1Au début du xvi^e siècle, Noirmoutier est une petite île prospère. Les comptes portuaires témoignent d’une activité internationale encore basée sur l’exportation du sel vers le nord de l’Europe, et vers l’intérieur de la France par la Loire et ses affluents. Au congrès du CTHS à Nantes en 1966, avec Robert Favreau et sous l’autorité de Michel Mollat, nous montrions l’intérêt du chartrier de Thouars, c’est-à-dire les archives des La Tremoille, seigneurs de Noirmoutier en cette première moitié du xvi^e siècle et jusqu’en 1720 !

2Après le cardinal Jehan de La Tremoille, seigneur de l’île jusqu’à sa mort en 1506, l’île va être gérée par des officiers nommés à Thouars par le représentant de la branche aînée de la famille et cela jusqu’en 1546-1547.

L’espace du vagabondage des animaux domestiques

3Les comptes conservés nous donnent le détail des opérations de la gestion locale. Pour notre sujet, nous voyons le travail des sergents chargés de l’ordre dans certains domaines. L’un d’eux, le sergent d’agât, office créé seulement en 1508, sera chargé plus particulièrement de la surveillance des champs et des vignes, et des dégâts qui y sont faits1, tâche difficile car il n’y a pas de haies et les clôtures sont légères dans ce pays de champs ouverts. Pourtant, jusqu’au remembrement de 1960, chaque paysan connaît non seulement ses propres champs, leurs noms, mais également celui de tous les champs voisins ! Alors, tout se savait et tout se voyait ! Le passé du paysage s’est évanoui depuis parce que les repères ont disparu.

4Les animaux domestiques étaient ceux de l’agriculture régionale. François Piet, en 1816, mentionne l’existence d’une race de petits chevaux à Yeu, mais pas à Noirmoutier, au xix^e siècle2. Les seuls troupeaux mentionnés ici sont des troupeaux d’ovins. La chaîne du textile, du mouton à la toile tissée, exista jusqu’en 1984, date de l’arrêt du dernier métier à tisser, mais, en réalité, l’activité des tisserands était moribonde depuis le début du xix^e siècle. Les ânes devinrent vite très nombreux et on en comptait deux mille au xix^e siècle !

5Quel est donc « l’espace du vagabondage des animaux » au xvi^e siècle ? Il y a le champ du voisin, les vignes, les dunes, les rares prés dans les marais salants, l’orée du Bois de la Chaise. Les dunes, comme l’estran et les eaux territoriales jusqu’à la limite des trois milles marins, semblent bien être propriété seigneuriale3. François Piet, en 1810, fait une description saisissante des dégâts faits par le bétail broutant sur les dunes :

« Il est inutile, je crois, d’insister sur la nécessité d’interdire aux bestiaux l’usage de parcourir les dunes. Tout le monde sait qu’ils y broutent les plantes, les arrachent avec leurs racines ; que leurs pieds rentrent dans le sable, le soulèvent, le rendent plus mobile, et que, s’ils n’en sont expulsés, tout succès des semis et des plantations devient impossible. En vain, observera-t-on que c’est priver les malheureux d’une grande ressource, celle de nourrir sans frais leurs ânes, ces animaux indispensables pour les transports des sels, des blés et des engrais… »

6Un arrêté du préfet de la Vendée de 1810, rappelé en 1854, renferme les dispositions suivantes :

« Le parcours des bestiaux est expressément interdit dans toute l’étendue des dunes de la Vendée qui appartiennent au domaine public ou communal […] il est défendu d’opérer sur les dunes aucune coupe de plantes4… »

Exemples de rapports faits par les sergents

7Ce type de rapport5 de sergent se rencontre chaque année et peut donner l’illusion de nous faire connaître tous les propriétaires de bétail par exemple ou la nature des rapports entre les sergents et les habitants. C’est naturellement faux ! Ces hommes cités se rencontrent pour la plupart dans les documents contemporains et on peut savoir la partie de l’île où ils habitaient. Un seul pauvre est cité ! Aucune femme n’apparaît ! Remarquons quand même que ces deux sergents ne sont pas noirmoutrins d’origine, c’était prudent et normal, et encore pratiqué aujourd’hui dans certains corps de fonctionnaires.

8Les rapports de sergents, d’abord en brouillons, étaient rassemblés et recopiés pour être présentés et avoir « force de loi » aux petites assises qui se tenaient six ou sept fois par semestre sous la présidence du châtelain.

9La vigne occupe encore au début du xvi^e siècle une notable partie des terres du nord de l’île et quelques tènements à l’Épine et à La Guérinière. Il y a vingt fiefs seigneuriaux de vignes pour seulement seize fiefs de blés. (cf. tabl. 1, 2 et 3).

Arch. nat. Q1/1588/2, fol. 173.

Arch. nat. Q1/1588/2, Fol. 173.

Arch. nat. Q1/1588/2, fol. 173.

10L’arée est constituée des versants herbus des dunes au-dessus de la plage et, par extension de la plage elle-même. La « grande arée » est la longue plage de quinze kilomètres qui va de la Fosse à La Guérinière.

Commentaires

11On peut s’étonner de cette avalanche d’amendes payées apparemment sans refus, ni même contestation. Il est possible que les sergents aient prévenu ceux qu’ils allaient verbaliser plus tard. L’effet fut nul, mais évita les contestations publiques. Toutefois, un cas de rébellion est signalé en 1545 par Vayronneau, un des sergents6. On signale aussi que « Michea Dubois et Colas Brisset ne sont pas venus voir tauxer les amendes », ce qui se faisait publiquement, semble-t-il, à l’auditoire ou à la sortie de la grande messe. On voit bien que le seigneur dut augmenter le nombre de sergents pour ne pas perdre une partie des vendanges ou des récoltes de blés. L’adaptation à la situation se fait avec retard, mais elle se fait ! Ce début de siècle est une période de gestion assez peu rigoureuse au point qu’il faudra attendre 1540 pour que le seigneur prenne la décision de créer un office de « contreroleur » pour contrôler au jour le jour les départs de navires.