Les dynamiques groupales au collège : témoin ou acteur des inégalités ?
p. 241-251
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Mots-clés : identité sociale, psychosociologie, relation humaine, collégien
Keywords : social identity, psycho-sociology, human relationship, lower secondary school pupil
Texte intégral
Introduction
1Le terme « dynamique groupale » est un concept psychanalytique s’intéressant aux rapports de domination au sein d’un groupe et aux effets que ceux-ci peuvent produire sur l’enseignant (Yelnik, 2012). Les dynamiques groupales en classe sont associées aux représentations symboliques de celle-ci notamment entre enseignant et élèves (Lechevallier, 2011).
2Le champ de la didactique professionnelle s’est quant à lui emparé des groupes par la dénomination « dynamique des groupes » (Vannereau, 2020). Cette acception est centrée sur la dynamique intergroupe et les influences pédagogiques de celle-ci lors de sa mise en œuvre (Lewin, 1943), ce qui la distingue de la dimension psychanalytique centrée sur la dynamique intragroupe (Yelnik, 2012). Lewin (1943) dans sa définition du groupe y intègre la dimension sociale et subjective impliquant de multiples niveaux socio-organisationnels : intrapersonnels, interpersonnels, groupal, organisationnel, institutionnel et sociétal.
3Le champ de la sociologie s’y est intéressé par la catégorisation et l’étiquetage. Il s’agit du processus en jeu lors de la dénomination des groupes et de la constitution de ceux-ci. Elle y intègre des critères comme le genre, l’ethnie, la classe sociale. La psychosociologie s’articule à la dimension sociologique par l’usage des stigmates et des stéréotypes en l’associant aux processus d’affiliation et de construction identitaire.
4Ainsi, l’étiquetage et la catégorisation peuvent être mis en correspondance avec l’usage du stigmate et des stéréotypes qui contribuent à la construction identitaire et l’affiliation des individus. Le groupe et la didactique ont également été mis en perspective avec les éléments sociologiques. Considérer les trois champs de recherche permet de considérer les inégalités comme intersectionnelles et systémiques.
1. Les dynamiques groupales, reflet d’inégalités multiples
5La stigmatisation et les stéréotypes participent aux choix d’appartenance aux différents groupes composant la société. La catégorisation semble incontournable pour nos modes de pensées. Il s’agit d’un fonctionnement cognitif, lié à l’identification au monde qui nous entoure. Celle-ci permettrait d’identifier, de représenter et de communiquer avec autrui sur des objets semblables. « Le rapport interprétatif que les individus ont avec le monde n’est pas immédiat mais médiatisé par des catégories linguistiques
» (Filliettaz & Zogmal, 2020).
6Néanmoins, l’usage des stéréotypes lors de la constitution des dynamiques groupales repose sur des critères sociaux, relevant d’inégalités multiples : le genre (Ayral, 2010 ; Michinov & Monteil, 2003), les catégories socioprofessionnelles, les résultats scolaires, l’identité. Plusieurs recherches ont démontré l’impact des représentations sociales sur les pédagogies et les processus de catégorisation des enseignants. Cela a été conceptualisé par l’effet-enseignant et l’effet Pygmalion (Wanlin & Crahay, 2011 ; Jouvenceau, 2021 ; Careil, 2007). Cependant, ces inégalités sont toujours considérées séparément dans ces recherches, sans se questionner sur le cumul potentiel de celles-ci.
1.1. L’étiquetage, le stigmate comme critère de catégorisation sociale et scolaire
7L’ouvrage écrit par Yves Careil et publié en 2007 interroge les différentes catégorisations énoncées par les élèves et l’impact de celles-ci sur l’attitude des enseignants lors de la relation pédagogique. Cette catégorisation aurait une incidence sur l’apprentissage des élèves et les pratiques. La notion « d’étiquette » est mentionnée tout comme les catégories « intellos », « sous-douées » ou « artistes ».
