobiliers céramiques par sépulture dans les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale, on constate que s’il existe effectivement une récurrence de certaines formes céramiques en contexte funéraire, le « kit » tel que défini n’est présent qu’à Carthage (gr. 1).

    Fig. 2. — Un exemple de la représentation du « kit » dans la tombe de Yadamilk à Carthage

    Source : Fontan, Le Meaux, 2007, cat. 100, p. 245.

    Gr. 1. — Nombre d’objets par sépulture dans les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale

    Source : Élaboration de M. De Jonghe.

    18Il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de sépultures phéniciennes qui ont été fouillées n’ont pas livré de mobilier. Le « kit » en lui-même n’est donc pas sans faille et les variabilités autour du mobilier déposé dans la tombe sont très importantes. Pour la Méditerranée occidentale, les choix dans la composition de l’ensemble à déposer dans la tombe évoluent, dans leurs caractéristiques principales, d’un site à l’autre.

    19Au-delà de la céramique, si l’on observe les autres types de mobilier identifiés dans les sépultures, les différences sont toujours aussi importantes mais avec un point commun à toutes : Carthage présente dans tous les cas le plus grand volume de représentativité des mobiliers identifiés. Cette diversité et les schémas avec lesquels elle se construit nous permettent de nous interroger sur la question du goût, ou plus précisément dans quelle mesure ces variations sont le synonyme ou non d’une distinction sociale, ou de la manifestation d’un certain style de vie.

    20Cette versatilité nous permet de suggérer que le mobilier funéraire évolue dans un cadre fixé par une norme conditionnelle qui établit le champ des possibles, c’est-à-dire quel type de mobilier a sa place dans la sphère funéraire. Mais les libertés prises à partir de ce cadre normatif sont très grandes et nombreuses. Il est probable que chaque groupe social apporte une norme dont la représentation est limitée, mais qui la définit tout en restant dans le cadre imposé.

    21Le schéma traditionnel de l’étude des dépôts funéraires veut que l’on catégorise chaque objet déposé dans la tombe en tant que viatique destiné à aider le mort dans son passage vers l’au-delà : pour qu’il étanche sa soif, pour manger, objets apotropaïques, etc. Des essais de catégorisations des fonctions du mobilier ont été faits, notamment par H. Bénichou-Safar15, qu’elle distingue comme suit : les offrandes destinées au mort personnellement — pour l’identification, pour la survie, pour la protection, pour le bien-être et les dons gratuits — et les objets nécessaires au rite. La question de l’« intentionnalité » des objets déposés dans les tombes est un problème souvent évoqué dans les études sur les composantes du mobilier funéraire. Pour S. Péré-Nogues16 il est possible d’envisager deux niveaux d’analyse :

    • Le premier concerne la dimension collective, c’est-à-dire que les objets participent de l’image que le groupe veut se donner de lui-même et de celle qu’il veut donner du défunt.
    • Le second concerne la dimension individuelle au moyen des objets que le défunt a pu souhaiter emporter dans l’au-delà pour des motifs pouvant relever de son univers culturel, religieux, mais aussi affectif.

    L’auteur nous met en garde également contre une approche trop rationnelle face à quelque chose qui nous est inaccessible :

    Cette dernière dimension échappe en grande partie à toute approche rationnelle, mais le « viatique » de chaque défunt livre aussi une part de son intimité propre ; tout comme nous échappe la dimension juridique et économique des biens déposés avec le défunt, notamment les biens précieux, qui deviennent de fait, inaliénables17.

    22Ainsi, en séparant de manière stricte la destination du mobilier (pour la survie, l’identification, etc.) ne prend-on pas le risque de trop rationaliser le déroulement des funérailles ou un rattachement à des catégories socioculturelles qui nous échappent ? C’est l’un des problèmes que pose Carthage.

    Distinction sociale et distorsion carthaginoise

    23Au sein de ce panorama que nous venons de brosser, et malgré les différences observées d’un site à l’autre, Carthage détonne. Elle est « hors norme » à plusieurs points de vue.

