1L’université Toulouse Jean Jaurès (UT2J) dispose d’une collection de documents cartographiques conservée au Centre de Ressources Olympe de Gouges (CROG), héritée de la bibliothèque cartothèque du département Géographie, dont l’origine remonte à 1930. Dès sa création, un fonds cartographique se constitue jusqu’à atteindre un nombre d’exemplaires estimé entre 50 et 70 000, grâce à des dons, d’enseignants et d’étudiants, et des acquisitions pour les enseignements et les recherches : ce sont essentiellement des cartes, pliées ou à plat, mais aussi des atlas, cartes murales, photographies aériennes. D’après les témoignages d’enseignants, cette collection a été vivante pendant un certain nombre d’années. La grande majorité des documents qui la composent a cependant perdu ses usages pédagogiques et scientifiques, seules les cartes de la France les plus récentes étant encore utilisées comme matériel pédagogique en cours de cartographie. Elle est toutefois inscrite à l’inventaire patrimonial de l’Université Fédérale de Toulouse1, ce qui légitime la construction de nouveaux liens entre présent et passé et de nouveaux contextes de lectures et d’usages, pédagogiques, scientifiques ou culturels2.

2Dans le cadre de la reconstruction de l’UT2J, des bibliothèques ont fusionné pour constituer le CROG. Responsable de la bibliothèque de Géographie, nous avons géré le transfert des collections, accepté la responsabilité d’un des pôles de ce nouveau centre de ressources ouvert en 2015, et poursuivons depuis, la valorisation du fonds cartographique. Dans la continuité d’un doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC)3, nous menons des réflexions sur des dispositifs favorisant l’appropriation des valeurs informatives contenues dans les cartes, pour des variations d’utilisation, même dans des domaines éloignés de l’intention de leur(s) auteur(s). Pour cela, nous avons élaboré une méthode exploratoire pluridisciplinaire basée sur les principes de la documentographie4, pour sortir de leur dormance ces documents en attente de nouveaux questionnements. La problématique qui traverse nos travaux se situe ainsi sur la valorisation d’un fonds singulier et patrimonial dans une perspective de réactivation. Après un rappel historique et contextuel, nous reviendrons dans un deuxième temps sur notre cheminement vers les applications professionnelles de nos recherches, avant d’aborder les médiations qui peuvent en découler.

Rappel historique et contextuel

3En 2007, à notre arrivée à la bibliothèque de Géographie, nous découvrons sa collection cartographique. Dans les nombreux meubles à plans se trouvent des lots de cartes (par exemple, pour la France : des cartes topographiques et géologiques, à plusieurs échelles et dates, et des cartes de la végétation ; pour l’Afrique-Occidentale Française et pour l’Espagne : des cartes topographiques), ainsi que des cartes esseulées : aires géographiques et langues diverses, thématiques variées (économie, politique, tourisme, population, climatologie, géomorphologie, hydrologie…). Les contenus des tiroirs ne correspondant pas toujours aux étiquettes, un inventaire précis reste à mener. Retracer l’histoire de la collection est complexe en l’absence de dossiers consignant l’entrée et l’origine des documents. Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sur les liens entre ces cartes accumulées depuis presque 100 ans, les enseignements et les recherches.

4Nous avons tenté récemment d’expliquer la variété de ces documents5, en nous appuyant sur l’entretien réalisé en doctorat avec Robert Marconis, directeur du Département Géographie de 1999 à 2005, sur des publications d’enseignants6, et sur des bilans parus dans la revue du Département (Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest). Certains titres (France, Europe, Amérique latine, Afrique et Asie) comportent plusieurs exemplaires, en moyenne autour de 20-30, mais parfois jusqu’à 140, probablement pour des usages en travaux dirigés. À la fin du xix^e siècle, le commentaire de cartes topographiques devient en effet obligatoire en licence. Des outils de substitution au terrain, parfois anciens, sont mobilisés. Les cartes d’état-major, dont l’intention première est militaire, puis les cartes topographiques produites par l’Institut géographique national (IGN) sont réinvesties par les enseignants qui leur donnent une valeur informative pédagogique. Le commentaire de cartes géologiques et géomorphologiques complète cette approche didactique7. Par ailleurs, dans les maquettes de cursus, des enseignements sont proposés depuis plusieurs années sur des aires géographiques, au gré des enseignants, de leurs domaines de recherche, et de l’actualité géopolitique. Si l’aire de l’Europe de l’Est et des Balkans était ainsi au programme dans les années 1990, aujourd’hui c’est l’aire de l’Asie. Les aires Amérique latine et Caraïbes, et Afrique subsaharienne, sont quant à elles enseignées depuis plusieurs décennies par des enseignants différents.

