D’où viennent-ils et où vont-ils ? Parcours de réorientation dans l’enseignement supérieur français
p. 439-452
Entrées d’index
Mots-clés : enseignement supérieur, cheminement scolaire, orientation tout au long de la vie, inégalité sociale, genre
Keywords : higher education, school paths, lifelong guidance, social inequality, gender
Texte intégral
Introduction
1La massification de l’enseignement supérieur a profondément transformé les parcours post-baccalauréat engendrant de nouveaux défis en termes d’orientation et de réorientation. Les réorientations dans le parcours du public en premier cycle de l’enseignement supérieur, particulièrement en première année, constituent un phénomène révélateur des dynamiques de réussite et d’échec dans l’enseignement supérieur français. Au terme de la première année d’étude supérieure, l’échec qui comprend les réorientations, les redoublements, ainsi que l’arrêt des études peut dépasser 50 % dans de nombreuses filières, notamment dans les licences générales. Ce phénomène, régulièrement souligné par les pouvoirs publics, varie considérablement en fonction des parcours antérieurs, des structures et des formations choisies (Bodin & Millet, 2011 ; Michaut, 2012).
2Dans le contexte de la troisième vague de massification scolaire, cette étude s’inscrit dans la nécessaire mise à jour des données et analyses afin d’évaluer les effets des transformations du système éducatif (Duru-Bellat & Kieffer, 2008). À partir de cinq cohortes couvrant la période 2018-2023, la présente étude propose une analyse en deux temps, en examinant d’une part les caractéristiques et trajectoires des primo-entrants au moment de leur accès à l’enseignement supérieur, et d’autre part leur réorientation un an plus tard.
1. Revue de la littérature
1.1. Massification de l’enseignement supérieur
3La première vague de massification scolaire, survenue dans les années 1960, résulte conjointement de l’augmentation démographique et de l’instauration du collège unique, qui a conduit à un allongement de la durée de scolarisation. Toutefois, son influence sur l’accès au baccalauréat demeure limitée et moins de 10 % des générations concernées obtiennent ce diplôme à cette époque. La création du baccalauréat technologique en 1968 marque néanmoins une première diversification des parcours.
4La deuxième vague de massification, entre 1985 et 1995, repose sur des politiques éducatives visant à élargir l’accès aux études secondaires (Blanchard & Cayouette-Remblière, 2016). La création du baccalauréat professionnel en 1985, la suppression du palier d’orientation en fin de cinquième et l’augmentation des taux de passage vers la seconde générale contribuent à la généralisation progressive du baccalauréat.
5La troisième phase de massification de l’enseignement supérieur français, amorcée au milieu des années 2010 (Rossignol-Brunet et al., 2022), s’inscrit dans la continuité de cette dynamique. Elle repose sur plusieurs facteurs : l’augmentation continue des taux d’accès au baccalauréat, une hausse des naissances dans les années 2000, et des politiques d’orientation incitant à la poursuite d’études.
1.2. Inégalités des parcours éducatifs
6Les enquêtes sur les inégalités scolaires montrent que le système éducatif français ne se contente pas de reproduire les inégalités sociales, économiques, ethniques et de genre, mais contribue également à leur construction tout au long des parcours éducatifs. Les évaluations internationales, comme celles du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), mettent régulièrement en évidence ces disparités. Dès 1970, Bourdieu et Passeron soulignaient le rôle du capital culturel dans la réussite scolaire, tandis qu’en 2020, Felouzis soulignait que l’école française génère aussi des inégalités spécifiques, au-delà de leur simple reproduction.
7Dans les contextes marqués par la massification scolaire, deux dynamiques coexistent : d’une part, l’élargissement de l’accès aux ressources scolaires à un nombre croissant d’élèves ; d’autre part, le maintien d’inégalités internes, notamment entre filières et établissements (Dubet, 2019). Duru-Bellat et Kieffer montraient en 2008 qu’en dépit de la démocratisation « égalisatrice » de l’accès au baccalauréat, celui-ci laissait les écarts initiaux inchangés. En parallèle, une « démocratisation ségrégative » s’est installée (Merle, 2000), caractérisée par l’orientation massive de nouveaux titulaires du baccalauréat issus de milieux populaires vers des filières professionnelles.
