Un contexte local marqué par de fortes tensions religieuses

3Au printemps 1791, les patriotes nantais sont confrontés à de fortes tensions. Pour eux, les troubles religieux correspondent à un complot fomenté par les aristocrates contre-révolutionnaires qui manipulent des gens du peuple3. Les autorités dénoncent les provocations des prêtres réfractaires, très majoritaires dans le diocèse4. Ainsi, le 9 mai, le directoire du département prend un arrêté leur ordonnant de quitter leur paroisse afin de « prévenir […] les horreurs d’une guerre civile et religieuse5 ». Il prévoit même qu’au « cas où il s’éleveroit, au moment du remplacement [du réfractaire par le jureur], quelqu’émeute […], le salut du peuple […] commanderoit de s’assurer de leurs personnes pour otages de la tranquillité publique ». Le directoire a conscience de s’éloigner ainsi d’un strict respect de la loi : il « supplie l’Assemblée nationale de considérer qu’intimement pénétré des droits de l’homme […], ce n’est que par l’empire de[s] circonstances » qu’il s’est résolu à de telles mesures. La garde nationale de Nantes multiplie les interventions dans les campagnes pour porter secours à des curés jureurs6.

4Face à l’agitation des réfractaires, des patriotes lancent des représailles : le 3 juin, sur le modèle de ce qui s’est passé à Paris en avril, des femmes fouettent des religieuses hostiles à la Constitution civile du clergé. Le directoire du département condamne les patriotes qui se sont livrées à ces violences, les appelle au respect des principes constitutionnels :

« S’ils [les réfractaires] abusent de leur ascendant sur l’esprit de ceux qu’ils avoient coutume de diriger, s’ils travaillent à séduire les personnes qui les environnent, dès lors ils sont coupables ; mais dès lors aussi la loi offre le moyen de réprimer leurs entreprises criminelles, et le respect pour la loi impose le devoir de les punir de la manière qu’elle ordonne : « Nul, dit l’article sept de la Déclaration des droits, ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ». Peuvent-ils se dire les vrais amis de la constitution ceux qui, trop impatiens dans leurs désirs, tenteroient, par des actes arbitraires, d’enfreindre ces règles salutaires pour arriver plus vite à leur but ? […] Citoyens, nous ne craignons pas de le dire, ce n’est pas ainsi que vous ferez bénir cette constitution que vous avez défendue jusqu’ici avec tant de courage, cette constitution que vous aimez et que vous avez tant de raisons de chérir. Pouvez-vous vous abuser au point de penser que ce soit par la terreur qu’on fait des prosélytes ? Et c’est un sexe faible et timide par caractère, un sexe né pour verser les délices sur tous les momens de la vie, c’est ce sexe qui s’estime et se respecte assez peu pour montrer le chemin de l’insubordination et pour se livrer aux excès les plus outrageants envers ses semblables ! Ah ! Citoyens, et vous, citoyennes, rendez-vous dignes de ce titre honnorable par des sentimens que l’humanité puisse avouer en tout tems ; réunissez tous vos efforts pour ramener vos frères de leur égarement ; surveillez-les avec la vigilance d’un patriotisme aussi actif qu’inaltérable ; déjouez les cabales et les intrigues des malveillants ; […] mais, encore un coup, ne vous rendez pas les arbitres de leur sort : la loi est établie pour punir leurs délits, mais elle veille pour défendre et protéger leurs personnes. Que son aspect imposant vous arrête, n’écoutez que sa voix, rendez-lui tout son empire et la constitution n’aura plus d’ennemis à craindre7. »

5Dans ce contexte particulièrement troublé, les patriotes nantais attendent sans doute avec d’autant plus d’espoir l’achèvement de la constitution, la fondation définitive du nouveau régime devant, à leurs yeux, permettre de mettre fin à ces tensions.

