La politique énergétique et climatique de l’UE après la COP211
p. 203-207
Texte intégral
1En tant que responsable du programme Énergie et climat au Centre d'études politiques européennes (CEPS) à Bruxelles, je m'occupe de politique énergétique, de finances, de politique climatique et de marchés. Dans cet exposé, je vais tout d'abord analyser les conséquences de la conférence de l'Organisation des Nations unies (ONU) sur le climat (C0P21) pour l'Union européenne (UE) et sa politique climatique. Ensuite, je m'intéresserai à la politique énergétique et climatique actuelle en Europe. Troisièmement, j'aimerais aborder la transition énergétique ou plutôt les transitions énergétiques, les investissements et la compétitivité en tant que principaux chantiers à réaliser. Enfin se pose la question de ce qui se passera en Europe après 2030.
Les conséquences de la COP21 pour l'UE
2Dans le cadre de la conférence de l’ONU sur le climat qui s’est tenue à Paris en 2015, les objectifs suivants de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont fait l’objet d’un accord : au moins 40 % d’ici 2030, et 80-95 % d’ici 2050 (par rapport à 1990). Un contrôle aura lieu tous les cinq ans. Le point décisif est toutefois que la conférence de Paris n’a donné aucune instruction précise sur ce que l’UE doit faire. Celle-ci est seule responsable de la mise en œuvre de cette stratégie, via son processus législatif.
3Par exemple, en matière d’énergies renouvelables, on propose de fixer des objectifs contraignants à l’échelle de l’UE, mais il n’y a actuellement aucun débat européen pour les atteindre. Il en va de même pour le système européen d’échange de quotas d’émission. Beaucoup de ces questions d’ambition n’en sont qu’au processus de discussion législatif de l’UE. Cela signifie que les choses peuvent durer, avec une issue incertaine.
4Le point suivant concerne le fait que le débat sur le climat pour 2020, 2030 et après dépend fortement de la situation politique d’ensemble dans l’UE. Depuis le traité de Lisbonne – et même avant, en principe –, c’est le Conseil européen qui assume la direction, y compris pour la politique climatique et énergétique. À cause des autres grands thèmes de l’UE (l’euro, la crise des migrants, le Brexit) dont il faut débattre en ce moment et qui s’imposeront pendant longtemps encore, il semble difficile de parvenir à organiser un débat de fond pourtant nécessaire sur la politique climatique et énergétique de l’UE.
5De plus, une grande partie des États d’Europe du Sud-Est n’ont pas la volonté politique de mettre en œuvre une politique climatique et de renoncer au gaz et au charbon, notamment à cause d’un haut degré de corruption.
La politique énergétique et climatique de l'UE : l’Union de l'énergie
6L’Union de l’énergie est un paquet global qui réunit les questions de politique énergétique et climatique et, dans la plus pure tradition européenne, regroupe les différents intérêts des États membres : la transition énergétique en Allemagne et en France, le gaz et les interconnexions en Europe du Sud-Est, les interconnexions en Espagne et en Italie, ainsi que l’innovation en Europe centrale, en Europe du Nord et au Royaume-Uni. Les principaux thèmes de l’Union de l’énergie sont la directive sur les énergies renouvelables, la conception du marché de l’électricité, la politique des transports et la numérisation de l’énergie.
La directive sur les énergies renouvelables
7En ce qui concerne la directive sur les énergies renouvelables, il existe des divergences croissantes entre les États membres quant à l’objectif de 27 % d’énergies renouvelables ou plus d’ici 2030, fixé par l’UE. La question est de savoir si le cadre politique de l’UE peut combattre ces divergences au moyen d’outils permettant de les éviter (gap avoiders) ou de combler les écarts (gap fillers).
8Les gap avoiders sont les fonds structurels de l’UE et une institution européenne de conciliation en cas de modifications rétroactives. À mon avis, les modifications rétroactives des lois en Espagne, en Roumanie, en Bulgarie et au Royaume-Uni ont une très mauvaise influence sur la confiance des investisseurs. Il existe encore de nombreuses autres possibilités pour amener les États membres à en faire plus. Par exemple, il est question d’un arbitrage entre les différents instruments : de cette manière, un État membre qui améliore son efficacité énergétique pourrait, en contrepartie, utiliser un peu moins d’énergies renouvelables.
