1En 1915, Salomon Reinach, alors directeur du musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, revient dans la Revue archéologique sur l’histoire et le rôle de la Commission de Topographie des Gaules (CTG) chargée d’établir la première carte archéologique du territoire national1. L’article dresse une image négative de l’entreprise décrite comme une commission administrative, dépourvue d’intérêt scientifique, allant même jusqu’à évoquer « un affligeant échec2 ». Derrière ce constat sévère, Salomon Reinach laisse cependant entendre qu’il est imparfaitement renseigné car en 1915, près de 35 ans après la fin de la CTG, la plupart des membres et des correspondants de la commission sont déjà décédés et les archives se trouvent dispersées en trois lieux : le musée de Saint-Germain-en-Laye, un débarras situé dans la cour de l’Institut et le prêt, alors temporaire, d’une partie des documents à Émile Cartailhac chargé de poursuivre l’œuvre de la commission3. Cette dispersion avait d’ailleurs déjà commencé pendant la phase active de la commission, car les documents étaient, pour reprendre les mots de Gabriel de Mortillet à Émile Cartailhac :

« Suivant les besoins, soit dans le local de la Commission au ministère de l’Instruction publique, soit chez les membres chargés des divers travaux, soit enfin au Musée de Saint-Germain où se concentre tout ce qui concerne l’archéologie proprement dite4. »

2Après une telle entrée en matière, il peut sembler vain de vouloir s’intéresser aux archives et à l’histoire d’une commission jugée inintéressante, dont le travail est resté inachevé et surtout dont les « archives maudites » ont été dispersées et ont en partie disparu. Pourtant, un programme de recherche sur la Commission de Topographie des Gaules a été porté par le musée d’Archéologie nationale de 2013 à 2017 dans le cadre du Labex Les Passés dans le Présent de l’université Paris Nanterre5. Le programme avait pour objectif d’évaluer le constat de Salomon Reinach en reconstituant l’activité de cette commission à partir des archives conservées. Véritable jeu de piste de l’Institut aux archives nationales, en passant par l’Institut de Paléontologie humaine et bien sûr le musée d’Archéologie nationale, il s’est agi d’identifier et de rassembler les archives de l’administration de la CTG et de sa production scientifique. Ce travail a permis de documenter non seulement le fonctionnement de l’institution, mais aussi l’important travail de collecte de données entrepris par les membres et les correspondants, d’autant plus précieux que, concession qu’il faut accorder à Salomon Reinach, l’entreprise n’a effectivement qu’imparfaitement aboutie. C’est par le biais de la production de terrain de trois correspondants – Charles Cournault, Louis Revon et Édouard Flouest – que nous proposons de revenir sur le travail de la Commission de Topographie des Gaules6. L’objectif est d’apporter une contribution à la réflexion sur le destin de ces archives dites préparatoires et sur l’intérêt qu’elles peuvent encore avoir pour les chercheurs d’aujourd’hui.

La CTG et le réseau des sociétés savantes

Organisation et fonctionnement

3La CTG est créée le 17 juillet 1858 à l’initiative de Napoléon III, avec pour objectif, la production d’une série de trois cartes accompagnées de dictionnaires topographiques. Pour ce faire, elle réunit sous la présidence de Félicien de Saulcy, des spécialistes de diverses disciplines chargés de centraliser, d’examiner et de classer tous les documents relatifs à l’établissement des cartes et des dictionnaires7.

4Cette collecte s’appuie sur différents réseaux de correspondants au cours du temps. Sont d’abord sollicités les recteurs d’académie, dès novembre 1857, chargés par le ministère d’une première centralisation des travaux, livres, mémoires, notes et manuscrits à l’échelle locale avant de les transmettre au ministère. À cette fin, il leur est demandé de faire appel à trois sous-réseaux : les « fonctionnaires de nos établissements universitaires qui consacrent leur temps et leur science aux études historiques » ; « les correspondants du Comité de la langue, de l’histoire et des arts de la France8 » et « les présidents des sociétés savantes9 ». Ce n’est qu’à partir de 1865-1866 que la commission constitue son propre réseau par le biais de recrutements spécifiques. Sur les 218 correspondants identifiés à ce jour pour l’ensemble de la période d’activité de la CTG, près d’une cinquantaine est nommée en 1865 et 1866 (24 en 1865 et 23 en 1866), majoritairement recrutée parmi les érudits locaux et membres de sociétés savantes.