L’annonce de la fuite du roi : les patriotes confrontés à une grande rupture

6C’est dans la soirée du 22 juin que les patriotes nantais apprennent le départ du roi. Ils reçoivent alors une lettre des constituants du département, rédigée le 21 en fin de matinée :

« Grande, mauvaise et triste nouvelle : le roi est parti avec sa famille […] ; amis, citoyens, du courage, de la vigueur, des précautions : un ralliement prompt et soutenu de toute la force active, un réveil à toutes les municipalités, garons-nous des malveillans8. »

7Les patriotes nantais appréhendent immédiatement le départ du roi comme une trahison ; en témoigne cette déclaration prononcée par un officier appelé au siège du département :

« Lorsque nous avons prêté le serment à la Nation, à la Loi et au Roi, nous ne l’avons prêté au Roi que subordonnément à la Nation et à la Loi ; le Roi auquel nous avons prêté le serment, est le Roi reconnu par la nation et autant qu’il est le fidèle exécuteur de la Loi ; du moment qu’il abandonne la nation, nous ne connoissons plus que la nation elle-même, les loix qu’elle a consenties et le roi qu’elle reconnaîtra. »

8Dans la proclamation qu’ils adoptent ce 22 juin, les administrateurs du département, du district et de la municipalité réunis dénoncent « un roi qui a trompé » la nation : sa « fuite » est « un événement médité pour sa ruine ». Leur proclamation s’achève par une profession de « fidélité à la Nation et à la Loi » : la référence au roi a été délibérément retirée. La fuite du roi constitue donc une profonde rupture.

9La trahison du roi apparaît lourde de menaces aux yeux des administrateurs nantais qui prennent, dès le 22 juin, des décisions extraordinaires :

« Il a été arrêté de mettre sur pied une force armée imposante pour arrêter les entreprises qu’auroient pu former les malveillans, et les surveiller, s’emparer des postes, placer des corps de garde à toutes les avenues et entrées de la ville, s’assurer de quelques personnes suspectes, apposer le scellé sur leurs papiers, garder les magasins d’armes, poudres et munitions, mettre un embargo sur les navires, nommer des commissaires pour, en leur présence, faire faire ouverture des malles, des couriers, visiter les paquets et prendre des précautions contre des correspondances dangereuses, et de dépêcher sur le champ des courriers dans tous les districts à l’effet de recommander aux administrations de prendre dans les circonstances présentes toutes les précautions que leur dicteraient leur sagesse et leur patriotisme9. »

10Les craintes des administrateurs rejoignent celles exprimées par un député nantais, René Gaston Baco, dans une lettre du 22 juin : il exhorte les administrateurs à surveiller « nos prêtres, nos factieux, nos imbécilles », à « arrêter les [manœuvres des] brigands10 ». À Nantes, des nobles et des réfractaires sont arrêtés sur la base de soupçons11. Le 11 juillet, le substitut du procureur de la commune de Nantes défendra encore ces mesures extraordinaires en expliquant que les dangers sont tels que « les droits de l’homme demeurent suspendus12 ».

11Les patriotes font face à la crise en appelant à la mobilisation. Dès le 22 juin, les administrateurs invitent les citoyens à « sauver la patrie », à se tenir prêts à « verser [leur] sang13 ». Dans sa lettre du 22, le député annonce la levée de volontaires nationaux et incite les administrateurs locaux à encourager les enrôlements. L’appel à la mobilisation se double d’un appel au calme, pour éviter tant la panique espérée par les contre-révolutionnaires qu’une explosion de fureur populaire. Dans leur proclamation du 22, les administrateurs nantais écrivent :

« Gardons-nous des excès, et faisons voir à l’Europe étonnée que la nation française en perdant un roi qui l’a trompée, n’en a pas moins conservé cet ordre, cette union, cette fierté que peut seul inspirer le véritable amour de la liberté. »

12Dans la lettre qu’ils écrivent aux députés le 25, les administrateurs du département indiquent que la situation est calme et que les citoyens sont mobilisés :

