La bergerie modèle de Louis Daubenton
Résumé
Le naturaliste Louis-Jean-Marie Daubenton (1717-1799), collaborateur de Buffon, spécialiste de l’anatomie animale, s’est particulièrement intéressé aux moutons et à leur élevage, qui était important dans sa région natale de Montbard en Bourgogne. Il a notamment publié, en 1782, des Instructions pour les bergers et pour les propriétaires de troupeaux. Y figure une bergerie modèle, dessinée par Fossier et construite dans la ferme d’Alfort, dont Daubenton est le directeur, sous la forme d’un hangar couvert. C’est cette bergerie qui est l’objet de cet article, ainsi que sa confrontation avec les autres modèles de l’époque.
Texte intégral
1Louis-Jean-Marie Daubenton a publié en 1782, une Instruction pour les bergers et pour les propriétaires de troupeaux1 dans lequel il donne un modèle de bergerie. Est-il besoin de présenter Daubenton2 ?. Principal collaborateur de Georges-Louis Leclerc de Buffon, il est, comme lui, natif de Montbard, ville où il possédait une maison, voisine de celle de Buffon, en contrebas du château. Collaborateur de l’Histoire naturelle (1749-1789), il quitte l’entreprise en 1767, quand Buffon supprime la partie consacrée à l’anatomie qu’il avait rédigée. Il est remplacé par Philippe Gueneau de Montbeillard, de Semur-en-Auxois3. Après avoir travaillé au Muséum d’Histoire naturelle, il devient professeur au Collège de France, en 1778, puis en 1783, professeur d’« Économie rurale » ou d’« Économie rustique » à l’École d’Alfort (qui deviendra l’École Vétérinaire), alors sorte de ferme modèle.
2Daubenton, outre sa résidence, possède à côté de Montbard, sur les collines qui dominent la ville à l’ouest, un ancien prieuré, celui de Courtangy (sur la commune de Crépand). Il y entretient une exploitation agricole, notamment une bergerie. Daniel-Charles Trudaine, Intendant des Finances, demande alors à Daubenton :
« S’il voulait se charger de faire des expériences nécessaires à améliorer les laines de France au point de finesse des laines d’Espagne. »
3À partir de 1766, Daubenton fait venir à Courtangy des ovins « de Flandre, d’Angleterre, du Maroc, du Tibet », puis des mérinos d’Espagne.
« J’eus sept races de bêtes à laine très distinctes, y compris la race de l’Auxois, qui est le pays où ma bergerie est située. J’ai d’autres races métisses, et pour connaître à quel degré elles influeraient les unes sur les autres relativement à la valorisation des laines4. »
4Avec une aide financière de l’Intendant, Daubenton, faire construire, au début de l’année 1769 (marché signé le 28 décembre 1768) « une charpente dans un bâtiment situé à Courtangy […] pour la somme de huit cent cinquante livres », par Claude Rigot, charpentier à Semur-en-Auxois5. Cette bergerie servit peut-être d’exemple à sa bergerie modèle. La bergerie de l’Instruction servira quant à elle de modèle à celle construite à l’École Royale d’Alfort, appelée aussi « École d’agriculture » ou « Ferme de Maisonville », dans les années 1780, peut-être par Jacques Cellerier, architecte de l’établissement de 1783 à 1787 au moins6. En effet, en 1793, dans les « Instructions vétérinaires7 », Philibert Pierre Chabert, Pierre Flandrin et Jean-Baptiste Huzard, parlent de l’édification d’une bergerie8.
« La partie du parc de l’école, plantée en bosquets, étoit destinée à recevoir les meilleurs modèles de tous les bâtimens propres à former des habitations d’animaux. On débuta, dans cette entreprise, par y construire la bergerie décrite et gravée dans l’ouvrage de M. Daubenton, sur les moutons ; bergerie dont la circonférence est à claire-voie. On avait désigné la place d’une autre bergerie qui auroit été fermée autant qu’elle devoit l’être, sans devenir mal-saine, on se proposait aussi de construire des hangards [sic] ».
5Dans la « Leçon III » de son Instruction, intitulée « Sur le Logement, la Litière & et le Fumier des Moutons »9, Daubenton se pose la question :
« Faut-il loger les moutons dans des étables fermées ? »
« Les étables fermées qui sont le plus souvent mauvais logement que l’on puisse donner aux moutons. La vapeur qui sort de leur corps & le fumier infecte l’air & met ces animaux en sueur. Ils s’affaiblissent dans ces étables trop chaudes & mal saines ; ils y prennent des maladies. La laine y perd sa force, & souvent le fumier s’y dessèche & s’y brûle. […] Comment faut-il loger les moutons pour les maintenir en bonne santé, & pour avoir de bonnes laines & de bons fumiers ?
