1Au cours des années 2000, en France, le nombre de jeunes qui retournent sur le chemin des diplômes quelques années après leur formation initiale va croissant. À l’horizon de cinq années, ce sont ainsi 12 % des jeunes de la génération arrivée pour la première fois en 2010 sur le marché du travail dont le parcours est émaillé d’épisode(s) notable(s) de formations ou de reprises d’études, contre moins de 7 % concernant les jeunes qui avaient arrêté leurs études en 1998 (Mora, 2018).

2Parmi les jeunes sortis de formation initiale en 2010, les sortants de l’enseignement secondaire reprennent plus souvent des études de plus de six mois (26 %) que les sortants de l’enseignement supérieur (18 %) au cours de leurs sept premières années de vie active. Mais les sortants de l’enseignement supérieur sans diplôme sont les plus nombreux à revenir aux études (40 %). Au sein des sortants de l’enseignement supérieur, les titulaires de diplômes du secteur de la santé et du social, les diplômés d’écoles de commerce et d’ingénieurs ainsi que les docteurs reprennent moins fréquemment leurs études (Robert, 2019).

3Cet entremêlement croissant entre formation initiale et formations professionnelles post-initiales en France au cours des années 2000 a pris place dans un contexte de maintien d’un fort volontarisme politique visant à développer l’alternance – dont les effets se sont principalement fait sentir dans le supérieur. La période s’est également caractérisée par des besoins renouvelés d’auto-financement du côté des universités, eu égard à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU) adoptée à l’été 2007 – la formation continue constituant alors une source possible et bienvenue de ressources. Par ailleurs, les politiques de professionnalisation à la française au sein du supérieur (stages obligatoires, modules de professionnalisation, développement de spécialités et filières dites professionnelles…) ont également pu contribuer à un brouillage des frontières entre formation et emploi.

4L’objet de ce travail est ainsi d’éclairer les ressorts et les enjeux, à tous les niveaux de diplômes, qui ont accompagné cette montée en charge des chassés-croisés entre formation et marché du travail pour les jeunes générations : les individus concernés sont-ils les mêmes ? Les circonstances et les conditions des retours en formation ont-ils évolué ? Concernant les jeunes ayant achevé leur formation initiale en 2010, leurs nouveaux diplômes ont fréquemment été obtenus par la voie de l’alternance (44 % relèvent de l’apprentissage et des contrats de professionnalisation, au premier chef) ou bien via des modalités, des dispositifs et des lieux de formation (universités, écoles) proches de ceux qui peuvent prévaloir en formation initiale (31 %). En outre, si les jeunes concernés par ces retours ont des profils variés, quelques régularités peuvent être observées. Les sortants bacheliers et les titulaires de licence sont au cours des années 2010 les plus nombreux en proportion à effectuer de tels retours. Et parmi ceux qui obtiennent un nouveau diplôme, ceux disposant déjà d’un capital scolaire ou social élevé répondaient plus souvent à l’ambition de progresser dans une carrière professionnelle qu’à celle de pallier des difficultés d’insertion sur le marché du travail (Mora et Robert, 2017). Ces régularités étaient-elles les mêmes à la fin des années 1990 ? Les jeunes bacheliers et ceux déjà diplômés du supérieur étaient-ils déjà prompts à effectuer de tels retours vers les diplômes, ou bien ces mouvements concernent-ils moins qu’avant les jeunes les moins diplômés, ou les jeunes confrontés à des difficultés d’insertion ? Quelle part de cette montée en charge peut-on relier au développement de l’alternance ? Enfin, l’accroissement de ces reprises d’études s’est-il déroulé au bénéfice des classes populaires ou bien a-t-il plutôt tendu à creuser les écarts de niveaux de diplôme entre les jeunes selon leurs origines sociales ?

5Pour réaliser ce travail de comparaison dans le temps entre des périodes présentant des conjonctures économiques différentes, nous mobilisons trois cohortes de débutants sur le marché du travail, suivies pendant les sept années consécutives à leur formation initiale, au travers de trois enquêtes Génération (menées auprès des jeunes sortis respectivement de formation initiale en 1998, 2004 et 2010). Dans une première partie, nous présenterons l’évolution de ce phénomène de reprises d’études dans le temps en prenant soin de distinguer trois types de reprise d’études : les reprises via l’alternance dites précoces, les reprises en alternance différée et les reprises d’études ou de formations diplômantes hors alternance. Puis nous décrirons l’évolution des caractéristiques des jeunes repreneurs au fil des enquêtes. Enfin, dans une dernière partie, nous présenterons les résultats d’une série de modèles qui visent à éclairer comment a évolué au fil des enquêtes le rôle de ces différentes caractéristiques individuelles et de parcours sur la probabilité d’effectuer tel ou tel type de retour aux études ou en formation. C’est là en particulier que nous nous arrêterons sur l’évolution de l’effet de l’origine sociale des jeunes concernant ces probabilités de retour.

