1En matière d’éducation, les dernières décennies sont marquées par l’accroissement des scolarisations dans l’enseignement supérieur, enseignement « tertiaire » selon la terminologie de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Un indicateur, la part des différentes générations diplômées de l’enseignement tertiaire, permet de visualiser cette participation accrue des jeunes générations à l’enseignement supérieur. Ainsi selon le rapport de l’OCDE sur l’éducation de 2018, « en moyenne, dans les pays de l’OCDE, 36 % des adultes âgés de 25 à 64 ans sont diplômés de l’enseignement tertiaire [...] pour 44 % chez les jeunes adultes (les 25-34 ans), un pourcentage nettement plus élevé que chez les 55‑64 ans (27 %) ». Dans ce contexte, les politiques de formation tout au long de la vie promues par les instances internationales depuis le début des années 2000 font face à de nouveaux défis.

2Elles doivent répondre aux attentes de publics de plus en plus diplômés, aux profils très variés, revenant aux études avec des motivations d’ordres multiples. La formation continue supérieure joue plus que jamais un rôle de « seconde chance » pour des bacheliers et parfois même des non-bacheliers n’ayant pas poursuivi leurs études ou validé un diplôme de l’enseignement supérieur. C’est un levier pour renforcer l’employabilité des personnes menacées dans leur emploi, pour favoriser les évolutions professionnelles, les reconversions et les promotions, de personnes déjà en possession d’un diplôme du supérieur, titulaires d’une licence ou d’un master. Celles-là reviennent aux études pour actualiser leurs connaissances dans des formations courtes, pour évoluer ou se recycler en préparant un diplôme de niveau supérieur ou un autre diplôme, de même niveau que celui détenu.

3Elles soulèvent la question du repérage des publics en formation continue, question directement liée à celle de leur financement. En effet, ces publics reviennent aux études à des âges et des moments différents de leur trajectoire professionnelle, en début comme en fin de carrière. Les reprises d’études en début de carrière ne sont pas toujours faciles à différencier des processus de transition actuels de la formation initiale à l’emploi et d’entrée sur le marché du travail des jeunes générations. De plus en plus, en France, comme dans la plupart des pays, un brouillage des frontières s’opère entre la formation initiale et l’emploi, avec le développement des formations en alternance dans l’enseignement supérieur, le travail salarié des étudiants, la généralisation des années de césure dans les parcours d’études, les interruptions d’un ou plusieurs semestres, subies ou choisies, conduisant à accumuler de premières expériences professionnelles en parallèle du parcours d’études… Le repérage des publics est aussi compliqué par la diversité de leurs statuts, la complexité des modes de financement. Si le retour aux études en France est possible via les fonds et les dispositifs de la formation professionnelle continue des salariés et des demandeurs d’emploi, nombreuses sont aussi les initiatives individuelles et les démarches strictement personnelles conduisant tout simplement les personnes à s’inscrire dans des formations universitaires comme de simples étudiants en formation initiale.

4Enfin elles soulèvent le débat sur les finalités des retours aux études supérieures dans la société actuelle, entre transmissions de savoirs et développement des compétences (Perrenoud, 2004) entre promesses et utopie de l’éducation permanente et réalités de la formation continue (Forquin 2004). Selon Perrenoud, ce débat est assez feutré à l’université avec une tendance au renforcement de la finalité de développement des compétences pour le marché du travail, en lien notamment avec la dynamique de professionnalisation. Selon l’analyse de Forquin sur l’histoire de l’éducation permanente, les années 70 constituent une inflexion. Il cite Debesse et Mialaret pour qui « on serait passé ainsi en moins de trente ans, "d’une vision sociale et humaniste de l’éducation permanente à une vision économique et réaliste de la production des compétences" (p. 7) ce qui n’exclut pas cependant, aux yeux de ces deux auteurs, l’existence d’un certain nombre de continuités au niveau des attentes, des représentations et des valeurs ».

5Les contributions de notre sous-groupe au sein du Groupe de travail sur l’enseignement supérieur (GTES) portent sur les adultes en reprise d’études à l’université. Chacune d’entre elles porte un éclairage sur tout ou partie de ce paysage riche et éclaté de la formation continue supérieure. Elles s’appuient sur des exploitations d’enquêtes par questionnaire ou par entretiens. Plusieurs ont été conduites spécifiquement pour alimenter le GTES. Les approches sont selon les cas quantitatives ou qualitatives, parfois une combinaison des deux. Les données portent sur une ou sur plusieurs universités, sur le niveau régional voire le périmètre national.