8L’étiquetage, selon Lacaze, serait irréversible « dès lors qu’une personne est étiquetée, il semble qu’elle soit enfermée en un cercle infernal ne connaissant aucune issue
» (Lacaze, 2008). Le lien entre les acceptions psychologiques et les rapports sociaux qui en résultent sont mis en relation : l’étiquetage met en évidence une relation de pouvoir où le dominant impose au dominé, la vision qu’il a de lui. Celui-ci accepte le jugement et s’y conforme (ibid., 2008).
9Sylvie Ayral (2010) constate que les garçons sont davantage punis que les filles. D’autres recherches sur le genre, mettent en corrélation les représentations genrées et les préférences disciplinaires : les sciences seraient majoritairement choisies par les garçons, tandis que la littérature serait plutôt associée aux filles (Michinov & Monteil, 2003).
10Ces différentes recherches mettent en discussion l’effet-enseignant et les inégalités scolaires (Careil, 2007 ; Trinquier, 2013), de genre (Ayral, 2010 ; Michinov & Monteil, 2003) indépendamment les unes des autres sans se questionner sur le croisement de celles-ci ou en y intégrant les dimensions identitaires par l’affiliation.
1.2. Les dynamiques groupales, la construction identitaire et l’affiliation
11En psychosociologie, le groupe et l’appartenance à un groupe sont associés à la construction identitaire. Catherine Halpern (2016) insiste sur le « rôle des interactions sociales dans la construction de la personnalité
» (p. 7). Edmond Marc (2005), précise qu’un individu se définit toujours par la ressemblance à autrui lors du processus de comparaison et d’appartenance à un groupe mais se considère toujours comme unique dans son existence (Halpern, 2016).
12Dans ces recherches, les notions de stigmates et de représentations sociales ne sont jamais bien loin. Ainsi, les questions identitaires et d’affiliation seraient intimement liées aux regards sociologiques vus précédemment. Le concept de « disposition » de Bernard Lahire ou encore de « reproduction sociale » (Bourdieu, 1979) sont souvent mentionnés pour expliquer les critères d’appartenance.
13De plus, l’appartenance à un groupe est souvent mise en correspondance avec les questions de dominations sociales. Les dominés chercheraient une reconnaissance sociale par l’appartenance à un groupe, tandis que les dominants auraient tendance dans leur discours à revendiquer une autonomie et une individualité (Aebischer & Oberlé, 2012).
14Ces jeux de dominations se retrouvent dans l’institution scolaire. Certaines recherches ont mis en perspective la question de l’affiliation entre pairs et l’engagement scolaire, la popularité ou le rejet. Les amis auraient une influence sur l’engagement scolaire en fonction de leur popularité (Goulet et al., 2024). Une autre recherche s’est interrogée sur le harcèlement en lien avec l’affiliation et le nombre de relations interpersonnelles (Cantin, Martel-Olivier & Poulin, 2010).
15Ces recherches proposent un lien entre inégalités sociales, affiliation et construction identitaire. Cependant, aucune ne les conjugue avec des considérations didactiques et pédagogiques.
1.3. La pédagogie au service du groupe et de la coopération entre élèves
16Les pédagogues se sont également intéressés au groupe et à leur constitution lors d’une situation d’enseignement. Meirieu dans sa thèse distingue deux types de groupe, le groupe économique reprenant la division du travail comme dans une société, et le groupe fusionnel, qui cette fois reprend la question des affinités. Il relie les aspects sociologiques, identitaires et didactiques.
17Meirieu énonce des éléments intéressants concernant la pédagogie de groupe et la superposition au modèle social que nous connaissons « l’organisation du groupe en concepteurs, exécutants et chômeurs.
» Les élèves se placeraient pédagogiquement comme leur place qui leur serait attitrée dans la société. La classe serait un microcosme social où « les jeux d’influence et de pouvoir, les fascismes ordinaires et les violences sournoises le [traverserait]
» (Meirieu, 1984, p. 122).