5Pour les cartes en exemplaire unique, l’usage scientifique est envisagé, certaines pouvant être associées aux domaines de recherche d’enseignants-chercheurs. Ainsi, en hommage à Romain Gaignard, géographe et artisan du latino-américanisme toulousain, des cartes, notamment sur l’Argentine et le Chili, ont été exposées au printemps 2022. En effet, si Toulouse, sa région, les Pyrénées et la péninsule Ibérique sont depuis 1930 les sujets de prédilection du département, le rayonnement de sa revue a permis le développement de relations internationales (Europe de l’Ouest, Europe de l’Est, Amériques, Afrique, Maghreb, Proche-Orient, Asie du Sud et du Sud-est), qui se concrétise entre autres par des missions d’enseignants et des séjours prolongés en coopération technique (les Instituts de Géographie en 1972-1973 1974). Ces programmes d’échanges et les enseignements et recherches en lien avec différentes aires géographiques peuvent donc justifier la diversité de cette collection. De plus, à partir du milieu des années 1960, elle a servi de fonds documentaire pour l’atelier de cartographie, où des cartes sont produites pour des publications et des appels d’offres publics8. Il est ainsi possible de compléter cette histoire grâce au dépouillement de revues et d’ouvrages afin de déterminer quelles cartes ont été exploitées et par quels enseignants.

6Pour quelles raisons ces documents sont-ils tombés dans l’oubli ? Dans les années 1970 et 1980, deux camps s’opposent, celui de la géographie classique, dont la carte est le symbole, et celui de la « nouvelle géographie9 ». La place de la carte dans l’enseignement universitaire est alors en cause10. La géographie évolue, les méthodes de représentation et d’analyse également et la carte imprimée perd sa place dans les enseignements. Le contexte change à la fin du xx^e siècle. Les géographes ne se contentent plus de décrire des reliefs, et réutilisent les fonds cartographiques, avec de nouveaux questionnements sur l’étude de l’environnement, des paysages, de l’aménagement des territoires. Il s’agit alors de montrer aux étudiants la variété des supports, ce qui peut expliquer la présence de cartes diverses dans la collection du CROG, ramenées peut-être de missions. Cependant, au même moment, la cartographie numérique, son enseignement, et l’usage de ressources électroniques se développent. Ainsi, depuis ces vingt dernières années, les géographes de l’UT2J n’utilisent qu’une petite partie de la collection cartographique. Ils lui reconnaissent toutefois une valeur patrimoniale.

7Le statut et la situation de cette collection ont en effet changé en 2015, suite à l’inscription dans l’inventaire patrimonial de l’Université fédérale de Toulouse, et à son intégration au CROG. Ce fonds n’est pas ancien, la plupart des documents datant du xx^e siècle. Mais, selon le rapport Desgraves sur la valorisation du patrimoine des bibliothèques, les collections iconographiques, sonores ou audiovisuelles sont qualifiées de patrimoniales11, indépendamment de considérations chronologiques12. Lors du projet de reconstruction, ce fonds nécessitant de nombreux meubles à plans, lourds et volumineux, a soulevé des questions, et sa patrimonialisation a été décisive pour sa conservation. Pour ces documents jugés complexes, aussi bien d’un angle bibliothéconomique qu’informationnel, l’équipe du CROG a dû être sensibilisée et formée, pour le signalement, le prêt ou le rangement. Aujourd’hui, la rétroconversion est un sujet de service et nous y contribuons en tentant d’apporter des pistes de médiation, à destination des collègues et des lecteurs.

8Ces cartes sont, de notre point de vue, tombées dans l’oubli parce qu’elles étaient identifiées exclusivement comme des documents utiles pour les géographes, qui représentent moins de 4 % des usagers de l’UT2J. Or, une carte peut être exploitée dans de multiples disciplines, histoire, histoire de l’art, arts plastiques, SIC…, par des spécialistes comme par des non spécialistes. Nous souhaitons ainsi redonner de la visibilité et de la réutilisabilité aux cartes du CROG, en nous appuyant sur la théorie du document, posée notamment par Jean Meyriat13, et en nous inscrivant dans une approche résolument pluridisciplinaire.