Graphique 1  Calendrier des enquêtes Génération du Céreq

1. Évolution du phénomène de reprises d’études 7 ans après la sortie de la formation initiale

6Dans les enquêtes Génération, sont considérés comme sortants de formation initiale les individus n’ayant ni repris d’études à temps plein en établissement scolaire ou universitaire, ni démarré de contrat d’apprentissage dans l’année qui suit la fin présumée de formation initiale, cette forme d’alternance pouvant tout-à-fait relever (et c’est même le cas général) de la formation initiale.

7Ainsi, pour les jeunes relevant du champ des enquêtes Génération, les seules éventualités de formation dans l’année qui suit la sortie de formation initiale relèvent :

• soit de rares formations effectuées hors des établissements scolaires et universitaires - il s’agit alors fréquemment de formations réalisées ou prescrites par des intermédiaires du marché du travail comme les missions locales ou l’AFPA,

• soit de contrats de professionnalisation (ces derniers relèvent des fonds de la formation continue et usuellement, lorsqu’ils interviennent dans l’année suivant la formation initiale, ils sont assimilés à une situation d’emploi et non à une poursuite de formation initiale), et c’est dans ce cas précis que nous parlerons de retours précoces en alternance.

8Ces alternances qualifiées de « précoces » et démarrées moins de 10 mois après la fin de la formation initiale, relèvent ainsi selon la définition du champ des enquêtes Génération de la notion de reprises d’études. Néanmoins, pour les jeunes concernés et leurs familles, elles sont plus souvent perçues comme une poursuite d’études initiales réalisée en alternance que comme une reprise d’études. Étant susceptibles de relever de comportements bien distincts et de perceptions différentes, comparativement aux autres formes de reprises d’études, ces alternances précoces seront systématiquement considérées à part des autres retours en alternance, appelés alors « différés ». Les reprises effectuées par d’autres voies que l’alternance renvoient elles, majoritairement, à des retours aux études plus classiques à plein temps, au sein d’établissements scolaires ou universitaires. Les travaux antérieurs ont montré par ailleurs que les diplômes visés sont dans une écrasante majorité des diplômes dits professionnels plutôt que propédeutiques (Mora et Robert, 2017).

9Nous nous concentrons par ailleurs pour l’ensemble de ce travail sur les retours aux études ou en formation les plus « notables », c’est-à-dire ici s’étalant sur un minimum de 6 mois. L’objectif est de laisser de côté les formations liées par exemple à de la remise à niveau ou à de la découverte des métiers, pour se centrer sur des reprises d’études ou formations suffisamment longues pour être diplômantes ou a minima certifiantes – dans tous les cas les plus susceptibles d’être valorisées sur le marché du travail. Enfin, et pour mémoire, signalons que la part d’individus concernés uniquement par des retours « courts » en formation apparaît largement stable au fil des enquêtes : ils étaient 6 % au sein de la Génération 1998 suivie pendant 7 ans, puis 7 % pour la Génération 2004 et 8 % pour la génération 2010.

1.1. De plus en plus de jeunes reprennent des études au fil des générations

10Au fil des trois enquêtes considérées, à savoir la Génération 1998 suivie jusqu’en 2005, la Génération 2004 suivie jusqu’en 2011 et la Génération 2010 suivie jusqu’en 2017, la propension des jeunes à effectuer des retours notables aux études ou en formation dans les sept années suivant la fin de leur formation initiale s’est sensiblement accrue (Tableau 1). Ainsi, 18 % des jeunes opéraient de tels mouvements parmi ceux arrivés pour la première fois sur le marché du travail en 1998 (dont 3 % sous forme d’alternances précoces), contre 27 % parmi ceux arrivés en 2010 – seulement douze ans plus tard (dont 6 % via une alternance précoce).

