Un représentant du Secours Populaire

1Je voudrais, à propos de l’intervention de Laurent LARDEUX évoquer un phénomène qui s’est développé depuis la scission de l’UNEF : les conseils de jeunes. Je pense que durant cette période-là, et je le ressens surtout aujourd’hui, il y a eu une volonté d’intégrer vraiment la jeunesse à des conseils. On peut le voir au niveau des lycéens avec les conseils de la vie lycéenne, et puis au niveau académique, au niveau national avec les étudiants et puis ensuite avec les jeunes non scolarisés.

2D’ailleurs, c’est une question importante ces jeunes non scolarisés ; aujourd’hui on se la pose mais il est vrai que pour la jeunesse scolarisée il existe des organisations représentatives nombreuses et qui se font concurrence chaque année lors d’élections : on a affaire en quelque sorte à une forme de démocratie représentative au cœur de la jeunesse, même si le pourcentage de votants n’est pas très important. En revanche, pour les jeunes non scolarisés, c’est plus difficile ; en effet, ils ne vivent pas dans un même lieu, comme une université ou un lycée, et il est donc beaucoup plus difficile de les toucher. Il est vrai que ces jeunes-là, souvent, ne disposent pas de « conseils », ce qui génère justement une difficulté pour les intégrer.

3J’aimerais donc vous poser cette question : au niveau de l’action publique, comment faire pour consulter cette partie de la jeunesse non scolarisée ? Comment l’État a-t-il pu agir dans ce domaine à la suite de la décentralisation des collectivités territoriales ? Merci.

4Laurent LARDEUX

5Il est tout à fait vrai qu’il existe des conseils d’enfants et de jeunes. Il faut rappeler aussi l’existence de l’ANACEJ (Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes⁴⁸) à ce sujet, qui fait un gros travail pour renforcer cette participation des jeunes, cette représentation des jeunes au niveau des territoires. Cette jeunesse-là, en tout cas, participe dans des cadres formels. Mais il y a effectivement toute une partie de la jeunesse qu’il est plus compliqué de rapprocher de la politique, pour qu’elle puisse participer, être entendue, être prise en compte également par les politiques. C’est donc toute la jeunesse des quartiers populaires pour laquelle il est franchement difficile de définir les meilleures solutions qui pourraient être mises en place. Quoi qu’il en soit, il ne m’appartient pas en tant que chercheur chargé d’études et de recherches, d’apporter des solutions politiques pour que cette jeunesse soit prise en compte. On peut constater que c’est un enjeu beaucoup plus délicat. Des initiatives sont mises en place, des initiatives d’empowerment essaient de valoriser le pouvoir d’agir de ces personnes, des jeunes, en tout cas, des quartiers populaires. Il existe aussi toute une littérature sur cette question. Mais la réponse politique, malheureusement, ne m’appartient pas.

6Philippe CALLÉ

7Cette préoccupation a été entendue durant cette matinée à propos de la consultation DIJOUD : Paul DIJOUD incitant ses services, à l’époque, à organiser des rencontres avec des jeunes inorganisés, mais cela n’a duré qu’un temps, un temps court.

8Laurent BESSE a rappelé que cette consultation DIJOUD, a duré quelques mois à peine. L’ambition, à ce moment-là, et dans un contexte que Laurent BESSE a rappelé, était d’aller consulter des jeunes qui justement ne sont engagés « dans rien ». J’ajouterais que c’est un art qui s’apparente un peu à la pêche à la ligne : comment font des services administratifs pour aller rencontrer des jeunes qui ne sont « dans rien » ? C’est une espèce de quadrature du cercle mais c’est une recherche... Une recherche et un souci, on le verra peut-être avec la consultation BALLADUR cet après-midi : un souci permanent des pouvoirs publics d’aller à la rencontre des jeunes que personne ne touche, la grande masse, la grande majorité silencieuse et inorganisée. Est-ce une utopie ? C’est un peu la question du jour.

