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La vie communautaire et le service à la communauté

 | 
Anne Massoni
, 
Maria Amélia Campos

Pratiques communautaires des laïcs : confréries et institutions collégiales et municipales dans le Portugal médiéval

Maria Helena da Cruz Coelho

Resumen

Le sens grégaire des hommes se transpose dans les diverses manifestations de leur vie en société, soit au travail et à la maison, soit dans les cérémonies religieuses et les festivités. Pour cette étude, nous voulons appréhender les lignes d’influence et d’interrelation entre les institutions et les communautés religieuses et laïques. Pour ce faire, nous considérerons deux axes d’enquête: l’association des hommes et des femmes au sein des confréries (attachées aux paroisses) et les délibérations et l’exercice du pouvoir de ces associations confraternelles à l’intérieur de leurs conseils. De la même façon, nous chercherons les marques de l’exercice d'une vie en commun en étudiant les structures plus larges des communautés municipales, notamment par l’analyse des assemblées de voisins. Nous nous occuperons surtout des institutions de villages et de petites villes.
Les lignes de convergence et de divergence ―chronologiques, spatiales et institutionnelles― entre les communautés confraternelles, les institutions édilitaires et les chapitres des collégiales et cathédrales seront au centre de l’enquête menée dans cette étude.

Nota del autor

Travail cofinancé par le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) par le biais du COMPETE 2020 – Programme Opérationnel Compétitivité et Internationalisation (POCI) et de fonds nationaux par le biais de la FCT, dans le cadre du projet POCI-01-0145-FEDER-007460.

Texto completo

Introduction

  • 1 À propos des chapitres cathédraux et collégiaux, cf. Gaudemet, 1979, 183-202.
  • 2 Cf. Massoni, 2010, 85-87.
  • 3 Anne Massoni (2010, p. 87-91) note, outre ces fonctions, l’activité de prédication, et l’enseigneme (...)

1La vie en communauté des chanoines séculiers au Portugal avec leurs statuts, leurs attributions et leur propre patrimoine fut restaurée et s’imposa aux XIe et XIIe siècles1, quoique ce corps capitulaire qui assistait l’évêque existât depuis les VIIIe et IXe siècles. La Réforme grégorienne, qui cherchait à discipliner et honorer la vie cléricale, contribua grandement à l’épanouissement des chapitres de chanoines séculiers qui se consacraient à servir le culte divin et le ministère paroissial2. Si ces chapitres se formèrent au départ autour des évêques et des églises cathédrales où ils exerçaient leurs fonctions, le mouvement se répandit à d’autres églises, les collégiales, où leur prieur s’entourait aussi d’un groupe de chanoines dévoués aux missions liturgiques et pastorales. Ces collégiales apparurent en milieu urbain ou rural de plusieurs façons, résultant d’anciennes communautés de clercs, de quelques abbayes sécularisées, de fondations de particuliers ou furent encouragées par le mouvement des XIe et XIIsiècles en faveur de la vie communautaire des clercs. Et lorsque ces églises étaient le siège de paroisses, leurs chanoines entretenaient des rapports très étroits avec la population, surtout pour l’administration des sacrements, la récitation de l’office divin et la prière pour les défunts3.

  • 4 En 1189, après la conquête de Silves, le roi D. Sancho I a restauré le diocèse et la cathédrale de (...)
  • 5 Rodrigues, 2000, 278-279.
  • 6 Marques, 1988, 517.
  • 7 Campos, 2017, 36-56; Martins, 1996.
  • 8 Martins, 1996, 11. La ville de Lisbonne compta toutefois vingt-trois paroisses intra et extra-muros (...)

2Une fois les principaux diocèses restaurés entre la fin du XIe siècle (Braga, 1071 ; Coimbra, 1080) et le XIIe siècle (Porto, 1112-1114 ; Lisbonne, Lamego et Viseu, 1147 ; Évora, 1166 ; Guarda, vers 1200)4, la plupart d’entre eux vit apparaître des chanoines qui vivaient en communauté pour servir la cathédrale et son prélat. La répartition des biens et des revenus qui s’ensuivit entre la mitre et le chapitre vint briser cette obligation de vie commune, mais les liens relationnels qui unissaient les dignitaires et les bénéficiaires de ces chapitres épiscopaux demeurèrent. Pareillement, dans d’autres villes ou bourgs du royaume, les principales églises paroissiales devinrent des collégiales qui rassemblaient au départ des communautés de clercs qui assistaient leur prieur, dont les structures capitulaires5 furent définies par la suite. À titre d’exemple, la collégiale Sainte-Marie da Oliveira à Guimarães apparut entre 1107 et 11106 ; au XIIe siècle, la ville de Coimbra comptait sept églises paroissiales qui disposaient toutes de communautés de clercs séculiers autour de leur prieur7 ; et, à Lisbonne, il aurait existé six collégiales comme le relate un synode diocésain de 11918.

3Parallèlement au mouvement communautaire qui se développe au sein de l’Église, ces siècles virent naître des mouvements associatifs de laïcs, d’ecclésiastiques ou de laïcs et d’ecclésiastiques constitués en confréries. Si leur chronologie coïncide pour la plupart, nous souhaiterions déterminer si une quelconque corrélation fut établie entre les deux.

Contexte général du mouvement confraternel au Portugal

  • 9 Coelho, 1992a, 149-184.

4Passons maintenant au panorama général du mouvement confraternel au Portugal. Lors de l’étude sur les confréries médiévales portugaises que nous avons préparée en 1992 pour la XIX Semana de Estudios Medievales de Estella, l’on constata que le mouvement confraternel était déjà important au XIIe siècle et qu’il comptait alors près d’une vingtaine d’institutions. Il s’intensifia jusqu’au XIVe siècle, fut multiplié par trois au XIIIe siècle et connut une baisse, quoique insignifiante, au XVe siècle9.

  • 10 Coelho 1992a, 115.

Figure 1 - Évolution du mouvement confraternel (XIIe -XVe siècle)10

Figure 1 - Évolution du mouvement confraternel (XIIe -XVe siècle)10
  • 11 Cette lacune de l’historiographie portugaise n’est toutefois pas unique. Pour le royaume de France, (...)
  • 12 Sans renvoyer à des études monographiques qui se penchent sur plusieurs confréries spécifiques, cul (...)

5Nous ne pourrons pas poursuivre davantage ce panorama général de cette époque à nos jours car aucun recueil systématique des confréries n’a encore été réalisé11, malgré les nombreuses études monographiques écrites sur certaines d’entre elles12.

  • 13 Paiva, 2002, 265-417 (dorénavant: PMM).
  • 14 Pour nuancer quelque peu ces données, disons que de nombreux compromis du XVe siècle sont issus d’a (...)

