1Le 30 avril 1793, les députés de la Convention votent un décret interdisant la présence de femmes dans les armées1. À travers ce texte de loi, leur objectif est avant tout de limiter le nombre de vivandières, de cantinières et de prostituées accompagnant le déplacement des troupes. Mais l’interdiction concerne également celles qui prennent les armes. Présentes dans les armées dès 1789, elles sont plusieurs dizaines à s’enrôler à partir de la déclaration de guerre de la France en avril 1792, pour défendre le territoire national menacé ou pour suivre un volontaire de leur famille, père, frère ou mari2.

2Malgré cette exclusion officielle, plusieurs d’entre elles poursuivent une carrière militaire après le vote du décret d’avril 1793. Certaines sont mêmes célébrées et récompensées par le gouvernement républicain, celui-là même qui avait voté leur exclusion de l’armée. Comment ces femmes parviennent-elles à se maintenir dans les armées malgré le caractère illégal de leur présence au sein des troupes ?

3Les dossiers de pension, constitués par les combattantes après leur sortie de l’armée3 renseignent sur les conditions de leur enrôlement et de leur licenciement. Ils contiennent des états de service, des correspondances avec l’administration militaire, des lettres de recommandation ou encore des brevets de pension. Complétés par les Mémoires de Thérèse Figueur4, ils livrent de nombreux détails sur le quotidien au sein des troupes. Au-delà des stratégies mises en œuvre par ces femmes pour contourner l’exclusion, les sources administratives et littéraires témoignent surtout de leur bonne intégration au sein des troupes5 et du soutien dont elles bénéficient de la part de certains officiers. Entre exclusion théorique et stratégies d’adaptation, la situation des combattantes met en avant la diversité des modalités des engagements féminins et pose la question de la capacité d’action des femmes engagées à l’époque révolutionnaire.

Le décret de 1793 : l’exclusion inscrite dans la loi

Congédier « les femmes inutiles »

4Dans la seconde moitié du xviii^e siècle, sous l’impulsion des ministres Choiseul (1761-1770) et Saint-Germain (1775-1777), l’armée connaît une série de réformes qui vise à améliorer son efficacité. Les réformes entreprises vont dans le sens d’une plus grande professionnalisation et d’une amélioration de la formation des officiers, ainsi que d’une abolition de la vénalité des charges6. Sous la Constituante, les réformes se poursuivent. Elles introduisent le principe d’égalité au sein de l’institution, et améliorent la condition de soldat et la justice militaire. Au moment de l’entrée en guerre de la France contre les puissances européennes (20 avril 1792), la question des effectifs et de l’efficacité des troupes devient un enjeu majeur7. Le décret du 30 avril 1793 expulsant les femmes des armées s’inscrit dans ce contexte de création d’une armée patriote, réformée et dépouillée de ses éléments inutiles.

5Cette recherche d’efficacité est mise en avant dès l’article premier du décret :

« Article premier. – Dans la huitaine du jour de la promulgation du présent décret, les généraux, les chefs de brigade, les chefs de bataillon et tous les autres chefs feront congédier des cantonnements et des camps toutes les femmes inutiles aux armées8. »

6Qui sont ces « femmes inutiles » ? Il s’agit de « celles qui ne seront point employées au blanchissage et à la vente de vins et de boissons » (art. 2), « les femmes des officiers généraux et de tous les autres officiers » (art. 5), et « les femmes reconnues pour être épouses de militaires actuellement à l’armée, et qui ne seront point ou blanchisseuses ou vivandières » (art. 12)9. Ces termes désignent celles que l’on nomme les « suiveuses », une catégorie qui rassemble les femmes accompagnant le déplacement des troupes : vivandières, cantinières, blanchisseuses, prostituées mais aussi épouses de soldats10.

