Se former aux métiers en pénurie, un gage de stabilité du parcours professionnel ? Un suivi exploratoire des sortants de l’enseignement qualifiant en Wallonie
p. 339-350
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Mots-clés : lycéen, insertion professionnelle, besoin en main d’œuvre, relation formation-emploi, Belgique
Keywords : upper secondary school pupil, school-to-work transition, manpower need, relationship between training and employment, Belgium
Texte intégral
Introduction
1Les difficultés de recrutement des entreprises sont au cœur des discours sur l’emploi depuis le début des années 2000 (Conter, 2002). L’explication dominante réside dans un manque de main-d’œuvre disposant de compétences adéquates aux attentes des entreprises. Les solutions politiques proposées sont souvent formulées en termes d’orientation, de matching, voire de contrainte ou de dérégulation de l’emploi (Zune, 2014 ; Clouet, 2022).
2Nous souhaitons explorer les parcours et conditions d’emploi, rarement questionnés, des jeunes formés aux dits métiers en pénurie. Pour ce faire, notre travail s’appuie sur une première analyse du cadastre des parcours des sortants de l’enseignement en Wallonie et à Bruxelles. Ce cadastre, récemment créé, agrège des données administratives issues de l’enseignement et de la sécurité sociale et concerne tous les niveaux d’enseignement.
3Notre ambition est de comparer la situation des sortants de formations préparant à ces métiers dits en tension, d’une part, et des autres formations de l’enseignement secondaire qualifiant, d’autre part. Nous analysons ici les données disponibles relatives à la situation sur le marché du travail (emploi, régime de travail, chômage, salaire…) des sortants d’une année terminale de l’enseignement secondaire qualifiant sur une période qui s’étend sur 22 trimestres entre la fin 2014 et la fin 2019, soit à la veille de la pandémie COVID.
4Pour la facilité de la lecture, on désignera dans la suite du texte les formations supposées conduire à l’exercice de métiers identifiés comme critiques ou en pénurie par le service public de l’emploi par « formations MEP » et les formations supposées conduire à d’autres métiers par « formations AM ».
1. Sources de données et hypothèses
1.1. Cadastre des sortants de l’enseignement
5Le cadastre des parcours éducatifs et post-éducatifs (CPEPE) est un outil statistique développé par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le but d’analyser les parcours dans l’enseignement ou la formation et l’entrée sur le marché du travail. Il repose sur la création de cohortes de sortants de l’enseignement (qui n’y sont plus inscrits l’année suivante). Des cohortes séparées sont constituées pour l’enseignement secondaire (CITE 3-4) et l’enseignement supérieur (CITE 6-7-8), ce qui permet en outre l’analyse des flux entre enseignements secondaire et supérieur (Dujardin et al., 2023). Les parcours reconstitués intègrent l’enseignement initial et la formation continue et l’évolution sur le marché du travail. À terme, un suivi post-sortie sur une période de 10 ans est prévu.
6Pour étudier les éventuels effets spécifiques des formations MEP, nous avons sélectionné les sortants d’une année terminale de l’enseignement secondaire qualifiant (technique et professionnel, de plein exercice ou en alternance) en 20141. Cette forme d’enseignement permet l’obtention de deux types de diplômes : le certificat de qualification, après la 6e année (au sein du 3e degré), qui se réfère à l’exercice d’un métier, et, moyennant une 7e année pour la forme professionnelle, le certificat d’enseignement secondaire supérieur qui permet d’accéder à l’enseignement supérieur2. L’enseignement qualifiant comporte également un 4e degré professionnel complémentaire, dans le domaine paramédical, qui dure 3 ans et est sanctionné par un brevet d’infirmier hospitalier.
7L’analyse qui suit ne porte que sur les sortants qui ne s’inscrivent pas dans l’enseignement supérieur (directement, ou avec un délai d’un an). Nous avons en outre retenu les seuls sortants domiciliés en Wallonie lors de la dernière année d’études et en Belgique durant les 3 années suivantes.
1.2. Informations relatives à l’insertion professionnelle
8Le CPEPE intègre des données trimestrielles de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS). La principale variable disponible concerne la position socio-économique au dernier jour du trimestre (salarié, indépendant, au chômage ou inactif). En cas de cumul de plusieurs statuts en fin de trimestre, la priorité est donnée à la position la plus proche du marché du travail (par ex : une personne qui travaille à temps partiel mais est inscrite comme demandeur d’emploi est considérée comme « occupée »).