    24Premièrement, parce que concernant l’architecture funéraire c’est le site qui en documente non seulement la plus grande variété, mais surtout les sépultures les plus complexes : beaucoup ont des puits d’accès de plusieurs mètres de profondeur, avec des chambres bâties ou excavées. Si ailleurs en Méditerranée deux ou trois sépultures de ce type sont connues sur des sites comme Utique, Malaga, Morro de Mezquitilla ou encore Othoca par exemple18, à Carthage elles se comptent par centaines. Deuxièmement, comme cela vient d’être évoqué, contrairement au reste de la Méditerranée, l’inhumation est majoritaire à Carthage, et seulement une vingtaine de cas de crémation (toujours secondaires) ont été identifiés sur plus de 5 000 sépultures archaïques fouillées. Le seul autre cas pour lequel on ne connaît que de l’inhumation est à Utique, sa voisine, pour les 70 sépultures qui y sont connues.

    25À Carthage, dès lors que de la céramique est présente dans la sépulture, c’est souvent l’intégralité du « kit » que l’on retrouve, mais le nombre de céramiques qui le constitue est légèrement au-dessus de la moyenne par rapport au reste de la Méditerranée (gr. 1).

    26Les données sur le mobilier qui impressionnent le plus sont, pour Carthage, celles du mobilier non-céramique. Les rapports des fouilles du xixe siècle font état de tombes avec des centaines de scarabées et amulettes, 10 000 perles, des œnochoés en bronze, des bandeaux en or, etc. Tous les graphiques compilant les informations des sépultures phéniciennes de Méditerranée occidentale le montrent (à l’exemple des données du gr. 2) : Carthage provoque une distorsion des données avec un mobilier funéraire qui présente une diversité et une richesse jusqu’ici sans égale pour les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale. Cette richesse est un premier indice témoignant probablement d’une volonté plus forte à Carthage de manifester le statut social du défunt ou son appartenance à un groupe, notamment au travers du mobilier déposé dans la sépulture. L’architecture en elle-même est une manifestation sinon d’un statut social, au moins de la richesse de la famille du défunt pouvant, par exemple, permettre la construction d’une tombe à puits à chambre bâtie compartimentée. Ainsi, dans ce qui relève de l’économiquement quantifiable, la démonstration nécessaire à la représentation du statut du défunt intervient ici à deux niveaux : d’une part celle du mobilier, qui peut ou non être indépendant de l’architecture, et d’autre part celle manifestée par l’architecture funéraire choisie.

    Gr. 2. — Mobilier non-céramique retrouvé dans les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale

    a. – Répartition des types de bijoux (à l’exception des perles) ; b. – Répartition des œufs d’autruche ; c. – Répartition des aegyptica

    Source : Élaboration de M. De Jonghe.

    27Un exemple déterminant en ce sens consiste en deux types principaux d’associations témoignant de codes distincts. Premièrement, ce sont des fosses simples dont le mobilier est équivalent, voire supérieur aux dépôts des tombes bâties. C’est le cas de la tombe fouillée à Douimès le 7 juin 189519, qui contenait entre autres dix céramiques parmi lesquelles des importations, mais également 147 aegyptica, une bague à chaton, un miroir, un rasoir, une fibule et une statuette en terre cuite. À ces sépultures, on opposera deuxièmement des tombes bâties qui contenaient un mobilier extrêmement limité. C’est le cas de la sépulture 38 de Dermech20 qui ne contenait qu’un scarabée. S’agit-il de deux manifestations différentes d’un même statut ou bien de deux expressions statutaires distinctes ?