7Or, ces femmes sont de plus en plus nombreuses sous la Révolution : selon André Corvisier, elles représenteraient entre un quart et la moitié des effectifs de l’armée11. L’adoption du décret du 8 mars 1793, qui autorise les militaires à se marier, entraîne une augmentation du nombre de suiveuses encombrant les casernes et les camps. La situation pose des problèmes de ravitaillement, dont certains mémorialistes se font l’écho : en l’an II, l’agent Defrenne écrit au ministre de la guerre Bouchotte :

« La quantité de femmes [dans les camps] est effrayante ; ce sont autant de bouches infiniment coûteuses à la République12. »

8Mais le décret mentionne aussi « les femmes qui servent actuellement dans les armées » (art. 11)13. Contrairement aux suiveuses, celles-ci sont peu nombreuses. Les articles 2 à 11 du décret montrent donc que les femmes ne sont pas explicitement exclues des armées. Pour Dominique Godineau et Amandine Hamon, cette exclusion est aussi symbolique. Plutôt que de faire de l’armée un lieu entièrement masculin, elle sert à rappeler la division genrée des rôles sociaux : la participation aux combats est réservée aux hommes, tandis que gestion de la nourriture et des vêtements revient aux femmes14.

L’application de la loi

9Le décret du 30 avril 1793 semble avoir été appliqué si l’on en croit les dossiers de pension de certaines combattantes. Félicité Duguet, volontaire depuis le 7 septembre 1792 dans le bataillon de Saint-Denis, indique n’avoir « quitté [les drapeaux] que par un décret qui [l’y] a forcée15 ». Dans le cas de Sophie Julien, travestie en février 1793 pour s’enrôler comme volontaire dans un bataillon du Pas-de-Calais, la découverte de son sexe quatre mois plus tard entraîne l’application immédiate de la loi et son licenciement16.

10Mais l’application de la loi est-elle la seule raison qui pousse les combattantes à quitter l’armée ? Lorsqu’elle quitte l’armée des Pyrénées occidentales le 10 septembre 1793, ce n’est pas la raison qu’invoque Rose Liberté Barreau (1772-1843). Dans son dossier de pension, elle explique que ce sont ses blessures et l’état de santé de son mari, lui-même soldat, blessé lors d’une attaque en juillet 1793, qui la poussent à demander son congé absolu17. Comme elle, Marie Schellinck quitte l’armée en 1795 en raison de ses blessures, après avoir fait quatre campagnes dans les armées du Nord et de Sambre-et-Meuse18. En 1796, Jeanne Collignon, charretière d’équipage depuis le 8 décembre 1792, doit elle aussi prendre son congé absolu ; mais c’est la restructuration de son corps d’armée et la réduction du nombre d’employés qui précipite son licenciement, et non son genre.

11Au contraire, les dossiers de pension contiennent plusieurs exemples de combattantes qui se maintiennent à l’armée après avril 1793. Jeanne Collignon occupe le poste de charretière d’équipage pendant quatre ans, d’abord dans l’armée de la Moselle, puis dans l’armée du Nord et enfin dans l’armée de l’Intérieur19. Certaines mènent de véritables carrières militaires, comme Thérèse Figueur (1774-1861), combattante dans les troupes fédéralistes avant de devenir soldat dans les armées républicaines puis impériales pendant vingt-deux ans, de 1793 à 181520.

12En revanche, même si certaines n’ont pas été licenciées au moment de l’application du décret, la loi semble avoir été davantage appliquée en ce qui concerne le recrutement. Vainqueur de la Bastille, Marie Charpentier occupe le poste de gendarme du 26 août 1792 au 6 janvier 1796. Blessée, elle quitte le service pour quelques mois. En mars 1796, elle est guérie et demande sa réintégration, qui lui est refusée en raison de son genre21. De même, lorsque la citoyenne Laville demande en 1799 au ministre de la Guerre de « [l’]admettre au nombre de vos braves militaires », c’est en vertu de la loi du 30 avril 1793 qu’il refuse sa demande :

« C’est la volonté des lois que je dois vous transmettre : celle du 30 avril 1793 défend expressément d’admettre des femmes dans les troupes de la République22. »

13L’exclusion des femmes, malgré son inscription dans la loi, semble donc assez peu appliquée ; elle concerne davantage l’intégration de nouvelles recrues, plutôt que celles déjà intégrées au sein des troupes.