Applications professionnelles de nos recherches à une collection patrimonialisée et dormante

9La valorisation des cartes est encore empreinte d’une approche géographique. Lorsqu’il est question de recueillir l’avis d’enseignants-chercheurs sur des lots à cataloguer en priorité, seuls les géographes et les cartographes sont sollicités, alors que l’avis de chercheurs en SIC, voire d’autres disciplines, et de professionnels du patrimoine, serait intéressant, notamment pour poser des réflexions sur les usages à développer. Le sujet en toile de fond est en effet celui des documents sans usages, malgré le signalement, voire la numérisation, et même lorsque les publics sont captifs comme en BU. Pour ces documents cartographiques reconnus comme devant être gardés et transmis, le chantier de renseignement dans les catalogues doit donc être complété par des dispositifs de médiation.

10Pour faire sens avec notre démarche en SIC autour de la question d’usage, nous opérons une distinction entre fonds dormant et activé. Tout document est constitué d’aspects matériel, conceptuel, et informationnel et s’inscrit « dans un processus communicationnel mobilisant un concepteur et un récepteur14 ». Dans cette théorie, il y a deux fabriques, la seconde relevant d’une nécessaire volonté d’obtenir une information. Le récepteur tient un rôle fondamental : c’est lui qui active les valeurs du document, en l’interrogeant, en donnant une signification au message. Sans questionnement, il est « latent » ou « dormant », « stade qui peut alterner avec celui de document activé15 », puisqu’il y a toujours la possibilité de réactiver un document en sommeil. Les cartes du CROG ont eu des usages et les ont perdus, mais elles conservent leurs valeurs informatives. Comment réactiver alors ces documents ?

11La carte est le résultat d’une construction au service d’une intention (montrer des phénomènes, visualiser un territoire, circuler…), qui induit un usage premier. L’ensemble de ses caractéristiques (supports, dimensions, échelles, légende, langage cartographique) a un rôle dans la production de sens. « Elle est une image qui participe d’un discours sur l’espace [qu’il faut] lire comme une médiation entre son auteur et son lecteur16 », en tenant compte des temporalités dans sa production et dans ses réceptions. Cependant, la carte n’est pas qu’une image. C’est une combinaison d’éléments visuels et textuels. Pour dire ce qu’elle est et ce qu’elle signifie, il faut donc un discours qui s’appuie sur des sciences qui rendent intelligibles les différents aspects de sa fabrication et de sa diffusion. Ce document singulier fascine, mais semble difficilement appropriable. Ce constat nous a conduit à réfléchir sur des dispositifs permettant de créer du lien entre les informations qu’il détient et des utilisateurs. Il ne s’agit pas de lire une carte comme le feraient un géographe, un historien, un historien de l’art en s’attachant à certains éléments17, mais de l’observer et de la catégoriser en tant que forme documentaire spécifique et en tant qu’outil de communication sociale.

12Pour cela, nous avons élaboré en doctorat une grille composée de questions issues de méthodes de commentaires en géographie, histoire, histoire de l’art, sémiotique, scénographie. Elle est basée sur les principes de la documentographie, « étude énumérative, descriptive et classificatrice de toutes sortes de documents18 », et sur la préconisation de l’historien du visuel, Laurent Gervereau, « regarder une image […] c’est lui poser des questions19 ». Notre démarche est ainsi descriptive et décryptive, dans le sens de « révéler, sonder, déchiffrer20 », avec deux objectifs, identifier les caractéristiques infocommunicationnelles de ce document et élaborer un outil pour des non spécialistes. Cette grille documentographique a été testée sur un corpus de cartes en doctorat21, et sur les cadastres d’une commune pour une participation à un ouvrage collectif22. Des éléments liés au contexte politique, à la dimension socio-historique, à l’énonciation, à la conception sémiotique, aux moyens de diffusion, ont ainsi été relevés afin de reconstituer et contextualiser l’intentionnalité de ces documents. Nous proposons de donner ici deux exemples.