18Une pédagogie de groupe mal menée peut creuser les inégalités et encourager les relations de dominations sociales dans la classe. L’enseignant doit alors en être conscient et se poser en régulateur de la parole, de la tâche et de l’activité. Ainsi, faire du travail de groupe une démarche pédagogique n’est pas aisée et elle peut même aller à l’encontre des valeurs que les enseignants prônent lors de l’utilisation de celle-ci. (Meirieu, 1984).
19Pour terminer, la fin de l’ouvrage est plus philosophique et s’interroge sur le pouvoir du groupe en classe : « Le groupe scolaire serait capable d’instaurer une relation nouvelle, de réaliser une microsociété à fonction anticipatrice ou critique, d’en finir avec l’aliénation et le pouvoir
» (p. 122). Cependant, aujourd’hui est-ce envisageable, ou est-ce toujours utopique ?
2. Problématisation : identité, dynamiques groupales et inégalités. Entre influences réciproques et superposition
20Une enquête exploratoire menée lors de l’année 2023/2024 a permis de réaliser la problématisation de cette recherche.
21Les dynamiques groupales évolueraient au fil du temps, subissant un moment charnière lors de l’année de 5e. Durant cette année de « transition », les groupes commenceraient à se construire par affinités et seraient constitutifs de l’identité des élèves. Ces groupes stéréotypés, pouvant être subis par certains ou encouragés par d’autres, seraient révélateurs d’un « statut » au collège. Il y aurait d’un côté les dominants, et de l’autre les dominés. Cette quête identitaire serait également à mettre en correspondance avec les résultats scolaires et l’orientation professionnelle.
22En d’autres termes, les dynamiques groupales sont-elles le reflet des inégalités (sociales, de genre, pédagogiques et identitaires) au sein de la classe, ou contribuent-elles à leur accentuation au fil des ans ?
3. Méthodologie
3.1. Cadre et contextualisation
23La recherche longitudinale dans laquelle cet article prend place se déroule sur deux années. Il s’agit d’un travail de thèse s’articulant avec un projet départemental sur l’aménagement des espaces scolaires. La variable de comparaison « indice de positionnement social » (IPS) a été retenue pour cette recherche. L’IPS est une donnée statistique fondée sur les catégories socioprofessionnelles des acteurs, ici, ceux des parents. Les établissements ayant un IPS inférieur à 90 sont considérés comme socialement défavorisés et ceux supérieur à 110 comme socialement favorisés.
Tableau 1. Population d’étude de la recherche longitudinale initiale
IPS | Q° sur l’aménagement de l’espace classe | Effectif | Zone géographique | |
Établissement 1 | > 110 | Non | Autour de 400 | Rural |
Établissement 2 | < 90 | |||
Établissement 3 | > 110 | Oui | ||
Établissement 4 | < 90 |
Source : Debuine, L.-A. – enquête 2024/2025.
24La récolte de données suit six phases identiques. Chaque année, trois phases ont lieu dans chaque établissement. La 1re phase a lieu en septembre/octobre, la 2e en janvier/février et la 3e en mai/juin.
Tableau 2. Méthodologies de l’enquête et modalités d’intervention
1 phase de récolte, sur une semaine, 3 fois dans l’année, sur deux ans | |||
Méthodologies | Observations | Q° sociométriques | Entretiens d’explicitation |
Public concerné | Enseignants, élèves | Élèves | Enseignants |
Source : Debuine, L.-A. – enquête 2024/2025.
25Les disciplines sélectionnées permettent une variation des représentations, tant au niveau du rapport au savoir (didactique des sciences, didactique des lettres et didactique de l’EPS), qu’au niveau spatial (salle de classe, gymnase, espaces extérieurs) (Fernandes et al., 2023).
Tableau 3. Classes et disciplines sélectionnées pour la recherche
Disciplines sélectionnées | Classes | |
Établissement 1 | Mathématiques, SVT et EPS | 6e (l’année 1), 5e, 4e, 3e (l’année 2) |
Établissement 2 | Français, SVT et EPS | |
Établissement 3 | Anglais, SVT et EPS | |
Établissement 4 | Français, SVT et EPS |
Source : Debuine, L.-A. – enquête 2024/2025.