6Nous disposons néanmoins depuis 2003 du recueil et de la transcription des règlements des confréries qui furent publiés au premier volume de l’œuvre Portugaliae Monumenta Misericordiarum13. L’on en connaissait déjà certains qui furent édités dans des ouvrages épars, tandis que d’autres étaient inédits. Leur publication conjointe nous permet maintenant d’analyser plus en détail les règlements et statuts confraternels. Nous y découvrons trois compromis du XIIe siècle, dix-sept du XIIIe siècle, treize du XIVe siècle et ce même nombre pour le XVe siècle14. L’on en déduit toutefois que ces chiffres sont bien inférieurs à ceux que nous présentons pour les confréries car, comme on le sait, de nombreux engagements confraternels ne parvinrent pas jusqu’à nos jours et certaines fraternités ne les rédigèrent assurément jamais car elles étaient régies par des normes semblables à celles d’autres institutions dont elles avaient connaissance ou qui leur étaient proches.

7Ce panorama général du mouvement associatif confraternel pèchera donc par défaut. Dès lors, le nombre de confréries total établi – près de trois cents – est bien faible au regard du nombre de paroisses et de monastères existants dans le monde urbain et rural portugais. De surcroît, si l’on trouve pour certaines une seule référence isolée qui ne nous permet pas d’en dater avec certitude la fondation, il est tout aussi difficile de comprendre les lignes de continuité de ces institutions, de leur apparition à leur extinction.

8Nous pensons donc que de nombreuses confréries ont existé sans laisser aucune trace, en particulier aux XIIe et XIIIe siècles, où l’écriture n’était pas une technique à la portée de tous, et où l’oralité et la foi des actes, des gestes et des paroles s’imposaient par rapport à la valeur des documents écrits. Lorsque, aux XIVe et XVe siècles, l’écriture judiciaire, administrative, comptable, sérielle et courante envahit la vie quotidienne et atteignit la quasi-totalité des hommes, il fut alors possible de réduire l’ignorance à l’égard des confréries au Portugal.

9L’aperçu général que nous avons présenté montre, en matière de répartition spatiale, le poids du monde urbain, en particulier de la façade littorale, sur l’axe centre-sud, qui se concentre autour de Coimbra et de Lisbonne, ainsi que dans la zone de plus grande densité de population de l’Entre Douro e Minho, autour de Guimarães. Dans le monde rural, c’est bien souvent dans les faubourgs des centres urbains que l’on trouve encore ces communautés, comme c’est le cas de Torres Novas qui se distingue surtout grâce à la source qui nous est parvenue et que nous détaillerons plus tard.

  • 15 Coelho 1992a, 153.

Figure 2 - Confréries portugaises (monde urbain, XIIe-XVe siècle)15

Figure 2 - Confréries portugaises (monde urbain, XIIe-XVe siècle)15
  • 16 Coelho 1992a, 154.

Figure 3 - Confréries portugaises (monde rural, XIIe-XVe siècle)16

Figure 3 - Confréries portugaises (monde rural, XIIe-XVe siècle)16
  • 17 Vincent, 2005, 370.

10Les racines lointaines des associations confraternelles dans les collegia romains et les guildes germaniques sont des aspects dont nous ne discuterons pas pour le cas portugais. Elles semblent également n’avoir aucun intérêt dans le contexte de la France17.

  • 18 Il en va de même en France, Vincent, 2005.

11En effet, les premières traces que nous révèlent les documents datent des XIIe et XIIIe siècles18. Elles apparaissent ainsi en même temps que la formation politique du comté Portucalense (1096-1128) et du royaume de Portugal qui, sous le gouvernement du roi fondateur, Alphonse Ier (1128-1185), et de ses successeurs, va s’agrandir et consolider son indépendance. Elles s’implantent au moment de la restauration des diocèses, avec leur organisation paroissiale, et de la création des chapitres des cathédrales et des collégiales, mais aussi lorsque, aux côtés des monastères bénédictins, se répandent les nouveaux ordres des chanoines réguliers de saint Augustin et des cisterciens, s’imposent les ordres militaires et, durant les premières décennies du XIIIe siècle, les Franciscains et les Dominicains. Elles se fondent dans le contexte démographique d’une population croissante, mais différemment éparse sur le territoire, avec une importante densité de population dans l’Entre Douro e Minho, malgré tout insuffisante pour répondre au défi de colonisation et de peuplement des nouveaux espaces conquis aux musulmans dans le centre et le sud du territoire. Elles s’inscrivent aussi dans une société seigneuriale et rurale qui, par la force de la croissance démographique, se figea en un nombre restreint de propriétaires vilains puisque les possesseurs de petits alleux tendaient à disparaître pour devenir des paysans labourant la terre de seigneurs laïcs, nobles ou de l’Église. Néanmoins, elles s’implantent aussi dans une société où le phénomène urbain est en hausse, grâce à l’incorporation de villes marchandes musulmanes dynamiques telles que Santarém, Lisbonne et Évora, au même titre que Coimbra. Elles apparaissent à une époque où les villes les plus importantes et de nombreux bourgs aux positions militaires stratégiques ou situés à proximité d’axes routiers terrestres ou fluviaux névralgiques, vitaux pour la circulation des hommes et des marchandises, s’organisent de plus en plus en communautés municipales. Ce réseau politique, religieux, démographique, économique et social conditionna de plusieurs façons et eut plusieurs impacts sur l’apparition et la diffusion du mouvement confraternel.

12Au XIIe siècle, on connait des confréries situées dans le monde urbain, mais elles apparaissent aussi déjà dans le monde rural où elles sont d’ailleurs plus difficiles à détecter. Il existe des associations confraternelles de clercs et de laïcs de plusieurs couches et contextes sociaux – artisans, chevaliers vilains, bonshommes, pèlerins. Cette tendance éclectique quant aux membres formant les confréries et à leur diffusion spatiale s’intensifie au XIIIe siècle.

  • 19 À propos de leur influence sur l’intervention du laïcat dans la religion, cf. Vauchez, 1987, 95-112

13Les confréries professionnelles d’artisans, de marchands, de laboureurs ou de couches sociales spécifiques, comme les bonshommes des communautés rurales, s’accroissent et se diversifient parmi les confréries de laïcs et le nombre de confréries de clercs augmente. La dissémination des confréries demeure prédominante dans les espaces urbains, que ce soit au sein des sièges diocésains ou des centres à forte dynamique démographique et économique, comme Braga, Guimarães, Porto et Santarém, mais aussi dans les bourgs de moindre envergure, tels que Chaves, Lamego, Leiria, Benavente ou Beja, entre autres. Cependant, elles sont aussi présentes en milieu rural, où l’on connait particulièrement bien celles des faubourgs de Torres Novas. L’on saisit maintenant une autre influence religieuse sur le mouvement associatif confraternel, celle des ordres mendiants19. L’on voit apparaître des confréries de saint François à Braga, Guimarães et Santarém, de saint Dominique à Santarém et Guimarães, de sainte Claire à Porto et de l’Esprit Saint à Porto, Leiria, Santarém, Óbidos et Benavente.