11Cette évolution marquée des reprises d’études relève d’une part d’une progression plutôt régulière sur les trois enquêtes de la part de jeunes reprenant des études ou une formation hors alternance, passée de 12 % à 16 %. Elle s’appuie également sur une augmentation importante entre les Générations 1998 et 2004 de la part de jeunes qui reprennent des études en alternance différée1, passée en 6 ans à peine de 3 % de la cohorte de débutants à 5 %. En revanche, en dépit de la poursuite des politiques visant au développement de l’alternance, et probablement du fait de la conjoncture économique défavorable d’après crise2, cette proportion est restée stable entre les générations 2004 et 2010.

1.2. Les dates de retour en formation évoluent peu entre les Générations

12La date à laquelle intervient le premier retour notable en formation, quel qu’en soit le type, évolue peu, même si l’on remarque un démarrage légèrement plus tardif au fil des enquêtes. Dans l’ensemble, tous types de retours confondus, un peu plus de la moitié démarre dans l’année et demie qui suit la fin de formation initiale, et seulement un quart démarre plus de trois ans après celle-ci. Les décisions de retours aux études tendent ainsi à se concentrer sur les toutes premières années après la première sortie du système éducatif, et ce de façon largement stable au fil des enquêtes malgré la montée en charge constatée.

13À noter que les retours réalisés via une alternance différée sont, pour toutes les Générations, plus tardifs que les retours hors alternance. Ainsi, à chacune des enquêtes, un peu moins de la moitié des reprises en alternance différées démarrent moins de deux ans après la formation initiale contre un an et demi pour les reprises d’études hors alternance.

1.3. La durée des reprises d’études s’allonge

14La durée des formations ou études post-initiales suivies s’est plutôt allongée au fil des enquêtes. Pour la Génération 1998, la moitié des retours durait 14 mois ou plus et un quart seulement durait plus de deux ans. Pour la Génération 2010, la moitié durait 20 mois ou plus et près d’un quart durait trois ans ou plus.

15Cet allongement de la durée concerne au premier chef les retours effectués hors alternance. Pour ceux-là, la durée médiane passe de 13 mois à 20 mois en l’espace des 12 ans séparant la Génération 1998 de la Génération 2010. Concernant les retours effectués via l’alternance différée, en revanche, on relève peu d’évolution sinon concernant seul le haut de l’échelle des durées : un quart d’entre elles duraient plus de 25 mois à la Génération 1998 contre 29 mois à la Génération 2010.

16Ces résultats suggèrent que les trois types de retours distingués ici n’ont pas connu nécessairement les mêmes logiques d’évolution. Une transformation au fil des Générations des publics concernés par les diverses formes de reprises d’études ou de formation pourrait constituer une première forme d’éclairage.

2. Les jeunes qui font le choix de revenir aux études sont-ils toujours les mêmes ?

17Pour tenter de répondre à cette question, les jeunes ayant fait le choix de retourner sur les bancs de l’école sont étudiés pour chaque Génération. Nous nous intéressons ainsi successivement au plus haut niveau de diplôme qu’ils avaient atteint à l’issue de la formation initiale, à leur situation sur le marché du travail l’année précédant leur retour en formation et à certaines de leurs caractéristiques socio-démographiques, sexe et origine sociale en particulier.

2.1. Des évolutions d’effectifs différentes selon le niveau de diplôme et le type de reprise d’études

18On observe cette fois les effectifs de jeunes reprenant des études, afin de mieux rendre compte, à niveau de diplôme donné, des évolutions temporelles de chacun des trois types de retours aux études, étant donné le contexte global d’accroissement des effectifs.

19Concernant les jeunes sortis non diplômés de formation initiale (Graphique 2), les sortants de 2004 sont plus nombreux à reprendre une formation que les sortants de 1998. Cette augmentation s’explique notamment par une progression sensible des reprises d’études en alternance. Dans la deuxième moitié des années 2000, entre les Générations 2004 et 2010, en revanche, ce type de reprise d’études diminue quelque peu, sans doute en raison d’un contexte conjoncturel défavorable à la signature de contrats en alternance et/ou à une tendance à l’élévation des niveaux de diplômes préparés en alternance. Les autres formes de retours poursuivent en revanche leur progression, mais sans compenser le tassement de l’alternance. Ainsi, sur cette seconde période, les retours aux études notables reculent pour les jeunes qui avaient mis un terme à leur formation initiale sans avoir obtenu de diplôme.

