L’ours brun des Pyrénées : des ministres de l’écologie confrontés à un sujet clivant
Résumé
Les ours étaient considérés comme une espèce en voie de disparition dans les Pyrénées jusqu’à une époque récente. Aujourd’hui, et grâce à l’introduction d’individus venus de Slovénie, on s’est éloigné du seuil critique. Près d’une trentaine d’ours bruns occuperaient actuellement le massif pyrénéen. L’ours est au centre de polémiques et de tensions sociales qui opposent ceux qui le considèrent comme étant nuisible à l’économie pastorale quand d’autres militent pour le renforcement de sa présence, jugée indispensable au nom de la biodiversité. Groupements divers, collectifs et associations font valoir leurs raisons respectives depuis plusieurs années, données statistiques et expertises à l’appui. L’étude privilégie l’implication des ministres de l’Environnement successifs, qui doivent tenir compte d’une réalité locale conflictuelle tout en composant avec les préconisations répétées de la Commission européenne favorables à l’animal.
Texte intégral
1L’ours des Pyrénées, une sous-espèce de l’ours brun (Ursus arctos arctos), était considéré comme un grand mammifère en voie de disparition jusqu’à une époque récente. C’est encore vrai aujourd’hui, mais un effort pour la sauvegarde de l’animal a été engagé. L’une des principales causes de la régression de l’ours tout au long du xxe siècle s’explique par la chasse et le braconnage1. Le braconnage est une pratique illicite qu’il ne faut pas confondre avec un acte de chasse. Depuis 1962, il est interdit de chasser l’ours mais des battues administratives peuvent toujours être ordonnées, comme ce fut le cas en octobre 19662 et en 1967. Depuis 1972, la chasse à l’ours est totalement interdite par décret paru au Journal officiel. On estime qu’une trentaine d’ours ont été braconnés depuis 1976, dont un dernier cas avéré en 2004. Un arrêté ministériel du 17 avril 1981 protège la population ursine et, à l’échelle de la Communauté européenne, la Directive Habitats faune flore3 doit permettre d’optimiser cette protection de l’espèce. Aujourd’hui, et en partie grâce à l’introduction d’individus venus de Slovénie, on s’est éloigné du seuil critique. Près d’une trentaine d’ours occuperaient actuellement le massif pyrénéen, en deux zones distinctes et d’un peuplement déséquilibré, voire critique au niveau du Haut Béarn.
2L’animal est au centre de polémiques et de tensions sociales qui opposent ceux qui le considèrent comme étant nuisible à l’économie pastorale quand d’autres militent pour le renforcement de sa présence, au nom de la biodiversité. Groupements divers et associations, élus territoriaux font valoir leurs raisons respectives depuis plusieurs années, données statistiques commentées et expertises à l’appui.
3Dans une étude antérieure, nous avions centré notre approche autour d’un épisode qui allait défrayer la chronique. Le 1er novembre 2004, l’ourse Cannelle, « dernière ourse autochtone des Pyrénées », est tuée d’un coup de fusil à l’occasion d’une battue au sanglier. Dix ans plus tôt, une autre ourse, Claude, également de souche pyrénéenne, avait été tuée dans des circonstances similaires sur les hauteurs de Borce, en vallée d’Aspe. L’accident de chasse survenu en 2004 va connaître des rebondissements pendant plusieurs années4. Une configuration sociale, selon une terminologie empruntée à Norbert Elias, met en présence « pro ours », « anti ours » et « chasseurs indisciplinés » produisant un cadre d’action qui donne l’impression de tourner à une situation de « deux contre un » par une présupposition d’alliance entre des éleveurs qui s’opposent au renforcement de la population d’ours et les chasseurs fautifs.
4Dans la présente étude, nous allons insister sur le rôle des acteurs politiques qui opèrent au plus haut niveau de l’État. Lorsque la Commission européenne a adressé à la France, en décembre 2012, une lettre de mise en demeure pour avoir dérogé à ses obligations de protection de l’espèce, l’annonce a ravivé les passions, et chacun s’est remis à fourbir ses arguments. À l’évidence, les ministres français en charge de la question de l’ours ont le plus souvent joué la carte de la prudence. Ou pour être plus précis, en majorité, ils n’ont jamais tenté grand-chose surtout si leur prédécesseur avait réussi à sortir le dossier des questions d’actualité. En termes de sociologie de la décision, nous avons là un terrain d’investigation privilégié, en particulier au chapitre de la « non décision ».
Un plan de renforcement de la population des ours en deux épisodes
5Au début des années 1990, le gouvernement décide de lancer un programme dont l’objectif est de restaurer une population d’ours viable dans les Pyrénées. Il s’agit d’introduire dans le massif pyrénéen des ours bruns d’origine slovène, dont le patrimoine génétique est proche de la souche pyrénéenne et dont le mode de vie est assez semblable. On peut individualiser deux temps forts qui s’étendent sur une dizaine d’années, jusqu’au mois d’août 2006.
De la première partie du Plan à la seconde
6Entre mai 1996 et mai 1997, trois ours slovènes découvrent les Pyrénées. Le plan de réintroduction de l’ours brun dans les Pyrénées est lancé avec le lâcher de ces trois individus : Ziva et Melba, deux femelles gravides, en 1996, et Pyros, un mâle, l’année suivante. Au printemps 1999, un des principaux partenaires du Plan, le collectif Artus France, adresse une lettre à Dominique Voynet :
« Madame la ministre, il y a un an, l’ourse Melba, accompagnée de ses oursons, était abattue par un chasseur en Haute-Garonne. C’était un rude coup porté à l’opération de réintroduction des trois ourses dans les Pyrénées centrales. »
7En effet, Melba a été tuée d’un coup de fusil le 27 septembre 1997, au col du Matet (Haute-Garonne). Le président d’Artus France demande rendez-vous à la ministre pour lui remettre une pétition qui rassemble plus de 23 000 signatures, suite à la disparition de cette ourse, et il souhaite qu’un bilan précis soit dressé afin d’envisager une étape supplémentaire dans l’introduction de nouveaux individus.
