L’orientation aux choix comme levier de changement pour l’avenir : la proposition du projet PNRR OrientaUnito dans la région italienne du Piémont
p. 301-311
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Mots-clés : orientation scolaire-professionnelle, dispositif socio-éducatif, évaluation, insertion professionnelle, représentation du travail, Italie
Keywords : school guidance and vocational guidance, socio-educational scheme, evaluation, school-to-work transition, perception of work, Italy
Texte intégral
Introduction
1Cet article vise à analyser les processus par lesquels les élèves de 16 à19 ans en Italie construisent leurs attentes quant à leur avenir éducatif et professionnel. Une attention particulière sera portée à l’influence exercée par des variables sociodémographiques telles que le genre, le niveau d’éducation des parents et le type d’établissement fréquenté. Pour ce faire, nous utiliserons les données issues des suivis qualitatifs et quantitatifs des activités d’orientation scolaire et professionnelle mises en place dans le cadre du projet PNRR-OrientaUnito1, développé dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR2).
2L’objectif est de réduire les inégalités sociales et de prévenir le décrochage scolaire. À cette fin, il propose des parcours d’orientation destinés aux jeunes de 16 à 19 ans scolarisé·es dans les lycées et instituts techniques et professionnels de la région Piémont. Cette dernière, bien que située dans le nord-ouest de l’Italie, présente plusieurs indicateurs de désavantage juvénile, notamment un taux de NEET3 comparable à celui des régions du sud du pays (IRES, 2024).
3Dans un contexte comme celui de l’Italie, où les inégalités se cumulent tout au long du parcours de vie et dépendent en grande partie des ressources économiques et culturelles détenues par la famille d’origine (section 1), les politiques d’orientation pourraient jouer un rôle déterminant dans la réduction des inégalités sociales. À travers une approche mixte et longitudinale (section 3), nous évaluerons ainsi l’impact à court terme d’une politique d’orientation.
4Nous nous interrogerons sur les attentes et aspirations des élèves de l’enseignement secondaire quant à leur avenir éducatif et professionnel (section 4.1) et sur la manière dont les inégalités de genre, d’âge, d’appartenance sociale et de type d’établissement scolaire influencent les choix d’orientation scolaire et professionnelle (section 4.2). Nous poursuivrons en explorant les connaissances des jeunes sur le marché du travail italien et les compétences nécessaires pour y accéder (section 4.3).
5L’objectif est de comprendre si ce parcours permet d’élargir l’horizon des choix possibles pour les élèves et d’évaluer dans quelle mesure il favorise, même de manière limitée, un processus d’empowerment, les aidant à aborder l’avenir avec plus de conscience et de meilleures informations.
1. Le contexte institutionnel italien et la transition école-travail des jeunes
6La sociologie s’est souvent désintéressée de l’orientation. Son approche est pourtant fondamentale pour orienter et analyser les choix individuels au sein de la structure sociale. En effet, les individus, en s’orientant vers un choix, se confrontent à leur dotation individuelle en capital social, économique et culturel (Dubet, 2019 ; Felouzis, 2024), ainsi qu’avec le macro-contexte institutionnel dans lequel elles et ils évoluent. Leurs aspirations et attentes sont, d’une part, fortement influencées par la classe sociale d’appartenance et le parcours migratoire ; d’autre part, à un niveau macro, ces facteurs s’entrelacent avec les modèles de protection sociale ainsi qu’avec la structure et les politiques du marché du travail.
7Il est essentiel de contextualiser le cas italien afin de comprendre comment ces éléments influencent les choix et les opportunités des jeunes. En Italie, les diplômes ne constituent pas des signaux clairs sur le marché du travail, en raison du lien faible entre les qualifications académiques et les positions d’entrée sur le marché de l’emploi (Bernardi & Nazio, 2005). Le système éducatif, à lui seul, ne garantit pas une transition fluide vers l’emploi et doit être complété par des politiques d’accompagnement adéquates.