Graphique 2 • Effectifs de jeunes sortis non diplômés de formation initiale et en reprise d’étude, selon les trois Génération étudiées

20Le mouvement global est analogue parmi les jeunes sortis de formation initiale avec un CAP ou un BEP, ainsi que pour ceux détenant un baccalauréat professionnel ou technologique (Graphique A1 en annexe) : une progression importante des retours via l’alternance entre les Générations 1998 et 2004, puis un recul à la Génération 2010. Parallèlement, les autres formes de retours poursuivent leur montée en charge, selon un rythme moindre entre les Générations 2004 et 2010 par rapport à l’écart entre les Générations 1998 et 2004. Là aussi, au global, on constate un recul des effectifs concernés par les retours en deuxième période.

21Pour les bacheliers généraux, il n’y a pas d’évolution marquée des effectifs de retours aux études entre les cohortes des Générations 1998 et 2004, où seuls les retours via l’alternance précoce augmentent. En revanche, une hausse massive des effectifs intervient entre les générations 2004 et 2010, portée d’une part par une poursuite de la progression des retours via l’alternance, et par un presque doublement des autres types de retours (Graphique 3).

Graphique 3 • Effectifs de jeunes sortis de formation initiale diplômés de baccalauréat général et ayant repris des études, selon les trois Génération étudiées

22Toutefois, si l’on tient compte cette fois des effectifs de ces sortants à l’issue de la formation initiale, qui diminuent à la Génération 2004 puis remontent par la suite, le constat diffère. La part de jeunes concernés (Tableau A1 en annexe) par l’alternance différée progresse entre les cohortes 1998 et 2004 (passant de 5 % à 7 %) puis reste stable entre les Générations 2004 et 2010. La part de jeunes concernés par d’autres types de retours notables aux études ou en formation progresse elle vivement, et sur une pente assez régulière entre les Générations, passant de 31 % des jeunes sortis bacheliers généraux en 1998 à 42 % pour ceux sortis en 2010. Si ces mouvements étaient déjà très importants pour les jeunes sortis de formation initiale à la fin des années 1990 avec le seul baccalauréat général (massivement à la suite d’un « échec » dans l’enseignement supérieur), ils le sont devenus encore nettement plus avec le temps, témoignant du fait que cette notion d’échec dans l’enseignement supérieur doit être relativisée et en tous les cas nécessite absolument, pour cette population spécifique, d’être mesurée à distance de la « première » sortie de formation initiale.

23Pour les jeunes sortis de formation initiale diplômés du supérieur court (Graphique 4), c’est-à-dire ici avec BTS, un DUT ou une licence, les retours via l’alternance différée et les retours hors alternance ne progressent nettement qu’entre les Générations 1998 et 2004. Ils sont quasiment stables ensuite, alors que les effectifs pour l’alternance précoce continuent, eux, d’augmenter jusqu’à la Génération 2010. La procyclicité de l’alternance pourrait, au moins à ces niveaux de formation, être plus marquée pour des contrats signés à distance de la formation initiale, que pour ceux signés à la suite de celle-ci.

Graphique 4 • Effectifs de jeunes sortis de formation initiale diplômés du supérieur court et ayant repris des études, selon les trois Génération étudiées

24Concernant les jeunes diplômés de bac+4 et plus (Graphique A2 en annexe), considérés ici comme diplômés du supérieur long, l’alternance différée, qui joue d’abord un rôle mineur, se développe sensiblement entre les cohortes 2004 et 2010. Les autres formes de reprise d’études ou formations notables sont en revanche très stables au fil des enquêtes.

2.2. Plus de jeunes reprennent après des situations de chômage ou d’inactivité

25Les objectifs visés au travers de ces mouvements de reprises d’études sont variés. Ils sont néanmoins souvent liés à la situation du jeune sur le marché du travail. Ainsi, les retours en formation, dont on pourrait considérer qu’ils visent surtout à progresser dans une carrière déjà commencée ou à se réorienter, feront plutôt suite à une période d’emploi, à l’inverse des reprises d’études visant à pallier des difficultés d’insertion professionnelle, plutôt consécutives à des périodes de difficultés d’accès ou de stabilisation en emploi. Dans cette deuxième partie, nous étudions ainsi l’évolution des retours en formation en fonction de la situation sur le marché du travail au cours de l’année qui précède ce retour3.

2.2.1. Que faisaient-ils avant de reprendre une formation en alternance ?

26Au cours des années 2000, l’accroissement des reprises d’études via une alternance différée, est inégal selon les situations précédant le retour en formation (Graphique 5). On observe dans un premier temps, un accroissement des reprises d’études en alternance consécutives à du chômage ou de l’inactivité (NEET4) avec une augmentation de 7 500 individus entre les Générations 1998 et 2004, puis de 1 000 individus entre les Générations 2004 et 2010. Ce constat est à mettre en parallèle avec l’accroissement du nombre de jeunes NEET (ayant repris des études ou non) plus marqué entre les Générations 2004 et 2010, qu’entre 1998 et 2004.