« La première phase de réintroduction expérimentale arrive à son terme. Il est indispensable d’en tirer un bilan sérieux avec tous les partenaires avant d’envisager tout nouveau projet de renforcement de population, qu’ils soient dans les Pyrénées centrales ou dans le Béarn5. »
8Il faut attendre quelques années de plus pour assister à un autre lâcher d’ours dans les Pyrénées. Sous la présidence de Jacques Chirac, Serge Lepeltier, ministre de l’Écologie et du Développement durable de mars 2004 à juin 2005, y est favorable. Il s’agit pour la France de rattraper le retard accumulé par rapport à la biodiversité. De toute évidence, le ministre donne l’impression de s’intéresser à la question. Il annonce cinq réintroductions d’ours, dont deux femelles en Haut Béarn. Au mois de mars 2006, alors qu’il a quitté le ministère, remplacé à ce poste par Nelli Olin, il intervient à nouveau dans le débat. Il considère qu’il faut un plan qui permettrait d’avoir à terme une population d’une trentaine d’individus. L’introduction voulue par madame Olin, note-t-il, n’est en fait que la « compensation des pertes qu’a connues la population ursine au cours de ces dernières années. » Sa remarque est rapportée par La Buvette des Alpages du 15 mars 2006. Pourtant ce nouveau « plan » a mal débuté, quelques mois plus tôt, puisque le Conseil de gestion de l’IPHB (l’Institution patrimoniale du Haut Béarn) marque son refus total d’une introduction du plantigrade. Philippe Delvallée, dans La Dépêche du 21 octobre 2005, indique que le directeur de l’IPHB s’oppose à « l’initiative brutale de l’État » qui, de ce fait, a détruit un climat de confiance. Cette démarche conçue depuis Paris remet tout en question. L’argument est relayé par le député-maire centriste Jean Lassalle. Il est vrai que l’IPHB, ce « parlement » de la montagne béarnaise que préside le député Jean Lassalle, avait soumis au conseil de gestion patrimoniale, en décembre 2004, la proposition de lâcher deux ourses à l’automne 2005…
9Cependant, la nouvelle ministre de l’Écologie et du Développement durable, Nelli Olin, réalise l’objectif annoncé. Le gouvernement achève dans la plus grande discrétion la seconde étape de ce plan très contesté de réintroduction de cinq plantigrades dans le massif pyrénéen. Toutefois, aucun lâcher n’a eu lieu en Haut Béarn, alors que l’opération semblait bien engagée… Chaque animal est doté d’un parrain et d’une marraine appartenant au monde des artistes, ce qui indispose passablement les forces vives du territoire, opposées à ce lâcher intrusif. À la décision prise unilatéralement par un État resté jacobin, s’ajoute ainsi l’appui du microcosme parisien : une double humiliation pour les gens du terroir. Cette touche très « people » et parisienne, qui rassemble vedettes de la chanson et de l’écran, exaspère plusieurs éleveurs pyrénéens. L’épouse du futur président de la République française elle-même, en sa qualité de chanteuse et d’artiste confirmée qui lui vaut le statut de marraine, ne manquera pas d’apporter son soutien aux associations de défense de l’ourse Hvala : Ferus et Pays de l’Ours Adet, « dans l’esprit même du Grenelle de l’environnement6 ». Hélas, la protection des arts est d’une efficacité inégale sur les cinq bêtes : Palouma lâchée au mois d’avril meurt la même année, Fransca lâchée au mois de mai est tuée l’année suivante, et tandis que Hvala lâchée au mois de mai et Sarousse au mois d’août sauvent leur peau, un jeune mâle, Balou, lâché en juin 2006, est retrouvé mort à Melle (Haute-Garonne) en juin 2014.
10En Espagne, il existe aussi une opposition à l’ours. L’animal a pu être une pomme de discorde, comme ce fut le cas à l’automne 2005 à Hecho, en Aragon. Quelques dizaines d’opposants et de partisans se sont affrontés, nécessitant l’intervention des guardias civils. Toutefois, deux ans plus tard, en août 2007, dans un climat pacifié, le gouvernement d’Aragon adopte un plan ambitieux dont l’objectif est d’assurer les meilleures conditions de cohabitation entre les activités humaines et la présence de l’ours7.
L’installation d’un « Groupe Pyrénées Ours »
11En juin 2007, Nathalie Kosciusko-Morizet est nommée secrétaire d’État chargée de l’Écologie. Le mois suivant, elle se déplace à Toulouse pour rencontrer élus et éleveurs hostiles au retour de l’ours dans les Pyrénées. La nouvelle secrétaire d’État hérite d’un dossier cher à Nelly Olin, la précédente ministre de l’Écologie. Elle se propose de discuter « des bonnes conditions de la coexistence entre l’homme et l’ours8 ». Elle entend également rappeler que le Plan ours, dont le terme est fixé à 2009 n’est ni en « phase de relance, ni de démantèlement ». Or, c’est compter sans la colère des élus et des éleveurs ulcérés par les dégâts commis par Franska, qui a déjà attaqué plusieurs troupeaux, tuant 150 brebis. Ils sont nombreux à réclamer la capture de l’animal, jugé atypique et sanguinaire, et son retrait définitif des Pyrénées. Rolland Castells (Mouvement Démocrate, Modem en abrégé), qui avait accepté le lâcher de l’ourse sur le territoire de sa commune, est devenu lui aussi un partisan déterminé de la capture de Franska. Percutée par deux voitures au mois d’août suivant, non loin de Lourdes, sur la route qui mène à Argelès, l’ourse meurt sous le coup. Le sort de l’animal est réglé, mais l’épisode « Franska » n’a fait qu’accroître les griefs contre la réintroduction d’ours slovènes.