8Les formes d’emploi flexibles n’ont été introduites qu’à la fin des années 1990, sans que des mécanismes compensatoires suffisants aient été mis en place au sein du système de protection sociale. Cela a entraîné une forte segmentation entre les insiders, titulaires de contrats permanents bénéficiant d’un niveau élevé de protection sociale, et les outsiders, travaillant sous des contrats flexibles et disposant d’une protection sociale limitée (Regini, 2000).
9Par ailleurs, l’Italie accuse un retard dans le développement de politiques actives du marché du travail. Malgré certaines réformes récentes financées par les fonds du PNRR, qui ont introduit l’obligation d’activités d’orientation dans les établissements secondaires, comme le projet OrientaUnito, les politiques italiennes ont historiquement mis l’accent sur le rôle central de la famille dans la protection sociale et économique, notamment pour les jeunes ayant des contrats à durée déterminée. L’Italie illustre un modèle typique de régime de protection sociale méditerranéen (Ferrera, 1996), où la générosité des prestations sociales est nettement plus faible, et où la famille joue un rôle d’allié explicite de Welfare State (Saraceno, 1994), bien que son pouvoir protecteur se soit récemment affaibli (Barbieri, 2011). Les aides sociales sont moins universelles et ciblées sur des groupes spécifiques : en particulier, les travailleur·euses atypiques ainsi que les jeunes sont souvent exclu·es des prestations publiques ou ne perçoivent que des allocations limitées (ibid.).
10Les réponses adoptées face à cette situation varient selon le niveau de formation. Les jeunes hautement qualifié·es ont tendance à retarder leur entrée sur le marché du travail pour éviter d’accepter un emploi sous-qualifié et potentiellement sous-payé, tandis que les jeunes moins qualifié·es acceptent plus fréquemment des formes d’emploi atypiques comme tremplin vers une insertion plus stable (ibid. ; Rizza & Scarano, 2019 ; Bertolini, 2018).
11Pendant longtemps, le système éducatif italien n’a pas pris en charge cette transition et s’est souvent révélé incapable de transmettre aux jeunes les compétences professionnelles requises par le marché du travail. Leur acquisition est donc repoussée après l’entrée dans la vie active.
12Dans un contexte de complexité croissante et de précarisation du marché du travail, les jeunes en transition subissent alors un effet de déstabilisation (Lodigiani, 2005). Dans cette situation, l’orientation peut jouer un rôle central dans la construction de parcours éducatifs et professionnels cohérents avec les aspirations individuelles.
13Les recherches soulignent un lien entre manque d’orientation et fragmentation des trajectoires scolaires (Bertolini, 2018 ; Unt et al., 2021). Elles révèlent en particulier une accumulation des désavantages : les jeunes les plus vulnérables en termes de capital culturel et économique sont également celles et ceux qui rencontrent le plus de difficultés, d’abord pour achever leur parcours scolaire, ensuite pour accéder à un emploi de qualité. La stratégie de l’attente dans la recherche du travail idéal constitue aussi un mécanisme de reproduction des classes moyennes (Negri & Filandri, 2010), dans la mesure où seules celles et ceux issu·es de familles relativement aisées peuvent se permettre de retarder longtemps leur entrée sur le marché du travail. À l’inverse, les jeunes ne disposant pas de ce soutien familial protecteur sont contraint·es d’accepter le premier emploi disponible, se retrouvant ainsi piégé·es dans des cycles d’emplois précaires, faiblement rémunérés et peu valorisés.
2. Significations du travail et capacité d’aspiration
14Selon Gosetti (2022), en reprenant les concepts de Bourdieu, les besoins (exprimés/inexprimés), les significations attribuées au travail et les aspirations sont à l’origine de l’habitus, c’est-à-dire l’ensemble des orientations et des dispositions à agir à travers lesquelles une personne aborde le travail et évalue ses expériences. Les deux premiers éléments (besoins et significations) se concentrent principalement sur les dimensions temporelles du passé et du présent, tandis que le concept d’aspiration est introduit comme un « activateur d’une projection et d’une planification orientées vers l’avenir
» (Gosetti, 2022, p. 141). Les attentes (ou prévisions) représentent ce que la personne s’attend à pouvoir réaliser et permettent ainsi d’étudier ce qu’elle envisage et planifie pour son avenir, en lien avec une certaine idée du travail.
