1Rintintin, Baloo, Winnie l’ourson, Babar, Mickey, Donald, Belle (et Sébastien), Stueball, Milou, Jolly Jumper, Félix le chat, la Panthère rose, Teddy Bear, le premier ours en peluche, ou Nounours et Pimprenelle, Saturnin le canard, Dagobert le chien du Club des cinq…, arrêtons là la liste des animaux qui ont fait rêver bien des enfants et parfois même aussi des adultes. Animaux divers qui apparaissent comme héros ou personnages importants de nombreux récits édités sur des supports variés : livres, films, émissions télévisées, jouets…

2Certains animaux inquiètent aussi : la Bête du Gévaudan, Dolly la brebis clonée, araignées et serpents… Certaines bêtes sont donc des « animaux célèbres1 » ainsi que l’étudie le médiéviste Michel Pastoureau, auteur de plusieurs livres sur les animaux : Les animaux célèbres2, L’ours. Histoire d’un roi déchu3 ou Le cochon, histoire d’un cousin mal aimé4 notamment.

3Notre article interroge les discours culturels sur les animaux publiés dans la presse écrite généraliste contemporaine française. Notre approche est celle des sciences de l’information et de la communication, et nos analyses portent notamment autour d’une série d’articles consacrés aux animaux de personnalités publiée dans Le Monde à l’été 2015, ainsi que sur d’autres articles issus de la presse généraliste contemporaine française. À travers ce recueil d’articles issus de la presse écrite, nous interrogerons le rapport construit par les journalistes autour d’artistes connus et de stars avec leurs animaux, ainsi que la dimension de stars que pourraient acquérir certaines bêtes. Pourquoi les médias s’intéressent-ils aux animaux et si c’est le cas, sous quelle forme le font-ils ? Nous verrons successivement des animaux bien-aimés, puis des mal-aimés, qui inquiètent, pris comme emblème, avant d’interroger le cas du cochon, ambivalent dans l’imaginaire collectif. Notre dernière partie abordera la floraison de publications autour des animaux avant de terminer sur la question du statut et des droits des animaux.

Des animaux bien-aimés

4Les animaux sont omniprésents, y compris les animaux domestiques, mais il semble y avoir l’émergence d’un discours, notamment journalistique, qui se développe de manière contemporaine. Observons à l’aide d’exemples représentatifs, une certaine tendance de la presse généraliste contemporaine à parler d’animaux, sous une forme de « célébrité ». Le Monde propose à l’été 2015, une série de six articles joliment intitulée « Muses à museau5 ». Bizarrement, aucun d’eux n’est illustré de photographies, alors qu’il pourrait y avoir, si ce n’est un bestiaire, du moins un visuel des animaux en question. Peut-être est-ce dû à l’emplacement en bas de page (alors qu’en haut de page le feuilleton estival est illustré), ou parce que les bêtes sont considérées comme moins importantes que les hommes, ou encore en raison de droits à l’image. Nous reviendrons d’ailleurs plus loin sur cette question des droits.

Kazbek, le lévrier afghan de Picasso

5Le premier article de la série « Muse à museau » du Monde trace le portrait du lévrier afghan de Picasso. L’accroche explique le comportement du lévrier afghan, qui serait « volontiers dominateur, un brin susceptible et peu démonstratif6 ». Le journaliste et universitaire, Philippe Dagen, s’interroge alors sur le fait que ces caractéristiques, proches de celle de Picasso, contribuent – peut-être – à expliquer son engouement pour cet animal dans les années 1930. La bête, appelée Kazbek, est un « long et dégingandé lévrier afghan à la tête étroite, robe claire, aux poils soyeux et pattes grêles7 », et « apparaît sur de nombreuses photographies, dont celle prise par Man Ray à l’été 1937, à Golfe-Juan8 ». Posséder un chien extraordinaire, permet de façonner son image d’artiste original. L’article se poursuit :

« Il le laissait si libre que Kazbek figure sur une des photos les plus célèbres du xx^e siècle, celle de la répétition dans l’atelier des Grands-Augustins de la pièce de Picasso Le Désir attrapé par la queue, le 16 juin 1944 [du photographe Brassaï]. Il est au centre, entouré – on n’invente rien – de Jean-Paul Sartre, Albert Camus et Michel Leiris. […] Quel chien pourrait se prévaloir de relations philosophiques aussi brillantes9 ? »

6L’article, plaisant à lire, adopte un point de vue ironique en plaçant la bête en situation sociale mondaine, comme un être humain, ou comme son propriétaire Picasso.