3.2. Un croisement méthodologique
26La première méthodologie employée est l’observation ethnographique ou non participante. Il s’agit d’une « immersion de longue durée au sein d’un milieu d’interconnaissance
» (Broqua, 2020). Le journal d’observation se focalise sur les interactions enseignants-élèves, entre élèves ; la/les postures des élèves ; la posture et la pédagogie de l’enseignant ; l’engagement dans la tâche proposée ; la géographie de l’espace-classe.
27Un questionnaire sociométrique est distribué aux élèves. Il consiste à « mesurer le statut sociométrique […] par une procédure de nomination par les pairs
» (Poulin, 2012). Trois questions sont posées : « Avec qui apprécies-tu travailler ? » ; « Avec qui n’apprécies-tu pas travailler ? » ; « Avec qui restes-tu lors des temps “hors classe” ? ». Les nominations sont ensuite intégrées dans une matrice statistique et permettent de réaliser un « indicateur de statut ». Plus le score est bas, plus l’élève est rejeté au sein de sa classe. Les élèves doivent ensuite représenter sous la forme d’un schéma les différents groupes d’affinités qu’ils observent dans la classe. Il s’agit d’une méthodologie très peu employée, mais permettant d’obtenir une cartographie des représentations d’élèves appelée « carte sociocognitive » (Cairns & Perrin, 1985).
28Un entretien d’explicitation est réalisé avec les enseignants. Les séances observées sont remobilisées, le chercheur demande à chaque enseignant de représenter la classe sous forme de schéma. Il s’agit de « comprendre les représentations ou les préconceptions
» en contexte d’enseignement (Vermersch, 2019). Des questions sur le(s) rapport(s) au(x) savoir(s), les comportements et les interactions enseignants-élèves guident l’entretien.
29Le croisement méthodologique permet de répondre, de compléter, voire de vérifier certaines analyses isolées des autres méthodologies. Le questionnaire sociométrique et la représentation des groupes en situation d’enseignement permettent de se répondre l’un l’autre et de vérifier les observations réalisées. Les observations permettent d’apporter des nuances, des explications qualitatives aux résultats quantitatifs obtenus. Les entretiens d’explicitations, se focalisant sur les critères de conception des groupes observés en classe, permettent de remettre en perspective les données sociologiques et les résultats scolaires dans l’appréhension de l’effet enseignant.
4. Premiers résultats de l’analyse partielle des données
4.1. Les dynamiques groupales entre élèves, une comparaison par niveaux (6e à 4e)
4.1.1. L’engagement dans la tâche et rapport(s) au(x) savoir(s)
30L’engagement dans la tâche semble être plus aisé et constant en 6e. La mise au travail diminue en 5e, pour devenir difficile en 4e. Les interactions entre élèves augmentent également au fil des ans et sont dépendantes du groupe d’affiliation. La rapidité d’avancement dans la tâche est de plus en plus hétérogène au fil des ans, creusant les inégalités scolaires. Cela contraint l’enseignant à proposer une différenciation, pour les élèves ayant terminé en premier, leur permettant de développer ou de consolider des compétences ce qui n’est pas le cas pour les autres élèves, ainsi cela conduit à un renforcement des inégalités scolaires (Galand, 2017).
31La coopération par groupes d’affinités en 6e n’impacte pas la réalisation de la tâche, mais les détournements (interactions affectives, agitations) sont de plus en plus fréquents au fil des ans et tandis qu’ils étaient individuels en 6e, deviennent collectifs en 5e et 4e. La mixité fille-garçon est importante dans les groupes spontanés en 6e, le devient moins en 5e, pour devenir presque inexistante en 4e.
