La famille Brémond de Saint-Christol et les débuts de la Révolution

4Le baron de Saint-Christol est né dans la commune de Tulette en Dauphiné, le 17 octobre 1748. Il est le fils aîné de Antoine-Joseph Brémond de Saint Christol, capitaine au régiment de La Marck et de Françoise Madier4. Prénommé Jacques François Brémond de Saint-Christol, le futur baron a un frère cadet né en 1750, curé d’Anduze en 1789, dans l’évêché d’Alès. La famille Brémond de Saint-Christol est possessionnée en Dauphiné et dans les États pontificaux, à Villeneuve d’Avignon, ce qui justifie le titre de baron dont il se pare. Tout comme son père, qui était chevalier de l’ordre de Saint-Louis5, il embrasse la carrière militaire et devient lieutenant au régiment provincial d’Aix. En 1789, il est âgé de 51 ans, et son fils, qui apparaît souvent dans les registres sous le patronyme d’Antoine-Jacques-Jules, 30 ans, est officier au régiment des dragons de Penthièvre. Les destins du père et du fils sont étroitement mêlés sous la Révolution, les sources peinant à les différencier ; on confond aussi parfois le baron et son frère abbé. Le fils est parfois distingué par le titre de baron d’Eyrolles, hérité de la branche maternelle.

5Les mémoires du baron permettent de savoir comment il a vécu l’année 1789 : le début de l’ouvrage se perd dans des considérations historiques, politiques et morales, mais il est très clair sur les sentiments que provoque en lui le déclenchement de la Révolution, qu’il évoque comme « un feu électrique [qui] fit sentir ses violentes commotions en rompant tous les liens de la société6 ». Il précise plus loin ce qu’il entend par là, « la Religion et la Monarchie7 ». Le vocabulaire utilisé traduit les mêmes sentiments : il relève principalement de la maladie (plaie, remède) et de la morale (perfidie, perversité) pour traduire un trouble profond du corps social. À Avignon existent alors deux partis : l’un est pro-français et attaché à un idéal qui s’enracine dans les échanges anciens entre le Comtat et la France, porté par des négociants, des hommes de loi et hommes de lettres ; l’autre est attaché au gouvernement pontifical et aux libertés que cela confère. Toutefois, un parti modéré, favorable au rattachement à la France et aux combats menés par l’Assemblée constituante à Versailles, voit aussi le jour et tente de ménager une transition en douceur entre l’Ancien Régime et les valeurs libérales de la France, ce que le baron passe sous silence.

6Les premières pages des Mémoires racontent les affrontements, parfois sanglants, auxquels se livrent les deux partis les plus opposés. Le Comtat ne peut rester à l’écart du « tourbillon qui l’environnoit » ni à « l’anarchie [qui] étoit à son comble » dans Avignon estime le baron de Saint-Christol8. À la demande de nobles et de notables libéraux, le représentant du pape, Jean Celestini, convoque une assemblée représentative à Carpentras, capitale administrative du Comtat. Elle se réunit le 25 mai 1790 : Saint-Christol y a une place en tant que feudataire du pape ; il y arrive avec une vision très négative des événements de France et une réputation d’opposant acquise après avoir dénoncé les assemblées de Vizille et de Grenoble dans des courriers adressés aux représentants du roi dans la province9.

7L’assemblée représentative de Carpentras n’est pas alignée sur les sentiments de Saint-Christol ; elle avait été réclamée par des réformistes désireux de doter le Comtat d’une assemblée inspirée des États généraux français : des cahiers de doléances sont rédigés et des députés sont élus10. Choqué par la violence des patriotes d’Avignon, le baron entend protéger la paix qui règne encore dans le Comtat alors qu’à ses portes, les violences s’enchaînent. Les tensions sont telles que l’assemblée de Carpentras décide de créer un comité militaire, au sein duquel Saint-Christol est nommé officier général. L’assemblée est cependant divisée : une majorité de députés aspire à des réformes inspirées de ce qui se fait en France, une minorité s’arcboute sur la défense des particularismes. Saint-Christol est de ceux-là : il met en avant les violences commises par les « patriotes » d’Avignon – plusieurs massacres sont perpétrés – pour rejeter en bloc la Révolution et justifier ses actions armées dans le Comtat : « des députés de la ville de Cavaillon vinrent demander du secours, d’après l’insurrection qui avoit eu lieu et les menaces effrayantes11. » On retrouve le baron sur plusieurs théâtres d’opérations face à ces radicaux ; ce qu’il omet de dire, c’est que les députés à Carpentras adoptent de nombreuses mesures de l’Assemblée nationale tout en refusant le rattachement à la France réclamé par les patriotes avignonnais. Toutefois, la violence des affrontements idéologiques conduit à une radicalisation des positions : celle des modérés de Carpentras devient difficilement audible.