    28Pour revenir sur le mobilier, il n’est pas seulement question de la facture de l’objet ; quelques associations, par exemple, soulèvent des interrogations. Le traitement quantitatif des ensembles de mobilier restituable pour Carthage21 permet de mettre en évidence une récurrence dans le dépôt conjoint d’un miroir, d’un rasoir et d’une clochette ou d’une cymbale. Dépôt conjoint qu’il est impossible d’expliquer ou de rationaliser à proprement parler, mais dont la répétition sur une dizaine de sépultures pourrait correspondre à la norme qu’un groupe a établie à un moment donné. Néanmoins, ce geste ne se limite pas à mettre autant ou plus que les autres, sinon à respecter des modèles supérieurs de représentation. Dès lors, les parures ou les objets ne prennent leur véritable importance que par rapport aux codes sociaux qu’ils portent :

    De fait, on ne dépose pas n’importe quoi et les associations ne sont pas fortuites. Le dépôt funéraire ne doit pas être compris comme un agencement indifférencié d’objets disposés là dans le seul but de signaler le statut, la richesse ou le prestige du défunt22.

    29Les objets pouvant être les marqueurs d’un statut sont très nombreux, particulièrement pour Carthage : œnochoé en ivoire, vase en métal, diadème, etc. Le nombre d’objets déposés également, et les associations entre eux sont très diversifiés. Par exemple, dans la nécropole de Junon à Carthage, un groupe de sépultures présente une architecture homogène caractérisée par une niche taillée dans le puits qui reçoit la majorité du mobilier céramique. Au sein de ce groupe, la tombe 623 contenait un vase en métal retrouvé écrasé sous la tête du défunt déjà accompagné d’un mobilier riche. Cette tombe est intégrée au sein d’un groupe, mais elle livre non seulement un mobilier plus riche, mais aussi une symbolique associée à ce dépôt qui dépasse peut‑être le simple cadre économique.

    30Alors bien sûr, une partie de cette distorsion observée est le fait du volume de sépultures fouillées. Aucun autre site phénicien n’a jamais été fouillé avec une telle ampleur, le problème de la représentativité de l’échantillon est donc indéniable ici. Au-delà du volume de sépultures en lui-même se pose le problème de la représentativité des tombes « banales ». En effet, pour A. L. Delattre notamment, les tombes sont fouillées, mais seules seront publiées celles qui sortent de l’ordinaire :

    Du 1er mars 1895 au 31 mars 1896, les fouilles de la nécropole de Douimès ont fait trouver trois cents autres tombeaux, dont le mobilier a été enregistré avec soin au fur et à mesure des découvertes. Il serait fastidieux de reproduire ici un à un les inventaires de tant de sépultures. Je me contenterai de donner la description des tombes qui offrent quelque particularité dans leur construction, dans leur mobilier ou dans les circonstances qui ont accompagné leur ouverture24.

    31Ainsi, si l’on considère aujourd’hui comme exceptionnelles les sépultures issues de la zone funéraire de Douimès, il est en réalité impossible de les considérer comme la norme pour ce secteur de Carthage puisque les composantes des tombes les plus modestes nous échappent totalement. De même à Trayamar, en plus des cinq tombes à chambre qui ont fait la célébrité de cette nécropole, le témoignage des ouvriers qui construisaient les terrasses agricoles a mentionné l’existence probable de tombes à puits situées à proximité des tombes à chambre, malheureusement détruites aujourd’hui25.

    32À ces remarques s’ajoute le fait qu’il existe au sein d’une même nécropole des zones distinctes abritant tous les membres d’une même communauté. Or, aucune nécropole phénicienne n’ayant été fouillée dans son intégralité, il est impossible d’avancer la représentativité de l’espace fouillé par rapport à l’ensemble. Quelle est la communauté représentée dans les cinq tombes à chambre connues à Trayamar, et comment s’intègrent‑elles au reste de l’espace funéraire ?

    33Pour I. Morris, ce sont les problèmes principaux auxquels doit faire face son processus de recherche, dans la mesure où son travail se base sur des ensembles funéraires fouillés dans leur intégralité26, mais aux deux problèmes qu’il souligne viennent s’en ajouter d’autres pour les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale.