14S’interrogeant sur le succès de cette expérience variée de vie associative que constitua le mouvement confraternel dans tout l’Occident latin entre les XIIe et XVsiècles, Charles-Marie de la Roncière et Jean Michel Matz (2010, 243) proposent un faisceau d’explications – la peur d’une mort solitaire et de l’oubli ; l’affaiblissement des solidarités familiales qui contrebalançait l’inclusion dans ces « familles de substitution » ; la diversification et la spécialisation des activités économiques, surtout marquantes dans les confréries d’artisans ; le besoin d’aide contre les fléaux, en particulier les épidémies à partir du XIVe siècle ; l’impulsion du clergé pour arriver à un meilleur encadrement des fidèles. Ils finissent par défendre que l’on doit retenir toutes ces hypothèses, quoiqu’elles puissent avoir une prépondérance différente selon les chronologies.

15Ils vont toutefois de concert avec la pensée de Catherine Vincent (2005, p. 243-244) qui relie le mouvement confraternel au renouveau spirituel de l’Église à partir du XIe siècle, lequel proclame l’idéal et la pratique d’une vie apostolique et fraternelle.

Origines du mouvement confraternel au Portugal

  • 20 Vincent, 2005, 371.

16En réalité, les confréries s’avèrent l’un des éléments les plus dynamiques du mouvement associatif universel qui se manifesta en Occident à partir du XIIe siècle20. Et, au Portugal, la communauté confraternelle se fit sentir très tôt, durant la première moitié du XIe siècle, comme nous l’avons vu, et se présenta dès lors organisée suivant ses règlements, dont les plus anciens datent de 1144, 1176 et 1195. Réfléchissons maintenant à leurs origines où nous pensons appréhender deux fortes influences, l’une religieuse et l’autre municipale.

L’influence religieuse

  • 21 Vincent, 2005, 371.

17L’organisation collective du clergé séculier en chapitres et la vie commune du clergé régulier dans les monastères auraient été les modèles d’inspiration de ces associations21. Les confréries sont donc étroitement liées à leur naissance aux institutions ecclésiastiques et encadrées par l’Église.

  • 22 Lisboa, Arquivo Nacional da Torre do Tombo (désormais: ANTT), Mosteiro de Santa Cruz de Coimbra, Li (...)
  • 23 ANTT, Mosteiro de Santa Cruz de Coimbra, 1.ª inc., DP, mç. 14, n.º 29 e liv. 4, n.º 42, fls. 17-17v (...)
  • 24 Domingos Lourenço dans son testament où il donne des biens à la famille et à la cathédrale laisse a (...)
  • 25 Catherine Vincent (2005, p. 370) précise également que: « de telles compagnies ne furent pas systém (...)

18L’exemple de la ville de Coimbra est très parlant. En effet, nous connaissons deux confréries à la cathédrale: l’une en honneur de Notre-Dame22 et une confrérie de clercs23. Par ailleurs, d’autres confréries liées à certaines églises paroissiales sont documentées au XIIe siècle. La confrérie des clercs de la cathédrale24, à l’instar de ce qui se produisait dans d’autres espaces de la chrétienté, pouvait rassembler le bas clergé de la cathédrale qui s’organisait collectivement afin de garantir une entraide et une solidarité qui lui permettraient de garder la dignité de ses prêtres, sur laquelle la Réforme grégorienne insistait tant, et de leur assurer des funérailles dignes et leur passage dans l’Au-delà par la prière25.

  • 26 Varandas, 1999, doc. 5 (16 avril 1159).
  • 27 Ventura; Faria, 1990, 155, doc. 33 (mai 1147).
  • 28 En 1106, est mentionnée la « fraternitatis ecclesie Sancti Bartolomei ». Nous ne savons pas s’il s’ (...)
  • 29 ANTT, Cabido da Sé de Coimbra, 1ª incorp. DP, Cx. 27, rolo 3, n. 25, de Julho 1170. Il s’agissait d (...)
  • 30 Varandas, 1999, doc. 5 (16 avril 1159).
  • 31 Ainsi l’affirme-t-il pour les confréries paroissiales de Venise (scuole parrochiale) avant les XIVe(...)

19En parallèle, l’on a des confréries dans les églises Saint-Pierre26, Saint-Jacques27 et Saint-Barthélemy28, ce qui est forcément lié à l’influence liturgique et morale que la communauté des clercs, rassemblée autour du prieur de ces églises paroissiales, exerçait sur les fidèles. Une autre confrérie existait au sein de l’église Saint-Jean, qui était la paroisse du monastère Sainte-Croix29. Dans ce contexte, la référence à la confrérie de Saint-Pierre est très illustratrice car elle fait allusion aux « confratres de confraria Sancti Petri tam clericis quam laici sive femine »30, englobant ainsi clercs et fidèles, ce qui pouvait être étendu aux autres. La communauté confraternelle allait aussi renforcer la communauté paroissiale et les liens de voisinage, ainsi que contribuer à la consolidation des solidarités locales31.

  • 32 Rodrigues; Costa, 1999, doc. 243 (septembre 1117); Fortunato de Almeida (1967, p. 135-136), dit que (...)
  • 33 Azevedo, 1958, vol. I, t. I, doc. 327.
  • 34 PMM, doc. 160. À noter que le règlement que nous possédons est une copie de la seconde moitié du XI (...)
  • 35 PMM, doc. 156.

20De surcroît, l’on comprend qu’existe à Coimbra, comme dans d’autres villes, un lien de l’esprit associatif des laïcs avec le mouvement et l’idéal des croisades qui se vivaient en Occident à la fin du XIe et au long du XIIsiècle, et qui s’étendirent en particulier à la péninsule Ibérique. La présence des musulmans y attira les ordres militaires qui vinrent en aide aux rois ibériques dans leur lutte contre la domination islamique. Il existait ainsi à Coimbra une confrérie du Saint-Sépulcre depuis 111732. À Évora, ville qu’Alphonse Ier confia à une milice propre, celles des frères d’Évora, qui suivra ensuite l’ordre de Calatrava33, fut fondée, éventuellement depuis la fin du XIIe siècle, la confrérie des bonshommes qui se rendirent à Jérusalem et dont nous possédons le règlement34. Le règlement de la confrérie de Sertã, bourg appartenant aux domaines de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, date également de 119535.

  • 36 PMM, doc. 154. Le règlement de Saint-Nicolas de Coimbra de 1144 en précise les confrères, quoique l (...)
  • 37 Rodrigues; Costa, 1999, doc. 10.
  • 38 Alarcão, 2008, 114-131.

21Si l’on saisit bien ces influences religieuses du clergé séculier ou des ordres monastiques et militaires sur le mouvement confraternel des laïcs, à l’époque de leur fondation, nous ignorons pratiquement tout de la caractérisation sociale des confrères. Les confréries siégeant au sein des collégiales de Coimbra pouvaient rassembler des fidèles de ces paroisses mais, au regard de l’esprit d’ouverture de l’association confraternelle de ces siècles36, cela n’exclut pas la congrégation d’habitants d’autres paroisses. Néanmoins, une confrérie des maçons37 est documentée d’environ 1180 pour Coimbra ―ville très active sur le plan du commerce et de l’artisanat, où la cour d’Alphonse Ier s’installa à titre plus permanent à partir de 1131. Cela s’explique bien par le renouveau de l’architecture religieuse auquel l’on assistait en cette fin du XIIe siècle, en particulier par la construction du nouveau bâtiment roman de la cathédrale38. Si l’on ne dispose d’aucune base pour affirmer que certaines des autres confréries de la ville étaient liées à des associations d’artisans, le fait est que l’on ne peut pas en tenir compte, car l’on signale au siècle suivant celles des forgerons, des tailleurs et des menuisiers.