9Laurent BESSE

10Longtemps les pouvoirs publics, à partir de la Libération ont, de fait, reconnu les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire comme représentant la jeunesse. D’ailleurs, dans les années 1950, dans les archives, quand on dit « la jeunesse », il s’agit des représentants des scouts ou de la jeunesse ouvrière chrétienne, qui ne sont pas nécessairement des jeunes, et il existe des tensions entre, par exemple, la JOC qui conçoit son rôle comme une sorte de « syndicat des jeunes » et les associations d’éducation populaire comme les MJC. Il y a donc des rivalités. La consécration, intervient au début de la Vème République, comme l’a rappelé Philippe CALLÉ tout à l’heure, lorsque le pouvoir gaulliste organise, pas simplement dans le domaine de la jeunesse, la reconnaissance d’un certain nombre de grandes familles ou d’organisations comme représentatives de secteurs. Il en est ainsi dans l’agriculture. L’argument qui est utilisé par les organisations de jeunesse depuis la Libération consiste à dire : notre rôle est identique à celui des syndicats de salariés même si tout le monde n’est pas syndiqué. Argument quand même plus contestable sachant que le modèle s’apparenterait plutôt à celui du pouvoir familial, puisqu’après tout, depuis la Libération, l’UNAF (Union nationale des associations familiales) parle au nom des familles, alors que beaucoup de gens, y compris parmi ceux qui sont membres d’associations regroupées dans les fédérations familiales, ne savent pas qu’elles sont membres d’une organisation familiale. Mais il n’y a jamais eu de consécration, de reconnaissance d’un « pouvoir » de la jeunesse par ce biais-là.

11Et par ailleurs, les sections jeunes des syndicats, dans les années 1950 et 1960, sont présentes au sein du haut-comité de la Jeunesse, sauf la CGT, qui est exclue par les pouvoirs publics, mais FO est présente, le SNI a une section « jeunes », et elles y sont comme représentants.

12Mais dans le cas des consultations jeunesse, -et c’est le cas de la consultation MISSOFFE- on tente de sortir de ce face à face entre l’État et les représentants auto-désignés ou constitués. On observe toujours ce jeu qui consiste à dire : « mais vous ne représentez, par exemple que 10 % des jeunes » (dans les années 1960 c’est la proportion) ; qu’en est-il des 90 % autres ? Mais en même temps on n’a pas d’autre interlocuteur, et c’est assez classique comme jeu et difficilement dépassable peut-être.

13Philippe CALLÉ

14J’ajouterai que c’est à la fois une question politique et théorique. Les jeunes qui ne sont engagés nulle part, bien sûr ils existent, et les pouvoirs publics doivent agir pour eux. Mais comment considérer ce qui est donné comme une force politique, mais une force qui n’est pas organisée ? C’est un problème dont on peut discuter ultérieurement : comment prendre en compte des gens qui ne sont pas représentés ?

15Amélie TURET

16Une petite question rapide : quelle place est faite à la recherche, au développement et à l’innovation sociale à l’INJEP, en ce qui concerne le conseil auprès des cabinets politiques, à propos des formes de consultation de la jeunesse ? En effet, quand il y a des prises de décisions, dont sont écartées les fédérations d’éducation populaire, on écarte les associations représentatives ou les mouvements de jeunesse et on écarte parfois l’administration elle-même dans sa capacité de relais pour « prendre la température de la jeunesse ». À quel endroit peut-on voir des think-tank qui permettent de conseiller le politique par rapport, à la fois, aux questions de participation des jeunes et aux questions qui tentent de savoir comment prendre cette température. Sauf évidemment quand on est dans des consultations, comme vous l’avez rappelé, où on se trouve à la fois dans une action de communication et dans une consultation réelle.

17Laurent LARDEUX

18C’est une question compliquée vu le contexte actuel de l’INJEP qui est en voie de restructuration. En tout cas, on comprend aussi toute l’importance d’avoir sans doute un observatoire qui soit autonome pour analyser ne serait-ce que les consultations, de disposer d’un opérateur qui ne soit pas rattaché à un ministère pour pouvoir effectuer ce travail, et surtout le faire en toute indépendance et en toute autonomie. En tout cas, c’est effectivement le rôle d’un observatoire de faire ce travail, sans doute pour apporter des éléments de connaissance, d’analyse, des éléments critiques aussi, sur une politique mais donc, de façon complètement détachée d’un ministère et c’est tout le rôle de l’observatoire et de sa mission.

Un intervenant dans la salle

19Je voulais savoir s’il y a eu des initiatives de consultation menées par les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire eux-mêmes et qui aillent au-delà de leurs adhérents traditionnels en contrepoint de ce qui peut se faire au niveau du politique.

20Laurent BESSE

21Oui, c’est le cas, par exemple, du travail qui a été mené à de nombreuses reprises par la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ; mais il y a eu aussi des tentatives, y compris au niveau local, de la part d’un certain nombre de MJC même si elles n’étaient pas nécessairement les mieux placées pour ce type de travail. On peut relever un certain nombre d’expériences, y compris dans le cadre d’une sorte de contre-consultation MISSOFFE : j’ai donné l’exemple de la MJC de Blois, mais il y a eu d’autres tentatives.