9De cette variable sont tirés deux indicateurs longitudinaux principaux : le délai d’accès au 1er emploi, mesuré en trimestres (variant de 0 à 21) et le temps passé à l’emploi, soit le nombre de trimestres occupés sur la période observée (de 0 à 22).
10D’autres informations sont aussi renseignées sur les emplois salariés occupés à chaque fin de trimestre (lorsqu’une personne cumule plusieurs emplois salariés, l’information est donnée pour l’emploi principal) : le régime de travail (temps plein, temps partiel, régime spécial incluant notamment les intérimaires et saisonniers), le pourcentage de temps de travail (en classes), la commission paritaire3, et enfin, le salaire journalier (en classes correspondant aux déciles de la distribution des salaires de la population âgée de 25 ans).
11Ces informations complémentaires permettront d’évaluer la stabilité des emplois (notamment au regard de l’intérim) et la qualité de l’emploi (en combinant les informations sur le salaire journalier et le temps de travail). La commission paritaire permettra d’évaluer si les sortants de formations en pénurie s’insèrent dans le même secteur que celui de leur formation.
1.3. Fonctions critiques et métiers en pénurie : définitions
12Les services publics de l’emploi (SPE) tentent d’objectiver les difficultés de recrutement, principalement sur la base des critères quantitatifs suivants. Relèvent des fonctions critiques, les métiers pour lesquels le taux de satisfaction des offres est inférieur à la moyenne et dont le délai de satisfaction est inférieur à la moyenne de l’ensemble des offres d’emploi gérées par le SPE. Parmi ces métiers, sont considérés comme en pénurie ceux pour lesquels le ratio entre le nombre de demandeurs d’emploi inscrits dans la profession et le nombre d’offres est inférieur à 1,5.
13Ces métiers identifiés par le SPE en 2014, et associés à un niveau d’enseignement secondaire supérieur, sont présentés dans l’encadré suivant. Pour la plupart des métiers, le taux de satisfaction des offres se situe entre 85 et 92 % et la moitié des postes est pourvu en 4 à 5 semaines.
1.4. Identifier les formations vers les métiers en tension
14Pour distinguer, parmi les 250 options de base groupées de l’enseignement qualifiant, celles qui sont supposées conduire vers des métiers en tension, nous nous sommes, à l’instar de l’ARES (2021), appuyés sur l’expérience des services publics pour l’emploi qui ont associé ces formations aux emplois en tension sur la base d’un examen de contenu. Notre travail, certes fastidieux, s’est limité à prendre en compte les filières de formation renseignées par le SPE wallon dans ses fiches métiers. Nous avons ainsi distingué 71 options préparant à des métiers qualifiés par le SPE de critiques ou en pénurie.
1.5. Hypothèses de recherche
15L’analyse de l’entrée dans la vie active réalisée par Desmarez et al. (2010) a mis en évidence la lenteur et la difficulté d’insertion des jeunes sortants de l’enseignement secondaire en communauté française : 56 % d’entre eux accèdent à l’emploi après 2,5 années. Mais surtout, cette insertion est marquée par d’importantes inégalités entre hommes (60 %) et femmes (51 %).
16Dans un contexte marqué par des pénuries de main-d’œuvre, présentées comme importantes et inquiétantes, suivre une formation préparant à l’exercice d’un métier en tension devrait procurer un avantage en termes d’insertion professionnelle qui devrait être plus rapide et plus durable (H1). Dans un contexte de pénurie, les employeurs sont supposés rendre les emplois plus attractifs, les sortants des formations MEP accédant ainsi à des emplois de meilleure qualité (H2).
17Le contexte de pénurie devrait aussi permettre aux travailleurs d’être insérés en grande proportion dans le secteur professionnel pour lequel ils sont formés et d’y rester plus durablement (H3).
18Enfin, la situation de pénurie devrait permettre aux femmes préparées aux métiers en tension de compenser les inégalités sur le marché du travail dont elles sont victimes et se voir octroyer de meilleures opportunités d’insertion (H4).