Trois correspondants au cœur de cette entreprise

5C’est dans cette première vague de création d’un réseau spécifique à la commission qu’Édouard Flouest (1829-1891), Louis Revon (1833-1884) et Charles Cournault (1815-1904) sont nommés correspondants de la CTG en 1866. Le premier est chargé de la Saône-et-Loire, mais change de département au gré de ses mutations, le second de la Haute-Savoie, le troisième de la Meurthe et, après 1871, de la Meurthe-et-Moselle.

6Leur profil social est conforme à celui de la plupart des correspondants qui constituent la cheville ouvrière de cette entreprise nationale de collecte archéologique et reprend le profil type décrit par J.-P. Chaline10, à savoir des hommes aisés et instruits, en général d’âge mûr. Flouest est magistrat, Revon est conservateur du musée d’Annecy ; quant à Cournault, après une formation d’artiste peintre, il devient conservateur du musée historique de Nancy. Tous trois sont membres de sociétés savantes importantes sur le plan local : Flouest intègre douze sociétés savantes, dont la Société d’histoire et d’archéologie de Chalon-sur-Saône ; Revon est secrétaire de la Société florimontane et occupe également la direction de la Revue savoisienne ; Cournault est membre de la Société d’archéologie de Lorraine et de l’académie Stanislas. Ils appartiennent par ailleurs tous les trois au réseau des correspondants du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), même si leurs schémas de nomination diffèrent : Revon est d’abord correspondant du CTHS (depuis 1864) avant de devenir correspondant de la CTG quand Cournault et Flouest, en revanche, intègrent le réseau de la CTG plusieurs années avant leur nomination au CTHS.

7En tant que correspondants de la CTG, Flouest, Revon et Cournault ont pour mission d’informer la commission des nouvelles découvertes dans leurs régions respectives, de faire état de leurs travaux de recherche et de contribuer au Dictionnaire archéologique de la Gaule et aux cartes archéologiques du territoire. Ce rôle est toutefois loin d’être unilatéral : si ces trois correspondants apportent par leurs envois les informations nécessaires aux travaux de la CTG, ils en retirent également de sérieux bénéfices. Cette intégration dans un mouvement national leur apporte tout d’abord des financements et une reconnaissance certaine, tandis que la caution scientifique et officielle de la CTG leur facilite l’accès au matériel archéologique ou l’organisation de fouilles.

8L’engagement de ces trois correspondants dépasse largement celui de la plupart de leurs homologues et témoigne de leur volonté commune de « remplir [leur] devoir de correspondant11 », en atteste l’abondante correspondance conservée par le musée d’Archéologie nationale. On leur doit un enrichissement conséquent des collections de ce musée et une très riche production documentaire.

9Leur implication régulière dans la collecte de données entreprise par la CTG les conduit à devenir naturellement tous les trois membres de l’éphémère Commission de géographie historique de l’Ancienne France, chargée de poursuivre les travaux de la CTG après sa disparition en 187912.

Les méthodes de collecte

10Du fait de son organisation bipartite composée d’un comité centralisateur constitué de membres, spécialistes reconnus, siégeant à Paris13 et d’un réseau d’informateurs en région nommés correspondants, la CTG met en place un système de collecte de l’information qui s’appuie sur des envois faits par ses correspondants et sur un système de formulaires normalisés14. L’ensemble de la collecte repose en partie sur des modes d’acquisition de données assez traditionnels, mais que cela soit le fait des membres de la CTG ou des correspondants eux-mêmes, elle fait aussi la part belle aux techniques nouvelles qui se développent précisément à cette période.