32La coopération par membres choisis par l’enseignant n’ayant que peu d’incidence sur la réalisation et les détournements de la tâche en 6e et 5e, voit le nombre de détournements affectifs augmenter en 4e mettant à mal la situation didactique. L’avancement dans la tâche change également. Le groupe d’affiliation semble avoir de plus en plus de conséquences sur les situations d’apprentissage au fil des ans. La coopération devient moins efficace, les détournements affectifs sont plus nombreux selon les groupes auto-formés.
4.1.2. Comportement et interactions inter et intra-groupe
33Les éléments statistiques retenus pour l’analyse sont présentés dans le tableau ci-dessous. L’autocentrisme correspond aux questionnaires sociométriques où les cartes sociocognitives sont organisées « mes amis/pas mes amis ». L’affiliation correspond au nombre moyen de « citation nominative » par élève. L’indice de popularité correspond à la somme de toutes les citations nominatives d’un élève par ses camarades. L’affiliation réciproque est une correspondance de citation bilatérale de deux élèves. L’affiliation minimale correspond au pourcentage d’élèves cités au moins une fois par un camarade dans la classe.
Tableau 4. Résultats sociométriques, comparaisons inter-niveaux (6e à 4e)
Indice de popularité | Rejet | ||||||||
Autocentrisme | Affiliations par élève | Étendue | Écart | Produit | Reçu | Affiliation réciproque | Affiliation minimale | Groupes figés | |
6e | 41 % | 20 | 157 à 68 | 89 | 2 | 3 | 11 | 80 % | 9 |
5e | 33 % | 20 | 123 à 17 | 106 | 2 | 3 | 3 | 78 % | 13 |
4e | 8 % | 14 | 100 à 0 | 100 | 3 | 2 | 6 | 46 % | 16 |
Source : Debuine, L.-A. – enquête 2024/2025.
34En 6e, les interactions sont nombreuses entre tous les élèves de la classe. Les interactions interindividuelles sont positives. L’homogénéité est visible chez les garçons, où tous discutent et se placent ensemble dans l’espace. Chez les filles, des groupes apparaissent mais aucune interaction négative intergroupe n’est remarquée. Les interactions filles-garçons diminuent au fil des ans. Des situations d’évitement voire d’ignorance sont observées en 5e. En 4e, les interactions filles-garçons sont minoritaires et les groupes d’appartenance sont visibles. Certains élèves sont encore entre deux groupes et des situations d’individualités sont présentes mais davantage chez les garçons que chez les filles. Les interactions intergroupes sont parfois négatives. Le rejet est visible et souvent orienté vers un individu isolé.
35En 6e, les questionnaires sociométriques sont autocentrés, la représentation de la classe par les élèves ressemble à « mes copains/pas mes copains ». La phase d’autocentrisme prend place dans les relations à l’autre, l’égo est supérieur à la vision du monde et le questionnement individuel sur « ma place dans le groupe, dans la sphère sociale
» n’est pas encore apparu (Piaget, 2012). En 5e l’autocentrisme diminue, mais des situations d’individualité, d’un repli sur soi sont perceptibles lors des observations. La représentation de la solitude est également présente dans les questionnaires, ce qui n’était pas le cas en 6e.
36Il n’y a pas de relations de dominations ou de hiérarchie dans la classe en 6e. En 5e, des groupes « majoritaires » et « minoritaires » apparaissent tant chez les garçons que chez les filles. L’étendue de l’indice de popularité démontre bien une domination et une hiérarchie plus marquée dans la classe. En 4e, deux pôles se dessinent aisément lors des observations entre les « dominants » et les « dominés » et ces élèves se retrouvent également lors du classement des élèves par indice de popularité. Les élèves « populaires » sont amis entre eux.