8Des acquis inégaux se traduisent dès l’entrée à l’école par des trajectoires différenciées en fonction de la stratégie des acteurs (Boudon, 1973). Ignorer cette disparité revient, selon les travaux de Bourdieu (1970), à légitimer les inégalités sociales et culturelles. Finalement, la production des inégalités scolaires résulte d’un double mécanisme : la reproduction des inégalités socioéconomiques à travers les capitaux culturels, les stratégies des acteurs, et les effets des pratiques et interactions au sein du système scolaire (Dubet, 2019). De cette manière et de façon paradoxale, le principe méritocratique de l’égalité des chances, en valorisant le succès, tend à stigmatiser l’échec, considéré comme imputable aux individus eux-mêmes (Dubet, 2019).
1.3. Dynamiques d’inégalités scolaires : entre cumul, compensation et intersections
9Différents mécanismes s’entrelacent dans la construction des inégalités scolaires, influençant les trajectoires éducatives de manière cumulative ou compensatoire. L’avantage cumulatif repose sur l’idée que les succès initiaux génèrent des bénéfices supplémentaires au fil du temps, rendant plus difficile le rattrapage d’un retard scolaire (DiPrete & Eirich, 2006). Popularisé sous le nom d’« effet Matthieu » (Merton, 1968), ce mécanisme accentue les écarts de performance entre élèves en fonction de leurs acquis initiaux. Cette dynamique s’articule avec la notion de dépendance des trajectoires, selon laquelle l’orientation des élèves vers des filières différenciées conditionne leurs performances et parcours ultérieurs (Herbaut, 2020).
10L’avantage compensatoire nuance ce phénomène en soulignant que l’accumulation des désavantages varie selon le milieu social. Ce mécanisme protège les élèves favorisés des conséquences négatives d’un échec antérieur et accentue ainsi les inégalités de parcours (Herbaut, 2020). Cette logique est visible dans l’accès à l’enseignement supérieur : à niveau académique égal, les élèves issus de milieux favorisés accèdent davantage aux filières sélectives, confirmant la théorie de l’inégalité efficacement maintenue (Lucas, 2001). Ce principe se retrouve aussi dans l’accès à l’enseignement supérieur différencié entre filles et garçons (Duru-Bellat, 2024).
11L’approche intersectionnelle enrichit cette analyse en intégrant la manière dont se croisent les inégalités de classe, de genre et de race (Crenshaw, 1989). Les discriminations ne peuvent pas être comprises isolément, car la marginalisation diffère selon la combinaison de ces facteurs. De plus, les écarts scolaires ne s’expliquent pas seulement par l’origine sociale, mais aussi par l’interaction entre sexe et classe sociale (Kergoat, 1978). Ces croisements complexifient les dynamiques de cumul et de compensation des inégalités, expliquant pourquoi des élèves ayant des caractéristiques académiques similaires connaissent des trajectoires divergentes.
2. Objet de recherche, données et méthodes
2.1. Objet de recherche
12La première année d’études supérieures a évolué tant dans les publics que dans les contenus, et si de nombreux travaux portent sur la transition vers le supérieur, la question des réorientations est moins évoquée. La réorientation scolaire peut se définir comme le processus par lequel un individu modifie son parcours académique initial pour intégrer une filière mieux adaptée à ses aptitudes et à ses aspirations. L’augmentation continue des demandes de réorientation, observée tant à l’échelle des établissements qu’au niveau national, pose un défi spécifique en matière de gestion des flux étudiants.
13Nous faisons l’hypothèse qu’une conséquence des différentes vagues de massification a fait évoluer la première année d’études supérieures d’un moment de formation à un moment d’orientation, une opportunité de tester ou une remise à niveau.
14Nous pouvons ainsi nous demander : quels facteurs individuels, institutionnels ou contextuels expliquent les réorientations ? Quels modèles émergent des parcours non linéaires dans l’enseignement supérieur ? Et in fine, quels mécanismes institutionnels et sociaux favorisent la surreprésentation de certains groupes dans ces processus ?
2.2. Données et méthodes
15L’accès aux données utilisées dans le cadre de cette étude sur les parcours de réorientation de la population étudiante a été réalisé au sein d’environnements sécurisés du Centre d’accès sécurisé aux données – CASD (Réf. 10.34724/CASD). L’approche méthodologique permet une analyse longitudinale en deux temps : au moment de la transition entre le secondaire et le supérieur puis au moment de la réorientation. Cette approche dessine les principales bifurcations éducatives et les dynamiques entre choix initiaux et choix au moment de la réorientation.