  • 39 Morujão, 2010, doc. 1.3.
  • 40 Sur les confréries du Portugal, à la fin du Moyen Âge, cf. Marques, 1989, 41-46.
  • 41 Morujão, 2010, doc. 1.6.

22Enfin, pour renforcer l’idée de l’appui de l’Église aux confréries à leurs débuts, disons que Nuno Forjaz, écolâtre du chapitre de la cathédrale de Braga, l’archidiocèse du royaume de Portugal, lègue dans son testament, (1188-1191)39, de l’argent à deux confréries ―« Confrarie Sancti Frutuosi I morabitinum. Confrarie <de> Sanctis de Paradiso medium morabitinum ». La ville épiscopale de Braga comptait donc des confréries à la fin du XIIsiècle et le clergé séculier de la cathédrale les soutenait40. D’ailleurs, le cadre confraternel de la ville de Braga pouvait être bien plus large puisque le testament de 1215 du chantre de Braga, Pedro Peres41, concernait cinq confréries – celle déjà citée des Saints du Paradis, celle de la Rue Neuve (Rua Nova), celle de Saint-Pierre, celle de Saint-Victor et celle de Maximinos.

L’influence municipale

  • 42 Catherine Vincent (2005, p. 378) affirme justement: «l’émergence des institutions communales et cel (...)

23Abordons maintenant l’interrelation entre l’association confraternelle et les structures municipales42. La municipalisation du territoire portugais fut amplement stimulée par les gouvernants du XIe au XIIIe siècle, mais aussi par certains seigneurs qui ont signé des chartes de franchises (cartas de foral), qui réglementaient juridiquement les communautés municipales. La concession de ces chartes était liée dès lors à la politique militaire dont le but était de conquérir des terres aux musulmans et de défendre en permanence les villes et les bourgs chrétiens face aux possibles assauts de ces ennemis. Par conséquent, l’on trouve dans la plupart une hiérarchisation sociale de nature guerrière entre les chevaliers vilains (milites), des hommes libres dont la richesse leur permettait d’acheter un cheval et des armes appropriées afin de servir dans l’armée en tant que chevaliers, et les piétons (pedones) qui combattaient uniquement à pied, raison pour laquelle ils étaient seulement appelés pour la guerre défensive ou pour travailler sur les ouvrages militaires. Ces chartes offraient de grands privilèges au groupe restreint des chevaliers vilains, à savoir économiques, sociaux et juridiques, et ils étaient les seuls, dans de nombreuses municipalités, à pouvoir exercer les principales fonctions du gouvernement municipal.

  • 43 Cependant, il faut dire que les communautés d’hommes libres, qui vivaient selon des règles propres, (...)

24En parallèle, par la concession des chartes de franchises qui reconnaissaient l’autonomie des municipalités disposant de leurs propres autorités, d’une justice institutionnalisée qui visait à maintenir la paix et l’ordre intérieurs, ainsi que de droits et de devoirs fixes que tous étaient tenus de respecter, les monarques souhaitaient également attirer des colonisateurs, surtout vers les centres stratégiques les plus importants. Ces colons qui s’installaient dans les municipalités et profitaient de leurs atouts économiques, assuraient aussi leur permanence sous domination chrétienne et s’efforçaient de les défendre43

  • 44 Malheureusement, il s’agit d’une référence peu claire puisque le document est abîmé, Rodrigues; Cos (...)
  • 45 Chartes publiées et étudiées dans Coelho, 2013, docs. II et IV et p. 23-27, p. 41-52.
  • 46 PMM, doc. 173. Précisons que cette date est celle de la confirmation du règlement par le roi Denis (...)
  • 47 PMM, doc. 175. Le règlement fut élaboré le 15 octobre 1307 et le roi Denis Ier le confirma le 5 jan (...)
  • 48 Les clauses du règlement de la confrérie de Sabugal se rapportent strictement à ces sujets, tandis (...)

25Le testament de Domingos Lourenço (c. 1180) qui profitait à la cathédrale de Coimbra, mais aussi à des parents et à des particuliers, fait une référence aux « militibus Sancti Lazari »44 à propos desquels José Mattoso (1985: 116) admet qu’il s’agissait d’une confrérie de milites. En réalité, la chevalerie vilaine de Coimbra était un groupe social dont les prérogatives étaient déjà consolidées dans les chartes que la ville reçut en premier du comte D. Henrique en 1111, puis d’Alphonse Ier en 117945. Le règlement d’une confrérie de milites apparaît seulement en 1297 et concerne les chevaliers du bourg de Beja46, en Alentejo, et un second en 1307-1308 qui se rapporte aux chevaliers du bourg frontalier de Sabugal47, en Beira. Il s’agissait clairement d’associations confraternelles qui avaient pour but la coopération et l’entraide entre les chevaliers en vue d’assurer la possession d’un cheval, gage du maintien de leur statut social privilégié48.

  • 49 Cet inventaire a été publié par Leonor Damas Lopes (2001).

26Mais concentrons-nous maintenant sur le cas des confréries de Torres Novas. Nous les connaissons en détail du fait de l’exécution de la législation de Manuel Ier en vue de la réforme de l’assistance qui ordonnait d’établir l’inventaire des biens des confréries, chapelles, hôpitaux, hospices et léproseries du royaume. C’est en 1502 que fut alors élaboré l’Inventaire des chapelles de Torres Novas qui comprend le règlement et les biens de vingt confréries de la municipalité, sept dans le bourg et treize dans les faubourgs49. Les règlements des cinq confréries du bourg se perdirent et furent renouvelés au XVe siècle, où une nouvelle confrérie fut fondée. Les engagements de celles des faubourgs sont datés de 1176 (1), 1212 (5), 1219 (1), de la première moitié du XIIIe siècle (2), de 1351 (3), de la seconde moitié du XIVe siècle (1).

  • 50 Elle fut étudiée dans Coelho, 1992b, 1-13.
  • 51 Barbosa, 1992, 253-257.

27La région de Torres Novas dut être annexée au royaume de Portugal après la conquête de Santarém et de Lisbonne en 1147. Elle subit, de juin à juillet 1190, une forte attaque des Almoravides qui se retirèrent par la suite. Pour réparer les dommages subis et attirer des colonisateurs, Sanche Ier lui concéda une charte de franchises en octobre 119050. L’ensemble de cet espace n’était que très peu peuplé, mais il est important de préciser qu’y habitaient, sous domination musulmane, aux côtés des maures, des chrétiens appelés les mozarabes. Après 1147, cette colonisation aurait pu être renforcée par des gens venus de l’étranger, surtout des Francs51.