La guenon de Michel Simon

7Michel Simon, à l’instar de Léo Ferré semble tenir les chimpanzés en haute estime. La guenon de Michel Simon, nommée Zaza, est, dit-il :

« “Une compagne merveilleuse”, mais “féroce et jalouse”, laquelle se laisse dépérir après un an d’idylle sans nuages au cours d’une absence professionnelle de son maître10. »

8Au-delà de l’affection que le comédien a pour la bête, le choix d’une guenon marque son désir de se démarquer des autres. Par ailleurs, Michel Simon en profite, explique l’article, pour s’inspirer de la bête dans ses personnages :

« Pour exacerber cette typologie peu flatteuse, où la veulerie côtoie la monstruosité, Simon aime à accentuer sa laideur, se rabaisser, se rendre peu ou prou indigne du genre humain. Gestuelle de grand singe, voix chevrotante, mise délabrée, système pileux chaotique : rien n’est laissé au hasard. Il y a, en un mot, une animalité dûment travaillée de Michel Simon, qui est là pour épouvanter le bourgeois, sans doute, mais plus encore pour créer un radical effet d’étrangeté avec le genre humain en général11. »

9Notons un certain mimétisme entre l’homme et l’animal, l’acteur se servant des caractéristiques animales pour provoquer ses congénères humains.

Horizonte, le cheval « de cristal » de Bartabas

10Les chevaux et le cirque sont souvent indissociables. Dans le cas présent, ce qui nous intéresse ici est, non pas l’ensemble des bêtes, mais un cheval en particulier.

« Horizonte12 revient de Rome après une série de représentations à l’Opéra, du 23 au 27 juillet. Deux jours de bateau jusqu’à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), puis en camion pour Paris. “Il est en pleine forme”, assure Bartabas en observant son cheval aux mains du maréchal-ferrant13. »

11Le lecteur apprend que le cheval est vieux, 27 ans (30 ans est un âge quasiment maximal), qu’il pèse 400 kg. C’est « une rareté. Du cristal, selon son maître14 ». L’article poursuit ses explications :

« Vrai professionnel de la scène, Horizonte n’est pas pour autant “le favori” de son cavalier, qui possède par ailleurs une quarantaine de chevaux, mais il occupe une place unique. »

12Bartabas le compare à des êtres humains : papi, vieux danseur étoile, moine zen, ou maître de yoga15. Ces animaux de compagnie permettent de jouer avec l’image publique de leur propriétaire. Il s’agit aussi de bêtes qui suscitent un fort attachement.

Des animaux mal aimés

13La série « Muse à museau » du Monde présente donc des bêtes bien aimées de leur propriétaire lors de ces trois premiers articles, mais elle propose aussi des animaux plus mal aimés ou plus ambivalents, comme nous le verrons ci-après.

Les pitbulls, mygales et scorpions du « Jaguar » JoeyStarr

« JoeyStarr et les animaux c’est une longue histoire. […] Il ne cache pas sa fascination pour les bêtes dangereuses et mal-aimées, comme lui16. »

14Le lecteur apprend que le premier animal de compagnie de la vedette est un lapin que le père du comédien oblige à manger, que JoeyStarr a plusieurs chiens, dont un pitbull, un singe magot et qu’il est passé plusieurs fois devant un tribunal pour ses bêtes (non stérilisée pour l’une, détention de chien d’attaque interdite pour les condamnés…).

« Son jeune frère l’initie à la terrariophilie. JoeyStarr opte pour des petits scorpions, son signe astrologique, […] puis une mygale, une matoutou, deux caméléons géants qu’il nourrit de criquets et de blattes. Mais le plus venimeux est une scolopendre. Carnassier, cette sorte de mille-pattes se nourrit de chair morte. Joeystarr lui donne des souris qu’il appelle “burgers”17. »

15Indiquer une prédilection pour des animaux inquiétants et dangereux permet à l’acteur de se démarquer des autres comédiens. Le comédien cultive donc une image ambiguë, souhaitant à la fois être sympathique, mais aussi inquiétant, à l’instar des bêtes venimeuses et peu réputées pour être des animaux domestiques de compagnie.

Les serpents du chanteur de hard rock Alice Cooper

16Le chanteur de hard rock a fait des serpents :

[son] « gimmick, une image de marque indissociable de l’artiste, selon Jean-Charles Desgroux. Il s’affiche en fond de pochette de disque avec des serpents18. »

17Là encore, un artiste fait un choix extraordinaire d’animaux lui tenant compagnie, avec des serpents, bêtes inquiétantes et parfois mortelles. Il s’agit pour lui de se donner une image « effrayante », liée probablement au style de musique (le hard rock), mais aussi au choix de se démarquer des autres célébrités, comme une personne qui ne craint pas d’affronter et de vivre avec des bêtes dangereuses.