    34Ainsi, le nombre disparate de sépultures phéniciennes fouillées d’une rive à l’autre de la Méditerranée doit être pris en compte, particulièrement dans une approche comparatiste axée sur la représentativité ou non de schémas récurrents. En effet, on compare ici des nécropoles qui ne livrent que quelques tombes, voir dans certains cas une seule, par exemple dans la partie orientale de l’Andalousie, à un nombre de sépultures difficilement quantifiable pour Carthage27.

    Pas un point final, mais une virgule bien appuyée

    35Il est difficile de conclure sur un sujet dont on vient seulement d’effleurer la surface. Réaliser une « anatomie du goût »28 sur les nécropoles phéniciennes nécessiterait un travail de bien plus grande ampleur que ce que ces quelques pages n’autorisent, cantonnant cette réflexion à des aspects purement théoriques. Pour revenir sur les considérations introductives, si la question du goût ne s’était pas posée dans l’étude des nécropoles phéniciennes jusqu’ici, elle transparaissait néanmoins de bien des manières, évoluant entre les constructions culturelles et les définitions d’une norme funéraire. Le goût comme la norme sont des manifestations de l’habitus, c’est-à-dire, des dispositions socialement inculquées, source d’actions, de perceptions, de comportements et d’appréciations. Le goût n’est alors pas uniquement perceptible dans les interstices laissés par la norme conditionnelle, mais c’est précisément ce qui rend cette norme conditionnelle.

    36Une mise en garde s’impose dans cette conclusion, celle de la tentation de trop lire de la présence ou de l’absence de certains objets dans les sépultures, et particulièrement les liens socioculturels que l’on pourrait établir. Un exemple en ce sens pourrait être celui des tombes de Carthage qui ont livré des fibules pour lesquelles il est aisé de voir la manifestation d’un groupe, ou d’une persona sociale. Qu’il est tentant de voir dans la présence de fibules la marque de sépultures de Libyques ou Numides, qui revendiqueraient leur identité jusque dans la mort. Pourtant, cela laisserait le discours être influencé par deux a priori :

    • Premièrement par le fait que la tradition historiographique associe rarement l’emploi de la fibule au monde phénicien : on oppose en général les Phéniciens utilisant des épingles aux communautés locales utilisant des fibules.
    • Deuxièmement par les problématiques liées aux fibules que l’on associe aux témoignages de l’existence de mariages mixtes dans les nécropoles de grande Grèce29. Pourtant, aucun indice ne nous permet de dire pour le monde phénicien que l’emploi des fibules est l’apanage des communautés locales, au-delà de la simple rareté de ces objets dans les sépultures.

    37Les assemblages funéraires ne présentent jamais une identité stricte, et les différents niveaux perceptibles (qu’on les nomme goût ou norme) traduisent la nécessité de se distinguer des autres, tout en affichant son adhésion au groupe30. Mais ces groupes constituent une lacune à eux seuls pour les établissements phéniciens de Méditerranée occidentale dont nous ignorons la hiérarchie sociale. Quelle différence observe-t-on alors entre la manifestation d’une identité culturelle et la manifestation de la hiérarchie sociale dans la norme choisie ? Cette représentativité est d’autant plus à interroger que, comme l’écrit A. Duplouy31, tous les individus n’ont pas l’utilité de la sphère funéraire pour exprimer leur rang dans la société. Dès lors, toute forme de distinction liée à l’étude seule de la sphère funéraire est, de fait, incomplète.

    Notes de bas de page

    1 Bourdieu, 1972. Cet article reprend des données et problématiques de ma thèse de doctorat, soutenue en 2017 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dont la publication est en cours de préparation.

    2 C’est la question des différentes identités sociales que possède le défunt parmi les vivants, tel que l’a théorisé Saxe, inédite, pp. 6-7, qui sera repris plus tard par Morris, 1987, p. 37. Ainsi, selon A. Saxe, la cérémonie funéraire est une occasion de sélection de ces « social persona » auxquelles l’on donne une reconnaissance symbolique.