12Pourtant, au mois de mai 2008, il semble que la secrétaire d’État n’ait toujours pas mesuré l’importance des tensions qui sont très vives. Des éleveurs et des élus locaux condamnent fermement des décisions qui donnent l’impression d’être prises à Paris, sans concertation et fort loin des réalités locales. La secrétaire d’État s’était déclarée prête à :
« Écouter, comprendre et surtout renouer le dialogue. » […] « Des études sont nécessaires pour démontrer qu’en France aussi, les ours ont un impact positif sur la biodiversité9. »
13Aux oreilles des acteurs locaux, de tels propos ne résonnent-ils pas comme une déclaration de guerre ? Le 26 juin 2008, elle revient à Toulouse pour installer le « Groupe Pyrénées Ours » placé sous l’autorité du préfet coordinateur du massif pyrénéen. S’agit-il de ramener la paix entre anti- et pro- ours ? Ou bien faut-il gagner du temps et ne pas indisposer Bruxelles qui pourrait penser que le gouvernement français ne respecte pas ses engagements ?
14Il est vrai qu’on s’achemine vers la fin du plan de restauration et de conservation de l’ours brun dans les Pyrénées françaises (2006-2009). D’ailleurs, au mois de novembre 2009, les représentants des associations favorables à l’ours se rendent à Bruxelles :
« Pour saisir les autorités européennes de l’urgence de relancer la restauration de la population d’ours dans les Pyrénées10. »
15Accompagnée de Sandrine Bélier, eurodéputée, la délégation a pu rencontrer les juristes de la Commission européenne chargés de l’application de la Directive Habitats. Bruxelles dit aux membres de la délégation avoir déjà interrogé à plusieurs reprises le gouvernement français, par oral et par écrit, « sur ses intentions de se mettre en conformité avec la loi11 ». Or les juristes de Bruxelles n’ont pu que constater l’immobilisme de la France sur ce dossier.
De l’immobilisme avéré à l’indispensable coup de pouce politique ?
16Le silence prudent de la France sur la question de l’ours des Pyrénées risque d’attirer plus encore l’attention de la Commission européenne, avec une condamnation devant la Cour de justice des communautés européennes qui pourrait s’accompagner d’une injonction à agir, assortie de pénalités financières. D’autant que l’année 2010 est déclarée : « Année internationale de la Biodiversité » par les Nations unies (ONU). L’ours va-t-il pouvoir bénéficier d’un climat propice ?
17Chantal Jouanno occupe le poste de secrétaire d’État chargée de l’Écologie depuis plus d’un an lorsqu’elle laisse entendre, en février 2010, que de nouveaux lâchers d’ours pourraient avoir lieu « après les régionales ». L’intention n’est pas très heureuse et il n’en faut pas plus pour relancer la polémique. En effet, l’idée passe très mal auprès des élus locaux qui sont opposés à la réintroduction de l’ours. Le député socialiste Henri Nayrou, président de l’association nationale des élus de la montagne (ANEM), est de la grande manifestation qui réunit 3 500 personnes dans les rues de Tarbes. Le maire de la ville organise une table ronde entre les deux tours des élections régionales, avec la participation de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie et du Développement durable en exercice. Celui-ci réfute l’annonce faite par la secrétaire d’État, dont les fonctions sont rattachées à son ministère, et il annonce la suppression du très impopulaire Groupe National Ours dans les Pyrénées mis en place, au nom de l’État, par Nathalie Kosciusko-Morizet.
18Pour autant, la campagne des élections régionales de 2010 relance la question. Le quotidien Sud-Ouest titre, en sa page « Région » : « Pyrénées. L’ours entre en campagne ». Tout un programme. Si les « pour » tardent à se manifester, il n’en va pas de même pour Jean Lassalle, tête de liste du Mouvement Démocrate (Modem) en Aquitaine, qui se situe plutôt sur l’autre bord politique, tout en ménageant les susceptibilités. Dans un long article consacré aux « Régionales 2010 », Jean-Pierre Deroudille12 place un épisode sur l’ours, en faisant référence au récent livre publié par le candidat Modem13. Jean Lassalle se souvient du sentiment violent éprouvé quand, encore enfant, il se trouvait à l’estive, et lorsque l’ours avait porté une attaque soudaine, semant la panique dans le troupeau… « Je suis le seul parlementaire qui ait cohabité avec les ours » se plaît-il à dire.
Se mettre à l’abri d’une sanction de la Commission européenne
19Au cours de l’été 2010, Chantal Jouanno modifie la position arrêtée par son ministre de tutelle et par l’État dans la mesure où il ne faut pas que la France se mette en porte-à-faux avec les attentes de la Commission européenne. Impossible cependant d’annoncer un nouveau plan de restauration de la population d’ours.