2. Description de la population étudiée
19Pour notre analyse, nous nous appuyons sur une population composée de 8 073 sortants de l’enseignement secondaire supérieur qualifiant (technique ou professionnel)4 en 2014 (juin ou septembre). Il s’agit uniquement des sortants d’années terminales. Ce groupe se compose de 44,8 % de femmes et de 55,2 % d’hommes. Au sein de l’enseignement qualifiant, on distingue le troisième degré (qui termine six années d’enseignement secondaire, auxquelles peut être ajoutée une septième année préparatoire ou de spécialisation) (7 652 sortants en 2014) et un quatrième degré (D4) de trois années supplémentaires et qui ne concerne qu’un seul type de formation en soins infirmiers (421 sortants)5.
20La grande majorité des sortants de l’enseignement qualifiant a moins de 25 ans (90 % des femmes et 98 % des hommes). L’âge moyen à la sortie est de 20,5 ans pour le troisième degré. La proportion d’élèves en retard est importante : 11 % sont à l’heure, 23 % ont un an de retard, 22 % deux ans, et un quart compte au moins 3 ans de retard.
21La répartition des élèves selon les 213 options6 différentes reflète une inégalité de genre bien connue. Les femmes se dispersent dans un nombre d’options plus réduit (93) et près de la moitié se concentre dans les 5 options les plus suivies. Ces cinq options se situent dans le secteur des services et, pour l’essentiel dans celui des services aux personnes. Les hommes se répartissent sur un nombre plus large d’options (156) et les 5 options les plus populaires concentrent 23 % des effectifs. Trois de ces 5 options concernent le secteur industriel.
Tableau 1. 5 principales options selon le sexe
Femmes | Hommes | ||
Puéricultrice | 11,9 % | Agent sécurité | 6,2 % |
Gestion TPE | 10,6 % | Gestion TPE | 5,0 % |
Soins infirmiers (D4) | 10,2 % | Maintenance technique | 4,7 % |
Coiffure | 8,1 % | Construction gros œuvre | 4,1 % |
Aide-soignante | 7,6 % | Automation | 3,6 % |
Source : CPEPE – calculs auteurs.
22Sur les 213 options, 67 peuvent être associées aux métiers relevant des fonctions critiques ou des pénuries. Près d’un tiers des sortants (32,2 %) est diplômé d’une de ces formations MEP. La proportion est plus faible pour les femmes (25,4 %), qui se répartissent aussi dans un plus petit nombre de ces options (25).
23Les formations MEP les plus suivies par les femmes sont, outre les soins infirmiers (40,3 % des formations MEP) qui relèvent du 4e degré (D4), la coiffure (29,8 %) et la vente (15,9 %). Les hommes se répartissent dans un nombre plus large de formations MEP (65) ; les trois principales étant maintenance des équipements techniques (12,2 %), mécanique automobile ou des moteurs hydrauliques (9,8 %) et électricien automaticien (9,3 %).
24Parmi l’ensemble des sortants de l’enseignement secondaire qualifiant, 13,8 % ont travaillé durant leurs études (mesure au dernier trimestre avant la sortie) ; les hommes étant plus nombreux que les femmes dans le cas. Parmi les sortants des formations MEP, cette proportion est plus élevée (17,3 %) mais essentiellement du fait du travail des femmes (21 % pour 15,3 % des hommes).
25L’ampleur du retard scolaire ou le revenu du ménage ne sont pas significativement associés à l’orientation vers des formations MEP.
3. Rapidité d’accès, durabilité et qualité de l’emploi
26À travers l’analyse du cadastre des sortants, nous questionnons, sur la base des informations disponibles, la rapidité et la durabilité de l’insertion (3.1), la stabilité de l’emploi (3.2), l’inscription du parcours professionnel dans un secteur correspondant à la formation initiale (3.3) et enfin, la qualité des emplois occupés (3.4). Pour traiter ces différentes questions, nous comparons systématiquement, pour les hommes et les femmes, les formations menant aux fonctions critiques (MEP) et l’ensemble des autres formations (AM) du troisième degré de l’enseignement secondaire qualifiant.
3.1. Rapidité de l’insertion professionnelle
3.1.1. Délai d’accès au premier emploi
27L’observation du nombre de trimestres passés avant d’accéder à l’emploi permet de confirmer la lenteur du processus d’insertion des diplômés de l’enseignement secondaire supérieur en Wallonie. En moyenne, le délai avant l’accès à l’emploi est de 3,9 trimestres, soit près d’un an.
