1La Bibliothèque Diderot de Lyon (BDL), bibliothèque essentiellement orientée vers les lettres et sciences humaines, conserve une collection d’environ 92 000 manuels scolaires de toutes les disciplines – 92 188 recensés au catalogue à l’été 2021 –, essentiellement du primaire et du secondaire (fig. 1). Il s’agit d’un fonds documentaire dont elle a hérité, après de multiples péripéties institutionnelles, du Musée pédagogique créé en 1879 à Paris par Ferdinand Buisson.

Fig. 1. - Étagères : un rayonnage de manuels scolaires en magasin.

2Parmi ces manuels figurent en bonne place des manuels de toutes les disciplines scientifiques : géométrie, arithmétique, calcul, dessin linéaire, mécanique, physique, sciences naturelles, biologie, Sciences et vie de la Terre (SVT), etc. (fig. 2). On trouve également des manuels ayant servi dans l’enseignement technique, comme des manuels de dessin industriel.

Fig. 2. - Manuels sciences : quelques manuels scolaires scientifiques.

Une collecte des manuels sans biais disciplinaire

Une exigence du décret de fondation

3La collecte des manuels scolaires débute dès la création du Musée : elle est exigée par le décret de fondation du 13 mai 1879 qui stipule que la bibliothèque liée à cette institution doit contenir « des livres de classe provenant de France et de l’étranger ». Ferdinand Buisson et les fondateurs du Musée avaient pressenti d’emblée toute l’importance de ce type d’ouvrages. Cette collecte avait deux visées dès les origines :

• une visée historique et patrimoniale : il fallait garder trace de ce qui s’était fait autrefois en matière d’enseignement – y compris scientifique ;
• une visée d’information très contemporaine : il s’agissait de collecter ce qui se faisait de mieux au niveau pédagogique et scientifique ; tout instituteur qui venait à la bibliothèque du Musée devait pouvoir y trouver les manuels en usage ou publiés de son temps.

4Se procurer tous les manuels scolaires (ou tenter de le faire, car l’exhaustivité en la matière ne peut être qu’une illusion) entraîne par conséquent la constitution d’une collection sans biais disciplinaire a priori : toutes les matières sont concernées à partir du moment où elles sont enseignées.

5Les ministres successifs de l’Instruction publique incitent également les éditeurs scolaires à donner systématiquement au Musée pédagogique les ouvrages qu’ils publient, et une politique d’échange d’ouvrages est mise en place avec divers musées pédagogiques étrangers.

Le soutien du dépôt légal

6En 1916, Lucien Herr, directeur de la bibliothèque de l’École normale supérieure, devient également directeur du Musée : il y restera dix ans jusqu’à sa mort en 1926 (fig. 3). Pour soutenir et assurer l’accroissement de la collection, il milite pour que le deuxième exemplaire du dépôt légal soit attribué au Musée : la loi du 19 novembre 1925 (notamment son article 14) puis l’arrêté du 15 janvier 1926 instituent la Bibliothèque centrale de l’Instruction publique (la bibliothèque du Musée) comme dépositaire du deuxième exemplaire du dépôt légal des manuels scolaires de l’enseignement primaire.

Fig. 3. - Lucien Herr : buste de Lucien Herr conservé à la bibliothèque.

7Quelques jours avant sa mort, Lucien Herr obtient de la bibliothèque Sainte-Geneviève que celle-ci reverse à la bibliothèque du Musée les manuels scolaires de l’enseignement secondaire qui lui étaient réglementairement attribués ; au terme de l’accord, seuls les manuels universitaires resteront attribués à la bibliothèque Sainte-Geneviève.

8Durant un siècle, cette collecte va connaître des périodes fastes et des moments plus difficiles, liés à la vie mouvementée de l’institution ainsi qu’aux différentes réformes du dépôt légal. Le dépôt des exemplaires se faisant un temps entièrement à la BnF, la bibliothèque obtient par convention avec cet établissement que lui soit reversé le deuxième exemplaire. En décembre 2014, ce dispositif, qui avait permis un accroissement continu et régulier de la collection de manuels, prend subitement fin.

Une collecte qui se poursuit

9Depuis 2015, une collecte active auprès des éditeurs a été mise en place afin d’obtenir gracieusement les manuels qui paraissent ; le succès est cependant assez inégal selon les éditeurs contactés. La collection s’accroît donc aujourd’hui par différents types de dons : les dons de particuliers bien sûr, mais aussi les dons d’institutions de conservation – comme les bibliothèques ou les musées –, ou les dons issus des instituts de formation des enseignants – les INSPE, notamment celui de Paris. Tout dernièrement, la maison d’édition Belin a fait un don très important à la bibliothèque (plus de 6 000 ouvrages), comprenant de très nombreux manuels scolaires. L’origine variée de tous ces dons fait que toutes les disciplines, scientifiques ou littéraires, sont toujours bien représentées. Une réflexion est en cours pour asseoir plus solidement encore l’enrichissement continu de la collection.