Renouer avec le principe du dialogue…
20La marge de manœuvre est étroite. Renouer par le dialogue impose de restaurer deux niveaux de confiance réciproque : d’une part entre les représentants de l’État et tous ceux du local, d’autre part, au niveau du territoire (le massif pyrénéen), entre les pro- et les anti- ours. La secrétaire d’État envisage de rencontrer les membres du Comité du massif pyrénéen le 28 juillet 2010, afin de, comme le précisent ses services :
« Proposer l’élaboration d’une stratégie pyrénéenne de valorisation de la biodiversité prenant pleinement en compte les dimensions humaines et économiques des territoires pyrénéens ainsi que leurs richesses patrimoniales14. »
21Ce sera l’occasion pour Chantal Jouanno de revenir sur les situations particulières de l’ours, du vautour fauve, du bouquetin et du desman des Pyrénées, précise le communiqué15. Au niveau de la presse quotidienne régionale, si l’Indépendant et la République des Pyrénées se contentent de relayer le communiqué de presse, Sud-Ouest et La Dépêche du Midi détaillent les enjeux. L’opinion reste globalement favorable à la réintroduction. Cependant, les opposants, rassemblés au sein de l’Association pour le développement durable de l’identité des Pyrénées (ADDIP), pour leur part, évoquent la menace que cette réintroduction fait peser sur les troupeaux.
22Comment ne pas faire de déçus supplémentaires, en cette année 2010 dédiée à la biodiversité, après l’échec de Copenhague, l’abandon de la taxe carbone et les petits arrangements avec le Grenelle de l’Environnement ? La question de l’ours va-t-elle connaître une nouvelle reculade ? La secrétaire d’État annonce que « seuls les ours tués ou morts accidentellement seront remplacés », ce qui met fin au plan de réintroduction des ourses dans les Pyrénées sans qu’on assiste à l’extinction de l’espèce ursine. En fait, cette prouesse arithmétique réalisée par Chantal Jouanno – un pour un – n’est pas compatible ni avec la biologie du groupe animal (le risque de consanguinité est avéré) ni en tenant compte de sa répartition inégale dans le massif montagneux. Par cette mesure annoncée, il s’agit plutôt de faire face aux comportements dommageables de certains chasseurs et de quelques adeptes potentiels du braconnage. Chaque disparition sera suivie d’un lâcher16. Ce changement de cap permet de ne pas se heurter à la colère des anti-ours et il peut être interprété comme une porte entr’ouverte au dialogue avec les pro-ours. De façon plus pratique, de prime abord, l’État compte sur l’accroissement naturel de l’espèce pour atteindre une cinquantaine d’animaux, soit une population viable, contre une vingtaine d’individus dénombrés à ce moment-là. Si la « dynamique de la population » apparaît comme étant « positive », ce rythme devrait satisfaire Bruxelles, car c’est ce critère qui sera évalué par la Commission européenne, indique-t-on dans l’entourage de la secrétaire d’État. Voilà qui permet de gagner du temps et d’apaiser bien des oppositions. Mais l’insatisfaction gagne les partisans du renforcement de la population ursine dans les Pyrénées.
23Il est vrai que la présence de l’ours dans les Pyrénées est partout : dans les symboles héraldiques des communautés locales, dans de multiples noms de lieux, dans les contes, les légendes, les fêtes locales comme le carnaval, etc. Elle est bien réelle, propre à se décliner de façon originale en fonction des localités. De même que dans le passé, le berger a pu polariser sur l’ours des soucis majeurs : destruction de têtes de bétail, crainte du danger, solitude, par exemple. Au point de désamorcer certains conflits de voisinage, les fêtes d’aujourd’hui permettent d’associer ponctuellement des générations, mêlant citadins et locaux, qui n’ont sans doute pas exactement la même conception de la vie, du métier ou du travail, du temps libre et du rapport au lieu. La présence de l’ours appartient-elle à un passé révolu ou s’agit-il de maintenir une espèce animale qui doit réconcilier l’homme et l’animal sauvage en un même espace de vie ? Toute réponse apportée ne peut que fâcher les uns ou les autres.
24Le journal Sud-Ouest du 23 mars 2011 est accompagné d’un « supplément publicitaire gratuit » : 2011 année des Pyrénées, qui comporte huit pages illustrées. Il y est question d’histoire, de culture, de nature, de gastronomie, d’activités récréatives, mais on ne décèle pas la moindre allusion à l’ours. Il s’agit de valoriser le massif pyrénéen par-delà les dissonances micro-locales… Nous avons étudié ailleurs cette stratégie de communication touristique au niveau du bulletin d’information L’Aquitaine, diffusé par le Conseil régional d’Aquitaine. Jamais d’articles sur un sujet clivant ou susceptible d’apporter une dissonance cognitive (corrida, chasse à la palombe au pylône, au filet, ou à la tonne pour le gibier d’eau, etc.).
Des ministres qui font machine arrière
25Au niveau national, pour ne pas envenimer la situation locale, l’État annonce qu’il renonce à réintroduire une ourse en juin 2011. « Les anti jubilent, les pro fulminent17 ». Pour l’occasion Frédéric Nihous, le président de CPNT (Chasse, pêche, nature, tradition), se réjouit d’une « mesure de bon sens et d’apaisement pour la montagne ». L’infatigable Jean Lassalle est encore plus explicite et même reconnaissant :
« Je remercie le président de la République, Nicolas Sarkozy, de ne pas avoir rajouté au désespoir des habitants des vallées pyrénéennes. »
26Pour le député-maire de Lourdios-Ichère, une réintroduction de l’animal sans concertation n’a aucun sens. Il est fermement opposé aux « réintroductions qui tombent de Paris ». André Berdou, conseiller général PS de Laruns et président du Parc national des Pyrénées, parle lui aussi d’une « solution de sagesse ». Quant à la ministre de l’Environnement, Nathalie Kosciuscko-Morizet, qui est de retour aux affaires en qualité de ministre de plein exercice, elle évoque au début du mois de juin 2011 la sécheresse pour justifier la décision de suspendre ces lâchers. Un discours de justification qui irrite le conseiller régional David Grosclaude18, régionaliste convaincu, car celui-ci considère que ce type de décision doit être réglé « de façon décentralisée ».