  • 52 Durand, 1982, 145-146.
  • 53 À noter toutefois qu’il s’agit d’une confrérie urbaine, siégeant en l’église Saint-Jacques, bien qu (...)
  • 54 Durand, 1982, 209, 508-511.
  • 55 Toutefois il existait en réalité une différence de richesse entre les hommes de la confrérie, ce qu (...)
  • 56 La seule exception est la confrérie de Bugalhos où il est fait référence à « quelques hommes habita (...)

28La plupart des règlements des confréries plus anciennes, qui arrivèrent jusqu’à nous en portugais, et qui ne furent donc pas retranscrits de l’original ou traduits à l’occasion de la copie, se rapporte à des confréries de bonshommes (à l’exception de deux), qui seraient la version en langage vernaculaire du latin boni homines. Comme on le sait, ces bonshommes faisaient partie des couches sociales supérieures des communautés municipales, qui assumaient au sein de ces communautés des responsabilités collectives52. Dans les communautés plus hiérarchisées, ils pouvaient s’assimiler pour la plupart aux cavaleiros-vilãos, mais dans les plus égalitaires, ils rassemblaient les plus grands propriétaires du village, dont la richesse était en général basée sur la terre, donc sur l’agriculture et l’élevage. C’est pourquoi certains bonshommes du bourg de Torres Novas fondèrent une confrérie qu’ils disent s’intituler des laboureurs53. En s’intitulant laboureurs, ces hommes s’identifiaient donc aux propriétaires d’un train de labour, d’une charrue et d’animaux qui la tiraient, ce qui constitue déjà un statut supérieur parmi les travailleurs de la terre54. Peut-être cette hiérarchisation présupposait-elle même un certain temps pour se définir sur le plan social et politique. Ainsi, lorsque les hommes du village de Fungalvaz se rassemblèrent à l’effet de fonder leur confrérie en 1176, au siège de leur hospice, aucune distinction ne fut établie parmi les confrères, qui étaient unanimement dénommés confrères55. Mais près de quarante ans plus tard, soit en 1212 et 1219, une stratification sociale différenciatrice pouvait déjà être une réalité56.

  • 57 À noter toutefois que Jacques Chiffoleau (1980, p. 274) admet que les confréries rassemblaient dans (...)
  • 58 Catherine Vincent (2005, p. 355), acceptant la division de Marc Vénard, cite deux catégories confra (...)
  • 59 Dans un cadre général du royaume, Fernando Correia (1944, p. 405-435) présente les hospices et les (...)

29Les bonshommes étaient, tel qu’il ressort de nombreuses chartes de franchises, ceux qui prenaient part au consilium, l’assemblée qui statuait sur les problèmes internes aux communautés. C’était également eux qui aidaient les juges dans l’exercice de la justice. Dans les communautés villageoises des faubourgs de la ville, comme c’est le cas de Torres Novas, leur rôle était certainement plus important. Ils prenaient les décisions qui contribuaient au bien commun des habitants et veillaient à ce qu’elles soient respectées. L’association en confréries en renforçait les solidarités et les responsabilités civiles par d’autres de nature religieuse57. Au sein de ces confréries d’intercession, unions de prière et d’entraide58, ils s’engageaient à se soutenir si la vie ou le travail l’exigeaient, mais surtout en cas de maladie, ainsi qu’à vivre la mort en commun et à participer aux rites funéraires et à la prière de suffrage pour l’âme des confrères. Ils s’engageaient à la fois à obéir à des normes morales et pacificatrices, ne permettant pas les joutes verbales ni les corps-à-corps entre eux, lesquels étaient pénalisés. La réunion autour de la table, au moins une fois par an, était l’occasion pour les confrères de s’ouvrir aux pauvres, qui les faisaient assister à la commémoration des confrères défunts, en tant qu’intercesseurs privilégiés des prières pour le salut de leur âme. Les confrères acquéraient, surtout lorsqu’ils étaient choisis pour diriger la confrérie, l’expérience et la responsabilité de gérer le patrimoine qui lui appartenait. L’association confraternelle soutenait ainsi la vie dans la communauté villageoise, élargissant les solidarités familiales, renforçant les solidarités agricoles, créant des obligations d’assistance et de bienfaisance, bien souvent grâce à des hospices et des hôpitaux qui leur étaient rattachés59, imposant des règles et des structures judiciaires et supportant une vie religieuse plus intense, faite de prières, de messes et de lumière pour les défunts.

  • 60 En 1320, le pape Jean XXII concéda à D. Dinis la dixième partie de toutes les rentes ecclésiastique (...)
  • 61 Nous savons par exemple qu’Alcorochel et Bugalhos appartenaient à la paroisse de Santa Maria: PMM, (...)
  • 62 Il en est ainsi pour les paroisses d’Alcorochel, Ribeira Branca, Lapas, Zibreira, Alqueidão, Alcane (...)

30Quelles influences contribuèrent à la concrétisation de ce mouvement associatif dans ce monde rural: les influences civiles ou religieuses ? Sans aucune certitude, nous pensons pouvoir détecter une convergence entre les deux. Le diocèse de Lisbonne fut restauré en 1147 et Torres Novas y était inclus. En 1320, ce bourg comptait quatre églises avec des portionnaires, ce qui nous renvoie aux églises collégiales60. Et ce sont ces clercs qui étaient certainement tenus d’assister religieusement les fidèles des nombreux villages situés dans les faubourgs61. Ils auraient pu naturellement encourager ces bonshommes à s’associer à des communautés confraternelles, à des familles élargies qui les soutenaient dans les besoins du corps et de l’âme. Les motivations et les exemples de la vie associative auraient ainsi été issus aussi bien du gouvernement collectif du village, que du rassemblement des clercs autour des prieurs des paroisses du bourg. Et c’est ainsi que certaines de ces confréries devinrent le levain des paroisses que l’on créa au fil du temps et qui composent aujourd’hui encore le tissu paroissial des faubourgs. À l’occasion des réformes administratives du XIXe siècle, ces paroisses se transformèrent en circonscriptions administratives, qui sont aujourd’hui les cellules de base du pouvoir local62. L’organisation des fraternités durant ces siècles initiaux reflète d’ailleurs les deux matrices.

  • 63 Par exemple, chaque mois (PMM, docs. 169, 170), calende du mois (PMM, docs. 162, 163, 164, 165, 166 (...)
  • 64 Il pouvait se tenir quinze jours avant la Saint-Michel de septembre (PMM, doc. 155), le premier dim (...)
  • 65 Voir PMM, docs. 156, 158. Le fait de manquer plus de deux ou trois fois au chapitre général était s (...)
  • 66 PMM, docs. 158, 172.
  • 67 PMM, doc. 156.
  • 68 PMM, doc. 160.
  • 69 PMM, docs. 169, 170, 171.
  • 70 PMM, docs. 170, 171.
  • 71 PMM, doc. 171.