6Mises côte à côte, l’ensemble permet de dresser un portrait inédit du paysage de la formation des adultes à l’université. Qui sont les publics en reprise d’études à l’université ? Quels sont leurs profils et leurs motivations ? Quelle place prend la reprise d’étude dans les trajectoires personnelles et professionnelles ? Cette reprise d’études s’inscrit-elle en continuité d’un parcours antérieur, en compensation, en rattrapage ou marque-t-elle une rupture ?

7Plusieurs contributions – qui s’appuient en général sur des sources administratives – ont également une dimension méthodologique. Elles abordent la question du repérage de ces publics, discutent des critères à mobiliser pour mieux les repérer, de l’influence des indicateurs choisis sur le dénombrement des publics.

8La contribution de Virginie Mora et Alexie Robert, portant sur l’ensemble des niveaux de diplômes du système éducatif, apporte un éclairage plus large que les contributions suivantes en donnant une vision globale de l’évolution du phénomène de reprises d’études. Pour cela, elle s’appuie sur l’exploitation de trois enquêtes Génération du Céreq en étudiant les retours aux études de plus de six mois des jeunes sortis du système éducatif en 1998, 2004 et 2010 durant les sept premières années de vie active. Elle distingue les reprises d’études « précoces en alternance », « différées en alternance » et « hors alternance ». Les reprises précoces, effectuées moins de dix mois après la sortie, sont dans les faits des poursuites d’études initiales via l’alternance. Tous diplômes confondus, les données montrent un nombre croissant de jeunes « reprenants » au fil des générations (de 16 % de la Génération 1998 à 27 % de la Génération 2010), une durée de reprise d’études croissante et un démarrage des formations très tôt dans les parcours. Cet accroissement des reprises d’études au fil des générations concerne les sortants de tous niveaux. Pour les diplômés du supérieur, les effectifs concernés par les reprises hors alternance restent stables entre les deux dernières générations alors que les reprises en alternance, précoces comme différées, continuent d’augmenter notamment pour les titulaires d’un diplôme supérieur au niveau bac+5. Certains facteurs influencent cependant la reprise d’études, notamment une situation défavorable de chômage ou d’inactivité sur le marché du travail et le niveau de diplôme atteint (les titulaires d’un baccalauréat général comme plus haut niveau de diplôme reprennent plus que les autres). Les origines sociales jouent pour leur part sur la modalité de reprise d’études. Si les jeunes issus de milieux populaires ont autant de chance que les jeunes de milieux favorisés de reprendre des études différées en alternance, ce n’est pas le cas pour les reprises d’études hors alternance ou précoces en alternance qui profitent d’abord, pour les trois vagues d’enquêtes, aux jeunes issus de milieux favorisés.

9La contribution d’Adeline Petrovitch et Séverine Landrier offre un panorama des reprises d’études diplômantes post-bac des demandeurs d’emploi et des salariés en région PACA en 2016. ElIe s’appuie sur un système d’information de l’observatoire régional des métiers (ORM), qui rassemble des données sur la formation continue des demandeurs d’emplois financée par des fonds publics (conseil régional, Pôle emploi, État et l’Agefiph) ou privés (OPCA et Opacif), sur la formation continue des salariés et sur les contrats de professionnalisation. Ce système d’observation, non exhaustif, permet de recenser 55 000 personnes ayant entamé une formation en 2016, d’analyser leur profil et de mesurer le poids de l’université dans la formation de ces publics à l’échelle régionale. Une reprise d’étude sur cinq vise un diplôme post-bac, cela correspond à 12 000 personnes. Sans surprise, cette part est bien plus importante pour les contrats de professionnalisation souvent occupés par des jeunes de moins de 25 ans en réalité en poursuite d’études via l’alternance : 60 % des contrats de professionnalisation visent un diplôme post-bac.

10Dans les dispositifs financés par les OPCA, la part du supérieur avoisine les 20 %. Dans les dispositifs financés par la Région et Pôle emploi pour la formation continue des demandeurs d’emploi, elle est inférieure à 10 %.

