Une intense activité épistolaire (860-867)

3La première moitié du ministère d’Adon fournit une belle série de 21 lettres. Dix-neuf d’entre elles proviennent de la correspondance de l’archevêque avec le pape Nicolas I^er, auteur de douze missives. Seules deux lettres, l’une et l’autre de 865, expédiées par l’archevêque Remi de Lyon et le clergé de Cologne, n’impliquent pas directement le pape. En outre, ce dossier épistolaire présente un lourd handicap : aucune des missives écrites par Adon n’est conservée. Toutes sont, en effet, connues uniquement par les réponses qui leur sont adressées. La conservation et la transmission des archives archiépiscopales de Vienne expliquent cette carence : pour le haut Moyen Âge, elles ont presque toutes disparu, hormis quelques exceptions notables, comme les lettres d’Avit et la Bible de Berne7. En conséquence, la plupart des lettres viennoises proviennent logiquement des archives pontificales. Celles que cite Hugues de Flavigny, fin connaisseur des sources lyonnaises et viennoises qui travaille avec des documents de première main, constituent ainsi des exceptions8.

4La correspondance d’Adon avec Nicolas I^er illustre la proximité des deux hommes. Elle joue sans doute un rôle important, à la fois comme une cause et une conséquence, dans la construction d’une relation forte et durable fondée sur une communauté d’intérêts. En effet, Adon cherche à se prévaloir de la légitimité pontificale, tandis que le pape en fait son principal allié dans le royaume de Lothaire II. Pour autant, les deux partenaires conservent une relation hiérarchique. Celle-ci prend plusieurs formes. De son côté, Adon présente des problèmes pratiques. Élu archevêque à un âge avancé dans un milieu qu’il méconnaît, il souffre manifestement d’un manque d’expérience. De ce fait, il sollicite l’avis du pape sur des thèmes très concrets, comme le droit matrimonial, l’usurpation des biens ecclésiastiques, les questions liturgiques ou encore la répartition de l’autorité et des prérogatives dans l’Église9. En retour, Nicolas I^er tranche en cas de conflit, donne des conseils concrets et envoie des textes de référence, en particulier les canons de certains conciles. Il confie aussi à Adon des missions dans deux grandes affaires : le divorce de Lothaire II et la réintégration des clercs de Reims déposés par Hincmar. Pour autant, il n’hésite pas à tancer vertement l’archevêque, auteur d’une formule malheureuse dans l’affaire du « clerc du comte Gérard10 ».

Une activité épistolaire ralentie (867-875)

5Le dossier épistolaire de la seconde partie du ministère d’Adon s’avère assez mince puisqu’il ne comprend que 13 lettres. Huit proviennent des archives pontificales, quatre de la Chronique d’Hugues de Flavigny et une des dossiers de l’archevêque Hincmar de Reims. Leur répartition chronologique est très hétérogène : aux 12 courriers échangés pendant les trois premières années du pontificat d’Hadrien II (867-869) s’ajoute une missive écrite vers 874. Comme pour la période précédente, la seule lettre expédiée par Adon a été perdue et n’est attestée que de façon indirecte. En revanche, les correspondants apparaissent plus nombreux qu’à la période précédente. Outre les papes Hadrien II puis Jean VIII, il faut citer Anastase le Bibliothécaire, les princes Charles le Chauve, Lothaire II et Louis II, ainsi que les évêques du royaume de Lothaire II et des fidèles de Charles le Chauve. Autre nouveauté : Adon coécrit deux lettres, la première avec son homologue Remi de Lyon et la seconde au nom de ses collègues.

6Cette correspondance témoigne avant tout de la dégradation progressive des relations entre l’archevêque de Vienne et Hadrien II. Dès 867, Anastase le Bibliothécaire prévient personnellement Adon de la mort de Nicolas I^er et s’inquiète d’une réorientation potentielle de la politique pontificale. Adon réagit immédiatement. Il demande ainsi au nouveau pape de poursuivre l’œuvre de son prédécesseur, de conserver une ligne intransigeante dans l’affaire du divorce de Lothaire II et de garantir ses prérogatives archiépiscopales. Les réponses d’Hadrien II, qui temporise à propos de Lothaire et reste vague sur les fonctions d’Adon, marquent une rupture dans les relations entre Vienne et Rome, désormais glaciales11.