28Dans les discours publics, l’orientation vers un métier en pénurie est souvent présentée comme un gage de réussite professionnelle. Ainsi, un service public de l’emploi régional indique dans sa communication que « s’orienter vers les métiers critiques ne représente pas une garantie d’emploi mais en renforce la probabilité
». Un autre SPE confirme « c’est se donner plus de chances de décrocher rapidement un travail
». Peu d’enquêtes publiées jusqu’ici étayent cependant ce genre de propos.
29Notre observation de l’insertion des délais de primo insertion dans l’emploi ne montre aucune différence significative entre les sortants des formations MEP et AM. Les femmes s’insèrent moins rapidement que les hommes (4,1 trimestres, contre 3,7). Le fait d’avoir suivi une formation MEP s’avère même défavorable pour celles-ci puisque le délai d’insertion des femmes sortant d’une formation MEP est de 4,7 trimestres, contre 3,9 pour celles ayant suivi une formation AM7.
3.1.2. Temps passé à l’emploi
30Au-delà de la rapidité d’accès au premier emploi, il importe de questionner l’intensité d’occupation et la durabilité des emplois occupés. On mesurera d’abord, pour ce faire, le nombre de trimestres en emploi8 au cours des 22 trimestres observés.
31On n’observe globalement qu’une très faible différence de rendement des formations MEP. Le nombre moyen de trimestres d’occupation est de 13,8 sur 22 pour les formations MEP et 13,4 pour les AM.
32En revanche, des différences significatives opposées s’observent si l’on examine la situation des hommes et des femmes : pour les premiers, la sortie d’une formation MEP conduit à une occupation dans l’emploi légèrement supérieure (14,6 trimestres en moyenne pour les sortants des formations MEP pour 13,8 pour les formations AM), à l’inverse des femmes dont l’occupation est plus importante pour les sortantes des formations AM (13,1 trimestres) que MEP (11,6 trimestres).
Graphiques 1 & 2. Nombre de trimestres à l’emploi des sortants du 3e degré secondaire qualifiant

Source : CPEPE – calculs auteurs.
Tableau 2. Délai moyen avant le 1er emploi et nombre de trimestres à l’emploi des sortants du 3e degré secondaire qualifiant
MEP | AM | Total | ||
Délai moyen avant le 1er emploi (trimestres) | Femmes | 4,7 | 3,9 | 4,1 |
Hommes | 3,6 | 3,8 | 3,7 | |
Total | 3,9 | 3,9 | 3,9 | |
Nombre de trimestres à l’emploi | Femmes | 11,6 | 13,1 | 12,9 |
Hommes | 14,6 | 13,8 | 14,1 | |
Total | 13,8 | 13,4 | 13,6 |
Source : CPEPE – calculs auteurs.
3.2. Des emplois stables ?
33Au-delà de la rapidité de l’accès à l’emploi ou de la permanence de l’emploi au cours de la période observée, nous questionnons la nature des emplois occupés. Le nombre d’informations disponibles pour ce faire est cependant limité. La BCSS ne renseigne, en effet, pas la nature du contrat (CDD ou CDI), mais uniquement le régime de travail (temps plein, temps partiel, régime spécial) ou le type d’occupation (salarié/indépendant). Il est également possible d’exploiter la dimension longitudinale des données et de comptabiliser le nombre d’épisodes d’emploi ou de chômage (un épisode étant défini comme une succession de trimestres consécutifs passés dans un état).
3.2.1. Part du temps partiel
34Une très large majorité des sortants (80 %) connait au moins un épisode de travail à temps partiel au cours de leurs 5 premières années de carrière. Mais, comme on le sait, le temps partiel concerne davantage les femmes (92 % sont passées par le temps partiel) que les hommes (71 %).
35Lorsqu’elles travaillent à temps partiel, les femmes ont un temps de travail de moindre intensité que les hommes. Leur activité correspond, en effet, en moyenne à 68 % d’un temps plein pour 83 % d’un temps plein s’agissant des hommes. Si l’on ventile cette donnée par type de formation, on n’observe qu’une différence pour les hommes dont les sortants d’une formation MEP ont en moyenne un temps partiel légèrement plus important (85 % d’un temps plein, pour 82 % dans le cas des formations AM).
3.2.2. Rapidité d’accès à l’emploi stable et poids de l’intérim dans les parcours
36À défaut d’information sur la nature du contrat de travail (CDD ou CDI), il est possible d’isoler les périodes d’emploi qualifié de « régime spécial », c’est-à-dire principalement l’intérim, mais aussi le travail saisonnier ou étudiant. Ainsi, si l’on mesure le délai, exprimé en nombre de trimestres, avant l’emploi « non spécial », on compte 5,2 trimestres en moyenne pour les sortants de formations AM et 5,8 pour les formations MEP.