16Depuis 2014, la plateforme Admission post-bac (APB), remplacée en 2018 par Parcoursup, est accessible aux étudiant·es souhaitant se réorienter. Ce dispositif concerne exclusivement les changements de formation ou de filière, excluant ainsi les redoublements.
17Les bases statistiques issues de l’application Parcoursup de 2018 à 2023 ont été exploitées pour reconstituer les trajectoires de réorientation après une première année d’études supérieures et ainsi définir notre population d’étude. Afin d’obtenir une cohorte aussi homogène que possible, la population d’étude d’étudiant·es en réorientation a été définie selon les critères suivants :
- uniquement les étudiant·es inscrits sur Parcoursup, nous n’avons pas accès aux bases des structures recrutant « hors Parcoursup ». Les étudiant·es ayant fait une première année d’études supérieures dans une de ces structures ou ayant choisi de s’orienter l’année du bac dans une de ces structures sont donc exclus de l’étude ;
- seulement les étudiant·es qui ont accepté une proposition d’une structure de l’enseignement supérieur : ce sont donc ceux qui ont accepté une proposition d’admission l’année n et qui avaient accepté une proposition d’admission l’année n-1 ;
- les étudiant·es qui ont correctement rentré leur numéro INE sur Parcoursup, ce numéro étant utilisé pour croiser la base candidats avec la base vœux afin de suivre l’évolution des vœux d’orientation dans le supérieur.
3. Résultats : une augmentation du nombre de réorienté·es passant par Parcoursup après un an dans le supérieur
3.1. Évolution des réorientations des primo-entrants entre 2018 et 2023
18En 2018, 142 510 étudiants et étudiantes inscrits en première année d’études supérieures ont à nouveau entrepris la procédure Parcoursup afin de se réorienter et de refaire une première année d’études supérieures (tableau 1). Cinq ans après, en 2023, ils sont 218 114 à avoir fait ce même choix. Durant cette période, plusieurs réformes majeures ont transformé l’enseignement supérieur :
- en 2018, la réforme du baccalauréat a été mise en œuvre ;
- en 2020, l’accès aux études de santé a été repensé avec le remplacement de la première année commune aux études de santé (PACES) par le parcours d’accès spécifique santé (PASS) et les licences accès santé (LAS) ;
- en 2021, les premiers bacheliers et les premières bachelières issus du nouveau baccalauréat général avec spécialités ont accédé à l’enseignement supérieur ;
- toujours en 2021, les diplômes universitaires de technologie (DUT), initialement conçus sur deux ans, ont été remplacés par les bachelors universitaires de technologie (BUT), désormais dispensés sur trois ans.
Tableau 1. Inscrits sur Parcoursup
Années universitaires | Élèves de terminale | Public en réorientation au bout d’un an | Inscrits sur Parcoursup |
2017-2018 | 773 217 | 142 510 | 1 046 629 |
2018-2019 | 761 944 | 179 341 | 1 116 988 |
2019-2020 | 762 076 | 188 326 | 1 135 373 |
2020-2021 | 767 149 | 205 456 | 1 193 229 |
2021-2022 | 773 643 | 222 615 | 1 232 877 |
2022-2023 | 780 226 | 218 114 | 1 227 808 |
Lecture : sur les 1 046 629 inscrits sur Parcoursup en 2018, 773 217 sont en terminale et 142 510 en réorientation après un an dans le supérieur.
Champ : candidat·es inscrits sur Parcoursup de 2018 à 2023.
Source : bases statistiques issues de l’application Parcoursup.
19En 2018, 73,9 % des inscrit·es sur Parcoursup faisaient leur entrée dans l’enseignement supérieur tandis que 14 % cherchaient à se réorienter après avoir passé un an dans l’enseignement supérieur et les 14 % restants étaient en reprise d’études ou en réorientation après plus d’un an dans l’enseignement supérieur. L’analyse graphique montre une augmentation significative de la proportion du nombre de réorienté·es sur les cinq années étudiées. Cette hausse est due à un accroissement des inscriptions sur Parcoursup, quand le nombre d’inscrits en terminale est resté stable. Le recours de plus en plus régulier à la plateforme pour gérer les réorientations plutôt que les solutions internes aux structures du supérieur peuvent expliquer ces évolutions.