La création de la collection de manuels scolaires : un véritable atout

10Si la bibliothèque du Musée pédagogique a d’emblée collecté les manuels scolaires, elle ne les a pas pour autant tout de suite conservés dans une collection spécifique : les manuels étaient intégrés dans les fonds courants au fur et à mesure de leur entrée à la bibliothèque.

Un premier travail de définitions théorique et pratique

11La présence dans les collections du Musée de très nombreux manuels scolaires a permis d’importants travaux de recherche sur ce type de documents, travaux menés notamment par le Service d’histoire de l’éducation, sous la houlette d’Alain Choppin, dans les années 1980 ; l’un des résultats de ces recherches est la création de la base de données « Emmanuelle », au début des années 1980, qui recense l’ensemble des éditions des manuels scolaires connues, indépendamment d’un quelconque lieu de conservation.

12Un important travail intellectuel de définition des manuels scolaires, de leurs spécificités (séparation manuels/parascolaire) se met en place. Il s’agit pour les chercheurs d’affiner la définition théorique des manuels scolaires, afin d’étudier leurs usages, leurs impacts, leur idéologie, etc. Parallèlement à ces travaux de recherche et s’appuyant sur eux, les bibliothécaires mettent en place des définitions opérationnelles et pratiques facilitant le tri et la sélection de ce type d’ouvrages ; des spécificités de catalogage pertinentes pour ces livres sont affinées. La création de la collection de manuels scolaires accompagne et enrichit l’ensemble de cette réflexion. L’essentiel des notions et procédures mises en place lors de ces grands chantiers guide encore aujourd’hui le travail à la bibliothèque.

La mise en place physique d’une collection de conservation

13La création systématique de la collection de manuels a débuté à Paris et a été systématisée après l’installation à Lyon en 2003 :

• tous les manuels sont installés dans un même magasin et bénéficient d’une cote spécifique (lettrage MS suivi d’un nombre), ce qui facilite le rangement, les statistiques sur la collection, la confection de listes pour les chercheurs (fig. 4).

Fig. 4. - Cotes : quelques manuels cotés en MS.

• tout manuel, quel que soit son mode d’entrée à la bibliothèque, vient systématiquement enrichir cette collection. Parallèlement, un important chantier de recherche et d’extraction dans les fonds courants de la bibliothèque est mené : les manuels scolaires dispersés parmi d’autres livres en magasin sont repérés, extraits, catalogués et réinstallés dans la nouvelle collection ; l’ensemble du personnel, en particulier entre 2003 et 2012, a participé à ce grand chantier collectif, ce qui a créé au sein de l’établissement une véritable culture commune autour des manuels ;
• enfin, la collection de manuels scolaires est patrimonialisée : elle devient une collection de conservation, y compris pour les manuels les plus récents. Par mesure de protection, les manuels, quelle que soit leur date de publication, ne sont pas empruntables ; ils ne peuvent faire l’objet de prêts entre bibliothèques, ne peuvent être consultés qu’en salle Patrimoine et ne peuvent être photocopiés.

Une collection prioritaire dans un contexte contraint

14Bien identifier la collection de manuels scolaires a permis notamment d’y travailler de façon prioritaire : les manuels scolaires, à la différence d’autres collections patrimoniales, sont entièrement catalogués dans le SUDOC (Système Universitaire de Documentation), avec très peu de retard par rapport à leur entrée dans l’institution ; ils font l’objet d’un soin tout particulier dans la description bibliographique (fig. 5).

Fig. 5. - Notice détaillée : notice détaillée récente d’un manuel d’arithmétique.

15Des campagnes de reliure ou de dépoussiérage ont également porté en priorité sur ces ouvrages.

Une assez forte visibilité

16La forte identité de cette collection, bien définie et homogène, entraîne une meilleure visibilité. Elle est par exemple bien identifiée par les collègues des bibliothèques universitaires françaises qui peuvent ainsi réorienter vers la Bibliothèque Diderot de Lyon des étudiants travaillant à partir des manuels comme sources ; de nombreuses propositions de dons, qui arrivent d’abord dans d’autres bibliothèques, sont réorientées immédiatement vers Lyon. Les manuels étant bien catalogués, il est plus facile également de mettre à disposition des lecteurs des listes de titres, de renseigner des enseignants-chercheurs, de proposer un large panel d’ouvrages aux étudiants.