7Une série épistolaire met en lumière cette dégradation12. Elle concerne deux affaires qui éclatent à la suite de la nomination par le roi Louis II au siège de Grenoble d’un certain Bernère, un clerc de Lothaire II. Les princes lancent l’offensive. Par trois lettres rédigées pendant l’été 869, Lothaire II, puis Louis II et enfin Charles le Chauve demandent à Adon d’ordonner Bernère. Tous se heurtent à une fin de non-recevoir. En septembre, Hadrien II s’engage dans le conflit. Dans un contexte qui lui semble favorable, Lothaire meurt au mois d’août et son royaume revient à Louis II, il interdit d’ordonner un évêque qui n’ait pas été nommé par Louis II. Cette injonction déclenche l’ire d’Adon. Celui-ci contre-attaque en deux temps. Au nom des évêques de l’ancien royaume de Lothaire II, ralliés à Charles en novembre 869, il refuse d’abord d’appliquer cette décision. Il s’oppose ensuite de nouveaux refus et met en avant le respect impérieux des canons dans une missive qui inclut les remontrances que lui avait faites Nicolas I^er. Ce courrier marque la fin des relations épistolaires avec Rome jusqu’à l’élection de Jean VIII.

Les fausses lettres

8L’attribution des fausses lettres viennoises a fait l’objet de débats importants. Wilhelm Gundlach, leur premier éditeur, les avait toutes attribuées à l’archevêque Guy de Bourgogne. Celui-ci aurait fabriqué de faux privilèges pontificaux qu’il aurait approuvés une fois devenu pape sous le nom de Calixte II. Ulysse Chevalier avait signalé qu’une partie des faux, au moins ceux évoqués dans la liste épiscopale de la Bible de Berne, était antérieure au ministère de Guy. Sur cette base, Alexandre Grospellier avait attribué tout le dossier à l’archevêque Otran. Beate Schilling a récemment repris ce dossier complexe. À la suite d’une analyse stylistique et thématique, elle a attribué 17 fausses lettres à Adon, auxquelles il faut peut-être ajouter quelques missives disparues citées dans les dossiers forgés13.

9L’archevêque fabrique la majorité des fausses lettres avant 867, après la deuxième recension de son martyrologe qu’il avait fait précéder d’un martyrologe entièrement forgé14. Pour ce faire, il puise en premier lieu dans les archives viennoises, riches en particulier de la correspondance et des homélies d’Avit. Il exploite également quelques missives pontificales authentiques, des textes conciliaires, la Bible et la célèbre lettre d’Eusèbe de Césarée. En outre, pour les rares pièces forgées après 870, il sollicite sa propre Chronique. Beaucoup de falsifications sont facilement détectées. En effet, Adon commet aussi bien des anachronismes, comme lorsqu’il évoque un « archevêque » en 252, que des erreurs de chronologie. Il place ainsi l’évêque Eoalde à deux reprises vers 705 alors que celui-ci vit vers 730. De même, il situe une fois le règne de Charlemagne avant 767.

10Au total, ce corpus couvre une chronologie très large, qui va du milieu du ii^e siècle au début du ix^e siècle. En outre, il s’intègre dans un vaste programme de falsification et de réécriture de l’histoire. Les fausses lettres s’agrègent ainsi à des récits hagiographiques, tels que la Vie de saint Didier. Plus encore, elles forment avec d’autres forgeries, comme l’interpolation de la donation d’Ansémond ou encore le prologue de la Bible de Genève, des dossiers cohérents eux-mêmes réutilisés dans la Chronique qu’Adon rédige vers 870. L’ensemble développe des thématiques qui confortent le pouvoir du prélat et donnent à Vienne une place à part. L’objectif principal consiste donc à réaliser le vieux rêve d’Avit, à savoir faire de la métropole la capitale religieuse des Gaules.

La place des laïcs

11La question du temporel ecclésiastique et du rôle des laïcs dans l’Église interroge Adon dès le début de son ministère. Il pose plusieurs questions à ce sujet à Nicolas I^er alors même qu’il dispose des actes de conciles tenus dans sa province, en particulier à Valence en 855. Dans ce contexte d’apprentissage offensif, l’épistolaire sert à constituer un dossier, dans lequel figure la Vie de saint Didier (BHL 2150), destiné à justifier la récupération ou l’acquisition de biens fonciers et cantonner les laïcs hors des affaires ecclésiastiques. Dans un premier temps, la cible principale de l’archevêque semble le comte Gérard, qui s’était opposé à son élection. Les rapports s’apaisent néanmoins par la suite, au point qu’Adon appelle une fois son porteur « clerc du comte Gérard15 ». Adon continue malgré tout de se plaindre des intrusions laïques, comme dans la lettre où il se désole de la ruine des églises16.