Figure 1. Part d’inscrits par an sur la Plateforme Parcoursup

Lecture : 73,9 % des inscrits sur Parcoursup en 2018 sont en terminale.
Source : bases statistiques issues de l’application Parcoursup.
Champ : candidat·es inscrits sur Parcoursup de 2018 à 2023.
3.2. Caractéristiques sociales et scolaires du public étudiant en réorientation
20Sur les 5 années étudiées, les bacheliers et bachelières généraux représentent une proportion de plus en plus importante du public acceptant une proportion lors de leur réorientation, passant de 68 % en 2018 à 73 % des candidat·es en 2023 (tableau 2). D’un autre côté, pour les bacs technologiques et professionnels, cette proportion passe respectivement de 22 % à 19 % et de 10 % à 8 %. Pour comparaison, lors de la session 2022 du baccalauréat, 65 % des élèves ont obtenu le baccalauréat général, 20 % un baccalauréat technologique et 15 % un baccalauréat professionnel. Les étudiant·es titulaires d’un bac général sont donc plus nombreux que leurs homologues des bacs technologiques et professionnels à accepter la réponse d’une formation à l’un de leur vœu de réorientation. Ces différences pourraient s’expliquer par une amélioration de l’adéquation entre ces filières et leurs formations cibles, ou par des obstacles structurels limitant leur capacité de réorientation. La hausse des taux de réorientation des bacheliers généraux pourrait refléter des ajustements post-Parcoursup, induisant une expérimentation accrue des filières en première année. La réduction des taux chez les autres profils peut s’interpréter à l’aune d’une spécialisation plus marquée des formations, rendant la mobilité académique plus complexe.
21Concernant les effectifs étudiants boursiers, ceux-ci sont initialement équivalents au public non boursier, 50 % en 2018. Les non-boursiers deviennent légèrement majoritaires en 2023, passant à 54 % du public en réorientation (tableau 2). En comparaison avec les effectifs nationaux, les bénéficiaires d’une bourse sur critères sociaux sont en proportion plus nombreux à se réorienter puisqu’ils représentent 37,1 % des effectifs étudiants au niveau national, soit 17 % de moins que le pourcentage d’entre eux à choisir une réorientation. Même si cette tendance est à la baisse, ce taux de réorientation plus élevé pourrait s’expliquer par une plus grande latitude dans le choix et l’ajustement du parcours académique.
22La mention obtenue au bac permet aussi de repérer des différences dans les profils obtenant une réponse à leur vœu de réorientation. Les titulaires d’un bac sans mention représentaient presque la moitié du public en réorientation en 2018, alors qu’ils ne représentent plus qu’un tiers de celui-ci en 2023. Il est possible d’observer une progression importante des réorienté·es avec une mention et la part de la mention « assez bien » devient même supérieure à celle de l’absence de mention dès 2022. Cette observation n’est pas surprenante car elle est directement liée à l’augmentation du nombre de baccalauréat obtenu avec mention dans la population générale, phénomène particulièrement visible depuis l’introduction du contrôle continu au baccalauréat.
23Au cours des 5 années étudiées, la profession et catégorie socioprofessionnelle du référent 1 des étudiant·es en réorientation ne change pas particulièrement. Les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures restent le groupe s’engageant le plus dans une réorientation avec même une augmentation de 2 points en 5 ans. Dans le même temps, les enfants du groupe des ouvriers baissent de 3 points passant de 14 % du public en réorientation à 11 %. Par comparaison, le groupe cadres et professions intellectuelles supérieures ne représente que 21,7 % de la population contrairement aux ouvriers qui en représentent 18,6 % (INSEE, 2024). En 2022, c’est environ un titulaire du bac sur quatre qui est issu d’un milieu de cadres et professions intellectuelles supérieures. Par conséquent, il est attendu de retrouver cette domination parmi les étudiant·es en réorientation.
24Enfin, la question du sexe administratif du public est mobilisée ici pour analyser les différences liées au genre. En 2018, les filles et les garçons représentaient respectivement 57 % et 43 % des étudiant·es en réorientation, une proportion qui s’élève à 59 % et 41 % en 2023. Comparativement, dans la population générale, 85 % des filles d’une génération étaient titulaires du baccalauréat en 2022, contre 75 % des garçons. Par ailleurs, au lycée général, les choix d’enseignements de spécialité et les vœux d’orientation diffèrent selon le genre, reflétant des dynamiques différenciées d’aspiration et d’auto-sélection (Déage, 2022 ; Duru-Bellat, 2024).