27Les groupes et associations qui militent en faveur de la préservation de l’ours dans les Pyrénées et de l’enrichissement de l’espèce font entendre leur déception. La journaliste Rachida Boughriet commente la lettre adressée à la ministre par la présidente de la Commission des pétitions du Parlement européen, Erminia Mazzoni, qui :
« Demande aux autorités françaises de bien vouloir intervenir dans les meilleurs délais afin de garantir la protection de l’ours brun (des Pyrénées), espèce protégée par la Directive Habitats19. »
28Un communiqué de France Nature Environnement 65 déplore les contradictions de la ministre.
« La ministre de l’Écologie, NKM, juste après avoir présenté le 29 mai, à Paris, la stratégie nationale pour la biodiversité, annonce qu’il n’y aura pas de lâcher d’une ourse en Béarn ce printemps. Un coup fatal, bien sûr, à ce texte qui n’est plus qu’une phraséologie creuse et sans poids. »
29La ministre, en situation pour la seconde fois, a décidé de ne rien entreprendre, justifiant sa décision par « un souci de ne pas accabler les éleveurs opposés au plantigrade et touchés par la sécheresse »… La pérennité de l’ours en Béarn est rendue impossible. Si la ministre voulait achever la destruction du noyau occidental d’ours dans les Pyrénées, elle ne s’y prendrait pas autrement. Les commentaires vont bon train. Il s’agit d’une « cuisine électorale », d’un « petit calcul politicien » qui, en vue de la prochaine élection présidentielle de 2012, « doit permettre au candidat Sarkozy de ne pas se mettre à dos les agriculteurs, les éleveurs et les chasseurs ». Outre le fait que l’argument de la sécheresse est une pure fiction. La décision de renoncer au lâcher d’une femelle dans le Haut Béarn est condamnée par WWF France, Nature Midi Pyrénées, FIEP20, Pays de l’Ours-Adet, etc. En fait, comme le note rétrospectivement Jean-Denis Renard, « la religion de l’État est d’abord dictée par le rapport de force » (Sud-Ouest du 25 janvier 2013). De fait, rien ne presse, au propre et au figuré, lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des mesures indispensables pour éviter la disparition de l’ours, espèce protégée conformément à la Directive Habitats21.
30Au mois de décembre 2012, la Commission européenne est à nouveau prête, semble-t-il, à déclencher une procédure d’infraction contre la France. Elle adresse au pays une lettre de mise en demeure. L’affaire se précise au mois de janvier 2013. C’est la SEPANSO (Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest) qui est à l’origine de la plainte. Au ministère de l’Écologie, on se dit « surpris » par la dureté de l’avertissement de Bruxelles. Laurent Roy, directeur de la biodiversité au ministère, entend contre-attaquer sous l’angle juridique et précise que :
« Si l’on ne s’interdit pas de réintroduire quelques ours, ce ne sera pas dans un avenir proche22. »
31Delphine Batho, ministre de l’Écologie du 21 juin 2012 au 2 juillet 2013, est opposée à de nouvelles réintroductions d’ours. Quelques jours plus tard, on apprend que les pro-ours seraient prêts à lâcher deux jeunes femelles dans le Béarn.
« Ferus, Pays de l’Ours-Adet et leurs partenaires prendront en charge l’intégralité des opérations pour éviter tout débat sur les dépenses publiques en période de crise23. »
32Mais le ton ironique de l’annonce est sans effet. Désormais, l’État va opter pour le silence. Delphine Batho, en date du 7 mai 2013, sollicite une expertise scientifique collective qui sera animée par le Muséum national d’histoire naturelle. On gagne du temps par digression, et rien de concret ne se fait. Et d’ici peu, le portefeuille ministériel va changer de main.
33Un dossier substantiel est publié quelques mois plus tard dans le même journal24. Soit deux pleines pages illustrées annoncées par une « une » de couverture illustrée qui titre :
« Coup de griffe autour des ours. Pyrénées. L’ours est accusé d’avoir tué une centaine de bêtes en juillet. Entre les éleveurs qui veulent s’armer, et la Commission européenne qui menace la France de sanctions si elle ne protège pas mieux l’espace, le gouvernement se tait. »
34Le théâtre des opérations est planté par Sylvain Cottin.
« Cette fois, les bergers veulent la peau de l’ours. L’État ne réagit pas25. »
35Le journaliste publie également un entretien avec le maire d’Arbas (Haute-Garonne), l’écologiste François Arcangelli, qui « est l’un des rares élus à défendre l’ours » : « avec notre poignée d’ours, on fait marrer les autres ». Quelques excités parmi les éleveurs envisagent-ils de passer à l’acte ? Le mot de « battues » fait partie de leur discours. L’élu local commente :
« Les battues ont pour but d’artificialiser les tensions et de bizuter Philippe Martin, le nouveau ministre. »
36Bientôt, l’ourse Cannelle, la dernière de souche entièrement pyrénéenne, revient sur le devant de la scène… empaillée et naturalisée, face aux visiteurs du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, où elle a rejoint l’exposition « Ours, mythes et réalités » (octobre 2013-juin 2014). C’est elle qui avait été tuée d’un coup de fusil le 1er novembre 2004. Faut-il interpréter cette « résurrection », qui doit tout au talent des taxidermistes, comme un mauvais présage ? La lueur d’espoir viendra-t-elle du Musée national d’histoire naturelle de Paris, qui doit remettre son rapport sur l’ours le 26 septembre 2013 ? Le nouveau ministre de l’Écologie, Philippe Martin, sort du silence le 18 février 2014 en appelant les pro- et anti-ours à se remettre autour de la table. Le rapport du Muséum conclut, entre autres points, à la nécessité d’un minimum de quatre femelles pour permettre de conserver le noyau béarnais, qui est le plus menacé.