4.2. Les dynamiques groupales entre élèves, de septembre à janvier
4.2.1. Une démobilisation qui évolue dans l’année
37L’engagement dans la tâche individuelle pour les élèves de 6e est semblable. Les interactions interindividuelles sont cependant plus nombreuses, mais restent ponctuelles. La rapidité d’avancement dans la tâche est identique entre les deux périodes et concerne les mêmes élèves. Pour les élèves de 5e, l’engagement dans la tâche est plus long à se mettre en place, les interactions interindividuelles sont plus fréquentes. La rapidité d’avancement dans la tâche se creuse davantage. En 4e, l’engagement dans la tâche est de plus en plus difficile, la recherche de détournement se fait très rapidement et la recherche de connivence avec l’ensemble de la classe apparaît au détriment de l’enseignant. L’objectif étant d’échapper collectivement à la tâche.
38Lors d’une coopération par affinités, le nombre d’interactions affectives augmente en 6e mais la recentration sur la tâche se réalise sans encombre. La rapidité d’avancement dans la tâche se creuse entre les élèves selon les groupes ayant plus de facilités et ceux plus en difficultés. La mixité filles-garçons ne diminue pas en 6e mais diminue drastiquement en 5e pour devenir quasiment inexistante en 4e. Le nombre d’interactions affectives de détournement augmentent également en 5e mais ne provoquent pas d’incidence sur la finalité de la tâche. En 4e, les élèves ayant des facilités se regroupent et avancent en ayant peu de détournements affectifs, ils terminent leur tâche en premier, ce qui creuse l’écart avec les autres groupes.
39Lors d’une coopération dont les membres sont choisis par l’enseignant, aucune différence n’est observée pour les 6e. Les élèves de 5e vont davantage avoir d’interactions négatives à l’intérieur du groupe et le détournement affectif ne va pas s’opérer systématiquement. Les élèves vont alors privilégier l’absence d’interaction et la réalisation individuelle de la tâche. En 4e, la situation-classe change. En première période, les détournements affectifs restaient à l’échelle du groupe formé pour la situation didactique ; en deuxième période, les détournements sont plus fréquents et sont toujours motivés par une recherche d’attention du groupe-classe. Il y a une alliance « contre la tâche » à l’initiative d’un ou plusieurs élèves qui vont chercher le ralliement affectif général. Ainsi, le désengagement dans la tâche devient homogène et chaque élève se détourne de la tâche dans un seul et même mouvement.
4.2.2. Les relations inter et intra-individuelles
40En 6e, l’évolution entre la 1re et la 2e période est faible lors de l’observation des interactions et de la formation des dynamiques groupales en classe. En 5e, les situations d’individualité sont plus nombreuses lors de 2e période et les groupes sont davantage figés. Les interactions filles-garçons diminuent et l’ignorance dans les situations de rejet augmente. En 4e, la hiérarchie s’accentue dans la classe. Les groupes « dominants » cherchent l’adhésion du groupe-classe lors des situations de détournements didactiques. Les interactions verbales intergroupes négatives sont plus fréquentes et le cloisonnement entre les groupes est exacerbé.
Tableau 5. Résultats sociométriques – classe de 6e et comparaison T1 et T2
6e | |||||||||
Indice de popularité | Rejet | ||||||||
Autocentrisme | Affiliations par élève | Étendu | Écart | Produit | Reçu | Affiliation réciproque | Affiliation minimale | Groupes figés | |
T1 | 41 % | 20 | 127 à 71 | 56 | 2 | 3 | 11 | 76,50 % | 1 |
T2 | 40 % | 24 | 188 à 66 | 132 | 7 | 4 | 7 | 84,20 % | 8 |
Source : Debuine, L.-A. – enquête 2024/2025.
Tableau 6. Résultats sociométriques – classe de 5e et comparaison T1 et T2
5e | |||||||||
Indice de popularité | Rejet | ||||||||
Autocentrisme | Affiliations par élève | Étendu | Écart | Produit | Reçu | Affiliation réciproque | Affiliation minimale | Groupes figés | |
T1 | 33 % | 20 | 117 à 25 | 92 | 2 | 3 | 3 | 78,4 % | 1 |
T2 | 30 % | 23 | 130 à 10 | 120 | 2 | 3 | 3 | 82 % | 12 |
Source : Debuine, L.-A. – enquête 2024/2025.