Il faut donner beaucoup d’air aux moutons ; ils sont mieux logés dans les étables ouvertes que dans les étables fermées, mieux sous des appentis ou des hangars que dans des étables ouvertes ; un parc peut leur servir de logement sans aucun abri.
Qu’est-ce qu’une étable ouverte ? Quel bien & quel mal fait-elle aux moutons ?
Une étable ouverte a plusieurs fenêtres qui ne sont fermées que par des grillages, de même que la porte. Elle vaut mieux qu’une étable fermée, parce qu’une partie de l’air infecté de la vapeur des corps des moutons & de leur fumier sort par les fenêtres & par la porte, tandis qu’il entre de l’air sain du dehors par les mêmes ouvertures. […] Mais ce changement d’air ne se fait qu’à la hauteur des fenêtres ; l’air qui reste autour des moutons dans la partie basse de l’étable au-dessous des fenêtres, est toujours malsain […]. Cependant ce logement est moins mauvais pour les moutons que les étables fermées, mais il n’est pas bon.
Qu’est-ce que les hangars ? Sont-ils le meilleur logement pour les moutons ?
Un hangar est un toit soutenu tour-au-tour sur des poteaux ; l’air infect en sort, & l’air sain y entre de tous les côtés […].
Quelle est la manière la moins coûteuse de faire un hangar pour loger les moutons ?
On peut faire un hangar sans murs. Ayez des poteaux de six ou sept pieds de hauteur [1 m 95 ou 2 m 27] placez-les de manière qu’ils soient soutenus chacun par un dé, & rangés sur deux files à dix pieds de distance les uns des autres. Assemblez-les avec des solives & les sablières de la même longueur de dix pieds [2 m 25], qui porte un couvert, dont les faîtes n’auront aussi que dix pieds, & les chevrons seulement sept pieds. Au milieu de cet espace on met un râtelier double. […]
Quelle preuve a-t-on que les bêtes à laine peuvent passer l’hiver en plein air ?
On a tenu un troupeau en plein air jour & nuit pendant toute l’année, sans aucun couvert, pour sçavoir s’il seroit mieux que dans des étables fermées. On a fait cette épreuve près de la ville de Montbard en Bourgogne d’abord sur une douzaine de bêtes, à laine, & ensuite pendant quatorze ans, depuis 1767 jusqu’en 1781, sur un troupeau d’environ trois cents bêtes, qui n’en n’a eu d’autre logement pendant tout ce temps qu’une basse-cour fermée de murs sans aucun couvert ; les brebis y ont mis bas ; les agneaux y sont toujours restés, & toutes les bêtes s’y sont maintenues en meilleur état qu’elles n’auroient fait dans des étables fermées. »
6Nous pouvons nous demander pourquoi Daubenton, après un tel éloge de l’élevage des moutons en plein air, prend la peine de publier un projet de bergerie modèle. Daubenton nous donne donc une vue cavalière de ce type de hangar, planche II, page 219. Elle a été dessinée par Fossier, dessinateur spécialisé dans la botanique, qui a participé à l’illustration de l’Histoire naturelle de Buffon, et qui est aussi l’illustrateur du Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature de Jean-Baptiste Lamarck, publié en 1793. La gravure est de François-Marie-Isidore Queverdo (1748-1797), graveur prolixe de portraits (de Marie-Antoinette ou de Necker). La gravure est accompagnée d’une longue légende.