37L’annonce d’un projet de lâcher d’ours dans les Pyrénées espagnoles, au mois de mai 2014, réactive le débat. Les opposants français risquent d’être pris à revers. Ils reçoivent l’annonce comme une provocation, d’autant que « l’ours ne connaît pas les frontières », surtout si le lâcher se fait dans le Val d’Aran, une vallée tournée vers la France puisque la Garonne y prend sa source. Et pourtant, au mois de juillet 2014, Ségolène Royal, la toute nouvelle ministre de l’Écologie en exercice, qui s’est déplacée à Cauterets, dans les Hautes-Pyrénées, à la faveur d’un lâcher de bouquetins, précise :
« Le territoire des Pyrénées n’est pas adapté à la réintroduction de l’ours. »
38Sa déclaration est rapportée par Jean-Denis Renard qui la replace dans le contexte local. « C’est malheureux qu’une seule personne à Paris décide pour nous », commente un berger26. La femme politique ruine les espoirs des pro-ours en refusant d’autoriser l’installation d’un individu supplémentaire. Ayant compris que les exigences de « Bruxelles » sont répétées mais sans suite, et forte de sa longue expérience politique, la ministre affiche une détermination qui ne peut que plaire aux anti-ours.
« Parler de l’ours sans passion »…
39La répartition des opinions et des argumentations est bien plus riche et complexe que ne le laisse entendre une opposition manichéenne entre pro- et anti-ours dans les Pyrénées. C’est vrai au niveau des éleveurs, c’est également valable chez les élus politiques locaux. Après avoir rappelé que la ministre Ségolène Royal se déclare opposée à une réintroduction, Jean-Denis Renard restitue des témoignages précieux recueillis auprès des principaux concernés. « Paroles de Bergers », sous-titre-t-il son enquête27. « C’est délicat d’en parler », parce que l’ours est un sujet clivant dans le monde pastoral. Celui-ci confie :
« Le sanglier nous fait plus de dégâts que l’ours en retournant les pelouses. »
40Tandis que cet autre indique :
« Si on réintroduisait une femelle sur une zone vaste comme la vallée d’Aspe et la vallée d’Ossau réunies, je ne vois pas en quoi ce serait un souci. »
41En outre, si l’on fait un bilan coûts/avantages de l’ours en Haut Béarn, on constate que le plan de soutien à l’économie de montagne (PSEM) s’accorde avec des subventions et aides qui découlent du principe de conservation de l’ours. Le plan de soutien à la conservation de l’ours ferait-il vivre décemment plus d’actifs pyrénéens et leur famille que le plantigrade ne tue de brebis ?
42« Parler de l’ours », « entre gens directement concernés », est un leitmotiv qui mérite l’attention. Certains protagonistes locaux déplorent le « manque de concertation », « l’initiative brutale de l’État », l’application aveugle de décisions prises à Paris par des bureaucrates qui dictent aux ministres successifs la conduite à tenir… De même, un vent de fronde souffle en Béarn puisque la moitié des communes du Haut Béarn refusent la nouvelle charte du Parc national des Pyrénées, alors que quasiment toutes y adhèrent en Bigorre. Faut-il rechercher, dans ce refus d’une ingérence de l’État, la réactivation d’usages locaux ? Peut-être doit-on comprendre les attitudes d’opposition comme les réminiscences d’un mode ancien d’organisation sociale. Certains n’hésitent pas à faire le lien avec les travaux des historiens. Ces derniers remontent le cours des siècles pour évoquer les États de Béarn, où les organisations politiques étaient pensées comme des emboîtements autour de la communauté de vallée et le Béarn lui-même. « L’intrusion d’une justice étatique risquait donc de déséquilibrer le système en remettant en cause les hiérarchies traditionnelles », indique Jean-Pierre Barraqué, soulignant l’efficacité d’une organisation sociale qui a perduré au xixe siècle et dont Pierre Bourdieu a pu encore observer certains aspects28. Ces matrices cognitives collectives, qui sont le reflet d’une législation coutumière : les Fors, ne sont pas à négliger.
43Mais alors, comment se fait-il que cette conception largement partagée dans le monde pyrénéen et ibérique (Fors, fueros, furs selon l’endroit, avec une dérivation de Forum judicium) soit moins opérante dans telle ou telle zone ? On peut avancer quelques hypothèses. Les vallées des Hautes-Pyrénées ne sont-elles pas plus fréquentées, plus ouvertes au tourisme, au changement social et moins enclines à l’indépendance ? En est-il autrement dans le Haut Béarn ? Quant à l’Espagne, l’importance et l’efficacité du pouvoir local ne sont plus à démontrer. En Aragon, la cohabitation de l’ours avec l’homme, qui posait problème à l’automne 2005, a été résolue au niveau de la communauté autonome en 2007, et ce au bénéfice des deux hôtes du territoire. Dans le Val d’Aran, vallée occitane située dans les Pyrénées espagnoles catalanes, on va procéder bientôt à une réintroduction concertée, de même qu’ailleurs, toujours en Catalogne espagnole. Ajoutons que côté espagnol, le contexte environnemental est spécifique. Sur le versant espagnol, la présence humaine est moins forte. Le pastoralisme est moins développé et, constatent les spécialistes, « le pays n’a pas perdu le contact avec l’ours ». En effet, l’animal est très présent, dans les Monts Cantabriques (noyau oriental) et les Asturies (noyau occidental), plus fortement que dans les Pyrénées.