37Donc, si les sortants MEP n’accèdent pas plus vite à l’emploi (cf. 3.1), leur premier emploi est aussi plus souvent de l’intérim. C’est essentiellement le cas des filles (qui s’insèrent dans l’emploi non spécial après 4,8 trimestres en moyenne pour les formations AM contre 6 pour les formations MEP).
38L’emploi intérimaire (ainsi que le travail saisonnier et étudiant) occupe donc une place significative dans les parcours des sortants du 3e degré de l’enseignement qualifiant. En moyenne, 16,7 % du temps d’emploi relève de cette forme particulière d’emploi.
39Les sortants de formation MEP connaissent aussi plus longtemps l’intérim. La part de l’intérim dans les cinq premières années de carrière est plus élevée pour les sortants des formations MEP (19,5 %) que pour ceux des formations AM (15,5 %). L’intérim est aussi un phénomène plus masculin (21% formations MEP, 19 % formations AM) que féminin (14,5 % formations MEP, 11,8 % formations AM).
40La présence de l’intérim dans un parcours est associée à plusieurs passages par le chômage. Ainsi, au total, 88 % des sortants du troisième degré ont connu au moins un épisode de chômage après leur parcours scolaire ; il n’y a pas de différence significative entre les formations MEP et AM.
41Le nombre moyen d’épisodes de chômage (quelle que soit leur longueur) pour les sortants du 3e degré est en moyenne 1,8. Pour les hommes, les formations MEP sont suivies d’un nombre moyen d’épisodes très légèrement inférieur (1,7 pour 1,8 pour les formations AM), à l’inverse des femmes, pour lesquelles les passages par le chômage sont plus nombreux (2,1 en moyenne) pour les formations MEP que pour les formations AM (1,8).
3.2.3. Part de l’emploi indépendant
42Le travail indépendant est relativement peu présent au cours des premières années de carrière des sortants de l’enseignement secondaire : 12,5 % d’entre eux ont travaillé au moins un trimestre sous ce statut, à titre principal ou complémentaire. Les hommes sont un peu plus nombreux (14,5 %) que les femmes (10,4 %)9 à avoir travaillé sous ce statut10. Les sortants des formations MEP ne se distinguent pas de ceux des formations AM de ce point de vue.
3.3. Une insertion dans le secteur professionnel ?
43La mobilité sectorielle des sortants peut être estimée en comparant les commissions paritaires des emplois occupés et celles auxquelles sont supposées conduire les études11. Si l’on prend en compte les seules formations MEP, on observe d’abord que les sortants s’orientent pour la plupart vers un premier emploi dont le secteur est différent de celui attendu, et ce tant pour les hommes (64 %) que les femmes (60 %).
44Lorsque l’on examine la situation lors du dernier trimestre occupé (5 ans au plus tard après la sortie), on observe encore une légère diminution de la stabilité sectorielle : environ un tiers de l’ensemble des sortants des MEP se situent dans un secteur auquel ils sont préparés12.
Tableau 3. Mobilité sectorielle des sortants des formations MEP
Secteur du 1er emploi occupé | n= | Secteur au dernier trimestre occupé | % du total | |||
Identique à celui de la formation | Différent de celui de la formation | Travail indépendant | ||||
Femmes | Identique à celui de la formation | 179 | 25,3 % | 12,4 % | 2,0 % | 39,7 % |
Différent de celui de la formation | 272 | 7,8 % | 50,1 % | 2,4 % | 60,3 % | |
Total | 451 | 33,0 % | 62,5 % | 4,4 % | 100 % | |
Hommes | Identique à celui de la formation | 487 | 24,8 % | 9,2 % | 2,2 % | 36,2 % |
Différent de celui de la formation | 858 | 6,8 % | 54,3 % | 2,6 % | 63,8 % | |
Total | 1 345 | 31,7 % | 63,6 % | 4,8 % | 100 % |
Source : CPEPE – calculs auteurs.