« Cette planche représente la charpente d’un hangar couvert, pour mettre les moutons à l’abri de la pluie aux moindres frais possibles. La charpente de ce hangar, (fig. 1), est soutenue par des poteaux A B C D E, qui sont posés sur des dès de pierre F G H I J. Les poteaux A B C D E, sont assemblés par des solives L M, & des sablières N O, qui portent un couvert P Q R S. Un petit appentis T T placé de chaque côté du bâtiment, en agrandit l’espace, sans qu’il soit nécessaire d’employer des bois plus gros et plus longs. Les contre-fiches V V, assemblées avec les poteaux et les entraits, empêchent que la charpente ne déverse. Il y a au milieu du hangar un râtelier double X & deux râteliers simples Y Y, sur les côtés contre les poteaux des appentis. »
7La contre-fiche et une pièce oblique qui fait reposer les arbalétriers sur le poinçon. Elle est utile quand les arbalétriers sont très grands. Ici les « contre-fiches » (plutôt « contrefiches ») soulagent des « solives » « L M. » (en fait des entraits) en s’appuyant sur les « dés ». Cette pièce « V » est parfaitement inutile, les deux appentis suffisant à contrebuter la charpente principale, et les entraits n’ayant pas besoin d’être soutenus puisqu’ils le sont éventuellement (pour « L ») déjà par un poteau « C ». Mais Daubenton n’est pas charpentier, bien qu’il s’intéresse aux matériaux de construction, comme le prouve ce que dit Lacépède dans sa biographie :
« Aussi s’il traite des minéraux, se plaît-il à montrer […] aux architectes [que] les matériaux de la demeure modeste du citoyen peu fortuné [remplacent avantageusement] les blocs de marbre ou de granit qui rendent immortels les monumens conservateurs de la gloire des peuples10. »
8Quelle a été la réception de l’Instruction ? Si François de Neuchâteau fait l’éloge de l’entreprise de Daubenton, ce dernier ne fait pas l’unanimité. Dans son Avis aux cultivateurs et aux propriétaires de troupeaux sur l’amélioration de la laine (Paris, an VII, p. 5), le célèbre homme politique, membre du Directoire, observe :
« Quoique placé sur un sol très peu favorable, ce petit troupeau [des béliers et de brebis à laine fine d’Espagne] s’est soutenu depuis trente sans la plus petite dégénération. La race même des environs de Montbard, l’une des plus avilies de la République, a été menée, par des croisements successifs, au degré de finesse de la race espagnole11. »
9Mais L. Idelot (ancien berger) et M. Carlier dans les Remarques sur l’instruction de M. Daubenton pour les Bergers et les propriétaires de Troupeaux (Amsterdam, 1785) critiquent vertement la conception de la bergerie. Ils préfèrent un édifice plus fermé, aéré par « courant d’air » à un hangar. Ils remarquent que dans la bergerie de Daubenton, la pluie mouille les fourrages, que quand les moutons sont pris de frayeur subite ils cassent la clôture trop légère. En outre, ils craignent que des vols nocturnes aient lieu, rendus possibles par l’ouverture, et pensent que les bergeries fermées peuvent avoir d’autres usages quand les moutons sont dans les prairies l’été.
10Ainsi, Daubenton a-t-il néanmoins proposé un intéressant projet de bergerie, sans y croire excessivement.
Bibliographie
Daubenton Louis, Instruction pour les bergers et pour les propriétaires de troupeaux, Ph.-D. Pierres, Imprimeur Ordinaire du Roi, rue S. Jacques, M.DCC.LXXXII, Avec approbation & privilège du Roi.
Menault Ernest, Daubenton, Paris, 1883, p. 21-20.
Br. Franche, Louis-Jean-Marie de Montbard à Paris. Itinéraire d’un homme des Lumières, Dijon, p. 22.
A. Raillet et L. Moulé, Histoire de l’École d’Alfort, Paris, 1908, p. 761, d’après la 5e édition de l’Instruction.
Instructions et observations sur les maladies des animaux domestiques, « Suite de l’histoire des Écoles vétérinaires de France ».
Notes de bas de page
1 À Paris, de l’imprimerie de Ph.-D. Pierres, Imprimeur Ordinaire du Roi, rue S. Jacques, M.DCC.LXXXII, Avec approbation & privilège du Roi. L’ouvrage a rencontré un grand succès et a connu plusieurs rééditions : la 2e en 1793, la 3e en l’an X, la 4e en 1810 et la 5e en 1820, les trois dernières précédées d’un « Discours sur la vie et les ouvrages de Daubenton » par Bernard-Germain de Lacépède, en l’an VIII.
2 On verra ses portraits, celui d’Alexandre Roslin, au musée d’Orléans, et un autre au musée de Semur-en-Auxois.
3 Son hôtel particulier existe toujours à Semur.
4 Cité par E. Menault, Daubenton.
5 Br. Franche, Louis-Jean-Marie de Montbard à Paris. Itinéraire d’un homme des Lumières.
6 A. Raillet et L. Moulé, Histoire de l’École d’Alfort.
7 Le titre est plutôt Instructions et observations sur les maladies des animaux domestiques, « Suite de l’histoire des Écoles vétérinaires de France », réédité en 1809.
8 Ibid., p. 22-23.
9 Ibid., p. 24-34.
10 Ibid., p. XIV. Allusion à un autre ouvrage de Daubenton, le Tableau distinctif des minéraux (Paris 1784).
11 Le problème avait été que jusqu’alors les mérinos se reproduisaient mal en dehors de l’Espagne.
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2016