27Ainsi, si être NEET en 2010 surdétermine sensiblement les mouvements de retour en alternance différée par rapport aux autres situations sur le marché du travail, cette surdétermination est en réalité nettement moindre qu’elle ne l’était pour la Génération 2004. Et elle est à peine plus importante que pour la Génération 1998, où la conjoncture était nettement plus favorable. Se retrouvent là aussi les effets de procyclicité attendus, les possibilités de contrats en alternance démarrés à distance de la formation initiale ne constituant pas autant que souhaité une planche de salut pour les jeunes les plus en difficultés sur le marché du travail français.

28Les effectifs de jeunes en formation en alternance différée consécutive à une inscription plus ou moins stable dans l’emploi ont également progressé – notamment à l’issue d’emplois à durée déterminée correctement rémunérés (augmentation de 3 900 individus entre les Générations 1998 et 2010) – dans un contexte où ce type d’emploi s’est développé au détriment des emplois à durée indéterminée.

Graphique 5 • Effectifs de jeunes ayant fait une alternance différée selon la Génération et la situation professionnelle des jeunes l’année précédant le retour en formation

2.2.2. Et qu’en est-il pour ceux qui reprennent une formation hors alternance ?

29Concernant les retours en formation réalisés hors alternance (Graphique 6), on recense des éléments analogues derrière l’augmentation globale des effectifs. Celle-ci se concentre là aussi sur une augmentation des retours consécutifs à des difficultés d’accès à l’emploi dans l’année précédant le retour en formation (année dominée par les situations de chômage ou d’inactivité). Les effectifs d’individus concernés augmentent en revanche nettement entre les Générations 2004 et 2010 contrairement à ce qui avait été relevé pour l’alternance différée. En effet, l’augmentation est de près de 24 000 individus entre la Génération 1998 et la Génération 2010, dont les deux tiers entre les Générations 2004 et 2010.

Graphique 6 • Effectifs de jeunes ayant fait une reprise d’études hors alternance selon la Génération et la situation professionnelle des jeunes l’année précédant le retour en formation

30Les retours consécutifs à des situations dominées par un ou des emploi(s) à durée limitée faiblement rémunérés montent également en charge en l’espace de 12 ans, que ce soit concernant des retours via l’alternance ou pas. Pourtant on ne constate pas de réelle augmentation de ce type d’emploi comme mode régulier de participation au marché du travail dans le même temps chez les jeunes (Mora, 2018).

2.3. Les femmes plus concernées par les reprises d’études hors alternance

31Les effectifs d’hommes et de femmes concernés par des retours notables aux études (hors alternances précoces) au cours des sept années suivant leur formation initiale augmentent relativement en phase, de même que leurs propensions respectives à opérer de tels mouvements. À chaque Génération étudiée, les femmes reprennent toujours sensiblement plus que les hommes en ce qui concerne les modalités hors alternance, sans que l’écart ne se réduise. En revanche, comme fréquemment observé, elles restent un peu moins concernées qu’eux à la fois par l’alternance différée et par l’alternance précoce.

2.4. Pas de différence massive concernant l’origine sociale

32Concernant l’origine sociale des jeunes, l’étude des effectifs et de la part de jeunes qui reprennent des études en fonction de la catégorie socio-professionnelle de leurs parents ne suggère pas d’évolution notable qui viendrait accroître ou réduire sur ce plan les écarts entre jeunes issus de milieux socio-économiques favorisés et jeunes issus des classes populaires. Pour étudier plus précisément l’impact de l’origine sociale et son évolution dans le temps, le choix a été fait de réaliser dans la partie suivante des modèles logistiques binaires, prenant notamment en compte le niveau de diplôme du jeune à l’issue de sa formation initiale, celui-ci étant encore très corrélé avec son origine sociale.

3. Probabilité de retour aux études selon le type de retour et les caractéristiques des jeunes

33Dans cette dernière partie, nous nous intéressons à la probabilité d’avoir effectué tel ou tel type de reprise d’études de plus de six mois plutôt que de n’avoir effectué aucun retour sur les bancs de l’école (ou seulement un très court retour de moins de six mois). Nous distinguerons dans trois modèles séparés (Tableau A2 en annexe) les trois grands types de reprises : celles sous forme d’alternance débutées moins de 10 mois après la fin de formation initiale (alternances précoces), celles commencées après plus de 10 mois (alternances différées), et les reprises d’études hors alternance. Des modèles croisant les principales variables du modèle avec la génération enquêtée ont également été réalisés, permettant de chercher à repérer d’éventuelles évolutions des corrélations attachées aux principales variables explicatives au fil du temps.