11D’une façon générale, les 12 000 personnes en reprises d’études dans le supérieur préparent un diplôme de l’Éducation nationale (1/3), un diplôme universitaire (moins d’1/3) et un diplôme ou un titre inscrit au RNCP portés par un organisme de formation (16 %).

12Le niveau et le type de diplômes visés dépendent du dispositif de financement : les salariés en formation continue bénéficiant d’un financement privé préparent plus souvent des diplômes de niveau I et II que les demandeurs d’emploi.

13La contribution d’Isabelle Borras traite des effets d’une reprise d’études diplômante à l’université perçus par les anciens stagiaires un an après la sortie. Elle exploite les données d’une enquête menée entre 2007-2008 et 2012-2013 dans huit universités de la région Rhône-Alpes, par le service de la formation continue de Lyon 1 (Focal) avec le soutien financier du conseil régional. Le taux de réponse est estimé à environ 40 %. Les données compilées sur les six années concernent 14 262 personnes, 86 % ayant obtenu le diplôme visé. Les résultats conduisent à souligner la diversité des motivations personnelles et professionnelles de ces reprises d’études, le poids des employés et des cadres du secteur public, des demandeurs d’emplois, mais aussi des financements via les contrats de professionnalisation et les congés de formation dans cette population de « reprenants ». Ils montrent un impact subjectif davantage personnel que professionnel et une amélioration de la qualité des emplois. Ces résultats sont nuancés selon le niveau et le type de diplôme préparé, DAEU, licence, licence professionnelle, master, DU, les profils de leurs publics et les attentes différentes adressées à ces diplômes : seconde chance pour le DAEU, insertion pour la licence professionnelle, actualisation des connaissances pour le DU, promotion pour le master…

14Manon Brézault présente une contribution sur l’université Toulouse Capitole en trois temps. Elle s’intéresse tout d’abord aux critères permettant d’identifier des personnes en reprise d’études à partir des données Apogée. Depuis la rentrée 2014-2015, cinq régimes d’inscription sont définis : formation initiale (hors apprentis), contrat d’apprentissage, contrat de professionnalisation, formation continue (hors contrat de professionnalisation) et reprise d’études sans convention. Un croisement de ces régimes avec des critères d’âge (plus de 28 ans), d’interruption d’études (plus de deux ans), avec un indicateur estimant le retard théorique à l’inscription conduit à mettre en évidence des incohérences dans le repérage. Face à l’irréductible difficulté de repérage dans Apogée, une enquête ad-hoc par questionnaire est menée en 2017-2018 auprès de ces publics en licence, master et capacité en droit. Elle rend compte de leur profil : âge, situation avant la reprise, type de diplôme visé… Une moitié des « reprenants » vise un niveau n après avoir obtenu un niveau n-1, d’autres viennent préparer un diplôme sans disposer du niveau d’étude requis, certains reprennent un diplôme de niveau n-1. Ils ont arrêté leurs études pour des raisons diverses, entrer dans la vie active, parce qu’ils avaient atteint le niveau d’études souhaité ou parce qu’ils n’avaient pas eu le choix… Trois profils émergent quant aux intentions par rapport à la reprise d’études : 39 % sont dans une logique d’évolution professionnelle ; 28 % sont dans une perspective de changement de métier ; 33 % sont des jeunes « reprenants » pour qui la reprise d’études s’inscrit dans une continuité du parcours d’études après une courte interruption. Plus globalement, 40 % des « reprenants » sont âgés de moins de 25 ans et ont connu une à deux années d’interruption d’études. Une enquête qualitative auprès de 18 d’entre eux a cherché à saisir de quelle manière ces interruptions, si courtes soient elles, ont transformé leur rapport aux études et à l’emploi.