Des méthodes traditionnelles : l’écrit et le dessin

11La contribution des correspondants à l’élaboration du Dictionnaire archéologique de la Gaule se fait tout d’abord grâce aux formulaires envoyés par la CTG qui opèrent un premier recensement des vestiges archéologiques par commune, par type d’occupation et par période chronologique. Ceux des départements où se trouvent Flouest, Revon et Cournault sont renvoyés à la CTG en 1865 ou au début de l’année 1866, avant leur nomination respective qui n’intervient que quelques mois plus tard. La charge qui leur est attribuée vise donc essentiellement à compléter chaque entrée par l’envoi de notes et de documents figurés permettant la rédaction du dictionnaire. Dans ce cadre, les demandes de la CTG concernent soit des communes du début de l’alphabet, soit des vestiges de la période celtique, pour répondre à l’élaboration des premiers fascicules du Dictionnaire.

12Ces lettres et ces mémoires, précieux pour la mise à jour de la connaissance du territoire, sont associés à un usage du dessin, à plusieurs échelles : soit sous la forme de croquis parsemant les lettres, soit venant à l’appui de mémoires (fig. 1), ou encore sous la forme de planches aquarellées. La production dessinée de nos trois correspondants vise à mettre à la disposition des savants des objets qui ne sont pas toujours accessibles, conservés dans les musées ou dans des collections privées plus ou moins connues. Ces entreprises participent à la mise en série des objets par typologie, favorisant les études comparatives, ou à la restitution de corpus de site. Véritables musées de papier et sources de premier plan pour l’étude archéologique, les dessins produits par Cournault, Flouest et Revon présentent certaines similitudes techniques : réalisés à l’aquarelle avec rehauts de gouache, ils sont généralement exécutés d’après nature et sont accompagnés systématiquement d’une légende permettant l’identification, la provenance et le lieu de conservation des objets (fig. 2 et 3).

Fig. 1. – Mémoire de Charles Cournault et planche associée, 8 novembre 1873.

Fig. 2. – Bandes de ceinturon en bronze estampé du musée d’Annecy, découvertes en 1878, dessin de Louis Revon, s.d.

Fig. 3. – Épées découvertes à Sutz (lac de Bienne) et à Saint-Aubin (lac de Neuchâtel), dessins de Charles Cournault, 1878.

13En revanche, les choix de présentation diffèrent légèrement en fonction des correspondants : si Flouest et Cournault adoptent un principe similaire de multiplication du nombre d’objets par planche, Cournault allant même jusqu’à revendiquer en 1875 d’avoir reproduit plus de 2 500 objets sur seulement 370 feuilles de dessin15, Revon semble, en revanche, privilégier la mise en valeur d’un objet unique par planche. Les fonds Flouest, Cournault et Revon conservés au MAN montrent ainsi une production prolifique, avec plusieurs centaines de planches de dessins, auxquelles il faut ajouter, pour Cournault, dix albums conservés par la BnF16. L’intérêt donné au dessin diffère pourtant d’un savant à l’autre : pour Cournault, les dessins « sont absolument indispensables à la lecture de [son] rapport et forment la partie la plus importante de [son] travail17 », pour Flouest ils ont « les plus grandes chances de très sérieuse utilité. Ce serait bien peu de chose comme dépense eu égard à l’intérêt qu’ils ajouteraient au travail18 », tandis que Revon affirme « que les dessins sont de simples documents destinés à faciliter les descriptions détaillées pour le Dictionnaire19 ».

14Les données fournies doivent aussi permettre la conception des grandes cartes archéologiques du territoire, œuvres de la CTG avec le concours des sociétés savantes20. En revanche, l’utilisation de la cartographie par ces trois savants est plus modeste, d’après les fonds d’archives conservés.

De nouvelles méthodes de collectes : l’estampage, la photographie et le moulage

15Toutefois, au-delà de ces méthodes dites traditionnelles, l’entreprise de la CTG s’inscrit dans un mouvement plus général de réflexion sur les pratiques et de renouveau des méthodes de collecte des données.