22Et il y a eu aussi, phénomène qui n’est pas très connu, en juin 1968, des élections parallèles. Vous savez qu’alors, les jeunes de moins de 21 ans n’avaient pas le droit de vote, et à l’appel de partis politiques de gauche, d’associations d’éducation populaire, il y a eu quelques scrutins parallèles qui se sont tenus dans des centres sociaux, dans les associations de la fédération Léo LAGRANGE et quelques MJC. C’est un exemple de consultation, là, strictement politique, pour une période que je connais un peu. Par la suite il y a eu d’autres exemples et encore assez récemment, je crois, en particulier du côté de la JOC. Et il y a comme exemple célèbre, l’enquête menée par les mouvements de jeunesse regroupés, dans laquelle le scoutisme des Scouts de France a joué un très grand rôle auprès des rappelés de la guerre d’Algérie : une grande enquête de 1959-60 déposée aux archives de l’IRESCO (Institut pour la recherche, le développement socioéconomique et la communication), qui a donné lieu à une publication.

23André-Jacques DODIN

24Je voudrais faire une petite remarque concernant la question précédente : « comment consulter les jeunes qui ne sont pas membres d’associations ou qui ne sont pas organisés ? » Au niveau européen, on observe qu’il y a de la part des adultes et des décideurs politiques une très grande difficulté à percevoir la façon dont les jeunes voudraient s’exprimer et participer : la perception que nous, nous avons de la façon dont on voudrait que les jeunes s’expriment et participent n’est pas du tout celle que les jeunes souhaitent. Et en matière de consultation des jeunes non organisés, on s’aperçoit, dans beaucoup de pays européens, je ne sais pas en France, que l’utilisation des nouvelles technologies de communication (Internet, Facebook, les réseaux sociaux) jouent un rôle très important. Mais on en est à un stade où les décideurs politiques ne savent pas encore comment « exploiter » ou comment être à l’écoute de ces façons de s’exprimer. Elles existent et je crois qu’il faut développer les outils pour comprendre comment les jeunes s’expriment et comment ils peuvent participer.

25Nizar YAÏCHE

26Je suis impliqué à l’heure actuelle dans tout un processus européen qui s’appuie sur la consultation de la jeunesse.

27Je reprendrai quelques éléments par rapport à la question de Madame TURET : il y a eu et il y a des choses qui se sont faites à un moment au niveau des coordinations associatives, en lien avec les pouvoirs publics, parfois même pour de la commande publique. Mais elles ne se situent pas dans la période historique concernée.

28S’agissant de la question qui vient d’être posée sur l’utilisation des nouvelles technologies ou sur les modes de consultation, j’évoquerai quelques éléments, car c’est la thématique qui est travaillée actuellement au niveau européen dans les vingt-huit États membres, et naturellement en France, avec un groupe qui associe à la fois les pouvoirs publics, des responsables associatifs et des jeunes issus de mouvements de jeunesse mais qui ne viennent pas au nom de ces mouvements. Il y a eu une consultation récemment : ce qui en ressort à propos de la place du numérique et des nouvelles technologies, c’est qu’il y a une certaine méfiance de la jeunesse par rapport à cette place dans la participation politique. C’est-à-dire qu’il y a une certaine méfiance à l’égard du risque d’instrumentalisation : « ce sont nos outils, on ne veut pas forcément qu’ils soient pris en compte par les pouvoirs publics pour créer quelque chose ». On constate même la peur de délaisser les espaces physiques au profit d’espaces virtuels, une peur aussi de ce qui a été appelé par des jeunes dans la consultation, « le clic facile ». Je peux moi, ce soir soutenir sur Facebook les droits des femmes, je peux lutter contre la guerre en Irak en cliquant, mais finalement quel est le sens de l’engagement ? Beaucoup de jeunes se disent que ce n’est pas forcément l’alpha et l’oméga de la participation. Alors oui, ça peut être un moyen de communication, mais il faut faire attention.

29J’en reviens à ma question. Ce qui m’intéresse au niveau historique, c’est de savoir comment dans la conception des consultations, l’exploitation a été anticipée. De ce que j’ai pu comprendre, notamment de la consultation MISSOFFE, on constate finalement qu’on dispose de plusieurs milliers de réponses dont on ne sait quoi faire, et on appelle les mouvements de jeunesse à la rescousse.