Tableau 2. Caractéristiques du public étudiant en réorientation au bout d’un an et qui a accepté un vœu sur Parcoursup
Catégories | Sous-catégories | Années universitaires | ||||
2018-2019 | 2019-2020 | 2020-2021 | 2021-2022 | 2022-2023 | ||
Catégorie de lycées | Bac général | 68 % | 70 % | 71 % | 73 % | 73 % |
Bac technologique | 22 % | 21 % | 20 % | 19 % | 19 % | |
Bac professionnel | 10 % | 9 % | 9 % | 8 % | 8 % | |
Statut bourse | Non boursier | 50 % | 52 % | 50 % | 53 % | 54 % |
Boursier de l’enseignement supérieur | 50 % | 48 % | 50 % | 47 % | 46 % | |
Mention au baccalauréat | Sans mention | 47 % | 47 % | 32 % | 29 % | 33 % |
Assez bien | 28 % | 28 % | 32 % | 36 % | 33 % | |
Bien | 16 % | 16 % | 22 % | 24 % | 23 % | |
Très bien | 9 % | 8 % | 14 % | 11 % | 11 % | |
Profession et catégorie socioprofessionnelle – référent 1 | Agriculteurs exploitants | 1 % | 1 % | 1 % | 1 % | 1 % |
Artisans, commerçants et chefs d’entreprise | 8 % | 8 % | 7 % | 7 % | 7 % | |
Autres personnes sans activité professionnelle | 12 % | 12 % | 14 % | 15 % | 15 % | |
Cadres et professions intellectuelles supérieures | 25 % | 26 % | 26 % | 26 % | 27 % | |
Employés | 22 % | 22 % | 21 % | 21 % | 20 % | |
Ouvriers | 14 % | 13 % | 12 % | 12 % | 11 % | |
Professions intermédiaires | 15 % | 15 % | 15 % | 15 % | 15 % | |
Retraités | 3 % | 3 % | 3 % | 2 % | 2 % | |
Sexe administratif | Garçon | 43 % | 41 % | 41 % | 41 % | 41 % |
Fille | 57 % | 59 % | 59 % | 59 % | 59 % |
Lecture : durant l’année universitaire 2022-2023, 73 % des étudiant·es en réorientation après un an dans le supérieur ont un bac général, 19 % un bac technologique et 8 % un bac professionnel.
Champ : étudiant·es en réorientation via Parcoursup après une première année d’études supérieures.
Source : bases statistiques issues de l’application Parcoursup.
3.3. Flux de réorientation différenciés
25La diversité des parcours dans l’enseignement supérieur se manifeste à travers des taux d’accès, de rétention et de réorientation qui varient considérablement d’une filière à l’autre. Dans le périmètre de notre étude, nous nous sommes intéressés aux flux des trajectoires d’étudiant·es entre leur premier choix d’orientation effectué l’année d’obtention du baccalauréat et de la filière qu’ils ou elles acceptent de rejoindre un an plus tard. Nous avons plus particulièrement examiné les formations qui enregistrent les flux sortants les plus importants selon le nombre d’étudiant·es quittant la filière et les flux entrants les plus significatifs en fonction du nombre d’étudiant·es rejoignant la filière. Afin de visualiser ces mouvements, nous avons élaboré cinq diagrammes alluviaux, chacun correspondant à une année universitaire spécifique : de 2018-2019 à 2022-2023. Ces diagrammes mettent en évidence les principaux flux de réorientation avec en moyenne un nombre d’étudiant·es strictement supérieur à 250 pour qu’un flux soit représenté. Leur analyse révèle des dynamiques de réorientation parfois convergentes, parfois spécifiques à chaque année, et permet de dégager des tendances globales sur cinq ans.