    3 Boumediene, Anissa, « Les Français veulent un cercueil à leur goût », 20 Minutes, 31 octobre 2014, [disponible en ligne].

    4 Baray, 2009, pp. 197-198.

    5 Koch, 2013, p. 46.

    6 Lizé, Roueff, 2010, p. 4.

    7 Vernant, 1982, p. 5.

    8 Baray, 2009.

    9 Bocquentin et alii, 2010, p. 157.

    10Ibid., p. 159.

    11Baray, 2008, p. 194.

    12 Baray, 2009, p. 195.

    13 On le retrouve ainsi de Tyr à Ayamonte : Núñez Calvo, 2012 ; García Teyssandier, Marzoli, 2013.

    14Mura, 2015.

    15Bénichou-Safar, 1982, pp. 262‑272.

    16Péré-Nogues, 2008.

    17Ibid., p. 153.

    18Voir respectivement : Cintas, 1951 et 1954 ; Martín Ruiz, Pérez-Malumbres Landa, García Carretero, 2003 ; Schubart, 1976 ; Nieddu, Zucca, 1991.

    19 Delattre, 1897.

    20 Gauckler, 1915, vol. 1, p. 13.

    21 Actuellement, sur les cinquante établissements phéniciens identifiés pour cette partie de la Méditerranée, seule une vingtaine ont livré des nécropoles ou des sépultures isolées, amenant à 1 200 le nombre de sépultures identifiées qu’il a été possible de recontextualiser, dont 850 pour Carthage (De Jonghe, thèse inédite [2017]). Pourtant, ce nombre est encore bien en deçà de la réalité si l’on en croit les estimations réalisées à partir de la restitution des fouilles anciennes, et particulièrement de Carthage. Dans son livre, H. Bénichou-Safar estimait à 1 100 le nombre de sépultures fouillées entre 1892 et 1896 par le R.P. Delattre rien que dans les tranchées pratiquées à Douimès (Bénichou-Safar, 1982, p. 34).

    22 Baray, 2009, p. 174.

    23 Merlin, 1918, p. 292.

    24 Delattre, 1897, p. 20.

    25 Ce témoignage concerne plus précisément la zone des sépultures 2 et 3 : Schubart, Niemeyer, 1976, p. 130.

    26 Concernant les questionnements sur les dimensions connues des nécropoles, voir Morris, 1987, p. 75 (« Establishing trends »).

    27 À titre d’exemple, on peut citer : Chorreras et Lagos, une seule tombe (Martín Córdoba et alii, 2007 et Aubet Semmler, 1991) ; Trayamar et San Giorgio di Portoscuso, quatre tombes chacune (Schubart, Niemeyer, 1976 ; Bernardini, 1997).

    28 Pour reprendre le titre de l’article de Bourdieu, Saint Martin, 1976.

    29 Nous ne reviendrons pas ici sur ce débat et la longue bibliographique qui en découle. Mais renvoyons aux travaux de R. M. Bérard sur les nécropoles de Mégara Hyblaea : Bérard, 2014. Pour les fibules en contexte funéraire voir Gomes dans cet ouvrage.

    30 Baray, 2007, p. 176.

    31 Duplouy, 2006, p. 254.

    Auteur

    • Marie De Jonghe

      Chercheuse indépendante

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    1 Bourdieu, 1972. Cet article reprend des données et problématiques de ma thèse de doctorat, soutenue en 2017 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dont la publication est en cours de préparation.

    2 C’est la question des différentes identités sociales que possède le défunt parmi les vivants, tel que l’a théorisé Saxe, inédite, pp. 6-7, qui sera repris plus tard par Morris, 1987, p. 37. Ainsi, selon A. Saxe, la cérémonie funéraire est une occasion de sélection de ces « social persona » auxquelles l’on donne une reconnaissance symbolique.

    3 Boumediene, Anissa, « Les Français veulent un cercueil à leur goût », 20 Minutes, 31 octobre 2014, [disponible en ligne].