15Pour les jeunes, il est difficile de mettre en œuvre ce processus d’imagination en Italie, un contexte marqué par une forte insécurité professionnelle et par un nombre réduit de politiques actives et passives d’orientation et d’insertion professionnelle spécifiquement conçues pour elles et eux. Les ressources immédiates pourraient être liées à la capacité d’aller au-delà de ces limitations dans l’exercice même de l’imagination. Selon Appadurai (2014), « la capacité d’aspirer fournit l’horizon éthique au sein duquel les capacités les plus concrètes acquièrent sens, substance et durabilité
». Les capacités sont intrinsèquement liées au contexte et nécessitent ainsi un environnement social qui en permette la mise en pratique et la promotion (Nussbaum, 2003).
16En raison de cet état d’incertitude et d’instabilité (précarité) de la société et, en particulier, du marché du travail, Sennett (2006) souligne que les individus sont de plus en plus amené·es à « assumer un Moi orienté vers le court terme, centré sur les compétences potentielles
».
17Les recherches montrent que les jeunes ont du mal à imaginer et à concevoir leur futur professionnel (Bertolini, 2018). En particulier, elles et ils doivent affronter deux types d’incertitude : une « incertitude externe », où le marché du travail est perçu comme une entité opaque, non seulement par les jeunes ayant une connaissance limitée des règles du jeu, mais aussi par leurs familles, qui peinent à les soutenir dans la définition de leur parcours de vie et de travail ; et une « incertitude interne », qui correspond à la difficulté de comprendre quels sont leurs besoins et leurs aspirations. Il est difficile pour les jeunes de se projeter dans un avenir aussi incertain, au point que leur planification ne peut être envisagée qu’à court terme.
18Dans cette situation, même l’investissement dans l’éducation n’apparaît plus comme une certitude stable. L’école, en tant qu’institution, peine à définir sa propre fonction dans un monde en perpétuel changement (Cavalli, 2023). Cela entraîne un taux élevé de NEET en Italie et un faible nombre de diplômé·es de l’enseignement supérieur (OECD, 2024 ; Rosina, 2023).
3. Méthodologie de la recherche
19Le projet OrientaUnito4 propose des activités d’orientation (in)formatives destinées aux élèves de l’enseignement secondaire (lycées, instituts techniques et instituts professionnels) du Piémont, âgé·es de 15 à 20 ans5. Les parcours, conçus avec le soutien de psychologues, pédagogues et sociologues, ont été mis en place à partir de l’année scolaire 2022-23 et se poursuivront jusqu’en 2025-26. Ils s’étendent sur une durée d’un mois et demi et comprennent 15 heures réparties en 5 séances, au cours desquelles les participant·es sont accompagné·es dans la découverte de leurs modalités de choix, de leurs intérêts, de leurs valeurs professionnelles, de leurs compétences ainsi que des opportunités professionnelles (Ricchiardi & Lattanzi, 2023).
20La présente recherche s’appuie sur les activités de suivi menées dès la première année, combinant des méthodes qualitatives et quantitatives afin d’analyser de manière approfondie et élargie les phénomènes liés à l’orientation des élèves dans un contexte dynamique et interconnecté (Salvadori, 2019).
21La composante qualitative repose sur l’analyse de grilles d’observation et d’observations participantes réalisées lors des activités d’orientation. Les grilles d’observation, construites autour de thématiques basées sur les questions de recherche, ont concerné 6 classes et impliqué 75 élèves en 2022-23. En 2024-25, cette activité est encore en cours et les données présentées concernent celles recueillies auprès d’une classe IV d’un lycée et d’une classe IV d’un institut technique.