13Pour une carte ethnique de l’Afrique Centrale de 1957 (fig. 1), la période de fabrication a été identifiée comme celle de la préparation de l’indépendance des colonies françaises d’Afrique noire. Les précisions sur l’auteur indiquées sur la carte23 ont été complétées avec des informations sur le site de l’académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Mâcon. Marcel Soret a officiellement fait don de ses archives à cette académie, dont il était membre titulaire émérite. Un document d’Yves Boulvert, directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD, ex-ORSTOM), renseigne sur le parcours et les travaux de Marcel Soret24 : ce dernier a travaillé sur l’établissement d’une carte ethnographique de l’Afrique-Équatoriale Française de 1936 à 1953, donnant lieu à plusieurs cartes, consultables dans la base de données Sphaera (fig. 2), et à des publications25.

Fig. 1. - Détail de la carte Afrique Centrale Esquisse ethnique générale, 1957.

Fig. 2. - Carte ethnique de l’Afrique-Équatoriale Française, feuille n^o 1, Brazzaville.

14Pour les plans du cadastre napoléonien de la ville de Fonsorbes, une enquête auctoriale a permis de relever des fonctions (directeur des contributions, géomètres en chef, arpenteur géomètre), et des éléments de hiérarchie, de métier, de techniques, de position sociale26. Nos investigations documentaires autour de Gabriel-Délie Béguillet, directeur des contributions, et Pierre Joseph Denis Bellot, géomètre en chef (fig. 3 et 4), tous deux membres de l’académie des sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, ont éclairé le rôle et la position des agents du cadastre dans la société locale toulousaine du xix^e siècle. L’éloge à M. Béguillet27 et le dépôt aux archives municipales, des plans de la ville de Toulouse réalisés par M. Bellot, en attestent (fig. 5).

Fig. 3 - Tableau d’assemblage du cadastre napoléonien de Fonsorbes, 1832, détail.

Fig. 4. - Tableau d’assemblage du cadastre napoléonien de Fonsorbes, 1832.

Fig. 5. - Plan géométrique de la ville de Toulouse, 1847.

15Pour révéler ces valeurs informatives, nous avons mené des recherches informationnelles, et documenté les cartes avec des sources primaires et secondaires. Nous avons ainsi identifié le potentiel de réutilisabilité de ces documents. Sur la base de ces premiers résultats, nous avons envisagé des applications en BU à travers l’expérimentation d’ateliers avec des étudiants.

Des médiations participatives pour des collections dormantes en bibliothèque universitaire

16L’idée de départ était de vérifier si des non spécialistes pouvaient exploiter une carte, en utilisant celles déjà explorées. Connaissant leurs valeurs informatives, nous pouvions en effet guider des récepteurs. Nous avons placé des étudiants en position d’enquêteurs documentaires, en 2019 (étudiants en masters histoire, histoire de l’art et anthropologie) et depuis 2020 (étudiants préparant un diplôme universitaire option e-documentation). Au cours des ateliers directifs, des missions ont été distribuées (enquête sur l’auteur, l’éditeur, le style artistique, le contexte historique) et des pistes ont été données sous la forme d’axes thématiques d’interrogation (la carte en tant que document artistique, document patrimonial, document politique). Les étudiants, convaincus de ne pas avoir les connaissances pour s’approprier des cartes, sont finalement parvenus à les documenter, mais aussi à compléter les enquêtes que nous avions menées. Pour illustrer notre propos, nous présentons ici l’exploration de cartes hollandaises de la fin du xix^e siècle.

17Le CROG dispose d’un lot de cartes en néerlandais, réalisées par le bureau topographique de l’état-major de l’armée hollandaise situé à Batavia, actuelle Jakarta (siège de la compagnie néerlandaise des Indes orientales et Insulinde de 1619 à 1799, puis capitale des Indes néerlandaises de 1799 à 1942). En doctorat, nous avons décrypté le plan de Pontijanak et ses environs, capitale de la province indonésienne de Kalimantan (île de Bornéo) en 1887 (date de la carte) (fig. 6). Grâce à des recherches complémentaires, nous avons trouvé la publication du capitaine d’état-major François de Bas de l’armée royale des Pays-Bas28. Cet historien militaire néerlandais nous apprend que sous la direction du major Meyer, des officiers topographes ont été formés et ont constitué des brigades pour pratiquer des levés et fabriquer des cartes. Les feuilles étaient reproduites en noir et blanc par l’application de la photo-lithographie au bureau topographique de Batavia, et la reproduction chromo-lithographique de certaines cartes, réalisée à l’Institut topographique du ministère de la Guerre à La Haye. Les données étaient recueillies par des sociétés scientifiques, des ingénieurs des routes et chaussées, des missionnaires et par le service de la statistique29. Le contexte de fabrication de ces cartes est donc colonial, ce qui a été confirmé par les recherches documentaires des étudiants en atelier.