16En témoigne ainsi la lettre type adressée par Félicien de Saulcy aux correspondants les incitant à réaliser des estampages des inscriptions accompagnant les copies réalisées, car c’est « le meilleur moyen de fournir à la Commission une idée exacte d’une inscription21 ». Revon, Flouest22 et Cournault procèdent tous les trois à la réalisation et à l’envoi régulier d’estampages des inscriptions découvertes dans leur région respective (fig. 4). La correspondance entretenue avec les membres de la CTG fait par ailleurs régulièrement état des difficultés techniques rencontrées comme dans le cas de Flouest qui s’inquiète dans une de ses lettres de la méthode à utiliser face à une pierre si poreuse qu’elle absorbe toute l’humidité nécessaire à l’estampage23 ou encore des hésitations dans la mise en œuvre, en atteste une lettre de Revon demandant l’avis de la commission :

« Pour les estampages à moins que vous ne soyez d’un avis contraire, je prends les empreintes sur papier blanc, mouillé avec la brosse, et je marque immédiatement sur place les contours des lettres au crayon, de manière à bien vérifier devant l’inscription les moindres détails du texte. Je retrace aussi au crayon les cassures et moulures. De cette manière, vous aurez des documents qui pourront impunément se presser dans des portefeuilles et seront d’une lecture facile. Quant aux inscriptions dont le texte est discutable, à l’exemplaire retouché au crayon, je joins un second exemplaire sans retouche. Chaque estampage est renfermé dans une couverture où je note tout ce qui concerne la provenance, la nature de la pierre, etc. Je pense que cette manière de procéder vous convient24 ? »

17Ces envois techniques à mettre en œuvre viennent ainsi compléter la réalisation de copies plus traditionnelles.

Fig. 4. – Estampage sur papier blanc non collé de l’inscription CIL, XII, 2404 provenant d’Aoste (Isère), envoyé par Louis Revon.

18L’autre procédé tout récent adopté par la CTG dans sa collecte de données est la photographie25 dont nos trois correspondants comme l’ensemble des membres de la CTG font parfois usage. Sa pratique reste cependant marginale, car la technique en est encore à ses balbutiements et reste coûteuse et difficile à mettre en œuvre notamment sur les sites. Elle concerne, en premier lieu, et surtout, les objets et les produits de fouilles, photographiés pour des raisons économiques et techniques en studio26, mais progressivement s’étend, en dépit des difficultés techniques, plus largement, à l’enregistrement des découvertes sur place (fig. 5). Elle vient toujours à l’appui de techniques plus éprouvées, moins difficiles à mettre en place et mieux maîtrisées27, telles que le dessin ou l’établissement de plan. Bien plus, technique ancienne et technique nouvelle viennent se compléter et s’imbriquer puisque l’on dessine d’après photo et on photographie aussi des dessins28.

Fig. 5. – Site de Chassey (Saône-et-Loire), photographie contrecollée sur carton, photographe anonyme, s. d.

19Enfin, un nouveau procédé est également utilisé comme moyen de collecte tridimensionnel des objets29 : il s’agit de la technique du moulage. Un atelier de moulage spécialisé dans la reproduction d’objets archéologiques est établi à Paris en 1864 sous le patronage de l’Empereur et transféré à Saint-Germain-en-Laye dès 1866. La plupart des moulages sont réalisés par Abel Maître, le premier responsable de l’atelier, pour fournir des reproductions d’objets conservés dans les collections provinciales de musées ou de particuliers ou encore pour documenter les découvertes issues de fouilles30 (fig. 6). Ces réalisations peuvent ponctuellement être confiées à des mouleurs locaux pour lesquels Flouest, Revon et Cournault sollicitent l’aide financière ou technique de la CTG. Revon lui-même semble s’être formé à la technique du moulage pour les objets simples comme en témoigne une lettre de 1867 :