12À la fin de son ministère, soit après la rédaction de sa Chronique et surtout la progression de Charles le Chauve en Viennois, le prélat déplace la revendication. Comme il souhaite désormais placer le temporel ecclésiastique sous la protection des princes francs, il produit trois fausses missives qui constituent un petit dossier de bon gouvernement à l’usage de Charles ou de Boson. Dans la première, le pape Zacharie (742) console l’archevêque Austrebert de la dévastation des églises de la province de Vienne, provoquée par les Lombards et les Sarrasins. Cela constitue une référence à la Chronique, dans laquelle ces épisodes apparaissent pour la première fois17. Or il appartient aux Carolingiens de protéger le temporel ecclésiastique. La seconde forgerie, une lettre d’Étienne II (752-757), reprend le thème de la ruine matérielle18. Par la troisième, le pape Paul I^er (757-767) souligne les déprédations et invite Charlemagne à restaurer et fortifier l’Église de Vienne dans toutes ses dimensions19. Il confirme ainsi le roi dans sa fonction de protecteur du siège de Vienne. Cette lettre sert en quelque sorte de miroir, dans la mesure où elle définit un modèle de gouvernement et le ministère royal.

Les droits des métropolitains

13Adon forge un dossier sur les limites des juridictions viennoise et arlésienne. Celui-ci commence avec une fausse lettre du pape Zosime. En 417, ce dernier confirme à l’évêque Simplide de Vienne sa supériorité sur les évêques de sa province20. De ce fait, il revient sur sa décision, connue par une lettre authentique, de confier à l’évêque d’Arles la suprématie sur les trois provinces gauloises dont la Viennoise21. Cette forgerie va de pair avec une fausse missive de Léon I^er adressée en 447 ou 450 aux évêques des Gaules et de la province de Viennoise, par laquelle il dépose l’évêque Hilaire d’Arles, lui retire les privilèges autrefois accordés à sa cité et confère à Vienne ses droits sur la Viennoise22. En outre, Adon fabrique trois autres lettres. Toutes rappellent que Vienne détient la dignité métropolitaine et des privilèges particuliers de source pontificale depuis des temps très anciens23.

14Pourquoi l’archevêque a-t-il commis ces faux ? Le partage de l’ancienne province civile de Viennoise ne pose en effet plus de problème depuis 534. À cette date, la conquête franque entérine le partage des juridictions viennoise et arlésienne défini en 450. De plus, les évêques d’Arles n’ont désormais ni les moyens ni la volonté de défier leurs homologues de Vienne sur le terrain de la géographie ecclésiastique. En revanche, ceux de Lyon représentent pour les ambitions viennoises un danger qui va grandissant à partir du règne de Charlemagne24. Adon, élu à Vienne grâce au soutien de l’archevêque Remi de Lyon, le sait mieux que quiconque25. Souhaite-t-il alors à reconstituer des dossiers perdus ? Tient-il à souligner la légitimité historique de Vienne par tous les moyens ? Anticipe-t-il d’éventuelles réclamations arlésiennes ou lyonnaises ? Sans doute cherche-t-il avant tout à assurer son autorité sur ses suffragants à un moment critique pour l’autorité métropolitaine. En effet, certains conciles, de même que les papes et plusieurs clercs, la contestent ouvertement à l’aide de documents comme les Fausses décrétales. Or, entre 863 et 875, les suffragants d’Adon dépendent de souverainetés différentes qui changent en fonction des nombreuses recompositions territoriales. L’archevêque doit donc rappeler les fondements de sa légitimité pour éviter que papes et laïcs interviennent dans la politique provinciale.

Le retour de Tarentaise et Maurienne dans la province de Vienne

15Après le concile de Francfort, les Carolingiens utilisent la Notice des Gaules pour définir le ressort des provinces ecclésiastiques. En conséquence, l’ancienne métropole civile de Tarentaise, instituée simple siège suffragant de Vienne en 450, bénéficie d’une double promotion. D’une part, elle devient siège archiépiscopal. D’autre part, elle obtient autorité sur l’évêché de Maurienne, une création du roi Gontran placée sous l’autorité viennoise vers 580 à la suite du démembrement du diocèse de Turin. Les prédécesseurs d’Adon s’intéressent peu au sujet : Ours et Volfère appliquent sans rechigner les décisions de Charlemagne, tandis que Barnard et Agilmar proviennent du milieu lyonnais26. Adon, en dépit de son passage à Lyon, est très différent. Attaché au vieux projet d’Avit, il souhaite étendre au maximum la juridiction viennoise. Pour récupérer les diocèses perdus, il forge un dossier épistolaire destiné à peser sur les arbitrages pontificaux.