L’engagement de Saint-Christol

8En janvier 1791, l’assemblée représentative prononce sa dissolution. Saint-Christol, élu président le 10 de ce mois12, n’a pourtant pas ménagé ses efforts : il tente d’entrer dans Avignon pour y défaire le parti des patriotes radicaux espérant « faire justice des révoltés perturbateurs du repos public », mais il ne parvient pas à mobiliser assez d’hommes. Il a participé à plusieurs engagements contre l’« armée » d’Avignon et prend régulièrement la plume pour dénoncer les idées du parti pro-français. Il exprime sa colère et son désarroi dans une Adresse à la municipalité de Carpentras :

« Ma présidence fut la plus orageuse & la plus malheureuse, l’époque de l’invasion des brigands, du pillage de Cavaillon, de la séparation de l’assemblée, de l’émigration des citoyens, le commencement de l’anarchie & de tous les malheurs qui ont affligé la province ; les factieux & les mauvais politiques triomphèrent13. »

9Les Avignonnais, quant à eux, parviennent à monter plusieurs expéditions militaires dans le Comtat, provoquant un sursaut de plusieurs communautés du haut Comtat qui refusent le joug avignonnais. C’est ainsi qu’une Union de Sainte-Cécile voit le jour mi-mars 1791 ; elle se dote d’une armée, dirigée par la noblesse conservatrice du Comtat, mais elle compte aussi des modérés issus de l’assemblée représentative14. Saint-Christol est alors à Paris pour plaider la cause du Comtat ; il rencontre des députés, écrit une Adresse à l’Assemblée nationale15, mais ne parvient pas à ses fins et revient à Carpentras en avril : il n’arrive pas à temps pour dissuader les membres de l’Union de Sainte-Cécile d’affronter militairement les troupes d’Avignon. L’Union est défaite le 19 avril, Saint-Christol rallie Carpentras, où il est arrêté, interrogé et gardé prisonnier durant deux mois.

10Craignant pour sa vie, il parvient à s’échapper. La mention de cette première évasion est très allusive : « il ne dut [sa liberté] qu’à la Providence16. » Plusieurs pages suivent, où s’expriment la colère et le dégoût de l’auteur confronté à l’effondrement d’un monde, le sien, à cause de Français et de patriotes brutaux, sanguinaires et avides, « ces cyclopes forgèrent les foudres de la République qui devoit faire gémir et déshonorer l’humanité. Le mal fut sans remède, on ne pouvoit plus rien attendre de bien de l’intérieur […]17 ». Est-ce à ce moment-là qu’il décide de quitter le royaume ? Lui et son fils semblent recherchés par les autorités locales, mais un texte dans lequel il dénonce le vote par lequel l’Assemblée nationale vote la réunion du Comtat à la France le 14 septembre 1791, laisse penser qu’il est encore en France. Il doit cependant se résoudre à l’exil à la fin de 1791 ou au tout début de 1792. La France est, à ses yeux, au bord de l’effondrement « avec la nouvelle Constitution [elle] se trouvoit sans foi, sans loi et sans religion18 ».

Dans l’armée des princes

11Saint-Christol date rarement les faits qu’il rapporte, mais un dossier conservé au Service Historique de la Défense permet de retracer à traits grossiers son parcours en exil. Un rapport sur une pétition émise par le baron pour obtenir une retraite en tant que militaire est établi en février 181619. À cette date, il est âgé de 68 ans ; il est revenu en France en 1815 et il demande une pension20. Cela nécessite un calcul des services effectués depuis son entrée dans l’armée, en octobre 1774, et jusqu’au 31 décembre 1798. Il a quitté l’armée avec le grade de lieutenant-colonel. Ses services pendant l’émigration sont certifiés, la demande de pension figure dans plusieurs documents déposés aux Archives nationales, dans les papiers de la Maison du Roi21 consacrés aux secours aux émigrés : les Brémond de Saint-Christol père et fils sont mentionnés, mais avec plusieurs erreurs dans la graphie des noms et sans qu’il soit toujours possible de distinguer le père et le fils.