« Aujourd’hui, [précise l’article] le serpent du Coop fait moins peur et provoque l’euphorie. Il est l’artifice attendu à chaque concert, l’un des symboles du folklore Alice Cooper, avec les araignées géantes et la guillotine, les poupées démembrées et la camisole de force. Eva Marie Snake, Angel, Mistress ou encore Lady Macbeth19 louées pour les besoins des tournées, ont remplacé Kachina et Yvonne. Peu importe le nom, seule l’incarnation compte. Affublée de son boa de chair, Alice Cooper traverse les époques et les genres, dans une mue perpétuelle.20 »

18L’article insiste bien sur le choix du serpent comme animal qui mue, ainsi que souhaite apparaître le chanteur. C’est donc bien, là encore, un choix d’identification avec les caractéristiques de la bête qui est opéré.

19Anthropomorphisme, identification, choix d’une bête extraordinaire pour façonner son image, les célébrités possèdent des animaux, domestiques ou non, et les associent à l’image qu’ils veulent se donner, assimilant les caractéristiques des bêtes, comme proches des leurs. L’animal de « compagnie21 » possédé permet donc d’ajouter un élément pour faire parler de soi et construire son image. En filigrane, ce sont des humains que la presse parle.

Une bête à la fois mal et bien-aimée : le cochon

20Le cochon est une bête domestique dont l’image est ambivalente. À la fois bien-aimé par les uns ou mal-aimé par les autres, il peut être à la fois indispensable, nourricier, proche de l’homme mais aussi détesté pour son image de goinfrerie, de saleté.

Un cochon dont la presse parle

21Le cochon, animal, devenu mythique, est parfois mal aimé.

« Pourtant, le cochon vaut infiniment mieux que le produit de boucherie qu’il est devenu. Depuis sa domestication, il y a environ dix mille ans, il a toujours occupé une place de choix dans l’imaginaire de la civilisation occidentale. Un rôle ambivalent, comme si, dans la longue histoire du compagnonnage entre les hommes et les porcs, le cochon incarnait à la fois le meilleur ami du paysan, l’invité des tables de fêtes, mais aussi la saleté, la gourmandise, l’impureté, voire le vice22. »

22La journaliste Anne Chemin cite également le livre et les propos de Michel Pastoureau, qui explique que le cochon suscite « attrait et rejet23 ». Le cochon, notamment en Occident, peut aussi être une bête bien-aimée, et symbolisée comme un animal malin, vif, et plein d’entrain, par l’imaginaire culturel. Michel Pastoureau souligne d’ailleurs le lien entre les enfants et les cochons, souvent :

« Mis en valeur par les contes et la littérature orale. Plus récemment, il a donné naissance à une vedette du bestiaire du livre le gentil petit cochon24. »

23L’auteur explique plus loin :

« Le cochon pour enfants fonctionne comme un emblème, un archétype […] plus un animal joue un rôle important dans l’imaginaire, plus il est chargé d’une dimension affective, onirique ou idéologique, moins il ressemble à ce qu’il est dans son existence réelle25. »

Les cochons de Bodil Joensen 

24Revenons au dernier article de la série « Muse à museau » du Monde. Il concerne l’actrice danoise Bodil Joensen, morte en 1985, qui aimait les animaux, mais avait été accusée de « maltraitance » envers ses cochons :

« Elle qui n’aimait qu’eux. Aujourd’hui encore, elle reste l’icône mystérieuse et à jamais indestructible des zoophiles de tous pays. […] En France, la zoophilie est bannie depuis 2004. Au Danemark, elle a été finalement interdite le 21 avril de [année 2015]26. »
« Sur les rares images non pornographiques que l’on peut encore voir de Bodil Joensen […], on sent chez cette jolie fille au sourire mélancolique », [l’impression que] « cette enfant perdue ne voulait plus du monde des hommes27. »

25Zoophilie, image sulfureuse de l’actrice, avec le paradoxe d’une personne qui probablement aime ses bêtes comme des êtres humains. Le cochon est une bête qui n’agit plus seulement comme un emblème ou un élément de l’image de son propriétaire, mais suscite un rapport fort et ambivalent, d’amour ou de haine.

Des animaux stars ?