44En janvier 2016, on apprend que « le dossier sur l’ours sort de l’hibernation ». Et c’est Bruxelles qui semble souffler le chaud. Le commissaire européen chargé de l’Environnement, comme l’avaient fait ses prédécesseurs, réclame à la France un plan de sauvegarde crédible… La démarche sera-t-elle suivie d’effets ?
45Jérôme Ouilhon, l’animateur au sein du FIEP du groupe Ours Pyrénées, constate avec amertume :
« L’État ne parle plus de l’ours. Dans le projet de loi sur la biodiversité, il est largement fait mention des abeilles – ce qui est très bien, pas de l’ours29. »
46Une bouffée d’optimisme vient d’Espagne. En effet, en Catalogne, le Parc naturel de l’Alt Pirineu, qui longe la frontière entre l’Andorre et le Val d’Aran, confirme qu’un ours mâle sera lâché dans les Pyrénées au mois de mai 2016, pour apporter du sang neuf30. L’opération est soutenue par la Commission européenne.
47De façon directe, la « population » d’ours bruns incriminée se compose de trois individus, pour le lâcher de 1996, et de cinq autres, pour le lâcher de 2006. Soit au total huit individus. Certains sujets ont pu se reproduire et donner naissance à une descendance dont les « rejetons » sont connus. Pour autant, la mort n’a pas épargné plusieurs ours. Sans remonter à janvier 1971, date de création d’un premier ministère en charge de la protection de la nature et de l’Environnement, retenons le mandat ministériel de Corinne Lepage (18 mai 1995-4 juin 1997) au cours duquel est réalisée la première opération de sauvegarde de l’ours des Pyrénées, qui se concrétise par trois lâchers d’ours slovènes. Depuis ces années jusqu’à aujourd’hui, 14 ministères de l’Environnement et/ou de l’Écologie se sont succédé, avec 13 ministres, puisque Ségolène Royal, ministre en exercice depuis le 2 avril 2014, avait déjà occupé cette fonction du 2 avril 1992 au 29 mars 1993. S’ajoutent à ces exercices ministériels, pour la période considérée, deux secrétaires d’État : Nathalie Kosciusco-Morizet et Chantal Jouanno, rattachées au ministère de Jean-Louis Borloo. Un rapide calcul permet d’établir que les huit ours d’origine slovène ont mobilisé – ou embarrassé – pas moins de 14 ministres en une vingtaine d’années.
48Selon l’historien Michel Pastoureau31, qui s’est montré attentif aux lâchers successifs opérés entre mai 1996 et août 2006, certains adversaires de l’ours « défendent leurs positions avec des arguments bien médiocres par rapport à la réalité des enjeux. » Pour autant, ajoute-t-il, « les partisans de la réintroduction » ne font pas toujours valoir des raisons très cohérentes. De chaque côté, l’administration de la preuve est parfois incertaine.
49Entre l’injonction répétée de l’Europe et les antagonismes observés au sein des sociétés locales pyrénéennes, peut-il y avoir un arbitrage – ministériel – qui fasse consensus ? En termes de sociologie de la décision, le principe de rationalité a ses limites puisqu’il faut tenir compte des multiples contraintes dans lesquelles une décision intervient ou n’intervient pas. La complexité du processus décisionnel se heurte à des contingences contextuelles, pour emprunter une formule au sociologue Éric Phélippeau32, à moins que, dans certains cas, ces mêmes contingences contextuelles, culturelles et socio-politiques ne soient le creuset approprié pour aboutir à une décision adéquate. On retrouve ici la pertinence de l’éclairage proposé par l’historien Jean-Pierre Barraqué.
50Un ouvrage assez peu connu de Norbert Elias permet de fixer la matrice sociologique, une « configuration sociale » à plusieurs étages, qui nous intéresse. En modélisant une théorie des jeux, Elias part d’un raisonnement qui porte d’abord sur des jeux simples pour envisager des jeux – des situations d’interaction – de plus en plus complexes. Lorsque le nombre de joueurs s’accroît, la configuration du jeu est moins transparente. Chaque joueur – ou protagoniste – « perd de plus en plus la vue d’ensemble et la direction du jeu33 ». Or cette « sorte d’expérimentation mentale34 » prônée par Elias s’accorde avec ce qui se joue autour de l’ours des Pyrénées. Un jeu élémentaire est défini par une triangulation « pro- », « anti- » et « décision (ou non-décision) ministérielle ». Pour autant, ce niveau de jeu dépend de deux autres niveaux : équilibre des forces en présence au plan territorial local (infra-national), capacité d’injonction formulée par la Commission européenne (Bruxelles, sur un plan supra-national). L’enjeu, à savoir la réintroduction d’un ou de plusieurs ours afin que cette espèce ait de l’avenir dans les Pyrénées35, le refus de le faire ou l’évitement de la question, ne fait qu’activer ou réactiver une configuration d’ensemble que les ministres s’emploient surtout à désactiver. L’inertie se déploie. Conséquence concrète probable, si rien ne bouge, les ours Néré et Cannellito, le fils de feu Cannelle, risquent fort de finir leur vie en vieux garçons, mettant fin à ce noyau historique de l’ours qui s’est maintenu à l’ouest du massif pyrénéen, dans le Haut Béarn. Sur l’ensemble du versant français des Pyrénées, 171 brebis ont été indemnisées en 2013, suite à des attaques. En 2015, le bilan est de 88 attaques d’ours dites « confirmées » sur 148 animaux tués. On estime à 570 000 le nombre d’ovins dans les Pyrénées. On devrait pouvoir trouver une solution pour sauver l’ours. Mais cette solution reposera sur un consensus obtenu dans le creuset socio-historique des contingences locales.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 J.-C. Bouchet, Histoire de la chasse dans les Pyrénées françaises.