12Le rapport de 1816 permet de dater l’arrivée du baron dans l’armée de Condé, dont il fait les campagnes jusqu’en 1796 ; il serait ensuite rentré en France pour servir dans la Vendée jusqu’en 1798. En février de cette année-là, il aurait reçu du roi le brevet de lieutenant-colonel, puis aurait été nommé chevalier de Saint-Louis. Le rapport signale également qu’il a été blessé à deux reprises, le 2 décembre 1793 à Berstheim, puis en 1796 à Saint-Pierre22. En 1796, il apparaît sous le nom de Saint-Christolle dans les papiers de la légion Mirabeau, devenue en 1793 Roger de Damas. Il est signalé en 1796 parmi les blessés pour une « contusion sur la poitrine23 ». Son nom se retrouve parmi les lieutenants en second dans une note sur la trésorerie du corps24, en mars 1797 dans un état des officiers de la légion Roger de Damas25. En 1797, il est noté absent, de même qu’en janvier 179826.

13Quoique rares et souvent résumées à une mention de nom, ces sources permettent d’établir que le baron de Saint-Christol et son fils sont à l’armée de Condé, dans la légion de Mirabeau, dès l’hiver 1792. Ils combattent côte à côte et font ensemble les démarches pour faire reconnaître leurs services et leur bravoure : ils obtiennent la croix de Saint-Louis l’un en 1797, le second (sans doute le fils, d’après les prénoms) en février 179827. À cette date, le baron est de retour en France pour y soulever une contre-révolution, non pas en Vendée, mais dans le Midi qu’il a quitté à la fin de 1791 ou au début de 1792. C’est en passant par Grenoble que le père et le fils entendent alors rejoindre les armées des émigrés. Les Mémoires disent le sentiment de sidération du baron face à l’effondrement que représente pour lui la Révolution : « Quel gouffre nous laissons derrière nous ! quel abîme se présente sur nos pas28 ! » Repérés par des patriotes exaltés de cette ville, ils sont menacés d’être pendus. Mis à l’abri par la Garde nationale qui leur permet d’échapper « des mains des cannibales », ils passent en Savoie et poursuivent leur route pour rejoindre le vicomte de Mirabeau et sa légion. Le soldat renoue avec sa vocation, mais dans des conditions très différentes. Il signale le décès de son frère, prêtre exilé à Rome, en même temps qu’il déplore la mort du roi et les dangers courus par sa fille, restée en France. Les biens du baron sont en effet mis sous séquestre en partie dès 1792.

14Sans doute, à l’été 1793, revient-il en France : il est arrêté en Alsace, détenu à la prison d’Alrik, près d’Huningue, car il est émigré et donc porté sur les listes. Il est condamné à mort et doit être escorté par la gendarmerie pour subir sa peine dans son département d’origine, la Drôme. Convoyé de prison en prison, se sachant perdu s’il arrive à destination, il parvient à s’évader en terrassant les deux gendarmes qui l’escortent : le récit prend ici des allures picaresques29 ! En chemin vers la Suisse, il est de nouveau arrêté par deux artisans qui le soupçonnent d’être un émigré, mais parvient finalement à les battre et à s’échapper de nouveau, à tromper les autorités patriotes de plusieurs villages et à gagner Nyons. De là, il se précipite pour rejoindre l’armée de Condé où l’on sait qu’il participe à la bataille de Berstheim début décembre, qu’il relate dans ses Mémoires30.

15Présenté au comte de Provence à Vérone, il est chargé par le prince de Condé, avec son fils, de contacter Précy, agent royaliste de première importance, concentré sur le déclenchement d’une contre-révolution à Lyon et dans le Sud-Est de la France. Son fils est envoyé Lyon et lui-même en Suisse où se trouvent de nombreux émigrés. Le projet de complot échoue : Saint-Christol et son fils retournent à l’armée de Condé et participent aux opérations militaires en Allemagne. Il combat aux côtés du fils de Condé, le duc d’Enghien, et reçoit une blessure lors du passage d’Huningue. La citadelle est assiégée par les forces autrichiennes et l’armée de Condé en novembre 1796 ; elle tombe le 5 février 1797. Plusieurs récits et journaux militaires décrivent cette campagne sans que le nom de Saint-Christol y soit mentionné31.