31La première est la réunion du chapitre, à l’instar de ce qui se produisait entre les chanoines. Des chapitres mensuels, dont les dates variaient selon les associations63, et un chapitre général64 avaient lieu couramment. Les défaillants étaient d’ailleurs pénalisés par des amendes65, voire expulsés. Lorsque se précisent les fonctions du chapitre majeur, l’on comprend que c’est ici que se tiennent l’admission66 ou l’expulsion67 des confrères, la lecture annuelle du règlement68, l’élection des autorités des confréries69, que l’on prend les décisions sur la gestion des biens de la confrérie70 et que l’on a connaissance des recettes et dépenses annuelles de celle-ci71. Au même titre, si l’on partageait de la nourriture autour de la table confraternelle, parmi les chanoines, même s’ils ne vivaient plus en communauté, c’était bien souvent à l’occasion des fêtes qu’ils recevaient des denrées alimentaires. Par ailleurs, les préoccupations à l’égard de la sépulture et des prières de suffrage pour l’âme étaient communes au sein des confréries et des chapitres.

  • 72 PMM, docs. 155, 156, 157 (également dénommé ici alvazil), 161-171, 172 (l’on fait ici expressément (...)
  • 73 PMM, docs. 155, 173.
  • 74 PMM, docs. 155, 156, 158, 160, 161, 163-172, 173 (mention de deux majordomes).

32À leur tour, les autorités qui régissaient les confréries étaient semblables à celles qui gouvernaient les municipalités. La justice interne était assurée par des juges, qui étaient toujours cités au pluriel, ce qui nous renvoie au moins à deux72. C’est à eux que les confrères étaient tenus de faire appel en cas de désaccords et non aux autorités extérieures. Dans les municipalités, la magistrature supérieure était justement celle des juges, également désignés alvazis, et il en va de même dans une confrérie. Il était également admis que dans l’exercice de la justice confraternelle, à l’instar de ce qui se produisait dans les structures municipales, ces magistrats fussent assistés par des bonshommes73. Puis l’autorité qui supervisait la gestion des biens et la perception des amendes dans les confréries était assurée par un ou plusieurs majordomes (mordomos)74. Au sein des municipalités, ces officiers étaient chargés de la perception des impôts.

  • 75 PMM, docs. 155, 156, 158, 169, 170, 171.
  • 76 PMM, docs.162, 163, 168. Dans les docs. 164, 165, 166, 167 (également appelé andador).
  • 77 PMM, docs. 171, 172.
  • 78 PMM, doc. 160.
  • 79 PMM, doc. 158.
  • 80 PMM, doc. 173.
  • 81 PMM, doc. 156.

33Il existait aussi dans les confréries des officiers qui rappelaient les confrères à leurs différentes obligations. Plusieurs noms les désignaient, tels que marcheur (andador)75, appeleur (chamador)76, sonneur de cloche (campeiro)77, crieur public (pregoeiro)78. Le crieur public, qui criait les délibérations prises par les officiers et les bonshommes ou qui appelait les hommes aux réunions municipales ou à la justice, était aussi l’officier exécutif des municipalités. Le procureur (procurador)79, le portier (porteiro)80 ou le greffier (escrivão)81, fonctions qui faisaient tout aussi partie des autorités qui dirigeaient la vie municipale, apparaissent plus sporadiquement dans les confréries. Il semble ne subsister aucun doute quant au fait que les confréries trouvèrent le modèle de leur organisation et de leur gouvernance au sein des réunions capitulaires des chanoines et dans le cadre de l’administration municipale.

Conclusion

34La force universelle de l’association des chanoines et des clercs, des hommes des métiers et de différentes couches sociales, qui parcourut la chrétienté occidentale aux XIIe et XIIIe siècles, se manifesta avec toute sa puissance au sein des confréries. Au Portugal, elles se manifestèrent avec une grande vitalité en ces siècles qui furent ceux de l’expansion territoriale ainsi que de la composition sociale et politique d’un royaume. Elles contribuèrent sans aucun doute à l’encadrement civil et religieux des hommes et des femmes dans une société de guerre qui devait canaliser la violence envers l’ennemi musulman, exigeant la paix et l’ordre à l’intérieur des communautés chrétiennes. Les confréries créèrent des structures judiciaires qui maîtrisaient les tensions et les conflits parmi leurs membres. Elles contribuèrent à l’intégration sociale et à la dynamisation économique grâce au renforcement des solidarités de corps de métier et de groupes sociaux. Guidées par les idéaux évangéliques de l’amour, de la fraternité et de la charité, elles participèrent à l’extension de l’assistance et de la bienfaisance aux pauvres et aux démunis. Elles aidèrent à nouer les liens entre les paroisses et leurs fidèles et à diffuser les valeurs réformatrices morales et liturgiques de l’Église, en particulier dans la ritualité de la mort et la prière de suffrage pour l’âme.

35Dans les villes ou les villages, les cellules confraternelles contribuèrent à la cohésion territoriale, à la stabilité sociale ainsi qu’à la discipline morale et religieuse du royaume de Portugal qui, aux XIIe et XIIIe siècles, s’identifiait et se consolidait comme une entité politique autonome dans le contexte des royaumes de la péninsule Ibérique.

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Notas

1 À propos des chapitres cathédraux et collégiaux, cf. Gaudemet, 1979, 183-202.

2 Cf. Massoni, 2010, 85-87.

3 Anne Massoni (2010, p. 87-91) note, outre ces fonctions, l’activité de prédication, et l’enseignement dans de petites écoles paroissiales, la promotion du culte des reliques des saints, et le service religieux des hôpitaux et des confréries.

4 En 1189, après la conquête de Silves, le roi D. Sancho I a restauré le diocèse et la cathédrale de Silves, siège de l’ancien diocèse d’Ossonoba, et il a nommé le clerc flamand Nicolau pour évêque. Pourtant, comme ce territoire a été encore dominé par des musulmans, deux ans plus tard, ce diocèse ne sera restauré définitivement qu’en 1252, par le roi D. Afonso III qui choisirait pour cet évêché le frère dominicain Roberto. Pour comprendre la territorialisation des diocèses portugais, voir Sá-Nogueira 2000, 146-195.

5 Rodrigues, 2000, 278-279.

6 Marques, 1988, 517.

7 Campos, 2017, 36-56; Martins, 1996.

8 Martins, 1996, 11. La ville de Lisbonne compta toutefois vingt-trois paroisses intra et extra-muros, dont dix-neuf collégiale, (Marques, Gonçalves; Andrade, 1990, 55-56).

9 Coelho, 1992a, 149-184.

10 Coelho 1992a, 115.

11 Cette lacune de l’historiographie portugaise n’est toutefois pas unique. Pour le royaume de France, Catherine Vincent (2005, p. 366-367), dit de même, affirmant qu’il n’existe que des bilans dans le cadre de monographies urbaines, paroissiales, diocésaines ou plus larges au niveau d’une province ecclésiastique ou d’une région.

12 Sans renvoyer à des études monographiques qui se penchent sur plusieurs confréries spécifiques, cultes confraternels ou qui suggèrent certaines thématiques de leurs règlements, citons uniquement comme études plus générales celles de Correia,1944 ; Beirante, 1990 et Cláudio, 2002.

