1Une analyse des archives universitaires rennaises au prisme des connaissances sur l’histoire de l’enseignement permet d’évoquer le contexte et les intentions qui ont prévalu à la constitution des collections scientifiques1 de la faculté des sciences de Rennes au xix^e siècle. D’abord embryonnaires, elles s’étoffent avec l’attention croissante portée par les autorités à l’enseignement supérieur, et les financements qui augmentent. Instruments de démonstration, animaux naturalisés, herbiers… ont alors un rôle important dans les activités de la faculté des sciences de Rennes. Marqueurs matériels du prestige grandissant des professeurs universitaires, la constitution de collections, mais aussi la place qu’elles occupent dans l’espace de la faculté sont l’objet de discussions quand ce n’est pas de conflits.

« Sans [les] collections, sans [les] laboratoires, [les facultés] ne sont plus, pour l’État, qu’une charge dont l’utilité devient contestable2. »

2Ainsi s’exprime Simon Sirodot, doyen de la faculté des sciences de Rennes en 1872. Cette affirmation révèle l’importance attribuée aux collections dans les activités de la faculté du xix^e siècle. En effet, dès les débuts de celle-ci en 1840, les collections et les instruments scientifiques ont été l’un des sujets de préoccupation récurrent des professeurs. Que faut-il acquérir ? Quels locaux et quels mobiliers faut-il pour les présenter et à qui ? Quelles allocations pour financer les achats ? En partant de la situation de la faculté des sciences de Rennes et de ses collections au début du xx^e siècle, nous proposons à travers une lecture des archives universitaires de répondre à ces questions en présentant le processus qui a abouti à la constitution de ces collections ; le rôle de celles-ci dans les enseignements scientifiques rennais et les enjeux d’images et d’espace inhérents à la présence de ces collections à la faculté.

La faculté des sciences de Rennes au début du xx^e siècle : acteur de l’enseignement supérieur et de la vie locale

3À la veille de la Première Guerre mondiale, Rennes est l’une des seize villes françaises qui abritent une université. Celle-ci réunit une école de médecine, de pharmacie ainsi que les facultés de droit, de lettres et de sciences, et accueille un millier d’étudiants, toutes formations comprises. La ville compte alors 75 000 habitants et conserve un lien fort avec le monde rural et agricole3.

4La faculté des sciences de Rennes qui existe depuis 1840 est intégrée dans la vie locale soit parce que ses professeurs s’impliquent directement dans les affaires politiques de la ville, soit parce que l’université offre des services par le biais de structures rattachées à ses laboratoires. Depuis 1878, la faculté abrite ainsi une station agronomique4 qui réalise des analyses chimiques pour les agriculteurs. Une station d’entomologie est créée en son sein en 1903 avec pour mission de conseiller les agriculteurs et les industriels sur les insectes réputés nuisibles5.

5Au début du xx^e siècle, les laboratoires de la faculté sont avant tout des lieux d’enseignement, et si le nombre d’étudiants est sans commune mesure avec les effectifs actuels, ceux-ci n’ont eu de cesse d’augmenter depuis la fin du xix^e siècle, en même temps que se structurait l’enseignement supérieur.

6En 1914, la faculté qui bénéficie de nouveaux bâtiments depuis la fin du xix^e siècle accueille une centaine d’étudiants pour 8 professeurs. Ceux-ci sont assistés de 2 professeurs adjoints, 4 maîtres de conférences, 3 chefs des travaux pratiques, 12 préparateurs, un secrétaire, un commis et un appariteur6. La recherche, si elle n’est pas inexistante dans la pratique, comme en témoignent les listes des travaux personnels des professeurs jointes aux rapports d’activités annuels, ne constitue pas encore un domaine d’activité à part entière et structuré.

7À Rennes, les contenus des enseignements sont conformes à ceux délivrés nationalement, mais ils traduisent également la préoccupation agricole de cette ville de l’Ouest. La liste des diplômes et des grades que les étudiants en sciences à la faculté des sciences de Rennes peuvent passer est retranscrite ci-dessous.

