1Pour mettre en valeur l’édition du Journal de Jean Jacquart, Carnets de jeunesse (juin 1944-septembre 1966)1, les quatre transcripteurs et préfaciers – Philippe Hamon, Sylvie Le Clech, Nicole Lemaitre, Claude Michaud – ont imaginé une journée d’étude qui a pris place au sein du 146^e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Aubervilliers en 2022, pour évoquer la multiplicité des engagements postérieurs de Jean Jacquart.

2À leur appel, sont intervenus à la fois des élèves et des collègues de différentes promotions d’historiens, des membres de sociétés locales et du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS) mais, en raison de la distance chronologique de plus d’un quart de siècle, deux historiens qui ne l’ont pas connu. Ils ont présenté des analyses plus approfondies, indispensables pour comprendre sa personnalité et la tonalité particulière de son journal de jeunesse, qui ne recoupe pas complètement les contacts universitaires et savants de la deuxième partie de sa vie. Cet universitaire chevronné avait adhéré à la Société de Corbeil, d’Étampes et du Hurepoix dès 1946, à l’âge de 18 ans, donc avant d’entamer de brillantes études, comme il le raconte lui-même, et il lui est resté fidèle en participant à son bureau. Tous ceux qui peuvent encore témoigner de son action dans les trois domaines qui l’ont occupé en permanence, l’enseignement et la recherche, l’animation des sociétés locales, la sauvegarde du patrimoine d’Île-de-France étaient ici rassemblés pour échanger et parler de l’homme.

3La journée a commencé par l’évocation par plusieurs des élèves du maître universitaire qu’il fut, spécialiste d’histoire rurale et d’histoire de la première modernité, il menait des séminaires particulièrement formateurs qui accueillaient la diversité de la recherche sur ces sujets et tentait d’inventer collectivement de nouvelles façons d’écrire l’histoire : Jean-Marc Moriceau, Philippe Hamon, Anne Bonzon, Camille Pascal, Jean-Marie Le Gall, ont montré avec une belle unanimité dans la diversité comment la transmission pouvait se faire et comment rien ne dépassait la critique documentaire originale et précise, associée au respect des maîtres anciens qui avaient tenté d’autres interprétations. Tous n’ont pas poursuivi une carrière universitaire, mais tous ont été marqués par ces exigences.

4Une seconde table ronde s’intéressait à Jean Jacquart membre du CTHS et président de la section d’histoire moderne et contemporaine, pour évoquer son énergie et sa joie de vivre communicative dans l’organisation du CTHS lui-même et dans l’animation des Sociétés savantes à travers le Congrès annuel. Martine François, ancienne déléguée générale du CTHS a raconté comment elle a été accueillie dans cette charge par le président de section et membre du bureau de cet organisme discret, mais fort de son expérience séculaire (depuis sa fondation par Guizot en 1834). Bruno Delmas, ancien président de la section d’histoire contemporaine a expliqué quel rôle il avait joué dans la réorganisation du CTHS et la création des neuf sections actuelles ; avec les témoignages de Jacques Bernet pour la Picardie ou d’Ange Rovere pour la Corse et bien d’autres intervenants du public, on a pu prendre la mesure de cette action.

5Jean Jacquart fut contemporain de la création de la région Île-de-France et il a relancé la Fédération des sociétés historiques de cette région qu’il a présidée vingt-six ans durant à partir de 1972. Stimuler les quelques soixante-quinze sociétés locales n’allait pas sans difficultés en effet. Ses successeurs, Michel Balard puis Catherine Lecomte et Pierre Gillon ont raconté cet effort et évoqué à la fois les congrès régionaux triennaux et les belles publications qui les ont suivis. Une table ronde particulièrement animée dans laquelle Jacques Bernet (Compiègne), Bruno Delmas (Paris Cité), Pierre Gillon (actuel secrétaire général et président du Vieux Saint-Maur), Caroline Bourlet (secrétaire générale de la Société de l’histoire de Paris)… puis Jean-Marie Le Gall (professeur des universités) et Sylvie Le Clech (inspectrice des Archives) ont pris la parole pour discuter à la fois de l’articulation exemplaire entre les sociétés locales et le niveau fédéral (qui permet d’éviter les doublons et d’arbitrer les difficultés, tout en assurant une saine émulation…), mais aussi du lien bien distendu entre les sociétés et les nombreuses universités de la région, tout comme avec les archives départementales. Des relations qui, de l’avis général, sont bien trop faibles, voire participent d’une ignorance mutuelle mortifère. Aujourd’hui, alors que les travaux universitaires de jeunesse devraient être encadrés et publiés par les sociétés locales, les étudiants et leurs maîtres oublient de s’investir localement et les sociétés ne prévoient rien ou pas grand-chose pour accueillir, intégrer et conseiller les jeunes pousses. De même, depuis plusieurs années et malgré nombre d’exceptions, les relations se distendent entre les archives départementales et les sociétés historiques. Il y a là une perte d’opportunités dommageable pour le renouvellement de nos sociétés locales et pour l’ouverture vers le monde mouvant et inventif des recherches universitaires et celui, plus proche des quêtes sociales, de l’activité des archives départementales et communales au service des territoires.

6La salle de lecture des archives départementales de l’Essonne à Chamarande porte le nom de Jean Jacquart, qui avait beaucoup œuvré pour sauvegarder le domaine et le mettre au service des citoyens du département entier. Comme pour lui, entré dans la société du Hurepoix pour mieux comprendre l’histoire et le territoire de Morangis qui l’accueillait régulièrement en famille et qu’il parcourait à vélo dans la passion et une curiosité inlassables, on peut dire que le besoin d’enracinement local des plus jeunes reste une réalité, à condition qu’on leur apprenne à voir. Il est nécessaire de faire vivre collectivement ce désir de valoriser le temps long des lieux et des gens du passé qui le représentent au mieux à l’aide des « sachants » de chaque territoire et pas seulement des spécialistes. Seules les sociétés historiques locales ont ce pouvoir de suggestion et d’encadrement quand la croissance urbaine a profondément modifié les paysages. C’est notre rôle premier de sociétaires et les universitaires qui dispensent un savoir beaucoup plus généraliste, en raison des obligations de la préparation aux concours, devraient à nouveau regarder de près cette histoire locale enracinée dans des lieux et des objets qui créent des vocations. De même, si leurs hiérarchies étaient un peu plus souples sur les programmes, l’enseignement primaire et secondaire devraient en tirer un meilleur parti pour l’art de vivre ensemble et de former à la citoyenneté. Ce fut le cas pour le petit parisien Jean Jacquart.

7Pour comprendre l’homme et ses angoisses de jeunesse, si présentes dans l’édition de ce journal, pour comprendre la formation initiale d’un historien et pour ne pas en rester à l’hagiographie historique du pédagogue confirmé, Florence Tamagne et Denis Pelletier nous aident enfin en historiens spécialisés à observer comment cet homosexuel catholique a pu se construire. Le replacer dans le contexte des années cinquante en est un moyen privilégié. Ainsi la « grande » histoire et l’histoire locale peuvent être réconciliées, ce qui est le propre du travail biséculaire des sociétés historiques françaises et le ressort permanent de Jean Jacquart lui-même.