« Le stage de troisième » : une première expérience de découverte inégalitaire selon les territoires, l’origine et le genre des élèves
p. 299-300
Entrées d’index
Mots-clés : collégien, orientation scolaire-professionnelle, stage de formation, inégalités
Keywords : lower secondary school pupil, school guidance and vocational guidance, traineeship, inequalities
Texte intégral
Résumé
1Depuis 2005, en France, l’ensemble des collégiens en classe de troisième effectue une « séquence d’observation en milieu professionnel
». Il s’agit, selon l’article D332-14 du Code de l’éducation, d’inclure dans le curriculum des élèves « la connaissance de l’environnement technologique, économique et professionnel dans le cadre de l’éducation à l’orientation
». Première expérience institutionnalisée du monde du travail, cette séquence s’inscrit dans une volonté globale de connaissance des métiers et du monde du travail, ainsi que dans le cadre de la préparation d’un projet d’orientation et de « l’acquisition de compétences et savoir-être nécessaires à l’exercice de certains métiers
».
2Alors que le site du gouvernement précise que les élèves et leurs familles « doivent être activement impliqués dans la recherche des lieux de stage
», la mise en œuvre de cette politique mobilise enseignants, équipes éducatives, familles, accueillants de stages et parfois associations et collectivités, sans que les missions des uns et des autres soient clairement explicites dans les textes de loi et les directives. De plus, étudier la séquence d’observation en milieu professionnel ne se limite pas au temps « en entreprise » mais se décline en trois périodes. En amont des stages, la plupart des établissements proposent des temps de présentation des métiers ou secteurs d’activité, et parfois des temps d’accompagnement à la recherche de stage. Enfin, une fois le stage réalisé, la plupart des établissements demandent aux élèves une restitution écrite et/ou organisent des oraux de présentation de stage.
3Comment les contextes territoriaux des établissements et les caractéristiques socio-économiques et culturelles des publics façonnent des justifications pédagogiques et conditionnent les choix, puis les expériences inégalitaires des élèves dans leur accès au « stage de troisième » ? Quels sont les stages réalisés par les collégiens en fonction des territoires, des milieux sociaux des parents, de leur genre et des risques discriminatoires ?
4Une première recherche exploratoire a été menée dans vingt-cinq collèges en réseau d’éducation prioritaire (REP) et hors réseau d’éducation prioritaire dans les départements des Yvelines et de la Sarthe, auprès de 2 066 élèves, 955 familles et 970 accueillants de stage. Parallèlement à l’enquête par questionnaire, des observations des temps d’accompagnement en amont et en aval des stages ont été réalisées (forum des métiers, ateliers de recherche de stage, oraux, etc.). Des entretiens ont également été menés avec des membres des équipes de direction, des entreprises, des parents, des élèves et des associations.
5La seconde démarche d’enquête vise à étudier l’accompagnement proposé par une association qui accompagne les élèves en REP et REP+ « sans réseaux, à trouver le stage de leur rêve
» (pour reprendre l’objectif affiché par l’association) en mobilisant les entreprises. L’évaluation de cette démarche vise à regarder si l’association réussit à agir sur l’inégalité dans l’accès aux stages de troisième. Notre méthode se concentre sur la recension des stages (lieux de stage, fonction du tuteur, secteur d’activité, localisation, etc.) réalisés par les élèves dans les établissements dans lesquels intervient l’association et la comparaison avec des établissements « témoins » dans trois départements (Seine-Saint-Denis, Rhône, Isère). Pour cela, neuf établissements ont été sélectionnés, dont trois établissements « tests » et six établissements « témoins » n’ayant pas bénéficié de l’accompagnement de l’association. L’enquête quantitative porte ainsi au total sur 928 élèves. En parallèle, des entretiens rétrospectifs sont réalisés avec une quinzaine de jeunes âgés de 18 à 24 ans, aujourd’hui en postbac ayant trouvé un stage via cette association.
6Les entretiens s’appuient sur une grille structurée autour de plusieurs axes : le parcours scolaire des jeunes avant et après le stage ; les modalités d’accompagnement reçues (à la fois par le collège et par l’association) ; la description du stage et de ses conditions (localisation, domaine professionnel, relation avec le tuteur) ; les suites données à cette expérience (autres stages, impact sur la construction du parcours) ; ainsi que les formes de capital social éventuellement mobilisées et les expériences de discrimination rencontrées. Un volet est également consacré à l’environnement familial et amical des jeunes interrogés, afin de mieux comprendre les ressources sociales disponibles dans leur trajectoire et d’observer dans quelle mesure les jeunes sont en mobilité sociale ascendante. Cette enquête s’inscrit dans la continuité de la sociologie de l’orientation qui interroge la libéralisation de l’école et la mise en avant de la notion de « choix scolaire ». La notion de « choix » (d’établissement, d’orientation, de filière ou d’options…), discutée par Blanchard et Cayouette-Remblière (2011), se pose donc pour cette première séquence d’observation en milieu professionnel. En effet, les élèves doivent « choisir un stage » à partir des ressources dont dispose leur famille, du territoire et de l’établissement, des objectifs qui peuvent être conférés à ce stage mais aussi des représentations des élèves, de leurs parents, des enseignants et des accueillants de stage.
7Ces travaux se situent dans le sillage des travaux qui, depuis les années 1980, considèrent que le système scolaire n’est pas uniforme et que les établissements ne fonctionnent pas tous de la même façon (Duru-Bellat, Farges & Van Zanten, 2022). Enfin, l’hypothèse d’expériences de discrimination (liée à la race, l’origine sociale, l’origine supposée, le territoire et le genre), dans l’accès aux stages, mais aussi les expériences répétées de discrimination de la famille et des proches sont également interrogées dans la continuité des travaux de Dhume et Sagnard-Haddaoui (2006) ou de Farvaque (2009). La partie de ce travail consacrée à l’évaluation du dispositif d’accès aux stages vise à regarder dans quelle mesure cette expérience de stage de troisième, lorsqu’elle est positive et valorisante, peut jouer dans les parcours d’orientation de jeunes de milieu populaire (stabilisé ou précarisé) ou dont les familles ont été déclassées par des parcours de migration, racisés, et vivant dans des territoires stigmatisés (Beaud, 2018).
Bibliographie
Beaud, S. (2018). La France des Belhoummi. Paris : La découverte.
Blanchard, M. & Cayouette-Remblière, J. (2011). Penser les choix scolaires. Revue française de pédagogie, 175(2), 5-14.
Dhume, F. & Sagnard-Haddaoui, N. (2006). La discrimination de l’école à l’entreprise. La question de l’accès aux stages des élèves de lycée professionnel en région Lorraine. Neuviller-la-Roche : ISCRA-Est.
Duru-Bellat, M., Farges, G. & Van Zanten, A. (2022). Sociologie de l’école. Paris : Armand Colin.
Farvaque, N. (2009). Discriminations dans l’accès au stage : du ressenti des élèves à l’intervention des enseignants. Formation Emploi, 105, 21-36.
Auteurs
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Chloé Michaud
LEPPI.
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Christian Kouassi
LEPPI.
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Aude Kerivel
LEPPI, CEREV, Université de Caen.

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