3.4. Une pénurie favorable à la qualité de l’emploi ?
45Nous avons enfin questionné la qualité des emplois occupés par les sortants de formation. Nous abordons la qualité des emplois à travers l’exploitation des deux variables disponibles, le pourcentage de temps de travail, d’une part, et le salaire journalier, d’autre part. Après avoir mis en évidence la part des temps très partiels (< 55 % d’un temps plein) et la dispersion des salaires (du dernier emploi occupé), nous estimons la part de sortants qui occupent un emploi de « mauvaise qualité » lors de leur première et dernière occupation professionnelle.
3.4.1. Le temps très partiel
46Les très petits temps partiels sont bien plus fréquents chez les femmes. Un an après la sortie des études, 35 % des femmes en emploi salarié ont un temps de travail inférieur à 55 %, contre 9,8 % des hommes. Cinq ans après la sortie, les taux de temps partiels inférieurs à 55 % sont respectivement de 24 % pour les femmes et 5,1 % pour les hommes13.
47Pour les sortants du 3e degré, le nombre de trimestres occupés à plus de 55 % (hors régimes spéciaux) est de 7,4 trimestres chez les femmes, contre 9,8 chez les hommes. Le temps partiel est plus important pour les sortants de formation MEP, en particulier chez les femmes : le nombre de trimestres occupés à plus de 55 % pour celles-ci est de 6,2 (7,6 pour les AM).
3.4.2. Dispersion des salaires journaliers
48La dispersion des salaires des individus lors du dernier trimestre occupé montre une importante différence entre hommes et femmes (voir graphiques 3 & 4). Les femmes sont surreprésentées dans les classes inférieures au salaire médian14, à l’inverse des hommes. Ces écarts entre hommes et femmes sont encore plus importants chez les sortants des formations MEP.
Graphiques 3 & 4. Dernier salaire – répartition par décile des salaires à 25 ans

Source : CPEPE – calculs auteurs.
3.4.3. Un indicateur de mauvaise qualité de l’emploi
49Dans leur analyse sur la qualité de l’emploi des sortants du chômage, Lizé et Prokovas (2014) construisent un indicateur de « mauvaise qualité de l’emploi » à partir du salaire et du temps partiel involontaire. Nous inspirant de ce travail, nous avons élaboré, à partir des données disponibles, un indicateur similaire qui prend en compte le régime de travail, le temps de travail et le salaire journalier : est considéré comme « de mauvaise qualité » un emploi salarié (a) sous statut intérimaire, étudiant ou saisonnier ou avec un temps de travail inférieur à 55 %, et (b) avec un salaire inférieur à la médiane des salaires à 25 ans.
50Cet indicateur nous permet de confirmer la difficulté d’insertion des sortants de l’enseignement qualifiant. Celle-ci passe par des emplois précaires et à faible salaire (75 % des sortants du 3e degré). Les sortants des formations MEP ne bénéficient pas d’un avantage en termes d’insertion ; les écarts entre hommes et femmes sont aussi plus marqués : ces dernières occupant quasi exclusivement des emplois de moindre qualité15.
Tableau 4. Qualité du premier emploi après la sortie de l’enseignement (3e degré secondaire qualifiant)
Formations AM | Formations MEP | |||||
Femmes | Hommes | Total | Femmes | Hommes | Total | |
N= | 2 698 | 2 274 | 5 472 | 548 | 1 632 | 2 180 |
Jamais travaillé | 8,1 % | 6,0 % | 7,1 % | 8,4 % | 5,1 % | 5,9 % |
Mauvaise qualité | 81,7 % | 68,5 % | 75,0 % | 84,9 % | 73,5 % | 76,4 % |
Autres emplois | 6,4 % | 18,6 % | 12,6 % | 1,3 % | 15,4 % | 11,8 % |
Indépendants | 3,8 % | 6,9 % | 5,4 % | 5,5 % | 6,0 % | 5,9 % |
Total | 100,0 % | 100,0 % | 100,0 % | 100,0 % | 100,0 % | 100,0 % |
Source : CPEPE – calculs auteurs.
51Cinq ans après la sortie de l’enseignement, la qualité des emplois occupés s’est globalement améliorée, toutes formations confondues, mais la part d’emplois de mauvaise qualité (temps très partiel et bas salaires) reste conséquente. Les hommes sortants des formations MEP tirent un léger avantage en termes de qualité d’emploi, mais la situation des femmes se marque par davantage de précarité : trois quarts d’entre elles occupent après 5 ans un emploi de mauvaise qualité ou sont sans emploi.
