1Jeune historienne chargée par Pierre Goubert et Marcel Lachiver de dépouiller les premiers registres paroissiaux de Corbeil, j’ai fait la connaissance de Jean Jacquart en 1970 lors d’une assemblée générale de la Société de Corbeil, d’Étampes et du Hurepoix dont il était alors vice-président, présentée par Paulette Cavailler alors directrice des archives départementales de l’Essonne. J’aimais le travail solitaire et austère de confection des bordereaux de dépouillement et des fiches de famille sous les toits de la mairie de Corbeil, mais j’aimais plus encore les fouilles archéologiques entreprises aux Tarterêts et à Étiolles. Il me fallait préparer les concours et donc cette prise de contact dans l’ambiance fraternelle, mais bruyante du banquet tourna court. C’est une fois les concours passés, alors que j’avais abandonné le Hurepoix pour le Bas-Limousin afin de rédiger une thèse de troisième cycle sous la direction de Pierre Goubert que je le revis lors de l’AG de 1973. Enseignante du secondaire à Sainte-Geneviève-des-Bois, poste que je n’avais pas demandé, mais qui me facilitait la vie matérielle, Mme Cavailler avait accepté de recevoir une partie des archives venues de Corrèze par la poste grâce à la bonne volonté de son collègue, Guy Quincy pour m’aider dans la fabrication de cette thèse. C’était un privilège aujourd’hui inimaginable… En même temps, elle m’avait embauchée pour le préinventaire du département de l’Essonne sur mon canton de Sainte-Geneviève, assez pauvre pour que cela ne me demande pas un travail éreintant. Or Jean Jacquart avait besoin d’aide pour achever le préinventaire du canton de Savigny, en particulier pour y assurer une couverture photographique de qualité. Jeune mariée, j’avais un excellent photographe sous la main en la personne de mon mari… Et nous sommes devenus amis.

2En 1975, Jean Jacquart participa à mon jury de soutenance sur Ussel et la montagne limousine. L’année suivante, il était nommé à Paris et Pierre Goubert envisageait son départ à la retraite. Je voulais plus ou moins poursuivre mes recherches du côté de la Corrèze et Pierre Goubert pensait alors qu’il fallait aller plus loin que l’histoire locale démographique et sociale. C’est ainsi que je réfléchissais à travailler soit sur l’élevage des bovins à l’époque moderne, soit sur les curés, un thème cher à Pierre Goubert, plusieurs fois assumé en séminaire. Ce dernier me convoqua entre une fin de séminaire de doctorat et le pot traditionnel qui suivait place de la Sorbonne pour m’annoncer l’arrivée de Jean Jacquart et me dire que ce dernier accepterait certainement ce type de sujet et que je pouvais lui faire confiance.

3C’est ainsi que Jean Jacquart accepta une thèse d’État sur le devenir religieux différent des versants occidentaux du Massif central entre xvi^e et xviii^e siècle. Lui qui ignorait tout ou presque des territoires sur lesquels j’aurais à travailler, en dehors de quelques missions à l’université d’Orléans, me faisait totalement confiance. Heureux temps, car dès 1976, avec l’appui de mes deux maîtres, je fus recrutée comme assistante à Paris I et l’aventure continuait.

4Du directeur de thèse, je dis comme Philippe Hamon et Jean-Marc Moriceau, qu’il accompagnait plutôt qu’il ne dirigeait, poussant à la rigueur documentaire et à la cohérence d’écriture. Il était la bienveillance même, ne critiquant jamais d’en haut, de façon violente ou méprisante, mais incitant à aller ailleurs ou plus loin pour trouver des correspondances et des comparaisons pertinentes. Il nous faisait intervenir dans son séminaire de doctorat et nous incitait à intervenir ailleurs, chez Pierre Chaunu pour ma part, mais surtout il réclamait, lisait et corrigeait les chapitres en cours d’écriture. Ce fut d’autant plus utile qu’une réforme des thèses limita brutalement les temps de préparation et imposa la soutenance de toutes les thèses dites « ancien régime » avant 1987, qu’elles soient ès lettres ou de troisième cycle. Pour des raisons documentaires, la mienne en resta au Rouergue, tout aussi inconnu de Jean Jacquart, mais appuyée par Marcel Lachiver qui connaissait très bien les voisins de la Haute-Loire, autour de La Chaise-Dieu. Surtout, la thématique de l’histoire religieuse des paroisses était dans l’air du temps et plus encore quand on travaillait sur la réforme catholique avant la Contre-Réforme, objet d’une bataille historiographique et même politique qui commençait à se développer entre France, Allemagne et Italie. La qualité des documents de la série G aux archives départementales et diocésaines de l’Aveyron justifiait amplement cette réorientation contrainte, largement accompagnée cette fois par Marc Venard que je croisais sans cesse dans le bureau unique des maîtres de conférences à l’escalier C. Écrivant sur François I^er, Jean Jacquart était tout à fait persuadé de la fécondité de cette approche nouvelle avec son compère président de la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement et spécialiste de Guillaume Briçonnet, l’évêque de Meaux et ami de Marguerite, Mgr Michel Veissière. Le basculement entre histoire locale et histoire générale servirait désormais de base obstinée à cette recherche passionnante et passionnée, d’autant que les avancées de l’informatique autorisaient des statistiques étrangères aux possibles combats idéologiques entre tradition et innovation religieuses.

5Ce n’est pas Jean Jacquart qui réussit à me convaincre de m’intéresser à nouveau aux sociétés historiques et scientifiques que je ne suivais plus que de loin, mais Marcel Lachiver. Je connaissais le CTHS pour être intervenue au congrès de Dijon, mais j’ignorais tout du fonctionnement du CTHS ou presque. Les réunions de sections se faisaient alors au Ministère qui occupait provisoirement les anciens locaux de l’École polytechnique et je pouvais donc m’y rendre assez facilement depuis la Sorbonne. C’est alors que je fis connaissance de sa secrétaire générale, Martine François et d’une section d’histoire moderne et contemporaine qui abritait aussi de grands universitaires et archivistes ou bibliothécaires provinciaux et parisiens, modernistes ou contemporanéistes, dont Jean-Pierre Gutton ou Bernard Barbiche, Maurice Hamon ou Bruno Delmas, un milieu particulièrement fraternel, assez différent de celui plus compétitif de l’université, mais aussi efficace dans la construction collective d’objets historiques nouveaux à partir des territoires divers et variés de la France. En dépit des restructurations des sections et du CTHS lui-même, j’y suis toujours, admise comme membre émérite de la section d’Histoire moderne et histoire de la Révolution française et des révolutions…

6À la suite de mon « patron », j’héritais aussi de fonctions gratifiantes et parfois efficaces au service de l’Essonne (le projet du domaine de Chamarande, la Commission des AOA…) ou des archives (Conseil supérieur), et aussi des contacts avec la DRAC naissante d’Île-de-France par exemple, qui m’ont permis de développer une expérience utile aux étudiants de mon université lors de la création du DESS Histoire et gestion du patrimoine en 1994.

7Et aujourd’hui, un quart de siècle après la mort de Jean Jacquart, si l’on peut comprendre qu’un chercheur reste fidèle à ses recherches personnelles après sa retraite universitaire, celle du service des sociétés savantes demande une explication que je donnerai dans la préface des témoignages issus de cette belle journée d’hommage à Jean Jacquart parce qu’elle engage une relecture du rôle de l’universitaire dans la société de son temps.