Contourner l’exclusion

Dissimuler son sexe

14Sur seize dossiers de pension dans lesquels les réclamantes mentionnent leur tenue, plus de la moitié avouent avoir revêtu un vêtement masculin pour cacher leur sexe. La dissimulation du sexe semble être une pratique courante pour les femmes cherchant à intégrer les troupes. Anne Quatresault, engagée à l’âge de 16 ans dans les armées de la Vendée et du Nord, explique s’être maintenue à l’armée :

« À la faveur du secret qu’elle a constamment tenu sur le déguisement de son sexe23. »

15Lorsqu’elle indique la raison de son travestissement, Sophie Julien explique que c’est le seul moyen à sa disposition pour :

« satisfaire à ses désirs » [et] « [s’enrôler] comme volontaire dans le second bataillon du Pas-de-Calais24. »

16Dans les dossiers de pension, il est clair que les réclamantes ont conscience de la transgression que constitue le travestissement. Mais la transgression est justifiée par l’engagement de la combattante pour une cause supérieure à des considérations individuelles25. Ainsi Françoise Rhonel affirme-t-elle :

« [avoir] sacrifié avec le plus grand plaisir sa jeunesse pour sa patrie et pour la cause sacrée de la Liberté26. »

17D’autres raisons, plus pragmatiques, peuvent pousser celles qui souhaitent intégrer l’armée à se travestir : la dissimulation du sexe permet la discrétion, une forme de protection non négligeable dans un contexte de guerre dans lequel les femmes peuvent être victimes de violences spécifiques liées à leur genre. Le sociologue Sam Bourcier explique que la pratique du travestissement « permet aux femmes de transgresser la frontière hommes/femmes dans ce qu’elle a de contraignant socialement27 », en l’occurrence ici de contourner l’exclusion induite par leur appartenance au genre féminin. Mais le travestissement n’est pas systématique. Quelles stratégies déploient les combattantes qui ne dissimulent pas leur sexe pour se maintenir dans les troupes malgré l’interdiction ?

Mettre en avant ses compétences pour faire oublier son genre

18Dans les dossiers de pension, les anciennes combattantes utilisent régulièrement l’argument de la compétence guerrière pour justifier leur présence au sein des troupes. En 1792, Marie-Henriette Xaintrailles rejoint l’armée du Rhin pour suivre son amant le général Lauthier de Xaintrailles. En 1793, elle devient son aide de camp, avant de passer au service du général Menou, avec qui elle participe à l’expédition d’Égypte (1798-1801). Dans une lettre adressée à Napoléon I^er datée du 28 mars 1805, elle tente de justifier l’obtention d’une récompense en dressant la liste de ses faits d’armes :

« J’étais femme quand j’ai repris aux Prussiens mes compatriotes, un parc d’artillerie de 45 pièces de canons sur la montagne du Prince Charles à Ombourg ; quand j’ai empêché la révolte de la 44^e demi-brigade d’Infanterie ; quand j’ai sauvé le 11^e bataillon du Doubs et un gros détachement de gendarmerie ; quand j’ai préservé des fureurs de la guerre les bâtiments d’Edenhoffen ; quand j’ai pansé les blessés sur le champ de bataille […]. Sire, ce n’est point en femme que j’ai fait la guerre, je l’ai faite en brave28. »

19Xaintrailles souligne le fait que son genre ne l’a pas empêchée d’être un soldat compétent. Pourtant, l’objectif de cette lettre n’est pas d’être reconnue en tant que femme, mais plutôt de faire oublier son genre au profit de ses compétences militaires. C’est le sens de la dernière phrase de l’extrait : pour Xaintrailles, la bravoure, le courage et l’intrépidité ne sont pas des qualités propres à un sexe.

20Cette stratégie consistant à mettre en avant la prééminence de la compétence sur le genre est reprise par les officiers dans de nombreuses lettres de recommandation et de soutien. Dans ces lettres, les descriptions qui sont faites des qualités des combattantes soulignent bien souvent un courage « au-dessus de leur sexe ». Dans l’attestation de service de Jeanne-Marie Barrère, le conseil d’administration de sa brigade affirme qu’elle a toujours « donné des preuves d’une valeur et d’un courage au-dessus de son sexe29 ». Par l’emploi de cette expression, il s’agit de mettre en avant le caractère exceptionnel de ces parcours, mais également de souligner leur distance avec les autres femmes.