Tableau 5 • Qualité de l’emploi 5 ans après la sortie de l’enseignement (3e degré secondaire qualifiant)
Formations AM | Formations MEP | |||||
Femmes | Hommes | Total | Femmes | Hommes | Total | |
N= | 2 698 | 2 274 | 5 472 | 548 | 1 632 | 2 180 |
Jamais travaillé | 8,1 % | 6,0 % | 7,1 % | 8,4 % | 5,1 % | 5,9 % |
Mauvaise qualité | 48,2 % | 31,0 % | 39,9 % | 51,8 % | 29,2 % | 34,9 % |
Autres emplois | 14,9 % | 33,4 % | 24,3 % | 5,3 % | 40,5 % | 31,6 % |
Indépendants | 9,4 % | 11,6 % | 10,5 % | 11,1 % | 12,3 % | 12,0 % |
Sans emploi | 19,4 % | 17,12 % | 18,2 % | 23,4 % | 12,9 % | 15,5 % |
Total | 100,0 % | 100,0 % | 100,0 % | 100,0 % | 100,0 % | 100,0 % |
Source : CPEPE – calculs auteurs.
52Une matrice de transition entre la situation du premier emploi et celle 5 ans après la sortie montre que les emplois de mauvaise qualité constituent souvent un piège à précarité : 60 % des personnes occupant ce type d’emploi après leurs études occupent toujours un emploi de ce type ou sont sans emploi après 5 ans. Les sortants des formations MEP sont un peu plus nombreux à passer d’un emploi de moindre qualité vers un autre emploi ou à se maintenir dans les emplois de meilleure qualité.
Tableau 6. Transitions entre premier emploi et 5 ans après la sortie des études (3e degré secondaire qualifiant)
Ensemble des formations (N= 7.137) | ||||||
5 ans après la sortie de l’enseignement | ||||||
Mauvaise qualité | Autres emplois | Indépendant | Sans emploi | Total | ||
Premier emploi | Mauvaise qualité | 47,2 % | 25,1 % | 8,1 % | 19,7 % | 100,0 % |
Autres emplois | 18,7 % | 56,8 % | 10,4 % | 14,2 % | 100,0 % | |
Indépendant | 11,4 % | 8,3 % | 64,3 % | 16,1 % | 100,0 % | |
Total | 38,5 % | 26,4 % | 10,9 % | 17,5 % | 100,0 % | |
Formations MEP (N=2.051) | ||||||
5 ans après la sortie de l’enseignement | ||||||
Mauvaise qualité | Autres emplois | Indépendant | Sans emploi | Total | ||
Premier emploi | Mauvaise qualité | 42,6 % | 31,4 % | 8,6 % | 17,4 % | 100,0 % |
Autres emplois | 14,0 % | 61,6 % | 14,0 % | 10,5 % | 100,0 % | |
Indépendant | 11,7 % | 6,3 % | 64,8 % | 17,2 % | 100,0 % | |
Total | 37,1 % | 33,6 % | 12,8 % | 16,5 % | 100,0 % |
Source : CPEPE – calculs auteurs.
Conclusion : des situations privilégiées pour les sortants « orientés pénuries » ?
53À l’heure où l’on vante l’importance des métiers techniques, notre analyse souligne le caractère lent et difficile de l’insertion des sortants des 6e et 7e années de l’enseignement qualifiant. Nous avons rappelé l’importance des inégalités hommes-femmes qui caractérisent l’orientation et le processus d’accès à l’emploi. Les sortantes mettent plus de temps à accéder à l’emploi, travaillent davantage à temps partiel (et souvent dans des très petits temps partiels) et se situent au bas de l’échelle des salaires journaliers.
54À titre d’hypothèses (H1 à H4), nous supposions qu’une situation de tension voire de pénurie déclarée sur le marché du travail (aussi caractérisée par un nombre élevé « d’emplois vacants ») conduirait à une insertion plus aisée et plus durable des sortants de formations aux métiers critiques ou en pénurie.
55Le suivi de près de 7 700 sortants durant 5 ans ne démontre pas cet avantage attendu. Sortir d’une formation MEP ne conduit pas plus vite à l’emploi et est associé à un usage plus intensif de l’intérim et du temps partiel. La première insertion se réalise en général dans un emploi que nous avions qualifié de mauvaise qualité, même si la situation s’améliore au fil du temps, mais pour les hommes uniquement. La mobilité semble importante et conduit les sortants de ces formations vers d’autres secteurs. Les hommes sortants des formations MEP (essentiellement dans l’industrie) semblent cependant bénéficier à terme de salaires journaliers supérieurs et de temps partiels plus proches du temps plein.