Le temps des complots (1797) : le baron de Saint-Christol en chef des « brigands » du Midi

16À la fin de cette campagne, le baron de Saint-Christol affirme avoir rejoint son fils afin d’aider à déclencher une insurrection contre-révolutionnaire à partir de Lyon, et surtout des départements du Midi. Il constate que le mécontentement est général au sein de la population32. La réaction est puissante contre les anciens « terroristes » ; des bandes se forment, composées de royalistes, d’anciens fédéralistes, de jeunes conscrits réfractaires ou déserteurs. Elles commencent à prendre forme dès la fin de 1794 dans la vallée du Rhône, et se désignent bientôt sous le nom de Compagnie de Jésus, de Jéhu ou encore du Soleil. Saint-Christol décrit le chaos qui règne alors en France :

« La division régnoit alors dans les Conseils, qui se disputoient les rênes de l’Empire. Le soldat désertoit sur tous les points ; Bonaparte encore inconnu à la plupart ; les Jacobins en horreur à toute la Nation en étoient comme séparés. Tout annonçoit que l’instant étoit favorable pour prendre les armes, et secouer le joug de la plus honteuse tyrannie33. »

17Il se décide alors à passer à l’action, en coordination avec une conjuration destinée, à Paris, à arrêter les Directeurs républicains (Barras, Reubell et la Revellière-Lepeaux) et à imposer un Directoire royaliste. La conjuration est dévoilée le 18 fructidor an V (4 septembre 1797), l’armée s’avance dans Paris et nombre de députés royalistes sont arrêtés.

18Dans le Midi, Saint-Christol a levé des troupes pour former une armée. Il a rencontré clandestinement de nombreux royalistes et chefs de bandes qui, depuis le début de la Révolution, entretiennent l’insécurité et la contestation dans plusieurs départements méridionaux : la Lozère et le Gard, l’Ardèche, la Drôme et le Vaucluse principalement. Certains de ces hommes ont suivi un itinéraire proche du sien, émigrant pour rejoindre l’armée des Princes où l’on retrouve mention de leurs noms, comme le marquis de Surville, originaire du Vivarais et reçu à l’armée du duc de Bourbon en juin 179334 ; le chevalier de la Mothe en Haute-Loire, le marquis de Bésignan qui l’accompagne et enfin Dominique Allier, l’un des chefs de la Contre-Révolution méridionale depuis l’été 1791, présent lors de toutes les tentatives d’insurrection depuis lors. C’est sans doute au sein de ce groupe d’hommes que se décident les modalités de l’action que doit mener le baron de Saint-Christol.

19Dans la plus grande tradition des révoltes nobiliaires, il publie un Manifeste du général commandant en chef l’armée du corps législatif, aux habitants du Midy35. Il annonce que « Le tocsin de la tyrannie vient de sonner au palais du Directoire, un infâme triumvirat vient de s’élever sur les débris de la Constitution […] ». Il exhorte les habitants du Midi à sortir de leur « apathie », car sinon :

« C’est sur les corps sanglants de vos enfants que ces monstres infatigables, encore altérés du peu de sang que leur longue tyrannie vous a laissé, consommeront leurs atroces projets […] Sortez donc de ce sommeil qui vous deviendrait funeste, […] joignez-vous à cette brave armée qui se dispose à vous libérer pour toujours du joug affreux […]. Marchez avec nous contre nos ennemis communs et ne nous reposons que lorsque notre infortunée patrie n’en comportera plus dans son sein. »

20Son objectif est de prendre des armes et de la poudre dans la citadelle de Pont-Saint-Esprit, puis d’écraser Orange, ville patriote, et enfin de marcher en direction de la capitale. L’expédition commence bien par la reddition de la citadelle. Arrivée à l’aube, la troupe réunie par Saint-Christol attend l’ouverture des portes de la ville et s’y introduit au pas de charge, enfonce les portes de la citadelle avec un bélier et solde sa victoire en criant « vive le roi » ! La troupe se saisit de quatre canons et de caisses de poudre, de munitions et de cartouches. Le 27 fructidor (13 septembre 1797), les rebelles prennent la direction d’Orange. L’administration du Gard rédige le jour même plusieurs courriers pour alerter les autorités militaires : « une troupe de bandits armés d’environ 400 hommes s’est emparée ce matin de la citadelle du Saint-Esprit36 ». Les « brigands » insultent les habitants de Pont-Saint-Esprit, arrachent les cocardes : tout fait craindre que ce soit le « noyau d’une nouvelle Vendée » selon les mots de l’administrateur qui affirme cependant au ministre que « les citoyens du Gard périront plutôt tous que de souffrir la violation de leurs propriétés par des ennemis déclarés de la République et de la liberté37 ». Un détachement de la garde nationale de Nîmes est mobilisé et l’armée envoie un escadron de hussards. Le 30 fructidor suivant, le ministre est informé que les brigands ont décampé en apprenant l’avancée de la troupe menée par le général Boisset, 250 hommes et quelques cavaliers venus d’Ardèche.