34Tous les paramètres du modèle contrôlés par ailleurs, les jeunes des Générations 2004 et 2010 ont ainsi une probabilité similaire de reprendre des études sous forme d’alternance différée comme des études hors alternance. En revanche, cette probabilité est significativement moins élevée pour les jeunes de la Génération 1998. Concernant les alternances précoces, on retrouve pratiquement le même résultat, sinon que les jeunes de la Génération 2010 ont une probabilité inférieure à ceux de la Génération 2004 d’avoir effectué ce type de reprise/poursuite d’études.

3.1. Le rôle majeur de la formation initiale…

35Les modèles qui ont été estimés témoignent par ailleurs que, quel que soit le type de reprises d’études considéré et la Génération, la probabilité de retourner sur les bancs de l’école dans les sept années suivant la sortie du système éducatif est fortement corrélée au niveau déjà atteint en formation initiale. En outre, les corrélations entre propension à la reprise et niveaux de diplômes initiaux n’ont que modérément évolué au fil des Générations enquêtées, du moins en matière d’ordre entre ces niveaux.

36Tous les paramètres du modèle contrôlés par ailleurs, les probabilités de reprises sont ainsi particulièrement élevées pour les titulaires de baccalauréats généraux, suivis des bacheliers professionnels ou technologiques, puis des non-diplômés – et ce quel que soit le type de reprise d’études considéré.

37La propension à la reprise pour les jeunes issus des autres niveaux de diplômes varie en revanche selon le type de reprise. Ainsi, concernant l’alternance (précoce comme différée), les titulaires de CAP-BEP reprennent respectivement un peu moins ou autant que les bacheliers professionnels et technologiques. Les diplômés de niveau bac+2 reprennent encore moins et les diplômés de niveau bac+3 et au-delà sont ceux qui sont les moins concernés par la voie de l’alternance. Pour les reprises d’études hors alternance, en revanche, ceux qui reprennent le moins sont cette fois les diplômés de CAP-BEP et ceux sortis titulaires de diplômes à bac+2.

38Le fait d’avoir terminé sa formation initiale sans avoir réussi à obtenir le diplôme visé n’a, en revanche, et quelle que soit la Génération, pas d’effet significatif sur la probabilité de reprendre ensuite des études sous forme d’alternance différée. À l’inverse, les jeunes ayant achevé ainsi leurs études initiales enchaînent significativement moins avec une séquence d’alternance précoce, mais reviennent significativement plus souvent vers des reprises d’études hors alternance, tous les paramètres du modèle étant contrôlés par ailleurs.

3.2. …et celui des premiers pas dans la vie active

39Sans grande surprise, les jeunes reprennent également significativement moins – que ce soit en alternance ou pas – lorsqu’ils occupent une situation favorable sur le marché du travail durant leur première année de vie active5. En effet, les jeunes les plus susceptibles de reprendre des études sont ceux qui ont été majoritairement au chômage ou en inactivité cette année-là, suivis de ceux qui étaient majoritairement en emploi à durée déterminée avec un faible salaire. En moyenne, les jeunes reprennent ainsi moins souvent leurs études lorsqu’ils étaient en emploi à durée déterminée mais bien rémunéré et encore moins s’il s’agissait d’un emploi à durée indéterminée. Au fil des enquêtes Génération, on observe sur ce plan cependant diverses évolutions. Concernant les reprises d'études hors alternance, si les évolutions sont modestes, elles vont dans le sens d'un rapprochement entre la propension à reprendre des jeunes les plus en marge (situations de NEET dominantes) et des jeunes qui parviennent à accéder à l'emploi mais demeurant cantonnés aux emplois à durée déterminée peu rémunérés. Ces derniers connaissent ainsi une propension à la reprise qui s'est accrue relativement aux jeunes ayant eux aussi accédé à l'emploi, majoritairement à durée limitée mais correctement rémunérés. Concernant les retours aux études effectués en alternance (différée), les modélisations toutes choses égales par ailleurs suggèrent à l'inverse que c'est l'ensemble des situations d'emploi à durée limitée, correctement comme faiblement rémunérés, qui se sont rapprochées en matière de propension à reprendre des jeunes les plus en marge du marché du travail. Ces situations s'éloignent dans le même temps des jeunes ayant accédé aux emplois à durée indéterminée, désormais plus rares qu'avant à effectuer ce type de mouvement – relativement aux autres du moins.