16Une lettre d’Hadrien I^er à Berteric (775), rédigée pendant le pontificat de Nicolas I^er, met ainsi en scène Charlemagne. En séjour à Rome à l’occasion de Pâques, le roi jure sur les reliques de Pierre de restituer aux métropolitains leurs droits et leurs possessions diminués et amputés par les déprédations des laïcs et des barbares27. En réponse, le pape revient aux frontières provinciales définies par Léon I^er28. Une missive de Léon III aux évêques de la province de Vienne (800-810) confirme à l’évêque de Tarentaise son autorité sur les Alpes grées, mais lui intime également de se soumettre humblement aux décisions pontificales qui le placent sous tutelle viennoise29. Ces deux lettres complètent le prologue de la liste épiscopale de Genève. Selon ce texte, les pères réunis en concile à Turin (398) ont soumis à Vienne, alors capitale des Sept Provinces, toute la région alpine, ainsi que l’Église de Tarentaise, fondée par l’évêque Florent de Vienne (374)30. Grâce à ce dossier, Adon obtient satisfaction : une vraie lettre pontificale lui confère autorité sur l’archevêque de Tarentaise et le diocèse de Maurienne. Le même document recommande de surcroît au prélat ainsi spolié de faire preuve d’humilité par rapport à son ordinaire, auteur probable du texte31. Cette victoire est de courte durée, car Hadrien II revient rapidement à la situation antérieure par une lettre rédigée avant 878, dans laquelle il traite d’égal à égal Vienne et Tarentaise32.

L’apostolicité de l’Église de Vienne

17Dans ce dossier cher à Adon, les lettres viennent appuyer une vaste entreprise de réécriture de l’histoire. Il s’agit de remettre en cause la légitimité historique de Lyon. Dans le courant du ix^e siècle, en effet, les promoteurs de l’ancienne capitale des Gaules valorisent la haute Antiquité et donc le prestige des martyrs de 177. Ironie du sort, lors de son séjour lyonnais, Adon avait lui-même souligné la profondeur historique et par conséquent la légitimité inégalable de la métropole33. Pour démontrer l’origine apostolique du siège viennois, l’archevêque exploite une lettre authentique du pape Pascal I^er. Donnée en 817, celle-ci rappelle à son prédécesseur Barnard (817) les origines apostoliques de Vienne34. Pour étayer cette assertion, il forge progressivement la biographie d’un certain Crescent, premier évêque de Vienne. Dans la première recension de son martyrologe, rédigée à Lyon vers 865, Adon décrit l’origine galate et le rôle de ce personnage dans l’évangélisation de la Gaule. Dans la deuxième recension, Crescent réside à Vienne. Il ordonne sur place l’évêque Zacharie puis regagne son siège en Galatie35. Dans la troisième recension, il s’installe à Vienne, ordonne l’évêque Zacharie, prêche longuement en Gaule puis retourne en Galatie36. Dans sa Chronique, Adon fait le lien avec l’apôtre Paul. Ce dernier installe Crescent à Vienne, en même temps que Trophime à Arles, puis lui ordonne de prêcher37. Après plusieurs années, il rentre en Galatie38.

18Trois fausses lettres pontificales parachèvent et complètent cette construction. Dans la première, Jean VI ou Jean VII envoie à Eoalde des cheveux de saint Paul, car c’est par son disciple Crescent que l’Église de Vienne a reçu l’honneur de la religion39. Dans la seconde lettre, Paul I^er fait de Crescent le collègue des apôtres40. Dans la troisième (177), Pie I souligne que les évêques de Vienne, en réalité des successeurs de Crescent qui bénéficient de biographies fictives dans la Chronique d’Adon, ont été instruits par des prêtres eux-mêmes disciples des apôtres41. Au terme de ce travail de réécriture, l’origine et la transmission apostoliques du siège viennois ne font plus aucun doute.