« Vous avez vu […] les mesures que nous avons prises […] pour empêcher que l’événement de la fuite du roi n’altérât la tranquillité publique dans cette ville, et dans toute l’étendue du département ; nous avons la satisfaction de les voir couronnées par le succès ; aucune consternation ne s’est ici manifestée ; tous les amis de la patrie se sont serrés […] : depuis vingt-quatre heures, deux mille hommes se sont incorporés dans la garde nationale ; notre département fournira son contingent d’hommes et d’argent, au premier ordre qu’il recevra de l’Assemblée14. »

13Les patriotes exaltent aussi l’ampleur de la régénération accomplie depuis 1789. Ils espèrent ainsi atténuer la rupture que constitue la trahison du roi, en soulignant qu’elle ne saurait remettre irrémédiablement en cause cette régénération. Le 22 juin, les administrateurs écrivent dans leur proclamation :

« le Roi est parti, mais le véritable Souverain, la Nation, reste […] la constitution est faite, le destin de l’empire est fixé, et sa durée assise sur les bases éternelles de la raison et de la justice, n’a pu dépendre de la volonté et de la présence d’un homme […] rallions-nous autour de cette sainte constitution15. »

14Bien que compromise par la fuite du roi, la constitution apparaît non plus seulement comme la pièce essentielle de la régénération dont l’achèvement doit fonder définitivement le nouveau régime et mettre fin aux troubles, mais encore comme le point de ralliement des patriotes face aux menaces, comme le socle immuable qui doit permettre de surmonter la trahison de Louis xvi, d’atténuer la rupture qu’elle constitue, d’éviter l’effondrement de l’œuvre de régénération politique engagée depuis deux ans. En effet, la trahison du roi remet en cause la monarchie constitutionnelle, suscite l’émergence du républicanisme.

La remise en cause de la monarchie constitutionnelle : le risque d’un effondrement

15T. Tackett souligne que la déclaration laissée par le roi fut très diffusée et redoubla l’hostilité antimonarchique16. Elle est évoquée dans le Journal de correspondance, qui relate la séance du 21 juin de l’Assemblée :

« Le roi s’y plaint de la dissolution de la monarchie. On y repasse comme autant de forfaits tous les événements de la Révolution. Le roi se plaint de son séjour incommode au château des Thuileries […]. Il se plaint de la mort des gardes du corps. Il se plaint surtout de l’établissement des clubs des amis de la constitution, qu’il regarde comme des factieux. Il se plaint des journaux qui sont les échos de la faction. Il adresse, en partant, cette déclaration aux Français. L’Assemblée a entendu cette lecture dans le plus grand calme. Le roi se plaint de ce que les gardes nationaux ont maltraité dans la nuit du 28 février de fidèles sujets du roi. Il se plaint d’avoir été, par bienséance, obligé d’aller à la messe du curé de sa paroisse, le curé constitutionnel de Saint-Germain-l’Auxerrois17. »

16Le journal décrit, par ailleurs, la réaction antimonarchique des Parisiens à l’annonce de la fuite du roi :

« Au premier bruit de cette nouvelle, Paris s’est trouvé animé du même courage qui fit, il y a deux ans, prendre les armes et tomber la Bastille. Les piques glorieuses ont reparu de toutes parts. Le canon, le tocsin, la générale se sont fait entendre. Au lieu de la consternation, dont nos ennemis s’attendoient à voir suivre cet événement, on n’a vu que l’indignation d’un peuple généreux, trompé dans sa confiance […]. Le portrait du roi que chaque citoyen aimoit à porter a été jetté dans le ruisseau ; son nom effacé sur toutes les enseignes ; en un instant, le mot national a été substitué partout au mot royal18. »

17La trahison du roi ébranle la monarchie constitutionnelle, et risque donc de provoquer l’effondrement de l’œuvre de régénération politique engagée depuis 1789.