Fig. 6. - Détail du Plan de Pontijanak, 1887.

18En revanche, pour l’axe thématique de la carte en tant que document artistique, de nouveaux éléments ont été apportés, étayés par des documents primaires et secondaires. L’esthétique de ces cartes, très épurée et minimaliste (fig. 7 et 8), est commune à d’autres représentations techniques ou créations artistiques. Des étudiants ont ainsi trouvé deux sources possibles d’inspiration : les cartes de la Wallonie du géographe bruxellois Philippe Vandermaelen entre 1846 et 1854 (fig. 9), et les dessins en hachures du peintre hollandais du xvii^e siècle, Rembrandt Van Rijn, notamment pour les portraits qu’il a réalisés, visibles au Rijksmuseum Amsterdam, et ceux présentés à l’exposition de la BnF Rembrandt, La lumière de l’ombre. Lors d’un autre atelier, le style des cartes aux traits précis a été comparé avec celui des manuels encyclopédiques d’anatomie du xix^e siècle30.

Fig. 7. - Détail du Plan de Pontijanak, 1887.

Fig. 8. - Détail du Plan de Sintang, 1888.

Fig. 9. - Détail de la carte topographique de la Wallonie, 1846-1854.

19À travers les exemples présentés dans les chapitres II et III, la grille est, selon ses usages, un outil pour faciliter, aider, orienter, inspirer des explorations, pour des réceptions informationnelles dans des dimensions aussi variées que matérielle, conceptuelle, intellectuelle, ou artistique. Son application peut se situer entre la production de dossiers documentaires et de dossiers d’œuvres, exécutés principalement dans les archives et les musées pour documenter la nature, l’identité, l’histoire, l’état, le devenir de l’objet ou du document, et pour collecter les publications afférentes31. Le but est ici d’élaborer des inventaires documentographiques contenant des éléments qui sont autant de pistes possibles d’exploitation. Les exemples d’enquêtes documentaires évoqués sont donc à considérer comme des amorces pour des appropriations plus approfondies. Ils illustrent la possibilité de lire une carte autrement que du point de vue géographique, et montrent la diversité des sujets qui découlent de son interrogation pluridisciplinaire. La grille est aussi un outil de mise en œuvre d’ateliers de médiations participatives avec des usagers afin qu’ils puissent contribuer à documenter les collections et à sortir de leur dormance les documents cartographiques patrimoniaux. Ces enquêtes et inventaires peuvent donner lieu à des publications et à des mises en récit, comme nous l’avons fait avec un lot de cartes topographiques de l’Espagne en double édition, espagnole et allemande, datées entre 1940 et 194532. Elles peuvent également conduire à la réalisation de posters documentaires, didactiques et démonstratifs, qui présentent des informations thématiques et des documents complémentaires, primaires et secondaires. Ce ne sont plus alors seulement des cartes qui sont exposées, mais leurs valeurs informatives multiples pouvant inspirer de nouvelles réceptions.

20Dans les médiations à inventer à partir de l’usage de la grille, le rôle des bibliothécaires peut consister à susciter des enquêtes, donner des clés de lectures, ouvrir des pistes et montrer comment les exploiter. Les dispositifs de réactivation prennent ainsi des formes plus complexes que la simple monstration, pour créer des situations informationnelles et changer la posture disciplinaire. Le processus est similaire, lorsqu’en formation documentaire, des exercices sont imaginés à partir d’une référence ou d’un sujet. L’usager est alors placé en position de besoin documentaire « fictif ». Les scénarios induits par l’application de la grille documentographique sont toutefois plus concrets : ils sont basés sur une approche informationnelle et non sur une approche outil. De plus, ils offrent aux publics la possibilité d’enrichir les collections patrimoniales, de documenter des documents aussi singuliers que les cartes, d’en fabriquer de nouveaux, de comprendre comment fabriquer leurs documents. Notre démarche consiste donc à montrer que les bibliothécaires, en ouvrant des perspectives, et en étant des facilitateurs d’usages documentaires, font que des documents en sommeil redeviennent des objets de connaissance.