Quelques limites cependant

17Si la collection mise en place à la bibliothèque est bien une collection de conservation, un certain nombre de manuels sont cependant en mauvais état : l’acidité de leur papier les rend intrinsèquement fragiles et bien souvent impossibles à relier. Certains choix de reliure, faits aux époques où celle-ci était plus invasive qu’aujourd’hui, compromettent par ailleurs définitivement toute recherche sur la matérialité de l’ouvrage : la couverture initiale des manuels par exemple a été supprimée pour des plats plus modernes et plus solides.

18La collection physique n’est pas organisée par discipline : il est donc impossible de montrer à un chercheur l’ensemble des manuels de calcul par exemple, ou l’ensemble des manuels de sciences physiques qui sont conservés, demande qui est faite assez souvent. Seul le catalogue permet l’accès aux différentes matières, avec toutes les restrictions que cela implique.

19Le catalogage des manuels, s’il a très peu de retard, n’échappe pas aux aléas de toute bibliothèque : il comprend des notices de toutes époques, plus ou moins précises dans l’indexation, ce qui rend parfois la confection de listes thématiques complexes. D’autant que certaines disciplines ont plusieurs fois changé de dénomination : histoire naturelle, sciences naturelles, sciences de la vie et de la Terre, biologie par exemple ; les sciences physiques sont difficiles à isoler de la géographie physique ou de l’éducation physique… Le catalogue public mis à disposition des lecteurs ne leur permet pas de faire eux-mêmes facilement ce type d’extractions.

20En ce qui concerne les manuels scientifiques, un outil précieux comme la base de données « Emmanuelle » a commencé par recenser les éditions de manuels des disciplines littéraires : les manuels scientifiques ont été laissés de côté et n’ont finalement jamais été recensés, puisque la base n’a plus été mise à jour depuis le début des années 2000 ; ne remontent ainsi que trois titres pour la géométrie, vingt-huit pour l’arithmétique ou vingt et un pour le calcul (fig. 6).

Fig. 6. - « Emmanuelle » : les 21 notices de la base « Emmanuelle » répondant au terme de recherche « calcul ».

21Malgré cela, force est de constater que tous ces efforts ont porté leurs fruits : la collection de manuels scolaires est la collection patrimoniale la plus consultée de la bibliothèque.

Quelques exemples de mises en valeur des manuels scientifiques

22Les mises en valeur des manuels scientifiques à la bibliothèque sont assez classiques, mais elles sont nombreuses.

Le périmètre de recherche « manuels scolaires »

23Dans le catalogue de la bibliothèque – qui recense plus de 1,2 million de documents –, un sous-ensemble « Manuels scolaires » a été créé en 2015 pour permettre de restreindre la recherche à la seule collection évoquée précédemment. Le lecteur peut ainsi isoler les manuels de sciences des autres ouvrages scientifiques.

Des services aux lecteurs « à la carte »

24Les services offerts aux chercheurs sont toujours personnalisés. Il s’agit en général de demandes de listes sur des manuels d’une discipline et sur une période donnée : la dernière demande scientifique en date portait sur les manuels traitant de l’enseignement de la thermodynamique depuis 1850. La difficulté est alors de bien trouver les termes qui permettent d’obtenir le plus de réponses pertinentes ; dans les disciplines scientifiques – qui sont souvent moins familières aux bibliothécaires –, le dialogue avec les chercheurs ou les étudiants est essentiel. Parfois, ce sont des demandes plus ponctuelles et plus ciblées : des illustrations pour un article sur la botanique, des scans de quelques pages dans un chapitre sur la trigonométrie.

L’intégration dans des projets de numérisation généraux ou spécifiques

25Les manuels scientifiques sont intégrés dans plusieurs projets de numérisation, dont certains leur sont spécifiques. En 2012 a commencé une campagne de numérisation de manuels scolaires en partenariat avec Gallica ; toutes les disciplines étaient au départ concernées, mais dès 2013, devant le côté hétéroclite de ces numérisations et en concertation avec les enseignants-chercheurs du Service d’histoire de l’éducation, un recentrage sur les manuels d’histoire, de géographie et d’histoire sainte a été effectué. C’est pour cette raison que dans la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Diderot de Lyon, on ne trouve actuellement que 16 manuels de mathématiques et 21 manuels de sciences. Un autre projet est en cours avec la Bibliothèque nationale de France et Gallica : créer une rubrique éditorialisée, « Les Essentiels de l’éducation », dans laquelle se trouvera un ensemble intitulé « Le cartable de l’écolier » qui comportera des manuels scolaires numérisés, y compris de sciences (fig. 7).