18La trahison du roi amène en effet des patriotes à s’interroger sur la viabilité, voire sur le bien-fondé de la monarchie constitutionnelle. Le républicanisme se développe, encouragé notamment par les démocrates, ces patriotes radicaux qui dénoncent certaines mesures comme des violations des droits naturels proclamés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, notamment la privation des droits civiques subie par les citoyens passifs. Les Nantais sont informés de la montée des débats politiques et de l’émergence du républicanisme. Dans la rubrique « nouvelles de Paris » de l’édition du 26 juin du Journal de correspondance, ils découvrent ces réflexions :

« Qu’avons-nous besoin d’un pouvoir exécutif qui nous coûte 33 millions pour ne rien exécuter, pour nuire même à toute exécution des loix, et pour faire sans cesse une guerre sourde et impie à la liberté, au bonheur d’une grande nation ? C’est aujourd’hui que la France va montrer si elle mérite d’être libre19. »

19Ces quelques phrases dépassent la dénonciation de Louis xvi : leur auteur interroge le bien-fondé de la monarchie.

20La réflexion sur la République se développe. Ainsi, le 10 juillet, le Journal de correspondance publie des extraits d’un discours prononcé à la société nantaise des amis de la constitution ; son auteur évoque l’importance prise par la République dans l’opinion :

« On crie de tous les côtés contre le gouvernement républicain et ses partisans ; les aristocrates, […] les royalistes et même des patriotes disent qu’il faut se défier des républicains […] il paroît que beaucoup de gens se servent de ce mot sans en entendre la signification, et je crois qu’il est utile de rapporter ce que J.-J. Rousseau dit à cet égard : “j’appelle République, dit-il, tout État régi par des loix […] on ne doit pas entendre seulement par ce mot une aristocratie ou une démocratie, mais en général tout gouvernement guidé par la volonté générale qui est la loi20” […] »

21Cet orateur se montre lui-même prudent :

« Il s’agit de sçavoir maintenant quelle forme de gouvernement nous adopterons ; comme son nom ne fait rien à sa bonté, et qu’il peut même naître de grands troubles de sa définition, donnons-nous un gouvernement stable, qui puisse faire notre bonheur et celui de ceux qui nous succéderont, et après, nous lui chercherons un nom ; je crois que, pour y parvenir, il faut choisir assez bien nos représentants21 pour, qu’ayant tous des vertus et des talents, leur mérite presqu’égal mette dans l’impossibilité de séduire l’Assemblée nationale ; que dès ce moment, nos législateurs révoquent tous les décrets qui sont si favorables au pouvoir exécutif actuel, et si nuisibles à notre liberté ; en un mot, qu’ils réduisent la puissance du Roi à celle d’un simple fonctionnaire22. »

22D’autres patriotes se déclarent ouvertement républicains. Le républicanisme progresse rapidement à Paris et rencontre un écho dans tout le pays. Ainsi, le 17 juillet, le Journal de correspondance publie l’adresse de la société des Amis de la Constitution d’une commune du Puy-de-Dôme, qui félicite les Cordeliers pour leur républicanisme :

« Frères et amis, nous avons lu avec transport votre sublime adresse à l’Assemblée nationale. Vous donnez à l’Europe le spectacle le plus imposant de plusieurs citoyens réunis pour approfondir la meilleure forme de gouvernement. Le premier cri que vous avez fait entendre est de demander que la France soit érigée en République. Ce gouvernement, chef-d’œuvre de la raison humaine, est le seul élément où l’homme libre puisse déployer sa force et ses talents. Dans les monarchies héréditaires, la liberté est un fantôme qu’un souffle léger fait disparoître. Les républiques offrent une parfaite égalité : là, les citoyens ne connoissent que la Loi et n’adorent que les vertus ; là, les membres de l’État sont toujours prêts à enfanter des prodiges pour conserver leur indépendance. On vous a persécutés, Frères et Amis, et la persécution vous a créé des milliers de partisans. Continuez vos immortels travaux ; dévoilez le cœur perfide de vos rois, qui regardent les crimes comme des vertus, dont ils osent se décorer aux yeux de l’univers. Si vous parvenez à soulever les peuples contre cette race maudite, la postérité vous citera comme le fléau des rois et les bienfaiteurs de l’humanité23. »