9En ce qui concerne les gap fillers, il faut tenir compte du fait que le coût de 1 % en deçà de l’objectif s’élève à 2-2,5 milliards d’euros par an, sur 20 ans.
Conception du marché de l'énergie
10Notre système électrique se caractérise par une forte augmentation de l’intensité capitalistique. Le secteur des énergies renouvelables et l’énergie nucléaire se composent presque exclusivement de capital. Même les centrales conventionnelles sont marquées par une intensité capitalistique toujours plus élevée, parce qu’elles ont une durée d’exploitation de plus en plus courte. Nous supposons qu’en 2030, environ 50 % des centrales conventionnelles seront inutilisées pendant 80 % du temps. Les centrales seront alors payées pour leurs capacités et pour leur production d’électricité. La manière dont cela doit fonctionner fait débat.
Politique des transports
11Le domaine des transports va connaître une véritable révolution technologique, motivée par la baisse des coûts technologiques et renforcée par la numérisation. Des études convergentes indiquent qu’entre 2020 et 2030, le coût total de possession (total cost of ownership, TCO) du moteur hybride rechargeable aura rejoint celui du moteur à combustion. C’est un changement technologique de grande ampleur, qui n’est plus automatiquement impulsé par la politique, mais tiré par le marché. Néanmoins, on ne précise pas comment cela fonctionnera et quel sera le rôle de la réglementation européenne.
Numérisation de l'énergie
12Actuellement, la discussion sur la politique énergétique repose sur la sécurité d’approvisionnement, synonyme de pouvoir et d’influence. L’objectif est de garantir l’accès aux ressources. Pour s’affranchir des pays du Golfe, la France mise sur l’énergie nucléaire. Ailleurs, il existe des partenariats énergétiques. Quant aux États-Unis, ils cherchent à peser dans le Golfe afin de garantir leur sphère de pouvoir et d’influence. Si nous passons maintenant à une numérisation ou à un système énergétique reposant sur la technologie, le point critique sera la technologie, plutôt que les ressources. Cela aura d’importantes conséquences sur l’avenir du système énergétique international et sur les négociations climatiques. Mais actuellement, il y a de l’énergie en excès, ce qui fait que sa valeur est faible. La création de valeur ajoutée réside dans la numérisation.
Principaux chantiers
Européanisation de la transition énergétique
13Actuellement, il existe plusieurs transitions énergétiques nationales qui dépassent progressivement les frontières. Toutefois, les orientations sont très différentes. Je me demande dans quelle mesure nous parviendrons à créer un plan européen.
Investissements
14En ce qui concerne les investissements, le débat en Europe reste très bureaucratique : selon le plan Juncker, les investissements sont entraînés par l’investissement public. Contrairement à il y a 20 ans, il règne aujourd’hui une grande incertitude dans le secteur de l’énergie. En fait, nous ignorons complètement à quoi il ressemblera dans 20, 30 ou 40 ans, et par exemple combien de capacités de transport seront nécessaires. Si nous avons un modèle dans lequel nous misons plus sur l’énergie solaire décentralisée, nous n’aurons pas besoin d’un vaste réseau. En raison de cette incertitude, les investissements vont se faire attendre. Aux États-Unis, le capital dans le secteur de l’énergie est du capital-risque. C’est compréhensible, car on ne sait pas à quelle vitesse les véhicules électriques vont s’imposer, ni ce qu’impliquera cette industrie solaire. Il faut encore créer un cadre pour cela.
Compétitivité
15En Europe, nous avons un système composé de quotas gratuits, auxquels s’ajoute une compensation pour les entreprises fortement consommatrices d’énergie. C’est un système qui fonctionne très bien comme solution transitoire, mais pas à long terme, parce qu’aucune entreprise mondiale n’investit si elle dépend de subventions publiques. C’est simplement trop risqué, parce que les gouvernements changent. Les entreprises veulent un cadre structurel dans lequel elles savent effectivement d’où proviennent leurs revenus et s’ils dépendent ou non à 100 % du gouvernement. Les entreprises fortement consommatrices d’énergie ont besoin d’instruments de couverture, par exemple de contrats de fourniture d’électricité à long terme. Actuellement, il y a un débat pour savoir comment nous pouvons distribuer de moins en moins de quotas gratuits à un nombre toujours plus réduit d’entreprises. C’est un véritable frein à l’investissement.