    4 Baray, 2009, pp. 197-198.

    5 Koch, 2013, p. 46.

    6 Lizé, Roueff, 2010, p. 4.

    7 Vernant, 1982, p. 5.

    8 Baray, 2009.

    9 Bocquentin et alii, 2010, p. 157.

    10Ibid., p. 159.

    11Baray, 2008, p. 194.

    12 Baray, 2009, p. 195.

    13 On le retrouve ainsi de Tyr à Ayamonte : Núñez Calvo, 2012 ; García Teyssandier, Marzoli, 2013.

    14Mura, 2015.

    15Bénichou-Safar, 1982, pp. 262‑272.

    16Péré-Nogues, 2008.

    17Ibid., p. 153.

    18Voir respectivement : Cintas, 1951 et 1954 ; Martín Ruiz, Pérez-Malumbres Landa, García Carretero, 2003 ; Schubart, 1976 ; Nieddu, Zucca, 1991.

    19 Delattre, 1897.

    20 Gauckler, 1915, vol. 1, p. 13.

    21 Actuellement, sur les cinquante établissements phéniciens identifiés pour cette partie de la Méditerranée, seule une vingtaine ont livré des nécropoles ou des sépultures isolées, amenant à 1 200 le nombre de sépultures identifiées qu’il a été possible de recontextualiser, dont 850 pour Carthage (De Jonghe, thèse inédite [2017]). Pourtant, ce nombre est encore bien en deçà de la réalité si l’on en croit les estimations réalisées à partir de la restitution des fouilles anciennes, et particulièrement de Carthage. Dans son livre, H. Bénichou-Safar estimait à 1 100 le nombre de sépultures fouillées entre 1892 et 1896 par le R.P. Delattre rien que dans les tranchées pratiquées à Douimès (Bénichou-Safar, 1982, p. 34).

    22 Baray, 2009, p. 174.

    23 Merlin, 1918, p. 292.

    24 Delattre, 1897, p. 20.

    25 Ce témoignage concerne plus précisément la zone des sépultures 2 et 3 : Schubart, Niemeyer, 1976, p. 130.

    26 Concernant les questionnements sur les dimensions connues des nécropoles, voir Morris, 1987, p. 75 (« Establishing trends »).

    27 À titre d’exemple, on peut citer : Chorreras et Lagos, une seule tombe (Martín Córdoba et alii, 2007 et Aubet Semmler, 1991) ; Trayamar et San Giorgio di Portoscuso, quatre tombes chacune (Schubart, Niemeyer, 1976 ; Bernardini, 1997).

    28 Pour reprendre le titre de l’article de Bourdieu, Saint Martin, 1976.

    29 Nous ne reviendrons pas ici sur ce débat et la longue bibliographique qui en découle. Mais renvoyons aux travaux de R. M. Bérard sur les nécropoles de Mégara Hyblaea : Bérard, 2014. Pour les fibules en contexte funéraire voir Gomes dans cet ouvrage.

    30 Baray, 2007, p. 176.

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    Jonghe, M. D. (2025). La norme des uns, le goût des autres. In B. D’Andrea, M. De Jonghe, & M. Tahar (éds.), Au prisme des goûts (1‑). Casa de Velázquez. https://doi.org/10.4000/14a7l
    Jonghe, Marie De. « La norme des uns, le goût des autres ». In Au prisme des goûts, édité par Bruno D’Andrea, Marie De Jonghe, et Mohamed Tahar. Madrid: Casa de Velázquez, 2025. https://doi.org/10.4000/14a7l.
    Jonghe, Marie De. « La norme des uns, le goût des autres ». Au prisme des goûts, édité par Bruno D’Andrea et al., Casa de Velázquez, 2025, https://doi.org/10.4000/14a7l.

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    D’Andrea, Bruno, Marie De Jonghe, et Mohamed Tahar, éd. Au prisme des goûts. Madrid: Casa de Velázquez, 2025. https://doi.org/10.4000/14a8b.
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