Sauvegarder la monarchie constitutionnelle : conserver le roi, réprimer les républicains

23Alors que les républicains cherchent à accentuer la rupture ouverte par la fuite du roi en réclamant la République, les modérés décident de conserver Louis xvi afin de surmonter la crise ouverte par sa trahison : sauvegarder la monarchie constitutionnelle doit permettre d’éviter l’effondrement du projet politique mis en œuvre depuis 1789. En outre, plus la mobilisation populaire et l’émergence du républicanisme se développent, plus les acteurs se trouvent confrontés non seulement à la question du régime mais encore au défi de la relance de la dynamique révolutionnaire dans une perspective démocratique.

24Le 13 juillet, le Journal de correspondance publie dans la rubrique des nouvelles de Paris un texte en date du 10 juillet24. Son auteur annonce – et déplore – l’intention de l’Assemblée de « pardonner à Louis xvi », donc de ne juger que ses « complices ». Il évoque aussi les concessions faites aux démocrates : Louis xvi « demeurera provisoirement suspendu de l’exercice de la royauté jusqu’à l’achèvement prochain de la constitution […] ; s’il l’accepte, elle deviendra son titre de royauté […] ; s’il la refuse, […] la couronne […] sera déférée à son fils ». Puis l’auteur estime qu’« un pareil arrangement seroit passable si nous pouvions avoir quelque garant de la foi de Louis xvi », avant de rappeler toutes les perfidies du roi depuis le début de la Révolution. Il prophétise donc un nouveau serment aux terribles conséquences :

« Il jurera tout ; l’Assemblée nationale actuelle se séparera ; celle qui lui succède sera cajolée (exécrable liste civile !!!!) pendant tout le cours de l’hiver prochain ; mais au printemps 1792 […], nouveau parjure, nouvelle évasion, nouvelle conjuration tramée avec les puissances étrangères contre la France, et massacres, sans doute, qui s’ensuivront. C’est alors que nous serons libres enfin et tranquilles à jamais, car la guerre ne durera pas trois mois ; les satellites des tyrans nos voisins deviendront des hommes en abordant nos légions de citoyens et ces satellites eux-mêmes nous aideront à détrôner leurs maîtres25. »

25Le 15 juillet, l’Assemblée décide de disculper le roi. L’immense majorité des députés adopte à la fois cette décision et les concessions faites aux démocrates. Toutefois, des républicains ne se résignent pas et organisent un nouveau rassemblement en vue de faire signer une nouvelle pétition. Le 17 juillet, la garde nationale ouvre le feu sur les pétitionnaires républicains rassemblés au Champ-de-Mars.

26Les administrateurs nantais adhèrent aux décisions de la Constituante. Le 25 juillet, la municipalité adopte une adresse à l’Assemblée dans laquelle elle se réjouit de sa décision de disculper le roi et approuve la répression contre ceux qu’elle dénonce comme des « rebelles » :

« Vous avez sauvé la République : en vain des hommes égarés s’agitent et se tourmentent pour atténuer ce bienfait, pour en dénaturer les motifs, pour mendier jusque sur l’autel de la patrie une adhésion coupable à des pétitions insensées ; l’inviolabilité du monarque est maintenue, l’immuabilité de la constitution est assurée, le délit d’un homme ne nous ravira pas un avantage que vous avez créé pour nous bien plus que pour lui26. »

27Par « République », il faut ici entendre l’État, mais la coïncidence s’avère troublante et, en fait, l’emploi de ce terme n’est sans doute pas fortuit. Les édiles nantais expliquent que, si, à l’annonce de la fuite du roi, ils ont envisagé sa déposition, ils ont très vite écarté la remise en cause de la monarchie afin de préserver la constitution, qui apparaît comme la pièce essentielle de la régénération entreprise depuis 1789 :

« Le principe constitutionnel existait : l’assentiment le moins équivoque de la nation entière l’avaient [sic] consacré depuis deux ans ; vous ne pouviez ni le modifier ni l’interpréter. »