Après 2030
Échelle européenne ou nationale ?
16En ce qui concerne l’après-2030, on se demande tout d’abord comment on peut européaniser les transitions énergétiques. Au plan national, la transition énergétique est peut-être pertinente dans les grands États membres comme la France et l’Allemagne, mais elle n’a naturellement aucun sens pour la Lituanie, la Bulgarie ou le Portugal. Actuellement, nous revenons plutôt à des solutions nationales. Une orientation plus européenne, voire continentale, serait cependant nécessaire pour stimuler l’investissement.
L’approche bureaucratique de l’UE est-elle adéquate ?
17Le second point est que l’UE a une approche plutôt bureaucratique de quantification. Des objectifs sont fixés, puis on négocie cette quantification lors de discussions de répartition très compliquées. On procède à un important équilibrage entre les différents États membres au Conseil européen. Cependant, nous n’avons pas encore eu de discussion européenne sur les stratégies à adopter, comme c’est par exemple le cas aux États-Unis ou en Chine.
Des entreprises high-tech européennes ?
18Est-il vrai qu’il n’existe pas d’entreprises high-tech européennes, ou bien sont-elles cachées dans d’autres entreprises ? Les statistiques du commerce montrent effectivement que l’Europe est toujours le premier exportateur de produits high-tech.
19La deuxième question brûlante est : est-ce que c’est vraiment important ? Dans les années 1980, on s’est beaucoup demandé où était le Compaq européen. Compaq était une société informatique qui a fusionné en 2002 avec Hewlett-Packard. La grande question était de savoir si l’Europe perdait le contact avec le secteur high-tech parce que nous n’avions pas d’équivalent de Compaq. Dix ans plus tard, les ordinateurs étaient devenus des produits à faibles marges. On se demande donc si la même chose va se produire ou non avec les technologies du secteur climatique. À l’époque, nous savions comment obtenir un Compaq européen. On ne se posait pas la bonne question, or l’un des grands enjeux pour l’Europe sera de se poser les bonnes questions.
Notes de bas de page
1 Texte issu d’une communication donnée dans le cadre du colloque Coopérations franco-allemandes dans la perspective d’une politique européenne de l’énergie, coorganisé par le CIRAC les 26 et 27 septembre 2016, NdE.
Auteurs
- Marie-Céline Georg (trad.)
-
Christian Egenhofer
Chercheur, responsable du programme Énergie et climat au Centre d’études politiques européennes (Centre for European Policy Studies, CEPS) à Bruxelles
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
France-Allemagne : Cultures monétaires et budgétaires
Vers une nouvelle gouvernance européenne ?
Solène Hazouard, René Lasserre et Henrik Uterwedde (dir.)
2015
France-Allemagne-Europe
Perspectives de consolidation de l’Union européenne
René Lasserre et Solène Hazouard (dir.)
2014
L’atelier du consensus
Processus franco-allemands de communication et de décision
Claire Demesmay, Martin Koopmann et Julien Thorel (dir.)
2014
L'aide au retour à l'emploi
Politiques françaises, allemandes et internationales
Solène Hazouard, René Lasserre et Henrik Uterwedde (dir.)
2013
Les réformes de la protection sociale en Allemagne
État des lieux et dialogue avec des experts français
Olivier Bontout, Solène Hazouard, René Lasserre et al. (dir.)
2013
Une étrange alchimie
La dimension interculturelle dans la coopération franco-allemande
Jacques Pateau
2013
Relations sociales dans les services d'intérêt général
Une comparaison France-Allemagne
Solène Hazouard, René Lasserre et Henrik Uterwedde (dir.)
2011
Allemagne, les chemins de l’unité
Reconstruction d’une identité en douze tableaux
Isabelle Bourgeois (dir.)
2011
Les politiques d'innovation coopérative en Allemagne et en France
Expériences et approches comparées
Solène Hazouard, René Lasserre et Henrik Uterwedde (dir.)
2010
La République Fédérale d’Allemagne
Chronique politique, économique et sociale, 1949-2009
Isabelle Bourgeois et René Lasserre (dir.)
2009