3.3.1. Année universitaire 2018-2019
26En 2019, la première année commune aux études de santé (PACES) est la formation dont partent le plus grand nombre d’étudiant·es. Les flux majeurs se dirigent d’abord vers les licences en sciences et technologies (ST), suivis des licences en droit, économie et gestion (DEG), puis des licences en sciences humaines et sociales (SHS). Les diplômes d’état (DE) du secteur sanitaire et social accueillent également un flux important. Ces flux sont principalement orientés vers des domaines proches du parcours initial. Les licences en arts, lettres et langues (ALL) accueillent un flux notable de personnes issues de ces mêmes licences. Les licences ALL et DEG attirent également des flux provenant d’autres filières, notamment les licences ST, suggérant une volonté de s’orienter vers des parcours plus théoriques ou juridiques/économiques. Une proportion plus modeste d’étudiant·es se tourne vers des formations professionnalisantes de type DUT ou brevet de technicien supérieur (BTS).
27Nous observons que les étudiant·es semblent choisir des formations dans des disciplines relativement similaires, même si certains ont des choix plus éloignés, comme ceux qui partent pour des BTS, ou encore vers des licences DEG. Cela suggère que ces réorientations sont souvent motivées par une recherche de continuité plutôt que de changement radical de parcours. Enfin, les DUT restent plutôt dans les filières courtes, notamment celles issues des BTS. Les BTS sont une destination privilégiée lors des flux de réorientation accueillant un public de divers domaines.
Figure 2. Flux de réorientation primo-entrants (2018-2019)

Lecture : flux des élèves de la terminale (2018) à la réorientation (2019).
Champ : étudiant·es en réorientation via Parcoursup après une première année d’études supérieures.
Source : bases statistiques issues de l’application Parcoursup.
3.3.2. Année universitaire 2019-2020
28L’année suivante, les étudiant·es continuent de se réorienter massivement depuis la PACES vers des licences ST, avec des flux plus réduits vers d’autres formations comme les DE du secteur sanitaire et social, les licences en SHS ou en DEG. Une tendance similaire se confirme avec les licences en arts, lettres et langues qui attirent un flux de réorientations vers des formations dans la même catégorie. Les flux venant des licences de droits, économie et gestion se retrouvent dans toutes les filières sauf celles en sciences expérimentales. Les BTS de rester une destination courante, pour tous les publics sauf ceux venant de PACES.
Figure 3. Flux de réorientation primo-entrants (2019-2020)

Lecture : flux des élèves de la terminale (2019) à la réorientation (2020).
Champ : étudiant·es en réorientation via Parcoursup après une première année d’études supérieures.
Source : bases statistiques issues de l’application Parcoursup.
3.3.3. Année universitaire 2020-2021
29En 2021, les flux vers les BTS se renforcent. Le changement des DUT au BUT ne change pas particulièrement le nombre ou le public accueilli. La première année de la licence PASS ne change pas radicalement les flux sortants avec toujours les mêmes finalités : les DE du secteur sanitaire et social et les licences de ST. Les étudiant·es en licences ALL se redirigent à nouveau vers des formations dans le même domaine, indiquant une stabilité dans leur choix. Les licences en DEG connaissent également toujours une forte réorientation vers des formations similaires tandis que les licences en sciences humaines et sociales continuent d’accueillir un public venant de toutes les formations.
Figure 4. Flux de réorientation primo-entrants (2020-2021)

Lecture : flux des élèves de la terminale (2020) à la réorientation (2021).
Champ : étudiant·es en réorientation via Parcoursup après une première année d’études supérieures.
Source : bases statistiques issues de l’application Parcoursup.
3.3.4. Année universitaire 2021-2022
30En 2022, les flux vers les BTS continuent de prédominer. Les réorientations vers les BUT et les formations sanitaires et sociales restent stables. Comme les années précédentes, la stabilité des flux vers les licences ALL et DEG confirme que les étudiant·es cherchent souvent à se réorienter dans des domaines proches de leur formation initiale mais sous des modalités de formations différentes. Nouveauté de cette année, les flux de réorientation depuis la licence PASS se réduisent même si les cibles de la réorientation restent stables.
Figure 5. Flux de réorientation primo-entrants (2021-2022)

Lecture : flux des élèves de la terminale (2021) à la réorientation (2022).
Champ : étudiant·es en réorientation via Parcoursup après une première année d’études supérieures.
Source : bases statistiques issues de l’application Parcoursup.