« La faculté des Sciences [de Rennes] délivre, aux mêmes conditions que les autres facultés françaises, le certificat d’études physiques, chimiques et naturelles (P.C.N.)7, les certificats d’études supérieures, la licence, les diplômes d’études supérieures de Sciences et le doctorat. Les certificats d’études supérieures de sciences délivrés par la faculté des Sciences de Rennes, sont les suivants :
1°) calcul différentiel et intégral, 2°) mécanique rationnelle, 3°) astronomie, 4°) géométrie supérieure, 5°) mathématiques générales, 6°) physique générale, 7°) chimie générale, 8°) minéralogie, 9°) zoologie, 10°) anatomie comparée et embryologie, 11°) botanique, 12°) géologie, 13°) sciences physiques, chimiques et naturelles, 14°) physique appliquée, 15°) chimie appliquée à l’industrie, 16°) chimie appliquée à l’agriculture, 17°) zoologie appliquée à l’agriculture et à l’industrie, 18°) botanique appliquée à l’agriculture et à l’industrie8. »

8Toutes ces activités nécessitent l’acquisition de documentation9, de matériel et de collections. Le contenu et l’organisation de ces dernières sont alors vus comme un marqueur de la qualité de l’enseignement. En 1911, le titulaire de la chaire de botanique agricole, le professeur Lucien Daniel (1856-1940), décrit de manière détaillée son laboratoire de botanique appliquée10. Il souligne que ce laboratoire dispose d’une salle des collections « vraiment remarquable ». La liste qu’il en dresse – reproduite ci-dessous – nous donne un aperçu de l’environnement matériel dans lequel il assure son enseignement. En ce début du xx^e siècle, les collections comprennent à la fois des éléments naturels préparés (ici sous forme d’herbiers), des éléments manufacturés, comme les planches pédagogiques dont l’usage s’est étendu à la fin du xix^e siècle et des clichés photographiques qui remplacent les dessins utilisés antérieurement.

« Des herbiers créés au point de vue général, d’une part ; au point de vue local, de l’autre :

• a) une collection de vieux herbiers concernant la région armoricaine ;
• b) un herbier général de la flore française ;
• c) un herbier local de la région bretonne ;
• d) un herbier agricole ;
• e) un herbier des maladies des plantes cultivées ;
• f) un herbier de monstruosités,

Des collections importantes d’objets en sec et de moulages, tels que :

• a) des collections de graines ;
• b) des collections de fruits secs ;
• c) des collections de bois bruts et ouvrés utilisés dans l’industrie ;
• d) des fruits moulés en cire.

Des collections, d’objets conservés dans l’alcool :

• a) des fruits de table et de pressoir ;
• b) des champignons comestibles et vénéneux ;
• c) des collections de greffes de plantes herbacées, de vignes ou de plantes ligneuses.

Des collections étendues de coupes microscopiques et de clichés à projection :

• une collection de tableaux d’enseignement11. »

9Au moment où Lucien Daniel rédige ce texte, le caractère pratique et appliqué de l’enseignement est alors plébiscité. Pour acquérir ce matériel et rénover les bâtiments qui l’accueillent, la faculté a été soutenue par les collectivités locales et nationales, mais cette attention n’a pas toujours été de mise tout au long de son histoire.

La constitution des collections : un long processus au cours du xix^e siècle et une prise de conscience à l’issue de la guerre de 1870

10Cette salle des collections de botanique appliquée citée ci-dessus est l’aboutissement d’une prise de conscience par les autorités de l’importance de disposer d’un enseignement supérieur de qualité et donc de le doter des moyens nécessaires à son activité. Si un ensemble de réformes voit le jour ou est en germe dans les années 1850, c’est surtout la défaite de 1870 qui donne une impulsion au développement de l’enseignement supérieur, au sein d’un mouvement plus vaste de construction du système éducatif cher à la III^e République12. La guerre de 1870-1871 contre la Prusse a mis cruellement en lumière le retard français, comparativement aux autres pays européens dont l’Allemagne, dans le domaine de l’éducation en général et dans le domaine de l’enseignement supérieur en particulier.