13 Paiva, 2002, 265-417 (dorénavant: PMM).

14 Pour nuancer quelque peu ces données, disons que de nombreux compromis du XVe siècle sont issus d’autres plus anciens que l’on a depuis perdus. C’est le cas de celui de Santa Margarida [Sainte-Marguerite] de Guimarães qui, par son contenu, date certainement de la fin du XIIe ou du début du siècle suivant. En effet, certaines datations des statuts d’origine peuvent être difficiles à préciser. Par ailleurs, il en existe encore deux du XVe siècle, celui de la confrérie des clercs de Montemor-o-Velho de 1495 et celui de S. Pedro de Torres Novas de 1499.

15 Coelho 1992a, 153.

16 Coelho 1992a, 154.

17 Vincent, 2005, 370.

18 Il en va de même en France, Vincent, 2005.

19 À propos de leur influence sur l’intervention du laïcat dans la religion, cf. Vauchez, 1987, 95-112.

20 Vincent, 2005, 371.

21 Vincent, 2005, 371.

22 Lisboa, Arquivo Nacional da Torre do Tombo (désormais: ANTT), Mosteiro de Santa Cruz de Coimbra, Livro de D. João Teotónio, liv. 101, fl. 48v. Nous remercions la collaboration d’Ana Rocha (doctorante de l’Université de Coimbra, qui prépare une thèse sur l’assistance à Coimbra, sous notre direction) qui nous a fourni des données sur les confréries de cette ville.

23 ANTT, Mosteiro de Santa Cruz de Coimbra, 1.ª inc., DP, mç. 14, n.º 29 e liv. 4, n.º 42, fls. 17-17v. Rien ne nous assure que les deux désignations (confrérie de Notre-Dame et confrérie des clercs) ne se référent qu’à une même institution.

24 Domingos Lourenço dans son testament où il donne des biens à la famille et à la cathédrale laisse aussi « ad confrariam clericorum, III morabitinos » (Rodrigues; Costa, 1999, doc. 10). Curieusement, le chanoine de Coimbra, João Cidiz, ordonne par son testament rédigé en mai 1186 de vendre une maison et de repartir ainsi l’argent: la moitié pour le « cloître » (la communauté des chanoines) et l’autre moitié pour la « confraria clericorum » (Morujão, 2010, doc. 2.8).

25 Catherine Vincent (2005, p. 370) précise également que: « de telles compagnies ne furent pas systématiquement suspectées par la hiérarchie qui put, au contraire, s’appuyer sur elles pour développer un esprit de réforme tant en matière de liturgie que de discipline, face aux chapitres de chanoines plus récalcitrants ». Ces confréries n’étaient pas suspectes aux yeux de l’Église qui les soutenait auparavant afin de concrétiser la réforme, tant en matière de liturgie que de discipline, qui était parfois plus difficile à imposer aux chapitres de chanoines.

26 Varandas, 1999, doc. 5 (16 avril 1159).

27 Ventura; Faria, 1990, 155, doc. 33 (mai 1147).

28 En 1106, est mentionnée la « fraternitatis ecclesie Sancti Bartolomei ». Nous ne savons pas s’il s’agissait d’une communauté de clercs ou d’une communauté de clercs avec des laïcs (Rodrigues; Costa, 1999, doc. 545) et en avril 1126, on reconnaît une vente de biens aux confrères de la confrérie où étaient identifiés quatre éléments (ANTT, Colegiada de São Bartolomeu de Coimbra, S. Bartolomeu, maço 5, n. 1).

29 ANTT, Cabido da Sé de Coimbra, 1ª incorp. DP, Cx. 27, rolo 3, n. 25, de Julho 1170. Il s’agissait de la confrérie de Notre-Dame de la Vraie Croix (Vera Cruz). Nous connaissons aussi la confrérie de Saint-Nicolas (1144), liée peut-être à la chapelle de Saint-Nicolas de l’hôpital du monastère Sainte Croix et la confrérie de Saint-Julien (S. Gião) (1170) liée peut-être à l’hôpital de Saint-Julien, documenté dès 1274 et en ayant une chapelle.

30 Varandas, 1999, doc. 5 (16 avril 1159).

31 Ainsi l’affirme-t-il pour les confréries paroissiales de Venise (scuole parrochiale) avant les XIVe et XVe siècles, lorsque celles-ci subissent de profondes transformations (Vuillemin, 2011, 15).

32 Rodrigues; Costa, 1999, doc. 243 (septembre 1117); Fortunato de Almeida (1967, p. 135-136), dit que les chanoines du Saint-Sépulcre disposaient déjà de leur institut au Portugal, en 1123, car une donation leur est adressée cette année-là. Mais ce document du Livro Preto nous fait anticiper la date de la présence de ces chanoines, qui suivaient la Règle de saint Augustin, en 1117.

33 Azevedo, 1958, vol. I, t. I, doc. 327.

34 PMM, doc. 160. À noter que le règlement que nous possédons est une copie de la seconde moitié du XIIIe siècle. Il est possible que l’original date du XIIe siècle.

35 PMM, doc. 156.

36 PMM, doc. 154. Le règlement de Saint-Nicolas de Coimbra de 1144 en précise les confrères, quoique l’on ignore à quelle époque cela se rapporte, puisqu’il s’agit d’une copie. Vingt-huit y sont énumérés, dont trois femmes, certainement célibataires car identifiées par leur seul prénom, et trois autres, peut-être veuves, « femmes de… », mention suivie du nom du mari. Parmi les hommes se trouvent un potier et un tanneur.

37 Rodrigues; Costa, 1999, doc. 10.

38 Alarcão, 2008, 114-131.

39 Morujão, 2010, doc. 1.3.

40 Sur les confréries du Portugal, à la fin du Moyen Âge, cf. Marques, 1989, 41-46.

41 Morujão, 2010, doc. 1.6.

42 Catherine Vincent (2005, p. 378) affirme justement: «l’émergence des institutions communales et celle des confréries procèdent du même élan associatif qui renouvela les structures de la société occidentale à partir du XIIe siècle ».

43 Cependant, il faut dire que les communautés d’hommes libres, qui vivaient selon des règles propres, se développèrent bien avant la concession de chartes. Ils délibéraient de façon collégiale au sein des consilia et ils disposaient d’une certaine autorité qui les faisait respecter. Ces communautés se répandirent sur le territoire au fil des temps, sous différents dominations (romaine, visigotique, musulmane), et pendant les premiers siècles de la reconquête chrétienne (Coelho, 1996).

44 Malheureusement, il s’agit d’une référence peu claire puisque le document est abîmé, Rodrigues; Costa, 1999, doc. 10.

45 Chartes publiées et étudiées dans Coelho, 2013, docs. II et IV et p. 23-27, p. 41-52.

46 PMM, doc. 173. Précisons que cette date est celle de la confirmation du règlement par le roi Denis Ier. Ajoutons que la confirmation du roi s’adresse aux « marchands et autres bonshommes du bourg de Beja », alors que le compromis fut pris par les « bonshommes qui vivent avec l’honneur des chevaliers ».