Fig. 7. - Gallica : des manuels de mathématiques de la BDL présents dans Gallica.

26À la Bibliothèque Diderot de Lyon, tous les documents antérieurs à 1880 peuvent faire l’objet d’une numérisation à la demande par les lecteurs ; la demande se fait très facilement via la notice du catalogue. Le document est numérisé, envoyé au lecteur et intégré à la bibliothèque numérique de l’établissement. Sur 252 numérisations effectuées entre 2012 et 2020, seules six en revanche concernent des manuels scolaires scientifiques.

27Actuellement, un projet plus spécifiquement ciblé sur les manuels de sciences est en cours d’achèvement : il s’agit de la numérisation des couvertures, pages de titre, sommaires et pages liminaires des manuels de mathématiques – entendus au sens large : géométrie, calcul, arithmétique, etc. Ces numérisations accompagnent un projet de recherche sur le patrimoine des mathématiques. Elles sont accessibles à tous, dès la notice du catalogue de la bibliothèque ou du SUDOC ; tout lecteur qui cherche un titre de manuel de mathématique trouve en regard les pages numérisées si ce titre a fait partie du programme de numérisation. L’ensemble des numérisations peut être obtenu dans le catalogue de la Bibliothèque Diderot de Lyon grâce à un tag (fig. 8).

Fig. 8. - Sommaires : visualisation à partir du catalogue de la page de titre numérisée d’un manuel d’arithmétique commerciale.

Des manuels souvent exposés

28Régulièrement, les manuels scolaires, y compris de sciences, permettent d’illustrer les propos d’une exposition ou d’une présentation de documents au public. Ce fut le cas par exemple lors de l’exposition « Astronomie entre rêve et calcul, de Galilée à l’exploration spatiale » en 2018. Les expositions centrées sur les sciences sont en revanche moins nombreuses dans une bibliothèque de lettres qu’elles le seraient dans un établissement scientifique. Chaque année depuis 2014, une participation régulière aux Journées européennes du Patrimoine, en lien avec le département de biologie de l’École normale supérieure de Lyon, permet d’illustrer différents thèmes (l’anatomie, les insectes, le squelette, etc.) par un certain nombre de manuels scolaires de sciences naturelles.

Les limites de ces mises en valeur

29Ces mises en valeur nombreuses souffrent pourtant de quelques problèmes, parfois structurels, parfois de visibilité. Parmi les problèmes structurels, on peut évoquer le fait que cette collection de manuels est conservée dans une bibliothèque essentiellement orientée vers la documentation en lettres et sciences humaines, surtout fréquentée par des enseignants et chercheurs de ces disciplines. La formation des bibliothécaires elle-même est plus souvent littéraire que scientifique : tables de livres, interventions, discussions informelles ont davantage lieu dans le domaine des lettres que dans celui des sciences.

30Les historiens des sciences amenés à travailler sur les manuels scolaires ne sont pas très nombreux et n’envoient pas en bibliothèque d’importantes cohortes d’étudiants : à la bibliothèque, les manuels de lecture, de morale ou d’histoire sont bien plus demandés en consultation que les manuels scientifiques.

31Le SUDOC, qui répertorie la documentation des bibliothèques universitaires françaises, n’a pas de périmètre de recherche spécifique aux manuels scolaires : ceux-ci sont plus difficiles à isoler et à repérer dans l’ensemble de la documentation scientifique proposée au catalogue. Or le SUDOC est l’outil le plus utilisé par les chercheurs et étudiants.

32Dans le répertoire national des fonds documentaires des bibliothèques françaises, la collection de manuels de la bibliothèque, la deuxième de France après celle de la Bibliothèque nationale de France, apparaît à la 29^e place si d’aventure un lecteur cherche à savoir où sont conservés des manuels scolaires en France en cherchant par les termes « manuels scolaires ».

33Pour conclure, la collection de manuels scolaires scientifiques à la Bibliothèque Diderot de Lyon est unique en France. Elle est importante en nombre, variée, et couvre un grand nombre de disciplines scientifiques. Un certain nombre de mises en valeur sont en cours, mais le potentiel que représente la collection pourrait être encore davantage exploité, notamment en sciences. Espérons que la politique de communication active initiée ces derniers temps amènera dans les années qui viennent la multiplication des projets autour des manuels de science !