11À Rennes, cette nouvelle attention se traduit par des moyens supplémentaires à destination de la faculté des sciences. Fin 1872, Simon Sirodot, dans l’extrait déjà cité, pointe l’importance des collections :

« […] Pour remplir leur mission, les facultés des sciences doivent être dotées de collections et de laboratoires ; sans ces collections, sans ces laboratoires, elles ne sont plus, pour l’État, qu’une charge dont l’utilité devient contestable13. »

12La faculté des sciences de Rennes, dont il est le doyen, vient alors de recevoir de la part de l’État d’importantes allocations destinées à l’accroissement de sa bibliothèque et de ses collections. Le doyen poursuit néanmoins son propos en notant que ces ressources restent encore limitées.

13À la fin du xix^e siècle, le soutien et l’intérêt porté par l’État aux facultés s’accentuent. Un ensemble d’outils réglementaires et législatifs sont mis en place en faveur de l’enseignement supérieur : instauration des bourses de licence, création de la fonction de maître de conférences, réglementation de la tenue comptable des facultés (dont un des titres concerne l’entretien et l’accroissement des collections), loi de 1896 sur les universités, etc.

14Le 23 mars 1881, les cinq professeurs rennais sont réunis dans le bureau du doyen pour se répartir le crédit de 9 100 F qui figure dorénavant au budget ordinaire pour l’acquisition d’instruments et d’objets de collections14. Les professeurs se réjouissent de l’inscription régulière d’un budget à cette destination. Avant cette date, les ressources destinées à cette fin provenaient d’allocations extraordinaires attribuées pour l’acquisition d’objets prédéterminés, ce qui n’était pas sans poser problème au professeur de zoologie qui déplorait devoir « se contenter de ce qui se trouvait alors de disponible chez le marchand15 ».

15Il est probable que d’âpres discussions eurent lieu autour de cette répartition. La zoologie et l’anatomie comparée héritent de 3 500 F quand la botanique, dont le professeur vient d’être nommé, hérite de 600 F. Il est vrai que pour cette discipline les collections sont en bonne partie constituées de récoltes sur le terrain et que la préparation demande moins de matériel qu’une naturalisation. Néanmoins, cette somme sera régulièrement rehaussée pour atteindre 1 000 F en 188716.

16En 1884, le ministère de l’Instruction publique diligente une enquête sur la situation matérielle des collections des facultés des sciences17. Le terme de collection y apparaît revêtu de deux sens, l’un englobant l’autre. Au sens le plus large, il désigne l’ensemble des éléments utilisés pour l’enseignement. Dans un sens plus restreint, il désigne uniquement les collections d’histoire naturelle ou de substances : herbiers, animaux naturalisés, ensemble de roches ou de minéraux. Le terme de matériel et d’instruments est lui préféré pour les microscopes, et machines de démonstrations.

17Cette enquête donne une idée du matériel dont disposent alors les professeurs : du matériel de démonstration, des instruments scientifiques ouvragés, des animaux ou des plantes préparées, mais aussi du matériel manufacturé comme les modèles anatomiques d’Auzoux en zoologie. En mécanique, on note la mention d’un gyroscope de Foucault, pièce importante des collections patrimoniales actuelles de l’université. En physique, le catalogue comprend alors 710 numéros correspondant chacun à un instrument distinct. Nous reproduisons ci-dessous l’inventaire pour cette discipline à titre d’illustration.