Les revendications vicariales

19Elles complètent et résultent de l’origine apostolique. Adon montre d’abord, grâce à deux fausses lettres pontificales, que Rome et Vienne sont unies depuis très longtemps. Dans la première, Corneille exhorte l’évêque Lupicin (251-253) à garder la foi au moment des persécutions de Dèce et Valérien42. Dans la seconde, Étienne II rappelle l’attachement du Sénat romain à Vienne et les liens anciens qui unissent les deux cités43. Adon fait ensuite des métropolitains et des archevêques de Vienne les relais de Rome en Gaule. Pour atteindre cet objectif, il forge trois lettres pontificales. Par l’une d’elles, Agathon envoie à l’évêque de Vienne les canons du concile œcuménique de Constantinople (681). Elle lui demande surtout de les diffuser le plus rapidement possible et par tous les moyens auprès de tous les évêques des Gaules44. Une autre, attribuée à Zacharie (742), reprend cette thématique. En effet, le pape demande à l’évêque de Vienne de diffuser les canons d’un concile romain imaginaire45. Par une dernière missive, Grégoire II remercie l’évêque pour ses cadeaux et son rapport sur l’état de l’Église dans les Gaules. Il lui demande aussi de recommander Boniface auprès des princes francs46. Ce texte développe plusieurs idées fortes : l’évêque de Vienne est un proche du pape qui joue un rôle d’inspecteur en Gaule, il possède une certaine influence sur les souverains et participe indirectement à l’évangélisation de la Germanie.

20La conséquence de ce travail minutieux est-elle l’octroi d’une fonction vicariale aux archevêques de Vienne ? Une lettre de l’archevêque Remi de Lyon, rédigée en février 865 et rapportée par Hugues de Flavigny, le laisse penser. Selon ce document, Adon est alors vicaire de l’Église romaine47. Pour autant, l’archevêque exerce sans doute cette probable fonction vicariale, en fait sinon en droit, seulement dans le royaume de Lothaire II. La lettre qu’il reçoit du clergé de Cologne et son rôle d’émissaire pontifical auprès d’Hincmar de Reims semblent le corroborer. En tout état de cause, cette situation ne survit pas à Nicolas I^er. Dès 868, Hadrien II confine l’archevêque dans un rôle de simple veilleur, censé l’informer des irrégularités susceptibles d’affecter la vie de l’Église48.

Les privilèges symboliques

21La place éminente de Vienne s’exprime aussi par le cumul de vêtements symboliques. Le plus important est le pallium. Ce morceau d’étoffe exprime une mission ou une délégation pontificale jusqu’à l’époque carolingienne. Le milieu viennois lui accorde une grande importance dès le ministère de l’évêque Didier. En dépit de multiples tentatives, celui-ci échoue à l’obtenir de Grégoire le Grand49. En revanche, deux archevêques le reçoivent de façon certaine : Wilchaire vers 730, soit un peu avant Boniface, ainsi que Barnard en 81750. Adon complète ce dossier, probablement après la mort de Nicolas I^er, dans le cadre de la contre-offensive qu’il lance pour récupérer son vicariat et ses prérogatives sur les diocèses alpins. Il forge ainsi deux lettres qui font remonter l’attribution du pallium au début du viii^e siècle. Dans la première, le pape fait parvenir cette distinction à Eoalde (726) et l’accompagne de reliques. Dans la seconde, le pontife romain fait allusion à cette concession51.

22Adon s’intéresse à un autre vêtement : la dalmatique. Celle-ci constitue depuis le v^e siècle un insigne propre à l’Église romaine52. Selon la Vie de Césaire d’Arles, le pape Symmaque décrète vers 513 que les diacres d’Arles se distingueront par l’usage de la dalmatique, à l’instar de ceux de Rome53. Cette décision crée un précédent, puisque vers 599, une lettre de Grégoire I^er accorde le même privilège à l’évêque et à l’archidiacre de Gap, un diocèse suffragant d’Arles54. Adon dispose-t-il de cette missive ? Rien ne le prouve. En revanche, il a accès à la Vie de saint Césaire55. Il l’exploite donc pour forger une fausse lettre à Austrebert, par laquelle le pape Zacharie octroie la dalmatique à l’évêque de Vienne56. L’archevêque démontre ainsi que les Églises d’Arles et Gap ne sont pas des exceptions en Gaule méridionale, car Vienne fait, elle aussi, l’objet des sollicitudes pontificales. Mieux encore, parés à la fois du pallium et de la dalmatique, ses archevêques se rapprochent sensiblement de Rome et ont vocation à obtenir un statut vicarial.