30Enfin, j’aimerais bien savoir comment cela a été anticipé. Comment les choses se seraient passées s’il y avait eu une exploitation partagée, anticipée entre mouvements de jeunesse et pouvoirs publics ? Ce sont les questions qu’on se pose aujourd’hui avant de faire une consultation, avant de lancer un processus de dialogue Qu’est-ce qu’on veut à la fin ? Comment va-t-on exploiter ? Qui va exploiter ? Et comment on s’assure justement que cette exploitation puisse être faite de manière intelligente.

31Laurent BESSE

32La question de l’exploitation n’a pas du tout été pensée dans le cadre du Livre Blanc MISSOFFE, mais il faudrait replacer cela dans le fait que la sensibilité aux sciences sociales reste alors modeste dans l’univers Jeunesse éducation populaire, même s’il ne faut pas sous-estimer la tradition venue en particulier de toute une partie des mouvements d’éducation populaire, de l’enquête. J’ai évoqué la JOC tout à l’heure : dès les années 1930 on a des enquêtes sur les salaires, par exemple à Nantes. La JOC a cette tradition. Il faut savoir aussi que deux sociologues des années 1960 ont eu des liens étroits avec les mouvements de jeunesse, même si ce sont des gens qui sont peut-être un peu oubliés aujourd’hui ; mais à l’époque, ils avaient, en particulier, la faveur des pouvoirs publics. Il s’agit d’une part, de Joffre DUMAZEDIER dans sa position, à la fois de militant et d’ex-fonctionnaire de Jeunesse et Sports, créateur du premier laboratoire de sociologie au sein du CNRS, et de Paul-Henri CHOMBART de LAUWE qui est passé par Uriage, et de toute une tradition d’enquêtes empiriques. On la retrouve, par exemple dans un certain nombre de réponses du questionnaire MISSOFFE, venues de mouvements de jeunesse qui ont mené des enquêtes spontanément de la même façon que je l’avais vu dans les dossiers de création des MJC. Il y a donc une petite tradition de l’enquête, avec photos, parfois même questionnaires, on fait des statistiques : tout ça fait partie d’un fond de base.

33En revanche, les conditions même de l’enquête, la façon dont elle a été pensée contre les mouvements de jeunesse, très largement, font que la question de l’exploitation n’a tout simplement pas été pensée. Même si c’est au même moment qu’est créé (ou juste après) au sein du ministère Jeunesse et sports, le service des études et de l’action générale qui va comporter un volet enquêtes ; ce bureau d’études sera beaucoup plus développé dans les années 1970. On observe la même chose au ministère de la Culture qui ne s’appelle d’ailleurs pas ainsi à l’époque, mais le ministère des Affaires culturelles : Augustin GIRARD va créer un service des études, en 1967-68, c’est donc très récent aussi. On notera d’ailleurs le fait que, dix ans plus tard, Paul DIJOUD ait pu mobiliser les services pour une exploitation qui a été visiblement infiniment plus sérieuse, bien que réalisée dans un temps court, ce qui prouve la montée d’une expertise interne, qui sera encore beaucoup plus forte au sein du ministère de la Culture.

34Enfin, la sociologie, sauf erreur de ma part, est instituée en 1959 ou 1960 comme discipline de plein exercice à l’université. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait rien avant, mais c’est au cours des années 1960 qu’elle se développe lentement. Vont aussi se créer du côté des mouvements de jeunesse, des bureaux d’études qui emploieront des gens formés à la sociologie, et aussi des bureaux d’études dépendant des pouvoirs publics pour l’implantation, par exemple, des équipements. Ces constructions d’équipements socio-éducatifs vont donner lieu à des enquêtes, ce qui entraîne progressivement une familiarisation avec les méthodes des sciences sociales. Je ne sais pas s’il y a eu des études sur la diffusion d’une culture sociologique ou d’enquêtes dans la société française, particulièrement dans l’administration, mais je pense que ce sera un travail important à effectuer. Il y a eu des éléments sur les statistiques mais en matière d’enquête, je ne sais pas.