« PHYSIQUE
Le catalogue du cabinet de physique de la faculté des sciences comprend 710 numéros correspondant chacun à un instrument distinct et qui se décomposent ainsi qu’il suit : instrument de mesure et de pesanteur, 100 ; propriétés des gaz et des liquides, 154 ; chaleur, 60 ; électricité, 190 ; acoustique, 60 ; optique, 146.
Les appareils les plus importants de la collection sont : les balances ; 2 cathétomètres (l’un d’eux construit par Perreaux, a un mètre de course) ; baromètre normal ; machine pneumatique de Bianchi ; d’autres machines pneumatiques à mercure ; les appareils de Regnault pour mesurer : 1°) la densité des gaz ; 2°) la dilatation des gaz ; 3°) la force élastique des vapeurs ; 4°) la chaleur spécifique de corps solides ; appareil de Melloni ; machine électrique de Holtz, machine d’Armstrong ; électromètre de Mascart, de Lippmann ; galvanomètre et électrodynamomètre de Weber, galvanomètres de Despretz, de Thomson ; boîtes de résistances ; condensateur étalonné ; boussole de déclinaison de Brünner ; magnétomètre de Faraday : grande bobine de Ruhmkorff ; moteur Depretz, moteur Froment ; appareil de Foucault : soufflerie à régulateur de Cavaillé-Coll ; résonateur ; collection de diapasons étalonnés de Kœnig ; goniomètre de Brünner ; héliostat de Gambey ; théodolite de Gambey ; microscope de Hartnack ; spectroscope de Tothollon, saccharimètre à pénombre de Laurent18. »

18En 1887, sur un budget global de 108 110 F, la faculté des sciences prévoit une dépense équivalente à quasiment 10 % de son budget soit 10 000 F pour l’entretien et l’accroissement des collections19. L’État subvient à présent aux besoins en matériel de la faculté, prenant en partie le relais de la municipalité rennaise qui apporta les premiers financements au début de la faculté en 1840.

19Le montant alloué aux collections est réparti entre les différentes chaires. La mise en place de règles comptables avec l’instauration de livres de compte permet de retrouver l’usage fait de ces allocations. Ainsi, au début du xx^e siècle, les livres de comptes de la faculté mentionnent les achats récurrents faits par les différents professeurs pour leurs recherches et enseignements. Les fournisseurs sont des entreprises locales quand il s’agit par exemple de rentoiler une carte ou de fabriquer un meuble pour les collections. Mais elles sont aussi parisiennes, les professeurs se fournissant auprès de vendeurs spécialisés qui fournissent les objets : Deyrolle, Boubée, Pisani20, etc.

20Ces vendeurs se font aussi sans doute à l’occasion prescripteurs des nouveautés. En botanique, entre 1898 et 1912, le professeur de botanique pure, Louis Crié, achète plusieurs centaines de modèles de botanique Brendel, fabriqués en Allemagne, mais dont la renommée dépasse les frontières germaniques. Il réalise cet achat auprès de la librairie Le Soudier. Cette librairie parisienne dispose d’un rayon d’importation et fournit déjà la faculté en ouvrages scientifiques étrangers ; sa première occurrence dans les archives de la faculté date de 1884, à l’occasion d’une commande pour la bibliothèque universitaire21.

21Durant le xix^e siècle et au début du xx^e siècle, les collections semblent donc un des éléments essentiels à l’activité des professeurs, mais dès lors on peut se demander quel usage est fait de ces collections au sein de la faculté.

Des collections pour quoi faire ? Sciences descriptives, comparatives et expérimentales

22Au xix^e siècle, la pratique des sciences naturelles reste très descriptive et comparative22, même si elle devient de plus en plus expérimentale et explicative23. Dès 1866, sollicité pour donner son avis concernant un local proposé pour la minéralogie, le professeur de géologie déplore ainsi la place laissée aux collections qui sont enfermées dans des tiroirs inaccessibles. Il souligne l’importance de « former l’œil », l’importance du « voir », notamment dans les sciences naturelles24.