26Après avoir interrogé des stars possédant des animaux, dont ils se flattent, utilisant ces bêtes comme un emblème, et dans certains cas, notamment le cochon, une forte relation d’amour ou de détestation de l’animal, voyons maintenant s’il est possible de considérer que certains animaux acquièrent un statut de star.

Une floraison de livres ou de textes avec des animaux

27L’après-guerre, et l’écrivain Gorge Orwell, donne un coup de projecteur sur les animaux. Avec La ferme des animaux, Orwell imagine des bêtes qui parlent, et peut ainsi faire une satire du communisme. En effet, les animaux de la ferme de M. Jones prennent le pouvoir et décrètent que « [l’] ennemi est tout Deuxpattes, l’ami tout Quatrepattes ou tout volatile28 » et que « nul animal jamais ne tuera un autre animal. Tous les animaux sont égaux29 ». Il semble d’ailleurs que, même chez les animaux, il y ait loin des déclarations d’intention et des actions.

28Un signe contemporain de cet engouement pour les animaux se traduit par une floraison des livres publiés, mettant à l’honneur des animaux, que ce soit avec les chats, les chiens, les animaux de la ferme… Donnons quelques exemples qui n’ont aucune prétention à l’exhaustivité, mais visent à illustrer cet engouement. Le chat est un animal qui est le héros des livres de l’Américaine Lilian Jackson Braun30, avec ses trente romans mettant en scène le journaliste Jim Qwilleran, qui a adopté deux chats siamois, qui lui révèlent la clé des énigmes. Le chat est aussi l’objet d’une bande dessinée célèbre, Le chat du Rabin de Joann Sfar31, qui donne d’ailleurs lieu à un portrait publié dans Libération32, consécration certaine de l’auteur et du héros animalier. Le chat peut parfois être, non pas le héros, mais un comparse intéressant avec un rôle non négligeable, parfois dans le roman. C’est le cas du début des livres de Donna Leon, qui mettent en scène le commissaire Brunetti33 et son chef le commissaire divisionnaire Patta, qui ne supporte pas le chat heureusement protégé par l’assistante surdouée en informatique, la signorina Elettra. Chat qui va disparaître au fil de la série, et n’apparaît pas dans les épisodes télévisés adaptés des romans.

29Le chat, nommé la Boule, est également un personnage important du commissariat d’Adamsberg, des « rompol34 » de Fred Vargas. Il est notamment l’auxiliaire qui permet de localiser le lieutenant Retancourt, kidnappée, avec un savoureux et fort drôle récit de la filature du chat utilisé par les policiers pour son flair35. Comme l’explique le commissaire Adamsberg :

« La Boule est un animal. Avec des narines, des antennes, un cerveau gros comme un abricot et la mémoire de cent mille odeurs.36 »

30Le chien peut aussi être le héros du livre37. Citons à ce propos En attendant Doggo de Mark Mills38, livre qui raconte une histoire « so bristish », un roman « feel-good », comme les nomment les Anglo-Saxons, c’est-à-dire un livre qui met de bonne humeur. Le résumé est le suivant : un publicitaire voit sa vie modifiée par l’adoption d’un chien, nommé Doggo (pour le jeu de mots). Malgré une méfiance réciproque entre l’homme et l’animal, le chien va susciter un capital sympathie qui bouleversera la vie de son maître.

31Des animaux de la ferme sont aussi les héros du livre Oh la vache ! de David Duchovny, roman contemporain, librement inspiré de La ferme des animaux d’Orwell. Le propos, sans se prendre au sérieux, raconte l’histoire d’une jeune vache, flanquée d’un cochon et d’un dindon, qui consciente de finir en nourriture pour les hommes, décide de s’enfuir dans un pays plus accueillant aux bêtes.

32Enfin, citons un excellent livre remettant l’ours à l’honneur39. L’ours est un écrivain comme les autres de William Kotzwinkle40 est un livre très drôle et fort bien documenté sur le milieu littéraire. L’argumentaire du livre explique qu’un ours vole un manuscrit littéraire écrit par un universitaire qui l’a caché dans un bois. L’ours devient ainsi un écrivain célèbre (ce qui lui permet d’accéder facilement à une profusion de sucreries et d’avantages). Les éditeurs se battent pour éditer cet auteur si singulier, certes bourru et imprévisible, mais tellement charismatique. Devenu la coqueluche du monde des lettres sous le nom de Dan Flakes, l’ours caracole en tête des listes des meilleures ventes.