15Analysée via le prisme d’une université LLA-SHS (Montpellier 3), Valérie Canals choisit d’aborder la question de la reprise d’études en prolongement d’études conduites dans son université, en particulier en proposant un focus sur le rôle de l’enseignement à distance dans ce retour. Comme Manon Brézault, face aux difficultés de repérage des publics à partir des bases administratives de l’université, elle calcule un indicateur de retard théorique à l’inscription supérieur à trois ans en neutralisant les années de retards au bac ; indicateur qui servira de base pour constituer le périmètre de son analyse. Cet indicateur conduit à considérer qu’un quart des étudiants sont en reprise d’études, résultat très supérieur à ce que dénombre Apogée. Par ailleurs leur présence est très disparate selon le niveau d’études (12 % en L1 et 44 % en M2) ou la modalité d’enseignement (78 % pour les inscrits en enseignement à distance (EAD)). L’analyse des durées et des motifs d’interruption des études, de leur caractère subi ou choisi, met en évidence la diversité du public des « reprenants ». De même, les motivations à la reprise d’études sont différentes, d’ordre professionnel ou personnel et sont parfois facilitées par l’existence d’une offre de formation en EAD même si cette modalité d’enseignement est souvent présentée comme un choix par défaut du fait de la contrainte de conciliation entre les études, le travail et la famille. Sous-tendu majoritairement par une demande individuelle de formation, ce retour aux études échappe massivement au radar de la formation continue et malgré un réel investissement dans les études, il est marqué par une moindre réussite. La contribution se termine par une typologie des « reprenants » (53 % sont en emploi et désirent progresser ou changer de voie, 38 % sont demandeurs d’emplois ou inactifs et cherchent un emploi et 9 % sont salariés, inactifs ou retraités et reviennent aux études pour le loisir ou terminer un parcours antérieur) qui renforce le caractère hétérogène de ce public et donc, la nécessité de lui apporter des réponses individualisées en phase avec ses attentes et un accompagnement renforcé vers la réussite.

16Nathalie Bosse, Isabelle Borras et Nathalie Beaupère analysent la place du diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) dans les parcours professionnels et personnels. Ce diplôme national préparé dans les universités permet à des non-bacheliers de poursuivre des études supérieures. Leur contribution s’appuie sur une enquête qualitative par entretien menée en 2018 auprès de 14 personnes, ayant entre 24 et 50 ans, ayant obtenu le DAEU entre 2015 et 2017. Toutes avaient arrêté leurs études entre 16 et 18 ans. Le DAEU prend des significations variées selon les parcours : il est préparé pour soi ou pour se mettre en conformité avec l’environnement familial ou amical ; il sert à réparer un parcours qui n’a jamais convenu ou se projeter dans de nouvelles places. Les études en DAEU réconcilient ces adultes avec les apprentissages et le diplôme ouvre des portes. Il ne résout pas tout, car la poursuite d’études à l’issue du DAEU sur les bancs de l’université les confronte à nouveau à l’échec du fait de conditions d’études inadaptées.

17La contribution de Christelle Manifet porte sur l’université de LLSH de Toulouse 2 Jean-Jaurès. Elle s’intéresse aux étudiants qui ont connu une interruption plus ou moins longue dans leur carrière de formation. Considérant comme Manon Brézault et Valérie Canals, les défaillances du repérage des adultes, elle estime à partir d’une manipulation propre de données administratives 2014-15 que 22 % des inscrits sont en situation de reprise d’études, eu égard au croisement des variables d’inscription (statut, profil, régime). Elle exploite ensuite 33 entretiens semi-directifs avec des étudiants inscrits en 2016-17 pour suivre une formation diplômante, ayant connu une durée d’interruption plus ou moins longue : ils ont entre 23 et 55 ans au moment de l’enquête, ils suivent des formations de la licence au doctorat. Leurs propos permettent de rendre compte des difficultés d’accès à la formation des adultes, du rôle de la formation dans la dynamique des parcours de vie, du lien entre l’expérience de formation et le rapport au métier, au travail et à l’emploi.

18Enfin, Ana Aldoma développe une réflexion sur les défis de la mise en place d'un suivi des reprises d'études à l'AMU (Aix-Marseille Université). Ce suivi nécessite de surmonter les difficultés de repérage, de respecter le cadre ministériel, mais aussi de répondre aux attentes spécifiques des financeurs notamment régionaux, et aux attentes internes à l’université, des différentes composantes. La contribution explicite la recherche de solutions au sein de l’établissement. Deux expérimentations successives ont été conduites, l’une pour le suivi des reprises d’études en master 1 Meef et l’autre pour suivre les étudiants bénéficiaires d’un financement du conseil régional. Elles ont permis à partir de deux enquêtes distinctes utilisant un questionnaire modulable en fonction des publics de progresser vers la construction d'un dispositif d'enquête finalisé. L’objectif étant de répondre aux différentes attentes, des composantes de l’université, du service de formation continue, des financeurs régionaux.