2 J. Bégouën, « L’ours “Martin” d’Ariège-Pyrénées », illustrations de la couverture intérieure.
3 Dir. 92/43/CEE.
4 J.-P. Callède, « Vendre ou défendre la peau de l’ours dans les Pyrénées », p. 153 et suivantes. Une ultime décision est intervenue le 7 juin 2013. La société de chasse d’Urdos, à laquelle appartient le chasseur fautif, a été condamnée par la chambre civile du tribunal de Pau à verser 53 000 euros à World Wide Fund France, la composante française de l’ONG internationale Fonds mondial pour la nature.
5 J.-P. F., « Artus envoie une lettre ouverte à Dominique Voynet. Ours des Pyrénées. Bilan du plan ours », La Dépêche, 14 octobre 1998.
6 P. Verdet, « Ours des Pyrénées. Carla Bruni-Sarkozy en bonne marraine », Sud-Ouest, 19 août 2008, p. 1 et 5. Au moment du lâcher de Hvala, son époux est ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire.
7 Diario del Alto Aragon, 28 août 2007.
8 S. Thépot, « Réunion de crise sur la présence de l’ours dans les Pyrénées », Le Monde, 26 juillet 2007.
9 Texte intégral du discours de la ministre.
10 La Semaine des Pyrénées/la Dépêche, 23 novembre 2009.
11 Ibid.
12 J.-P. Deroudille, « Plus fort que Bayrou ? Jean Lassalle, tête de liste du Modem en Aquitaine », Sud-Ouest, 26 janvier 2010, p. F 6.
13 J. Lassalle, La parole donnée.
14 L’information est abondamment relayée par « Brèves de Montagne », laMaisondelaMontagne.org, 25 juillet 2010. Le lien renvoie désormais sur la page d’accueil.
15 Ibid.
16 D’après G. Dupont, « Le plan de réintroduction des ours dans les Pyrénées est mis en veilleuse », Le Monde, 27 juillet 2010.
17 T. Longué, « Pas d’ourse cette année », Sud-Ouest, 2 juin 2011. Voir p. 1, p. 8 et p. 10 (Région).
18 Ibid., p. 10.
19 Rachida Boughriet, « Le Parlement européen rappelle à la France son obligation de préservation de l’ours brun », https://www.actu-environnement.com/, 16 novembre 2011. Le lien n’est plus disponible.
20 FIEP : Fonds d’intervention écopastoral (Fiep) Groupe Ours Pyrénées. Le FIEP a été créé en 1975 pour concilier pastoralisme et préservation de l’ours brun dans les vallées béarnaises.
21 La Directive Habitats faune flore (92/43/CEE), de l’Union européenne, déjà mentionnée, vise à promouvoir la protection et la gestion des espaces naturels à valeur patrimoniale, au sein des États membres, dans le respect des exigences économiques, sociales et culturelles. Sanctuarisation de la nature et de ses hôtes ou valorisation de l’activité économique des hommes ? Le texte n’est pas d’une application aisée.
22 S. Cottin, « Mais qui veut la peau de l’ours ? », Sud-Ouest, 15 janvier 2013.
23 Sud-Ouest, 25 janvier 2013.
24 Sud-Ouest, 9 août 2013.
25 Ibid., p. 2.
26 J.-D. Renard, « Sur les estives, parler de l’ours sans passion », Sud-Ouest, 3 septembre 2014, p. 8 et 9 (Région). Voir p. 8.
27 Ibid.
28 J.-P. Barraqué, « L’idéologie politique en Béarn au xve siècle », p. 219-229.
29 Sud-Ouest, 26 janvier 2016.
30 Source : http://www.ara.cat/societa/Os-substituira-Pyros-Pirineu. Le lien n’est plus disponible. Le nouvel ours, baptisé Goiat, est arrivé de Slovénie un mois plus tard (Sud-Ouest, 8 juin 2016). Son nom marque une rupture socio-linguistique, par rapport à ses prédécesseurs d’origine slovène. Il s’agit d’une adaptation orthographique du mot catalan qui signifie « jeune homme ». Désormais, Goiat porte un nom valorisant et… indigène, dans son pays d’adoption.
31 M. Pastoureau, L’Ours. Histoire d’un roi déchu, p. 313.
32 É. Phélippeau, « Sociologie de la décision », p. 46.
33 N. Elias, Qu’est ce que la sociologie ?, p. 98.
34 Ibid., p. 84.
35 T. Longué, « L’ours a-t-il un avenir en Béarn ? », Sud-Ouest, 1er novembre 2014. J.-D. Renard, « L’avenir incertain des 27 ours pyrénéens », Sud-Ouest, 8 avril 2016.
Auteur
Chargé de recherche au CNRS, GEMASS (UMR 8598), Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne
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Signes et communication dans les civilisations de la parole
Olivier Buchsenschutz, Christian Jeunesse, Claude Mordant et al. (dir.)
2016