« J’en ai déjà commencé une série : les uns sont en plâtre blanc, d’autres en plâtre peint ou bronzé ; enfin, je commence à faire exécuter des fac-similés en cuivre pour les bronzes de peu d’épaisseur. Vous aurez ainsi une jolie série provenant des musées et de collections particulières31. »

20Flouest, quant à lui, use de l’influence de sa position pour obtenir les autorisations nécessaires au moulage de plusieurs autels votifs, essentiellement gaulois, conservés au musée de Nîmes32. L’envoi de ces reproductions tridimensionnelles, en plâtre blanc ou patinées, est fréquent, de même que le prêt temporaire d’objets originaux au musée de Saint-Germain pour y être moulés. Le moulage occupe véritablement, dès l’origine, une place essentielle dans la constitution des collections du musée gallo-romain où tirages en plâtre et objets originaux sont présentés conjointement33.

Fig. 6. – Tirage en plâtre d’une stèle provenant de Montceau.

21L’adoption de ces nouveaux procédés de collecte vient compléter les techniques traditionnelles évoquées précédemment, qu’ils ne supplantent pas, mais qu’ils complètent utilement. Ils offrent en effet de nombreux avantages – objectivité pour la photographie, tridimensionnalité et fidélité à l’original pour les estampages et le moulage –, mais leur usage est limité par les contraintes techniques ou financières de mise en œuvre. C’est surtout la confrontation des techniques qui permet la collecte la plus large et la plus exhaustive possible, comme en témoigne Revon dans une lettre d’avril 1872 où il résume sa collecte dans la région d’Aoste, en ces termes :

« J’irai vous estamper ça quand je pourrai m’échapper, ce qui n’est pas facile avant les vacances […] car il faudra aussi aller copier et marchander l’inscription chrétienne dont vous parlez, relever tous les noms de potiers du musée d’Aoste (et même les mouler si ça vous sourit), dessinoter et écrire34. »

22C’est cette multiplicité et cette complémentarité des méthodes qui fait aujourd’hui l’intérêt et la richesse de la production documentaire de ces trois correspondants.

Méthodes de classement

23Cette collecte de données ne va pas sans une réflexion sur les méthodes de classement. Cette dernière tient avant tout au mode d’organisation de la collecte de la CTG : les correspondants réalisent des envois par la poste, ce qui n’est pas sans poser des difficultés parfois, notamment quant aux coûts impliqués et au délai de transmission de l’information. Ces envois nécessitent une réflexion sur un classement des données acquises qui, dans le cas de la CTG, se joue sur deux plans : au niveau des producteurs eux-mêmes et au niveau des destinataires chargés de la centralisation de l’information, ces méthodes de classement s’avérant parfois contradictoires ou difficiles à attribuer.

Du classement des producteurs…

24Revon, Cournault et Flouest font chacun preuve d’un réel souci vis-à-vis du classement de leur production, qui apparaît comme une étape essentielle du travail scientifique qu’ils entreprennent. Au-delà de l’accumulation de données, c’est le classement qui permet d’établir des conclusions et est un préalable indispensable à la production de nouvelles connaissances. Indépendamment de cette réflexion, le classement des données acquises est de toute façon une nécessité pour s’y retrouver dans la collecte et faire le point sur l’état du travail entrepris. C’est ainsi que Cournault établit régulièrement des listes de ses envois de dessins à la suite de ses lettres, soit par missions, soit de façon thématique. Flouest de son côté procède à des reproductions iconographiques sur format standardisé, organisées vraisemblablement selon un classement topographique (fig. 7). C’est finalement Revon qui pousse cette réflexion sur le classement beaucoup plus loin en réalisant, pour se conformer aux exigences de la CTG, des dossiers par commune avec un code couleur par période chronologique :

« Je glisse dans les numéros de la Revue un spécimen des chemises que j’ai fait imprimer pour classer par communes mes notes et dessins archéologiques, c’est bien commode. La dernière ligne pointillée est destinée à la mention de l’époque ; celle-ci est en outre caractérisée par une couleur spéciale : chamois pour le préhistorique, jaune pour le romain, violet pour le burgonde, vert pour les époques suivantes35. »

25Ces dossiers, dont l’existence est documentée par la correspondance, mais qui ont été éclatés ensuite, rassemblaient des dessins, des notes et des estampages. Ils étaient vraisemblablement envoyés tels quels à la CTG, sous la forme de « cahiers de monographies » destinés à être complétés au fur et à mesure des envois (fig. 8).