33Les animaux permettent ainsi de dire parfois beaucoup plus sur les humains et leurs travers, ainsi que le pratiquait déjà Jean de La Fontaine en son temps avec ses Fables. Dans ce registre de textes consacrés aux animaux qui permettent de parler des humains, citons encore Le discours aux animaux de Valère Novarina. Ce denier est adapté par André Marcon qui le reprend au théâtre, trente ans après l’avoir créé :

« C’est son texte, il fait corps avec lui, et il est magnifique dans ce monologue fameux, drôle et furieux qu’il donne aux Bouffes du Nord, là même où il fut créé41. »

34Lisons un extrait de la poésie de Novarina pour se laisser séduire par les sonorités, lui qui implore les « animaux, animaux42 » :

« Animaux museliers, animaux, musicières inarticulées, rusicières sans sons, venez nous arracher le reste de nos oreilles restantes ! Nous entendrons enfin garçons, l’air qui sonne dans l’air où nous trouverons le seul trou par où des bêtes qui viennent pourront entendre parler43. »

Droits d’auteur des animaux ?

35Ces différentes publications culturelles concernant les animaux réels ou symboliques permettent donc de parler des humains, mais aussi d’aborder la question du statut des animaux. Intervient alors une idée nouvelle de pouvoir donner des droits d’auteur à des animaux, ce qui reviendrait à leur attribuer un statut presque égal à celui de l’homme. Ainsi, le chapeau d’un article de Catherine Vincent du Monde explique-t-il :

« Les selfies du macaque [indonésien] Naruto ont fait le tour du web, mais aussi les choux gras de la chronique judiciaire : une ONG a demandé que lui soient versés des droits d’auteur. Quel statut accorder aux animaux artistes ?44 »

36L’article indique plus loin :

« Les animaux peuvent-ils avoir un droit de propriété sur les productions “artistiques” auxquelles ils participent. Pour le moment la réponse est non. En droit français comme dans les autres pays. Mais demain ? »

37Penser ou poser la question des droits d’auteur pour les animaux, à l’heure où les animaux passent du statut de mobilier à l’état d’être sensible, la question n’a rien d’absurde. Plus loin, l’article donne l’exemple d’un ours finlandais :

« Star de la peinture finlandaise : Juuso, ours brun. Avec ses pattes, sa tête et même son dos, le plantigrade a produit plus d’une dizaine de toiles dont la vente bénéficie au centre pour prédateurs de Kuusamo, où il vit.45 »

38Ces interrogations sur le statut de l’animal sont assez récentes et font l’objet d’un questionnement médiatique. Citons par exemple l’article « Animal mon égal » publié en Une du Monde magazine, 17/09/2011, dans lequel Hubert Prolongeau s’interroge les « droits pour les animaux46 » ou encore le magazine Télérama qui pose la question :

« Les animaux peuvent-ils croire en l’homme ? »

39Donnons également l’exemple de la couverture de L’Obs en 2016 consacrée à « L’animal, un homme comme les autres ?47 ». Le journaliste Arnaud Gonzague interroge la « Vegan attitude », mouvement qui ne souhaite pas exploiter les animaux. Signalons encore le numéro de Lire48 consacré aux écrivains et leurs animaux, dans lequel de nombreux écrivains sont portraiturés et représentés photographiquement avec leur animal de compagnie49.

40La profusion de discours sur les animaux dans l’espace public indique donc un certain élargissement des mutations de l’espace public et des dispositifs économiques et juridiques attribuant des droits aux animaux. L’animal passe donc d’une dimension domestique à une dimension culturelle.

 

« Dehors, les yeux des animaux allaient du cochon à l’homme et de l’homme au cochon, et de nouveau du cochon à l’homme ; mais déjà il était impossible de distinguer l’un de l’autre50. »

41Ainsi conclut Orwell. Les hommes ont donc besoin des animaux. Preuve en est : la disparition des abeilles empêche la pollinisation naturelle. Les animaux ont aussi besoin des hommes, notamment pour que ces derniers cessent de détruire la nature. Les animaux de star sont donc parfois aimés pour eux-mêmes, mais aussi, utilisés comme emblème. La vogue actuelle des animaux se ressent en littérature, dans la presse, voire dans les produits de consommation (linge de maison représentant des ours…). Les animaux sont présents partout dans l’espace public et commencent à acquérir un statut important, loin du simple mobilier. Un statut de star semble pourtant limité aux animaux imaginaires, symboliques ou communicationnels, ceux que leur propriétaire exhibe comme un animal de foire. Alors, un certain optimisme est-il envisageable ? Pour autant, ce serait oublier la réalité dans laquelle des animaux sont parfois aussi torturés dans certains abattoirs ou autres lieux, comme vient aussi le rappeler la presse.