« […] Que peuvent apprendre les auditeurs et quel goût peuvent-ils avoir pour étudier les études géologiques et minéralogiques lorsqu’on ne leur fournit point l’occasion d’examiner à loisir les substances (?) dont on leur décrit en cours les propriétés et les caractères ? » [Et de poursuivre] « Dans ces études plus que dans la plupart des autres, il faut voir beaucoup, sans quoi la science, la minéralogie surtout, ne se présente plus que sous l’aspect d’un vocabulaire assez barbare25. »

23Il faut pouvoir voir, il faut aussi pouvoir comparer et pour cela les collections locales ou provinciales sont d’importance. Dans son rapport d’activité fin 1873, Simon Sirodot, doyen de la faculté et professeur de zoologie et de botanique, dans une vision utilitaire – dans le sens ou cet enseignement doit être utile à la société – pose le principe de ce qu’il entend par l’enseignement :

« […] Dans ces sciences, les connaissances réelles, profondes, utiles ne sont acquises que pièces en main dans les laboratoires et les collections. […] L’enseignement éminemment pratique s’appuyant sur des collections locales, voilà le principe26 ! »

24Quelques mois auparavant en mars 1873, dans ce mouvement post-guerre de 1870, les professeurs se saisissaient d’une demande de la municipalité de Rennes relative à un projet d’extension des locaux de la faculté, pour décrire ce que serait, selon eux une bonne collection pour l’enseignement. En histoire naturelle, la nécessité de disposer de collections provinciales y était déjà évoquée comme elle l’était aussi par le professeur Massieu en 1866. C’est que l’enseignement pratique doit avoir une application locale ; il faut connaître les ressources de la Bretagne :

« Les collections locales ou provinciales sont en effet de la première nécessité pour les étudiants qui ne peuvent trouver là que des moyens de déterminer et d’étudier comparativement les échantillons qu’ils recueillent dans leurs excursions27. »

25Quant à la physique et la chimie, à la faculté des sciences de Rennes comme à Paris, l’expérimentation tend à prendre sa place au côté de la démonstration28 et, de fait, l’attention des professeurs est aussi centrée sur la nécessité de disposer, outre de locaux pour le stockage des instruments délicats (le cabinet de chaque professeur), mais aussi d’espaces séparés pour y conduire des expérimentations : une pièce pour les expérimentations qui exigent une grande propreté, une pour celle nécessitant l’emploi d’eau et de foyer, une pour l’optique, une pour les expériences de chimie29, etc. La manipulation commence à avoir une place importante dans la formation, notamment celles des professeurs de lycées et des collèges communaux qui composent une partie des étudiants de la faculté.

26À Rennes comme ailleurs30, aux auditeurs des débuts de la faculté, public de curieux encore présents dans les écrits de Massieu en 1866, a succédé un public d’étudiants. Il ne suffit plus de satisfaire la curiosité, il faut former, et les collections jouent un rôle dans cette formation. Mais outils de formation, elles cristallisent aussi par leur matérialité les enjeux d’images et d’espaces qui traversent la faculté.

Images et espaces, enjeux et conflits autour des collections

27La constitution et l’accroissement de ces collections ne vont pas sans heurts. Ainsi a-t-on déjà évoqué les débats qui ont eu lieu au moment de la répartition des crédits. Objets d’enseignement, les collections, instruments, machines ou animaux naturalisés sont aussi des objets investis d’une valeur symbolique. En témoigne l’esthétique de certaines machines, dont la réalisation est particulièrement ouvragée, ou la finition des meubles destinés à recevoir les collections.

28Le choix des pièces à acquérir est normalement l’une des prérogatives du professeur. Ainsi, au début de la faculté des sciences en 1840, le premier doyen prend ombrage de Pontallié, le préparateur, mais aussi candidat malheureux à la chaire : celui-ci a été chargé par le maire, à la place du professeur, de l’achat des collections d’histoire naturelle31.

29Plus encore que les conflits d’images, la matérialité incontestable des collections et des instruments pose des soucis d’espace. La question des locaux est ainsi une question récurrente dans les sujets de préoccupation des professeurs. Dès l’origine de la faculté en 1840, la municipalité, soucieuse de faire de la ville un centre d’enseignement, a pourvu aux dépenses pour en établir l’hébergement et l’équipement en mobilier. D’abord logée au présidial, actuel hôtel de ville, la faculté des sciences déménage en 1855 au Palais universitaire, bâtiment spécifiquement construit pour cette fin. Ce bâtiment fut longtemps commun aux facultés de sciences de lettres, de droit, à l’école de médecine, aux musées municipaux et aux bureaux de l’académie, une longue cohabitation, non dépourvue de conflits d’usages ; entre la faculté et le musée, d’une part ; ce qui fait dire en 1873, à l’assemblée des professeurs que :