35Philippe CALLÉ

36J’ai évoqué tout à l’heure la création de la DATAR. Les commissions du Plan dans les années 1960 (pas avant) ont rassemblé beaucoup de gens : c’était un des rôles des commissions du Plan, notamment la commission sociale. Laurent BESSE a parlé de Joffre DUMAZEDIER qui participait à cette commission. C’est par ce biais que les sciences sociales, la sociologie, la statistique, parfois pas très séparées les unes des autres d’ailleurs, sont entrées dans l’action publique de manière très formelle. Il a fallu du temps pour que ça se diffuse ; je ne veux pas dire que c’était en marge parce que non, les commissions avaient un rôle important, mais enfin la diffusion dans l’ensemble de l’administration a été quand même assez lente.

37Laurent BESSE

38Parallèlement on observe l’usage du sondage.

39Philippe CALLÉ

40Ah oui, c’est l’autre versant : le sondage d’opinion.

41Claude MOREL

42J’étais assistant de jeunesse et d’éducation populaire à l’époque de DIJOUD et j’ai donc participé activement à cette enquête dans le département des Hauts-de-Seine. La première remarque que je voulais faire, c’est qu’effectivement on a essayé de travailler avec toutes les associations où il y avait des permanents en organisant des réunions le soir, directement avec les jeunes.

43Ça a plus ou moins bien marché. J’ai encore en mémoire une réaction de mon inspecteur venu voir comment les choses se passaient et qui me reprochait de ne pas avoir réussi à rassembler beaucoup de jeunes. Mais la remarque que je voudrais faire à cet égard, c’est que les associations comme les MJC, Léo LAGRANGE, etc... qui nous donnaient un coup de main, nous disaient en aparté : « Vous êtes en train de travailler contre les mouvements fédérés. » Et parallèlement, on a essayé de toucher les inorganisés qu’on retrouvait dans les clubs de prévention, mais ça a été un échec retentissant. Quant à l’utilisation du répondeur téléphonique, voire du téléphone, notre Préfet avait exigé qu’on assure une permanence le samedi matin : je peux vous dire que l’enquête DIJOUD n’a pas duré longtemps, mais le premier mois on a eu un, deux coups de fil c’est tout, et à la fin, (il y a prescription maintenant !) parfois c’étaient des collègues qui nous appelaient pour nous dire « Comment ça va, tu as eu des questions ? Moi je peux t’en poser une... »

44Sur la question des inorganisés -ça n’a rien à voir avec l’enquête DIJOUD- j’ai eu le sentiment en étant dans ce département que lors de l’opération « Mille clubs » (et ce serait intéressant un jour qu’on se penche dessus), il s’agissait peut-être d’essayer de regrouper des jeunes inorganisés sur un projet commun pour construire un établissement, un bâtiment qui serait le leur. Et finalement, là aussi, au moins dans la région parisienne, j’ai eu le sentiment que ça avait été un peu détourné par les collectivités locales.

45Philippe CALLÉ

46J’ouvre une parenthèse : si on voulait faire ce qu’on appelle maintenant le making off de l’action publique au niveau local, quand on demandait à un fonctionnaire de contacter des inorganisés, il n’avait pas bien d’autres ressources que de passer par une association installée pour aller toucher les jeunes. Je veux dire que ce n’est pas en traînant dans la rue ou à la sortie des supermarchés, qui n’existaient pas, qu’on pouvait toucher des jeunes qui n’étaient présents dans rien. Donc il fallait, et c’est un peu la situation paradoxale de l’action publique au niveau local, passer par des organisations pour toucher des jeunes inorganisés : on retombait donc dans ce qui était souvent dénoncé.

47Laurent ROQUES

48Je travaille pour le Secours Populaire en tant que « coordinateur national jeunes ». Avec le Secours Populaire voilà plus de deux ans maintenant que nous avons engagé un travail avec le Fonds pour le développement de la vie associative (FNDVA) sur la gouvernance des jeunes dans le monde associatif, avec la Croix-Rouge, avec Familles rurales et avec l’Association des paralysés de France. Il est très intéressant de constater que, d’un côté l’engagement militant jeune est toujours plus qu’actif et que surtout on s’est surpris nous-mêmes en apercevant à quel point finalement on n’était pas si en retard que ça. Il y a effectivement de nouvelles données qui apparaissent aujourd’hui, qu’il faut prendre en compte.

49Tout d’abord, je dois constater au niveau de la coordination nationale jeunes, où j’ai effectué le même travail, ce qui m’amène à venir ici, c’est que, avant de prendre en charge ce dossier avec cette jeunesse mouvante et plus encore aujourd’hui, il a fallu regarder dans le rétroviseur à un moment donné. Il faut être responsable et il faut se dire : « Mais qu’est ce qui s’est passé avant ? » pour savoir où on va et où on en est.