47 PMM, doc. 175. Le règlement fut élaboré le 15 octobre 1307 et le roi Denis Ier le confirma le 5 janvier 1308.

48 Les clauses du règlement de la confrérie de Sabugal se rapportent strictement à ces sujets, tandis que celui de Beja comprend également des normes en rapport avec l’entraide dans la mort ou la prévention de discordes entre confrères.

49 Cet inventaire a été publié par Leonor Damas Lopes (2001).

50 Elle fut étudiée dans Coelho, 1992b, 1-13.

51 Barbosa, 1992, 253-257.

52 Durand, 1982, 145-146.

53 À noter toutefois qu’il s’agit d’une confrérie urbaine, siégeant en l’église Saint-Jacques, bien que l’on sache que les propriétés de ces laboureurs devaient se situer dans les faubourgs. João Carlos Lopes (1993, p. 16-17) défend l’idée que cette confrérie, étant « la seule à avoir un caractère corporatiste bien marqué, dut se maintenir d’une certaine façon à l’écart du pouvoir ecclésiastique et de la hiérarchie religieuse ». Nous ne partageons pas entièrement cette assertion pour le début de l’existence de la confrérie, puisque son règlement est bien similaire à celui des autres (comme le dit d’ailleurs l’auteur aux p. 23 à 26), quoiqu’il y ait ultérieurement des questions avec le curé de l’église Saint-Jacques. La confrérie luttait pour son indépendance, surtout pour ce qui concerne son patrimoine, comme les autres institutions le faisaient. Celui-ci se composait de quelque vingt maisons et quarante immeubles ruraux (p. 29-31) et comptait encore un hôpital, bien que l’on ignore depuis quand il aurait été fondé. Pour d’autres études sur les confréries de cette région, voir aussi Gonçalves, 1988 et Gonçalves ; Botão, 1989.

54 Durand, 1982, 209, 508-511.

55 Toutefois il existait en réalité une différence de richesse entre les hommes de la confrérie, ce qui explique qu’il y avait, au sein de la confrérie, des bonshommes qui aidaient les autorités de celle-ci à exercer la justice.

56 La seule exception est la confrérie de Bugalhos où il est fait référence à « quelques hommes habitant le village de Bugalhos ». Il s’agit donc de « quelques » hommes, et non de tous, bien qu’aucune référence à des bonshommes ne soit faite, ce qui peut aussi être une omission du scribe qui recopia l’engagement original.

57 À noter toutefois que Jacques Chiffoleau (1980, p. 274) admet que les confréries rassemblaient dans les champs une grande partie de la population, quoique ce fut une sanior pars qui exerçât les fonctions dirigeantes. Nous pensons qu’il faudra faire pour le Portugal davantage de recherches sur la stratification sociale des confréries rurales.

58 Catherine Vincent (2005, p. 355), acceptant la division de Marc Vénard, cite deux catégories confraternelles: « les confréries dites d’intercession », des unions de prière et des sociétés d’entraide, et les « confréries de dévotion », lesquelles, tout en dévoilant les liens de fraternité propres au mouvement, rassemblaient leurs membres en particulier pour des pratiques religieuses plus intimes et intériorisées. À propos des différentes typologies confraternelles, consulter Penteado, 2000, 460-461.

59 Dans un cadre général du royaume, Fernando Correia (1944, p. 405-435) présente les hospices et les hôpitaux auxquels des confréries étaient affectées.

60 En 1320, le pape Jean XXII concéda à D. Dinis la dixième partie de toutes les rentes ecclésiastiques, à l’exception de l’ordre de l’Hôpital, pour subventionner la guerre contre les musulmans. C’est ainsi que l’on connaît la taxatio des quatre paroisses de Torres Novas et de leurs portionnaires, Boissellier, 2012, 202, 184. Et sur les origines de ces paroisses, cf. Barbosa, 1992, 260-262.

61 Nous savons par exemple qu’Alcorochel et Bugalhos appartenaient à la paroisse de Santa Maria: PMM, doc. 167, 168. Anne Massoni (2010, p. 89-90) indique justement que les chanoines des églises paroissiales pouvaient, eux-mêmes ou par l’intermédiaire de leurs auxiliaires, avoir à assister des églises dépendantes de la paroisse.

62 Il en est ainsi pour les paroisses d’Alcorochel, Ribeira Branca, Lapas, Zibreira, Alqueidão, Alcanena, Bugalhos, Monsanto (ces trois dernières dans la ville de Torres Novas jusqu’en 1914) (Lopes, 1993, 14).

63 Par exemple, chaque mois (PMM, docs. 169, 170), calende du mois (PMM, docs. 162, 163, 164, 165, 166, 167), premier dimanche de chaque mois (PMM, docs. 160, 171).

64 Il pouvait se tenir quinze jours avant la Saint-Michel de septembre (PMM, doc. 155), le premier dimanche avant la Saint-Michel (et dénommé ici « conventus ») (PMM, doc. 157), un dimanche de janvier s’ils se réunissaient autour de la table (PMM, doc. 160), le jour de Quasimodo (PMM, doc. 171), le jour du saint patron (PMM, doc. 172).

65 Voir PMM, docs. 156, 158. Le fait de manquer plus de deux ou trois fois au chapitre général était sanctionné par l’expulsion du confrère (PMM, docs. 160, 171). Au sein de la confrérie de Saint-Marc de Coimbra, la réadmission est toutefois acceptée, après avoir manqué à trois reprises au chapitre, si le confrère s’y présentait, demandait pardon à genoux et promettait l’obédience (PMM, doc. 171).

66 PMM, docs. 158, 172.

67 PMM, doc. 156.

68 PMM, doc. 160.

69 PMM, docs. 169, 170, 171.

70 PMM, docs. 170, 171.

71 PMM, doc. 171.

72 PMM, docs. 155, 156, 157 (également dénommé ici alvazil), 161-171, 172 (l’on fait ici expressément mention à deux juges).

73 PMM, docs. 155, 173.

74 PMM, docs. 155, 156, 158, 160, 161, 163-172, 173 (mention de deux majordomes).

75 PMM, docs. 155, 156, 158, 169, 170, 171.

76 PMM, docs.162, 163, 168. Dans les docs. 164, 165, 166, 167 (également appelé andador).

77 PMM, docs. 171, 172.

78 PMM, doc. 160.

79 PMM, doc. 158.

80 PMM, doc. 173.

81 PMM, doc. 156.

Índice de ilustraciones

Título Figure 1 - Évolution du mouvement confraternel (XIIe -XVe siècle)10
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Título Figure 2 - Confréries portugaises (monde urbain, XIIe-XVe siècle)15
URL http://books.openedition.org/cidehus/docannexe/image/11737/img-2.png
Archivo image/png, 1,8M
Título Figure 3 - Confréries portugaises (monde rural, XIIe-XVe siècle)16
URL http://books.openedition.org/cidehus/docannexe/image/11737/img-3.jpg
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