21Selon Saint-Christol, c’est l’annonce de l’échec de la conjuration du 18 Fructidor et l’arrestation des députés royalistes à Paris qui l’engagent à disperser ses hommes. Ceux-ci n’attendent pas son signal pour se débander et c’est avec les débris de sa troupe qu’il prend le chemin de Tulette, sa paroisse natale. Là, il se retrouve seul et décide de faire feu sur la troupe de ligne si elle se montre : « un fusil, deux pistolets, mon épée seront ma dernière ressource, et je serai tué sur mes pièces [d’artillerie]38. »

22Les choses ne se déroulent pas ainsi : épuisé, il accepte de se rendre à l’agent municipal de Tulette qui le conduit dans le château. Alors qu’il est convaincu qu’il sera fusillé, il est enlevé par ses hommes, et prend la direction de la montagne pour y rester caché environ un mois suivant ses mémoires. Il bénéficie de la complicité de plusieurs fermiers et même de notables (le maire de Buis-les-Baronnies) et parvient, lorsque la chasse à l’homme se calme, à reprendre le chemin de l’exil et à rejoindre l’armée de Condé. On se souvient qu’on l’y retrouve, faisant la demande de la croix de Saint-Louis. Dans le Midi, les autorités locales et militaires ne savent pas que Saint-Christol est parti : elles poursuivent leur chasse aux « brigands ». En brumaire, l’armée est prévenue de la présence de Dominique Allier et du marquis de Surville à Bagnols (Gard)39. Des signalements de Surville, La Mothe, Allier et leurs complices circulent dans les départements. Surville est inscrit sur la liste des émigrés et Dominique Allier est « connu depuis Saillans40 pour un de nos plus féroces ennemis ».

23Si les autorités républicaines ignorent où se trouve Saint-Christol, nous avons pu constater que, du côté des armées des émigrés, on le croit en Vendée. Du fait de l’importance de la clandestinité et du secret dans l’activité des contre-révolutionnaires à l’intérieur, ou des espions au service des princes, il est difficile de connaître en détail les faits et gestes des uns et des autres. Le récit livré par Saint-Christol peut s’avérer parfois frustrant, car il donne peu de dates, reste vague sur plusieurs points importants de sa vie, tout comme il peut retranscrire – ou le laisser penser – des conversations précises avec son fils ou avec de grands noms de l’émigration.

24Les Mémoires du baron de Saint-Christol sont précieux pour saisir l’état d’esprit d’un noble méridional confronté à la rupture révolutionnaire. Ses mots expriment l’horreur qu’il éprouve face à ce qu’il considère comme l’effondrement du monde auquel il tient. Il écrit après la Restauration, alors que l’ordre ancien a été rétabli, du moins en partie, ce qui a un impact sur le fond. Cet ouvrage partisan ne peut être lu sans confrontation avec d’autres sources, lesquelles permettent à la fois de vérifier le récit livré par l’ancien soldat devenu rebelle, mais aussi de mesurer la représentation que s’en faisaient les autorités révolutionnaires. La Révolution est pour les uns source d’espoir et de progrès, pour d’autres une rupture fatale pour la société et la civilisation. Les Mémoires de Saint-Christol témoignent d’un combat contre l’effondrement qu’incarne la Révolution pour une partie de la société française de la fin du xviii^e siècle, et pas d’un abattement. Soldat avant la Révolution, malgré son âge, il reprend les armes et ne cesse de lutter contre cet effondrement, par la plume – il est l’auteur de plusieurs textes, crée un journal à Carpentras pour contrer la presse patriote – et par l’épée. Personnage de second rang, il est peu visible dans les sources, mais il est le témoin d’une sensibilité au ras du sol provoquée par un séisme politique d’une rare ampleur.