50J’ai donc étudié toutes les archives du Secours Populaire et je suis revenu de très, très loin et c’est ce qui m’amène aussi aujourd’hui. J’ai envie d’apprendre le travail, de mutualiser cette collecte et d’ailleurs je vous remercie pour tout ce que vous m’offrez aujourd’hui par votre travail et votre patience et votre passion.

51Je dois remarquer qu’il y a une évolution notable : c’est, et j’en suis surpris, la capacité des jeunes d’aujourd’hui avec le numérique forcément. Ils connaissent beaucoup de choses, c’est impressionnant, ce sont des puits de savoir pour beaucoup. C’est surprenant mais ils sont en capacité aujourd’hui d’avoir une connaissance accrue et multifonction, c’est-à-dire sur plusieurs thématiques. C’est déjà un premier constat. Ensuite, je me suis positionné sur les « NEET49 », ceux qu’on ne touche pas, ceux qui sont enfermés, reclus chez eux et qu’on touche de moins en moins et qui sont de plus en plus nombreux. On parle de près de 900 000 jeunes en France, presque un million très certainement aujourd’hui, et ça ne va pas aller en s’arrangeant.

52C’est énorme, un million de jeunes qu’on ne touche plus dans le monde des formations, au niveau professionnel... Pourtant alors, on a évoqué les consultations passées, et donné le chiffre de 5000 ou 7000 questionnaires. Aujourd’hui les grandes entreprises, les firmes internationales qui disposent de moyens conséquents, ont ce qu’elles appellent le « Big Data » et c’est impressionnant. Alors je suis d’accord, il faut se méfier entre le clic de l’instant qui est peut-être contestataire, qui peut être identitaire, qui peut être tout ce qu’on veut, (on a bien vu ce qui s’est passé avec le 11 janvier avec les marches) : il faut faire attention, raison garder et ne pas prendre de raccourci.

53Pour autant dans le suivi, on apprend énormément : il est évident que le jeune est identifiable, sa trajectoire est repérable. Aujourd’hui on commande de la musique sur WriteTube, on parle de You Tube et des contenus : tous les jeunes ont la parole aujourd’hui.

54On dit aussi que la lecture se perd : là encore il faut regarder les chiffres et on s’aperçoit que plus de 50 % de ceux qui consultent un site gratuit d’écriture, mais à visée littéraire, ont moins de 35 ans et les plus jeunes ont 16 ans. Cela est dû, encore une fois, à Google qui permet véritablement d’en apprendre énormément. C’est très surprenant, alors même qu’on dit : « La jeunesse ne lit plus ». Je lis en permanence dans les médias des raccourcis qui ne représentent pas à mon sens la vérité. La question par conséquent que je vous adresse à tous, puisque vous êtes chercheurs, ou historiens est celle-ci : avez-vous la crainte que tout passe au système privé puisque sont en jeu des crédits, des moyens ? Comment entrevoyez- vous les consultations de la jeunesse au niveau public ? Est-ce qu’il est déjà trop tard ? Est-ce que ce seront les sociétés privées qui vont en avoir la charge ?

55Laurent BESSE

56Du point de vue de l’histoire, les premières études de marketing sur la consommation des jeunes datent en France de 1958. C’est un élément aussi dans le contexte de la montée de la jeunesse à partir du moment où elle intéresse les publicitaires. C’est aussi une forme, d’ailleurs, de connaissance sociologique ou sociale, qui témoigne d’un savoir-faire, d’un marché, d’un intérêt ; c’est ce qui me vient à l’esprit par rapport à votre remarque.

57Philippe CALLÉ

58Je précise que le Comité d’histoire des ministères chargés de la Jeunesse et des sports, ce n’est pas le ministère ; soyons bien clairs. On a évoqué ce matin les missions du comité d’histoire : il procède à un retour rétrospectif, il n’est pas chargé d’élaborer des projets publics. Ses travaux peuvent contribuer à éclairer le décideur. S’agissant des futures consultations, je ne sais pas s’il y en a de prévues. Cet après-midi nous aurons un petit temps de travail sur la consultation BALLADUR qui, je pense, va susciter aussi beaucoup de questions et de débats, mais moi je n’ai pas de réponses sur ce que feront les pouvoirs publics pour consulter la jeunesse. Ce n’est pas que ça ne m’intéresse pas, mais à titre strictement personnel ; et ce n’est pas une compétence du comité.