Tableau 7. Résultats sociométriques – classe de 4e et comparaison T1 et T2
4e | |||||||||
Indice de popularité | Rejet | ||||||||
Autocentrisme | Affiliations par élève | Étendu | Écart | Produit | Reçu | Affiliation réciproque | Affiliation minimale | Groupes figés | |
T1 | 8 % | 13 | 97 à 2 | 95 | 3 | 3 | 5 | 46 % | 12 |
T2 | 0 % | 15 | 104 à -3 | 107 | 3 | 1 | 7 | 53 % | 20 |
Source : Debuine, L.-A. – enquête 2024/2025.
41En 6e, en première période, les garçons sont les plus populaires tandis qu’en deuxième période, une mixité apparaît (6 filles et 10 garçons). En 5e, les filles en première période sont les premières dans le classement de popularité. En 4e le rejet est significativement plus élevé et l’écart entre les élèves dominants « populaires » et les élèves dominés s’accroît. Les filles sont classées dans les premières lors de la 2e période, tandis que dans la 1re, les garçons populaires étaient plus haut dans le classement.
4.3. Les enseignants et les dynamiques groupales
42Les enseignants, lors des entretiens, sont amenés à représenter la classe. Pour les 6e, les enseignants choisissent alors de procéder par une individualisation, en caractérisant verbalement chaque élève pour réaliser un regroupement. Le schéma final correspond davantage aux élèves « que j’entends et qui participent » et « ceux que je ne connais pas encore ». Les verbatims sont relatifs au collectif, au groupe-classe dans son intégralité. Il s’agit d’un regard globalisant et groupal, où aucune individualité n’est considérée dans les aspects didactiques ou bien les interactions enseignants-élèves.
43Pour la classe de 5e, les enseignants réussissent davantage à constituer les groupes, mais certains élèves sont « hybrides » et appartiennent à plusieurs groupes. Les élèves sont majoritairement catégorisés par « niveaux scolaires » et le(s) rapport(s) au(x) savoir(s) se superposent à l’identification des groupes par les enseignants. Lors de la question sur la hiérarchie, tous les enseignants sont unanimes concernant les 6e et les 5e, il n’y en a pas.
44Pour la classe de 4e, les groupes se dessinent rapidement pour les enseignants, et ils décident majoritairement de les réaliser soit par affinités ou par « niveaux scolaires ». Une question est également posée sur le sentiment de hiérarchie perçue par l’enseignant dans la classe : « Oh oui, clairement, cet élève par exemple oui, il domine, ce groupe-là a tendance à prendre plus de place. A contrario, cet élève-là je l’entends jamais, je connais même pas son prénom, ce n’est pas normal
» (enseignant, mathématiques).
45Les représentations et les verbatims des enseignants peuvent être mis en correspondance avec les observations réalisées en classe et la posture enseignante. Ceux ayant une posture d’autorité, plus axée sur le didactique (Bucheton & Soulé, 2009) auront une tendance à catégoriser les élèves uniquement par « résultats scolaires et participation en classe
» tandis que les enseignants ayant davantage d’interactions affectives regrouperont les élèves par affinités. Les enseignants plus « didactiques » vont mentionner le fait de considérer le groupe classe comme une unité et s’adresser à tous les élèves de la même façon, en faisant cependant des différences au niveau de l’aide qu’ils vont apporter aux élèves en difficulté, tandis que les enseignants plus « affectifs » vont mentionner le fait qu’ils ont plus de facilités à interagir avec un groupe plutôt qu’un autre et qu’ils adaptent leur modalité de discours aux élèves.
46Cependant, malgré ces différences de postures, les groupes sont représentés plus figés au fil des niveaux par les enseignants et la superposition entre affiliation, identité et résultats scolaires se concrétisent, voire se cristallisent unanimement.
47Ainsi, il y aurait un renforcement des inégalités au fil du temps, représentées par les groupes et l’affiliation. Les dynamiques groupales participeraient cependant elles aussi à creuser et cristalliser ces inégalités auprès des enseignants, qui, par leur regard et leur posture, tendent à différencier leurs discours, leurs pratiques, selon les représentations qu’ils ont de leurs élèves.