28Puis les édiles nantais soulignent que le respect de la constitution – « code éternel » – permet aussi de repousser les menaces des rebelles républicains et démocrates :

« On n’hésite pas de protester contre des décrets nécessaires à la permanence de la constitution, ne craignez rien de cet excès d’audace ; […] le peuple français n’oubliera point ses serments pour recommencer une révolution. »

29Comme lors de l’annonce de la fuite du roi, la constitution est présentée non seulement comme la pièce essentielle de la régénération, mais encore comme le socle immuable qui doit permettre de surmonter l’épreuve, mais désormais en évitant le passage à la République présenté comme une terrible rupture.

30Le même jour, la municipalité décide de renoncer aux mesures extraordinaires. Le procureur de la commune rappelle que « lorsque nous avons eu à craindre le bouleversement de l’empire et toutes les horreurs d’une guerre civile, le salut du peuple a voulu que tous les bons citoyens […] s’assurassent de ceux que des apparences […] avaient rendu suspects27 ». Mais, l’ordre rétabli, il estime qu’il ne faut plus « porter atteinte à la liberté de qui que ce soit ».

31Toutefois, la rupture n’est pas complètement surmontée, comme en témoignent les nouvelles diffusées, en août, par le Journal de correspondance au sujet de rumeurs concernant de nouveaux projets de fuite du roi :

« On répète tous les jours que le Roi doit s’en aller le lendemain ; ces bruits n’ont d’autre fondement que de répandre sans cesse un esprit d’inquiétude et de trouble ; il n’est pas possible que le Roi, après s’être ouvertement déclaré contre la constitution, puisse jamais l’aimer ; mais il sent qu’il faut céder à la volonté générale, et l’on a tout lieu de croire qu’il acceptera la constitution sans sortir des Tuileries28. »

32De plus, les combats politiques se poursuivent : le journal publie un extrait de l’adresse de Robespierre aux Français29. Par ailleurs, à Nantes même, les troubles religieux persistent, comme le montrent les représailles menées le 28 juillet par des femmes contre les patriotes qui, début juin, avaient fouetté des religieuses partisanes des réfractaires.

33Les patriotes nantais considèrent la fuite du roi comme une trahison, donc comme une grande rupture : ils partagent le choc et les craintes éprouvés par tous les Français. Ils redoutent l’effondrement de l’œuvre de régénération politique entreprise depuis 1789. Dans un contexte local marqué par de fortes tensions, ils sont particulièrement effrayés : le retour à l’ordre espéré grâce à l’achèvement de la constitution s’éloigne, les menaces s’aggravent. Mais, alors même que le rejet du nouveau régime par le roi remet en cause cette constitution, c’est à elle que les patriotes nantais se réfèrent pour surmonter la crise : elle témoigne en effet de l’ampleur de la régénération accomplie, et apparaît donc comme un socle immuable qui permettra de surmonter la rupture. Cependant, tandis que les modérés entendent la rupture provoquée par la fuite du roi, d’autres patriotes s’interrogent sur le bien-fondé de la monarchie constitutionnelle, et les plus radicaux cherchent à accentuer la rupture en réclamant la République. Pour les modérés, l’attachement à la constitution permet aussi de freiner la relance de la dynamique révolutionnaire et son approfondissement démocratique. Ainsi, après le premier choc ressenti face à la rupture provoquée par la trahison du roi, les patriotes se sont divisés sur la portée de cette rupture : le retour du roi a permis aux modérés d’en limiter la portée en proclamant leur attachement à la constitution, et en condamnant les radicaux, qui, au contraire, ont agi pour accentuer la portée de la rupture ouverte par la fuite du roi.

34Si les autorités nantaises approuvent l’exonération du roi et la répression anti-républicaine, le républicanisme se diffuse chez les patriotes nantais et les tensions persistent : la rupture née des journées de juin 1791 n’apparaît donc pas complètement surmontée.