56Pour les femmes sortant des formations MEP, la situation s’avère en moyenne plus précaire que pour les sortantes AM : insertion moins rapide, moindre occupation, davantage d’intérim et de chômage et de temps partiels (souvent très petits).
57En résumé, si les gains associés aux MEP sont peu visibles pour l’ensemble des sortants, ils sont clairement négatifs pour les femmes. On en conclura provisoirement à une intervention urgente sur les conditions de travail et d’emploi dans ces métiers avant de gonfler les effectifs en formation.
58Cette première exploitation des données CPEPE relatives à l’emploi montre l’intérêt d’un outil de suivi longitudinal exhaustif des sortants de l’enseignement et ouvre quelques pistes pour son développement (information sur les métiers, le type de contrat par exemple). Elle appelle aussi de nombreux développements. Il serait ainsi intéressant de la complexifier en procédant à une analyse en termes de trajectoires professionnelles et de l’étendre aux sortants de l’enseignement supérieur. Le développement du CPEPE permettra aussi de bénéficier de périodes d’observations plus longues sur des cohortes plus nombreuses.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1Les sortants de l’enseignement qualifiant représentent 48 % des sortants des années diplômantes de l’enseignement secondaire.
2Les individus sélectionnés pour notre étude sont sortis de l’enseignement en dernière année ; l’information sur l’obtention du diplôme n’était pas (encore) disponible au moment de notre analyse.
3Organe sectoriel de concertation sociale. On compte 200 commissions paritaires (CP) en Belgique, souvent divisées en sous-commissions. Nous utiliserons les CP pour estimer les métiers.
415 % des sortants ont suivi un enseignement en alternance (19 % des hommes, principalement dans la construction ou l’industrie et 10 % des femmes, principalement dans le secteur du commerce).
5L’enseignement secondaire du 4e degré en soins infirmiers (hospitaliers ou psychiatriques) confère, après 3 ans d’études au-delà de la 6e secondaire, le titre d’infirmier breveté (ou « A2 »). Il concerne 10 % des sortantes de l’enseignement qualifiant (et 1 % des hommes). Chez les filles, il représente 40 % des formations en pénuries. Les sortants, souvent en reprise d’étude, ont un âge moyen de 29,8 ans. Ce degré concerne donc un public spécifique et ne forme qu’à un métier en pénurie ; ce qui rend peu pertinente une comparaison systématique avec les autres formations du D3.
6Nous utilisons ici les options de base groupées de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
7Sauf mention contraire, toutes les différences mentionnées dans le texte sont significatives (Khi2 à 95 %).
8L’indicateur porte précisément sur l’occupation à la fin du trimestre.
9On observe cependant des différences sectorielles : aucune option ne conduit de façon privilégiée les hommes vers une activité indépendante, alors que chez les femmes, un tiers des travailleuses indépendantes sont sorties d’une des trois formations suivantes : puériculture, commerce et coiffure.
10À titre de comparaison, parmi l’ensemble de la population à l’emploi en Wallonie, 16 % exerce une activité d’indépendant.
11Il s’agit d’une estimation dans la mesure où certaines études peuvent préparer à des métiers relevant de nombreuses commissions paritaires et que le secteur de l’intérim relève d’une convention spécifique. Pour la comparaison, nous avons pris en compte jusqu’à trois CP mentionnées sur les fiches métiers du SPE.
12Notons que si l’on compare les mobilités sectorielles entre premier et dernier trimestre occupé, on n’observe pas de différence significative entre les formations MEP et AM ; environ 55 % des femmes et 60 % des hommes ne changent pas de secteur entre ces deux moments. Par ailleurs, environ un tiers des individus ne changent pas d’emploi au cours de la période observée.
13Cinq ans après la sortie, 88,5 % des hommes en emploi salarié ont un temps de travail supérieur à 85 %, contre seulement 44,4 % des femmes.
14Le salaire médian à 25 ans est de 2 730 € bruts mensuels (valeur en janvier 2025), soit environ 2 000 € nets.
15Pour le 4e degré (brevet infirmier) en revanche, la part des emplois de mauvaise qualité est de 23 % lors du premier emploi et de 6 % après 5 ans.
Auteurs
-
Bernard Conter
Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS).
-
Claire Dujardin
Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS).

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