Fig. 7. – Ciste de Magny-Lambert (Côte-d’Or), dessin d’Édouard Flouest contrecollé sur carton, 1872.

Fig. 8. – Couverture d’un dossier envoyé par Louis Revon, période romaine.

… à celui de la CTG et du musée gallo-romain

26Devant le volume important de certains envois, le musée et la CTG ont décidé de confectionner des albums spécifiques, reliés aux frais du musée. C’est le cas des albums Cournault et Revon (fig. 9). Les correspondances de Cournault et de Revon font mention de ce classement des données et témoignent de la conscience chez les correspondants de cet impératif. Ils s’inquiètent des conditions de reliure de leurs dessins et adoptent un format unitaire pour leur production afin de faciliter cette mise en album. Toutefois, certaines lettres attestent combien la mise en albums, qui établit un classement « définitif », est perçue comme une contrainte, car elle ne permet pas la mise à jour et l’enrichissement des données. Revon alerte dès 1870 à ce sujet :

« Avant-hier, j’ai adressé à M. de Barthélémy 10 nouveaux croquis en couleur. J’en prépare d’autres. Je crois que vous feriez bien de les laisser classés par cahiers de monographies, comme je l’ai fait, et de ne pas les relier en album puisque j’ai l’intention de compléter toutes ces séries à mesure qu’on fait des découvertes36. »

Fig. 9. – Couverture d’un album de dessins de Louis Revon.

27Du classement global de la CTG, il ne reste presque rien, sauf peut-être des dossiers topographiques, une collection d’estampages et la constitution par le musée d’une série d’albums iconographiques par département pour la France et par pays pour l’étranger, que l’on appelle aujourd’hui les Albums noirs. Les dessins, gravures et photographies, collés sur des feuillets mobiles, alimentent régulièrement ces albums à la couverture maintenue par un système de reliure démontable (fig. 10), tandis que les documents écrits sont répartis entre la correspondance (pour les lettres) et une collection de mémoires archéologiques (pour les rapports et notices manuscrites). La séparation du texte et de l’image entraîne une perte réelle d’information que les rares renvois en légende des albums et les mentions marginales des estampages ne suffisent pas à combler.

Fig. 10. – Planche de l’album noir des Bouches-du-Rhône, dessin des stèles d’Orgon par Édouard Flouest, envoi du 21 avril 1877.

28À travers le portrait de trois de ses correspondants, nous avons voulu rendre compte de la dimension prolifique de la collecte nationale entreprise par la CTG, de l’ampleur des forces mobilisées, de la quantité et de la qualité de ces sources qui témoignent de procédés de collecte multiples et sont aujourd’hui rendues disponibles pour la recherche grâce à la mise en ligne d’un recueil virtuel des sources et des instruments de recherches des fonds d’archives concernés. En dépit de l’irrémédiable dispersion des archives qui s’opère, dès les premiers temps de la CTG, nous plaidons, à travers ce cas d’étude, pour leur conservation, leur reconstitution et leur étude. En effet, au-delà de l’importance que peut revêtir la compréhension du fonctionnement de cette commission, essentielle pour saisir la politique archéologique de Napoléon III37, il nous paraît fondamental de replacer les productions documentaires individuelles au cœur de la réflexion et de réhabiliter ces archives préparatoires qui, aujourd’hui encore, documentent l’exploration de tant de sites archéologiques, l’historique de fouilles anciennes et l’histoire de collections, pour certaines disparues, de nombreux musées et de particuliers.