40En matière de caractéristiques sociodémographiques, les hommes ont une plus grande propension à reprendre des études en alternance alors que les femmes reprennent plus des études hors alternance. Au fil des enquêtes, ces écarts entre les comportements observés chez les uns et les autres ne se sont pas nettement modifiés pour les reprises hors alternance. En revanche, l’écart entre hommes et femmes se réduit avec le temps pour les alternances différées. Être issu de l’immigration ne semble avoir aucun effet significatif sur la probabilité de reprendre ou non des études, peu importe le type de reprise d’études et la Génération étudiés.

41Qu’en est-il, enfin, de l’effet de l’origine sociale sur la propension à reprendre tel ou tel type d’études, et comment ces éléments évoluent-ils au fil des enquêtes ? Les modèles intégrant des variables croisant Génération enquêtée et origines permettent de faire un état des rapports de côte et de leurs évolutions pour chacun des trois types de reprises d’études envisagés (Tableau 4).

42Ce tableau illustre dans un premier temps le fait que chacun des trois types de reprises d’études étudiés se répartit inégalement selon les origines sociales.

43Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, les prolongations d’études via un contrat de professionnalisation (alternance précoce), apparaissent dès la Génération 1998 significativement en défaveur des jeunes d’origine populaire (c’est-à-dire dans notre étude ceux dont les deux parents sont ouvriers ou employés) par rapport aux jeunes des classes « moyennes » ou « favorisées » (ceux ayant au moins un parent cadre). Ce moindre accès toutes choses égales par ailleurs s’est ensuite maintenu, voire creusé à la Génération 2004 – ce malgré le développement concomitant de ce type de poursuites d’études. Par la suite, ce rôle de l’origine sociale sur les probabilités de compléter ou poursuivre ses études par un contrat de professionnalisation s’est encore affirmé. À la Génération 2010, non seulement les enfants des classes populaires sont distancés par les autres, mais les jeunes issus de parent(s) cadre(s) creusent en plus l’écart vis-à-vis des jeunes des catégories intermédiaires – ce alors même que le modèle contrôle, notamment, le niveau de formation initiale.

44Ce rôle important, et plutôt croissant au fil des enquêtes, de l’origine sociale sur les reprises en alternance précoce ne se retrouve pas, ou peu, en revanche lorsqu’il s’agit d’éclairer les retours différés en alternance – il semble que l’origine sociale joue un rôle nettement moins appuyé dans ces cas. Seules quelques corrélations modestes sont notées mais pour l’essentiel, et toutes choses égales par ailleurs, ces mouvements concernent pratiquement autant les jeunes issus du bas de l’échelle sociale que ceux situés plus haut.

45Les retours aux études hors alternance, le plus souvent effectués selon des modalités plus traditionnelles, à plein temps à l’université ou en établissement scolaire, constituent encore une troisième figure quant au lien existant entre les probabilités de retours et l’origine sociale des jeunes concernés. Dans ce cas, il s’agit moins du fait que les classes populaires soient distancées par les catégories intermédiaires et favorisées, mais plutôt de ce que les jeunes issus des milieux favorisés connaissent un surcroît significatif de ces mouvements de retour aux études classiques, toutes choses égales par ailleurs, en comparaison de ceux issus des classes moyennes ou populaires. Et cette distinction ne s’érode pas réellement au fil des Générations, malgré la montée en charge sensible de ces reprises d’études hors alternance : disposer d’un capital culturel et/ou économique favorable continue d’aller de pair avec une plus grande propension à envisager ou à réaliser un retour aux études, hors alternance, toutes choses égales par ailleurs.

Conclusion

46Dans un contexte global d’élévation du niveau de diplôme en fin de formation initiale entre les Générations 1998 et 2010, les retours aux études dans les années qui suivent apparaissent de plus en plus fréquents, que ce soit par le biais de l’alternance ou par d’autres modalités. Ces reprises apparaissent également de plus en plus longues, notamment pour celles effectuées hors alternance.