5. Perspectives
48Un seul établissement a été présenté lors de cet article, une comparaison plus importante en intégrant la variable Indice de Positionnement Social sera intéressante à considérer dans l’approche globalisante de la recherche se déroulant dans quatre établissements différents.
49Cette recherche s’articule avec un projet d’aménagement des espaces classes et le changement des pratiques pédagogiques associées. L’espace et son aménagement possèdent également une influence très forte sur la socialisation des individus et la constitution des groupes et les interactions (Cayouette-Remblière, Lion & Rivière, 2019). De plus, la classe possède une représentation symbolique. Les « bons élèves » se voyant être assignés au premier rang, les « cancres » au dernier (Clerc, 2020).
50Les interactions négatives apparaissent majoritairement en 4e et les situations de coopération avec des membres intergroupes deviennent de plus en plus compliquées. Les cours « d’empathie » mis en avant par les politiques éducatives et le développement des compétences psychosociales seraient-ils une piste pour transformer les dynamiques groupales ? (Éduscol, 2025).
51L’instauration des « groupes de besoin » en français et mathématiques en 6e et 5e mis en place cette année pourraient également être mis en perspective. Si nous partons du postulat que les élèves construisent leur groupe d’appartenance par « niveaux scolaires », la mise en place de groupes permettra-t-elle de déjouer les dynamiques groupales actuelles, ou participerait-elle à leur accentuation ? (Careil, 2007).
Conclusion
52La construction identitaire dans la classe suit le développement psychologique de l’enfant (Piaget, 2012) en voyant se succéder l’autocentrisme, l’individualité puis le choix par ressemblance au groupe d’appartenance, participant à l’installation des dynamiques groupales au collège. On constate une différence d’homogénéité au fil des ans. Progressivement, le rejet et la popularité s’accentuent au profit d’une cristallisation de plus en plus importante des différents groupes polarisés qui composent la classe. La domination et la hiérarchie s’accentuent sur deux temporalités : entre les niveaux, d’une année à l’autre, et dans l’année elle-même. Les interactions de rejet débutent par des situations d’ignorance, puis progressivement se verbalisent en 4e.
53Les dynamiques groupales ont également un effet sur l’apprentissage et l’engagement dans la tâche. Plus les dynamiques groupales sont visibles et polarisées, plus les relations didactiques intergroupes seront difficiles à mettre en place. Les détournements affectifs sont de plus en plus fréquents, pour finalement mobiliser toute la classe en 4e contre la situation didactique, déstabilisant l’unité psychique de l’enseignant (Yelnik, 2012). De plus, les inégalités de rapidité de réalisation de la tâche se creusent d’année en année.
54La posture de l’enseignant et l’équilibre affectif/didactique dans les pratiques pédagogiques et les interactions enseignants-élèves produisent également des effets. Plus le « didactique » est important, plus les interactions enseignants-élèves au fil des ans s’amenuisent. Les enseignants plus « didactiques » auront tendance à catégoriser selon le « niveau scolaire » des élèves tandis que les enseignants plus « affectifs » porteront un regard plus identitaire concernant les affiliations et les jeux de dominations dans la classe.
55Unanimement, les enseignants superposent le niveau scolaire, l’affiliation et les relations hiérarchiques. Néanmoins, cette congruence est plus franche en 4e qu’en 5e et 6e. Ainsi, les dynamiques groupales seraient le reflet des différents croisements d’inégalités en classe conjuguant celles de genre (de moins en moins de mixité intragroupe), sociales (par les jeux de domination et la hiérarchie), scolaires (les élèves se regrouperaient par « niveau scolaire ») et identitaire (par l’affiliation et le rejet).
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Auteur
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Laury-Anne Debuine
CIRNEF – Centre interdisciplinaire de recherche normand en éducation et formation.

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