21Pour contourner l’interdiction, les combattantes ont recours à des stratégies vestimentaires et discursives, révélatrices de leur agentivité malgré les contraintes liées à leur genre et à l’environnement militaire masculin dont elles sont théoriquement exclues. D’autres éléments, extérieurs aux combattantes, expliquent leur maintien au sein des troupes, en particulier la bienveillance de certains membres de l’institution militaire envers les femmes volontaires.

Une reconnaissance ambiguë

La rhétorique de l’exception

22Dans les sources, les combattantes mentionnent la bienveillance des autorités militaires à leur égard. Elles sont en effet plusieurs à avoir « été l’objet d’une bien honorable exception » pour reprendre les mots de Thérèse Figueur30. Comme elle, Marie-Henriette Xaintrailles a conscience d’être une exception :

« J’ai marché dans la carrière des braves sur l’ordre exprès de la Convention nationale dont un décret à l’exclusion de tout mon sexe, m’autorisa à continuer le service31. »

23Le cas particulier d’Angélique Brulon, née Duchemin, montre à quel point le maintien des combattantes dans l’armée après 1793 relève du cas par cas. Angélique Brulon est fille de militaire. Elle naît en 1772, et passe son enfance dans les camps. À 17 ans, elle se marie à un militaire, puis commence à se former au maniement des armes grâce à un frère instructeur. Elle combat à partir de 1792 et participe à des campagnes en Corse et en Italie, avant de demander son licenciement en 1798. Dans une lettre au général en chef des Invalides datée du 11 novembre 1798, elle affirme avoir été autorisée à poursuivre son service par :

« Le général de division Casabianca, commandant en chef liste de Corse, ensuite par le citoyen Lacombe St Michel, l’adjudant général Cousthaud […], et par le général Pierre commandant à Toulon » [qui] « après avoir pris des renseignements sur [sa] conduite tant comme femme que comme militaire [lui ont] fait continuer [son] service32. »

24Si Brulon est autorisée à continuer son service, c’est bien à titre exceptionnel. Cette rhétorique de l’exception vient justifier la demande de pension ; elle permet d’assumer le caractère hors du commun, voire illégal de leur parcours, sans pour autant le présenter comme transgressif. Mais une telle reconnaissance n’est possible que grâce au soutien des officiers.

Le soutien des officiers

25À partir d’avril 1793, l’application du décret est laissée à la discrétion des officiers. Le soutien de certains officiers se manifeste en particulier dans des lettres de recommandation. Le dossier de Marie-Henriette Xaintrailles contient au moins trois lettres de recommandation écrites par des officiers qui louent ses compétences auprès d’autres officiers, à l’occasion de son passage dans l’armée d’Égypte en 1801. Le 11 mars, le ministre de la Marine et des Colonies écrit au préfet maritime d’Alexandrie qu’il lui recommande la combattante en raison de son « dévouement au-dessus de son sexe qui l’a porté à faire sept campagnes à [son] armée33 ». Dans le dossier de Marie-Anne Bruet, les membres du conseil d’administration de son régiment « [certifie] que ladite Marie-Anne Bruet s’est toujours bien conduite et a rempli son devoir de manière à mériter notre estime34 ». De même, le certificat de Bastienne Escalier indique qu’« elle n’a jamais quitté son poste et a servi avec zèle et bravoure35 ».

26Dans ces documents, les qualités morales des femmes soldats sont mises en avant au même titre que leurs compétences guerrières. L’insistance des officiers sur la conduite des combattantes peut s’expliquer par la volonté de les distinguer des prostituées, mais aussi par la persistance du stéréotype de la vierge guerrière, vertueuse et dévouée à sa cause (religieuse ou politique)36. Pendant ou après le service, les officiers se positionnent ainsi comme les garants des compétences et de la moralité des combattantes. Malgré l’interdiction, les femmes soldats parviennent donc à se maintenir à l’armée grâce aux liens interpersonnels qu’elles développent et entretiennent avec des membres de la hiérarchie militaire.

Des combattantes récompensées pour leur service ?