[La] « faculté ne désire pas […] avoir à sa disposition de véritables musées susceptibles d’accueillir le public incompétent mais seulement de véritables collections d’études32. »

30Elle désire en outre voir des nouveaux locaux attribués pour les musées afin de récupérer de l’espace. Le musée n’est pas le seul acteur en jeu. Un conflit voit également le jour entre les différentes facultés. En 1874, le déménagement des musées n’est pas d’actualité, la faculté des sciences toujours à l’étroit souhaite disposer un meuble pour les collections de minéralogie dans le couloir qui sépare la faculté de lettres et la faculté de droit avec lesquelles elle partage le bâtiment. Les professeurs de la faculté de droit protestent vivement contre cet empiétement33.

31Quelques aménagements sont réalisés en 1876, puis à la fin du xix^e siècle, la construction d’une nouvelle faculté des sciences est entreprise. La municipalité, le département et l’État apportent leur concours. Mais, dès sa mise en service autour de 1895, le bâtiment se révèle trop petit en raison, notamment de la réforme des études de médecine créant le certificat PCN, et entraînant une augmentation des effectifs universitaires. Des aménagements sont réalisés, d’autres espaces trouvés pour les chaires qui se créent comme celle en botanique appliquée mentionnée en première partie de ce texte.

32À la veille de la Première Guerre mondiale, la faculté des sciences est relativement bien dotée en collections et dispose de bâtiments qui lui sont réservés, bien que déjà insuffisants à peine sortis de terre. Le conflit mondial va inévitablement impacter son activité, notamment avec la réquisition de bâtiments pour servir d’hôpital, mais les projets reprennent à la sortie de la guerre suivant en cela la trajectoire du développement de l’enseignement des sciences dans le supérieur en France.

33Objets d’enseignement des sciences au xix^e siècle, profondément descriptives, comparatives et démonstratives, objets symboles du prestige grandissant des professeurs, élite intellectuelle, notables investis dans la vie de la cité, les collections de l’enseignement supérieur, dont celles de la faculté des sciences de Rennes donnent un exemple, traduisent dans le monde matériel l’attention sociale, sociétale et politique portée sur les sciences en général et sur leur enseignement en particulier, tout au long du xix^e siècle et au début du xx^e siècle. Les archives universitaires permettent de documenter leur constitution.

34Au soutien local, bien que limité de la municipalité rennaise aux débuts de la faculté, viennent s’ajouter après 1870 et avec l’avènement de la III^e République, les subsides de l’État qui entend bien doter la nation d’un enseignement supérieur équivalent aux autres pays européens, au premier rang duquel l’Allemagne. Un enseignement que l’État souhaite pratique et appliqué. Mais cette mise en pratique nécessite de plus en plus de matériel, d’autant que les effectifs des étudiants, s’ils restent sans commune mesure avec les effectifs actuels, commencent à augmenter avec les réformes successives du système éducatif.

35On assiste également à une diversification des modes d’acquisition. Aux collections initiales constituées d’achats ponctuels, de collectes et de dessins personnels des professeurs, viennent s’ajouter – avec le développement des produits manufacturés et la structuration d’un marché de fournisseurs du matériel de l’enseignement – des productions en série comme des modèles anatomiques ou de botanique, issus de fabriques spécialisées.

36Cette diversification s’accompagne d’un accroissement volumique posant de sérieux problèmes d’espaces déjà présents au premier temps de la faculté, mais qui s’exacerbent, non sans créer des conflits d’usage. Au début du xx^e siècle, la faculté des sciences est loin d’être un espace vide. Sans doute, une analyse plus détaillée des archives universitaires pourrait permettre de donner une image plus fine de ces laboratoires, lieux où les savoirs s’enseignent, mais aussi où ils s’élaborent et où l’activité de recherche tend à prendre une place de plus en plus importante.