3.3.5. Année universitaire 2022-2023
31L’année 2022-2023 présente une tendance similaire, avec des réorientations dirigées en grand nombre vers des BTS qui continuent de dominer. La tendance visible depuis les années précédentes se confirme : une orientation des filières généralistes vers des formations professionnalisantes. De leur côté, les licences de Sciences et technologies constituent toujours un carrefour de réorientation importants que ce soit dans le sens de sortie ou d’entrée.
32Les publics en licences en Arts, Lettres et Langues ainsi qu’en Droit, Économie, Gestion continuent de privilégier des formations dans ces mêmes domaines, soulignant ainsi un choix de réorientation mesuré et peu éloigné du parcours initial. Les licences en SHS continuent d’accueillir des publics de tout horizon, tandis que les étudiant·es de ces domaines s’orientent dans une pluralité de voies.
Figure 6. Flux de réorientation primo-entrants (2022-2023)

Lecture : flux des élèves de la terminale (2022) à la réorientation (2023).
Champ : étudiant·es en réorientation via Parcoursup après une première année d’études supérieures.
Source : bases statistiques issues de l’application Parcoursup.
3.3.6. Interprétation générale des 5 années étudiées
33Sur l’ensemble de la période de cinq ans, nous n’observons pas une différence significative dans les flux avec la mise en place de la PASS. Son fonctionnement et sa notoriété amenant toujours à de nombreux échecs en première année, le public tentant sa chance en PASS/PACES avant de se réorienter. La principale cible lors de ces réorientations reste les filières de sciences et technologies et des DE du secteur sanitaire et social. Chaque année, nous pouvons observer une volonté claire de rejoindre des parcours plus professionnalisants : les BTS, accueillent chaque année plus de candidat·es qu’ils n’en perdent, et sont la cible de nombreux parcours de réorientation venant des différentes filières. La transformation des DUT en BUT n’a pas radicalement changé les flux de réorientation, que ce soit en entrée ou en sortie. Les étudiant·es partant de PACES ou de licences en sciences et technologies montrent un certain attrait pour des domaines proches, bien qu’une proportion significative choisisse de se rediriger vers des formations davantage orientées vers la pratique (DUT, BTS, DE). De plus, les étudiant·es en licences montrent une stabilité dans leurs choix, se réorientant souvent vers des formations similaires à leur parcours initial. Enfin, la surreprésentation des filières universitaires dans les flux sortants de réorientation montre également la part de test que représente la première année d’études supérieures.
Conclusion
34Les résultats de cette étude mettent en lumière l’interaction entre massification, réorientation scolaire et inégalités. L’évolution du nombre et des mécanismes de réorientation est une conséquence indirecte de la troisième vague de massification : à chaque fois qu’une digue saute, les flux se reportent un peu plus loin, tandis que les inégalités se maintiennent. La persistance de certaines inégalités (origines sociales, type de bac, mentions et PCS) au moment de la réorientation confirme les travaux antérieurs sur les déterminants de la réussite dans l’enseignement supérieur. L’approche longitudinale adoptée ici révèle également que la mobilité des étudiant·es suit un parcours indirect indiquant une certaine logique de filière : les flux par type de formations respectent une certaine stabilité d’une année à l’autre.
35Si APB puis Parcoursup se sont imposés comme outils privilégiés de réorientation, leur rôle oscille entre dispositif d’accès à l’enseignement supérieur et outil d’orientation. L’intégration des étudiant·es en réorientation interroge l’égalité de traitement avec les néo-bacheliers. Par ailleurs, la possibilité de candidater tout en poursuivant son cursus actuel maintient plusieurs options ouvertes (réorientation, poursuite ou redoublement), complexifiant ainsi la gestion des capacités d’accueil.
36Ces différents constats suggèrent que la première année d’études supérieures a évolué parallèlement à son public, son rôle s’éloigne d’un objectif de formation pour devenir un moment d’orientation sans pour autant réduire les inégalités de parcours scolaires.
Bibliographie
Blanchard, M. & Cayouette-Remblière, J. (2016). Sociologie de l’école. Paris : La Découverte. https://doi.org/10.3917/dec.blanc.2016.01
Bodin, R. & Millet, M. (2011). L’université, un espace de régulation. L’« abandon » dans les premiers cycles à l’aune de la socialisation universitaire. Sociologie, 2(3), 225‑242. https://doi.org/10.3917/socio.023.0225
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Auteur
-
Dorian Vancoppenolle
Université Lyon 2.

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