27Au-delà du soutien individuel qui s’exprime dans les lettres de recommandation, certaines combattantes obtiennent une reconnaissance officielle de la part de l’administration militaire, sous la forme d’une gratification ou plus rarement d’une pension, d’un grade honorifique ou d’une décoration37. Dès la Convention, plusieurs combattantes bénéficient d’une pension viagère en récompense de leur service, « au titre de récompense nationale », dont le montant varie selon le nombre de campagnes auxquelles elles ont participé et selon les blessures reçues au combat. Le montant des pensions est déterminé par deux décrets publiés en février 1793 : celui du 8 février, qui octroie une pension de 15 sous par jour pour une blessure grave, et celui du 21 février, qui fixe le montant des soldes pour les militaires valides (60 livres pour une campagne, 150 pour deux campagnes, etc.)38. Marie-Rose Barrère, Anne Quatresault, ou encore Catherine Pochetat, obtiennent ainsi des pensions d’un montant de 300 livres par an, « pour récompense des services rendus à la République39 ».

28D’autres combattantes sont récompensées par des distinctions honorifiques. Rose Barreau et Angélique Brulon obtiennent chacune une place aux Invalides : Angélique Brulon intègre les Invalides en 179740, et Rose Barreau intègre la succursale d’Avignon avec son mari bien après son service, le 31 juillet 183241. Certaines obtiennent même des grades, comme Catherine Pochetat, qui a le grade de lieutenant dans la légion des Ardennes42. Sous la République, quelques combattantes ont donc été récompensées, au même titre que les autres soldats. Cette volonté peut s’expliquer par le contexte de réforme de l’armée entreprise à partir de la Constituante, qui vise à appliquer à l’armée le principe d’égalité. Il s’agit désormais de récompenser les soldats par l’accession aux grades et à l’avancement selon des critères d’ancienneté et de mérite43. Certaines femmes combattantes ont manifestement bénéficié de ce contexte favorisant la compétence et le mérite au détriment du statut.

29Mais l’obtention de ces récompenses n’est pas automatique. Thérèse Figueur demande à intégrer les Invalides après neuf ans de services, mais sa demande est refusée en raison de son sexe44. Comme elle, Marie-Anne Bruet se « trouve exclue par [son]sexe des maisons où le gouvernement accorde l’asile aux militaires infirmes45 ». Dans plusieurs cas, la reconnaissance des autorités est ambiguë. Si les combattantes obtiennent des gratifications, rares sont celles qui bénéficient des honneurs militaires de leur vivant. À l’exception de Marie Schellinck, qui obtient une médaille de la main de l’empereur Napoléon le 20 juin 180846, aucune ancienne combattante ne reçoit de décoration militaire sous l’Empire et sous la Restauration. Angélique Brulon sollicite la Légion d’honneur à deux reprises en 1816 et en 1822, mais la décoration lui est systématiquement refusée en raison de son genre. Mais si « la loi est disposée à accorder un témoignage de bienveillance à cette femme », le roi Louis XVIII refuse de lui décerner la Légion d’honneur, une décoration pensée exclusivement pour le sexe masculin au moment de sa création par Napoléon en 180247. Le ministre de la Guerre propose finalement de lui conférer à titre exceptionnel le grade honorifique de sous-lieutenant invalide48. Les exemples de Marie Schellinck et d’Angélique Brulon témoignent des difficultés de l’administration militaire à penser la place ambivalente des anciennes combattantes républicaines, entre volonté de les récompenser pour leur service et refus de les placer au même niveau que leurs homologues masculins.

30Les dossiers de pension et les Mémoires publiés des anciennes combattantes des armées républicaines et impériales témoignent de leur bonne intégration au sein des troupes plutôt que de leur exclusion. Les modalités de cette intégration évoluent cependant. De 1789 à 1793, les femmes qui intègrent l’armée parviennent à s’y maintenir grâce à leur discrétion et à la permissivité de certains officiers. À partir du décret d’avril 1793, les combattantes qui poursuivent leur service sont celles qui bénéficient d’un soutien manifeste de la part d’officiers. Mobiliser ce lien interpersonnel leur permet de contourner l’exclusion officielle.

31En revanche, une distinction est maintenue entre les combattantes et leurs homologues masculins dans la nature des récompenses attribuées pour leur service, les femmes demeurant exclues des marques de reconnaissance les plus prestigieuses. Peut-être faudrait-il mieux parler de différenciation plutôt que d’exclusion pour qualifier l’expérience féminine de l’armée à l’époque révolutionnaire, différenciation qui se situe davantage au niveau de la reconnaissance qu’à celui de l’expérience vécue.