47L’alternance démarrée à distance de la formation initiale a connu une forte expansion auprès des jeunes issus de pratiquement tous les niveaux de diplômes entre les Générations 1998 et 2004. Entre les Générations 2004 et 2010 en revanche, les signatures de contrats en alternance différés se stabilisent, à l’inverse du mouvement de nette progression enregistré pendant ce temps du côté des contrats de professionnalisation signés plus dans la continuité des études. Le contexte conjoncturel devenu plus clairement défavorable à la signature de contrats en alternance entre les Générations 2004 et 2010 semble ainsi moins peser sur ces derniers que sur les possibilités de revenir aux études via l’alternance après une interruption notable. Les reprises d’études hors alternance se sont quant à elles développées tant entre les Générations 1998 et 2004 qu’entre 2004 et 2010 en ce qui concerne les jeunes issus du secondaire. Néanmoins, comme pour l’alternance différée pour le supérieur court, la propension des diplômés du supérieur à effectuer ces mouvements est demeurée stable entre les Générations 2004 et 2010.

48En termes de public concerné par les retours sur les bancs de l’école, les hommes reprennent un peu plus souvent des études via l’alternance tandis que les femmes sont sensiblement plus concernées par les reprises hors alternance. Ces effets de genre restent sensibles même en contrôlant par le niveau de diplôme ou par l’aspect des premiers pas dans la vie active concernant les reprises hors alternance, alors qu’ils diminuent avec le temps pour l’alternance différée. En revanche, les modèles effectués suggèrent que les différences de fréquentation par genre concernant les contrats de professionnalisation signés peu après les études relèvent essentiellement d’effets de structure, au premier rang desquels les niveaux de diplômes.

49Les jeunes diplômés dont le plus haut niveau de diplôme est un baccalauréat général ont la plus forte propension à reprendre des études, suivis par les bacheliers professionnels ou technologiques, puis par les non-diplômés. Les jeunes reprennent par ailleurs de plus en plus au fil des enquêtes à la suite de difficultés sur le marché du travail. Dans un contexte économique qui s’est nettement dégradé, les retours aux études que l’on pourrait qualifier de défensifs, visant à rompre avec les problèmes d’accès ou de stabilisation en emploi, prendraient donc plutôt le pas sur les retours plus offensifs, c’est-à-dire sur ceux ayant comme objectif premier de progresser dans une carrière ou de se réorienter. Cette dimension explique ainsi une partie de l’augmentation globale des mouvements d’aller-retour entre études et emploi, bien qu’il faille toujours se garder d’assimiler systématiquement retour aux études et difficultés sur le marché du travail.

50Enfin, si l’origine sociale ne semble pas avoir de lien avec le fait d’avoir une plus ou moins grande propension à reprendre des études en alternance à distance de la formation initiale, il n’en va pas de même pour ce qui est de signer un contrat de professionnalisation juste après ou peu après ses études, et moins encore pour ce qui est de reprendre des études ou une formation hors alternance. Ainsi, prolonger ses études par un contrat de professionnalisation apparaît, dès la Génération 1998, significativement moins probable pour les jeunes d’origine populaire et l’écart d’accès en fonction des origines se creuse au fil des Générations. Pour les reprises d’études hors alternance, là aussi on constate une disparité d’accès selon l’origine sociale au bénéfice des jeunes issus des milieux favorisés, ayant au moins un parent cadre. Et cette disparité ne s’érode pas au fil des générations, malgré le nombre croissant de jeunes concernés par ces mouvements et le fait que ces mouvements fassent suite plus qu’avant à des difficultés d’insertion professionnelle.

51La question se pose de savoir ce qui, précisément, joue défavorablement dans l’accès aux poursuites d’études, d’une part concernant les contrats de professionnalisation signés à la suite des études, d’autre part concernant les retours aux études plus classiques, pour les jeunes issus des milieux populaires. Une comparaison approfondie avec les retours en alternance effectués de façon différée, éventuellement par le biais d’une étude qualitative, pourrait de ce point de vue être particulièrement éclairante. En effet, alors qu’en formation initiale les jeunes issus des milieux populaires sont moins souvent en apprentissage que les jeunes de milieux plus favorisés (Kergoat, Sulzer 2017), leurs origines sociales semblent moins affecter leurs possibilités d’accéder à des contrats en alternance lors de leur reprise d’études. Ce constat invite ainsi à des analyses plus approfondies qui permettraient d’interroger plus précisément la part des divers mécanismes qui entrent en jeu derrière le fait de réaliser ou pas de tels mouvements : auto-censure, effets de report dans le temps de la part de certains jeunes, années de césure plus ou moins institutionnalisées, effets de réseaux ou encore (concernant les contrats de professionnalisation signés peu après les études) éventuelle sélection adverse de la part des entreprises ou des établissements d’accueil face à des candidats issus de la formation initiale.