22La composante quantitative repose sur des questionnaires administrés en ligne aux élèves à partir de l’année scolaire 2022-23. Ceux-ci ont permis de recueillir des données longitudinales pour chaque année scolaire (N=997 pour l’année scolaire 2022-23 et N=7936 pour 2023-24), à deux moments distincts, au début et à la fin du parcours d’orientation.
23L’échantillon ici analysé (année scolaire 2022-23) comprend 997 élèves, participant·es aux parcours d’orientation financés par le PNRR et mis en œuvre par l’Université de Turin (tableau 1). La répartition selon le genre met en évidence une légère prédominance de participantes (51 %) ; 69 % des répondant·es ont entre 15 et 17 ans, et la majorité provient de petites (42 %) et moyennes (39 %) communes. 45 % des élèves sont issu·es d’un lycée, 42 % d’un institut technique et 13 % d’un institut professionnel.
Tableau 1. Description de l’échantillon des questionnaires aux élèves
Catégorie | N | % | |
Genre | F | 514 | 51 % |
M | 466 | 47 % | |
ND | 17 | 2 % | |
Âge | 15-17 ans | 687 | 69 % |
18-20 ans | 310 | 31 % | |
Lieu d’origine | Petit centre | 423 | 42 % |
Centre de taille moyenne | 388 | 39 % | |
Grand centre | 186 | 19 % | |
Type d’école | Lycée | 446 | 45 % |
Institut technique | 417 | 42 % | |
Institut professionnel | 134 | 13 % |
Source : données du questionnaire destiné aux étudiants, année scolaire 2022-2023 (N=997) – OrientaUnito – Calculs par les auteurs.
24De plus, en 2023-24, les questionnaires ont été étendus, avec un nombre de réponses limité, aux enseignant·es (N=56) ayant participé sur une base volontaire.
4. Résultats
25Dans cette section, nous chercherons à approfondir les questions de recherche (section 1), en analysant les données quantitatives et qualitatives recueillies lors des activités de suivi menées dans le cadre du projet OrientaUnito.
4.1. Un avenir marqué par l’incertitude
26L’analyse des questionnaires administrés aux élèves met en évidence que 64 % déclarent vouloir poursuivre leurs études après le diplôme, tandis que 27 % se disent incertain·es, révélant ainsi une situation d’indécision, bien que limitée.
27L’une des phrases les plus significatives qui émergent de l’enquête qualitative est la suivante : « J’ai peur de faire le mauvais choix et d’échouer
»6. L’urgence de prendre une décision concernant son avenir éducatif et/ou professionnel (généralement à 19 ans en Italie) suscite des réactions allant de l’inquiétude7 à l’anxiété manifeste8. De plus, avant le parcours d’orientation, 64 % des élèves affirment avoir une idée claire du métier qu’elles et ils souhaiteraient exercer. Après le parcours, toutefois, 20 % ont changé d’avis, soulignant la persistance des incertitudes. Ce résultat semble pouvoir être attribué à la fois à ce que l’on appelle « l’incertitude interne » et à « l’incertitude externe » (Bertolini, 2018).
4.2. Stéréotypes et orientation
28Les parcours d’orientation incluent des moments de réflexion sur les stéréotypes. Ces derniers, en tant que raccourcis cognitifs, peuvent influencer la représentation des trajectoires éducatives et professionnelles, limitant ainsi l’éventail des possibilités imaginées par les élèves. Ils sont donc particulièrement pertinents pour l’orientation, qui vise à façonner les parcours futurs, et pourraient constituer une réponse efficace pour tenter de déconstruire et dépasser ces préjugés.
Tableau 2. Poursuite des études
Vous souhaitez poursuivre vos études ? | |||||
Variable | Catégorie | Oui (%) | Non (%) | Ne sais pas (%) | Total |
Genre | F | 75 | 6 | 19 | 100 % |
M | 52 | 14 | 34 | 100 % | |
ND | 59 | 6 | 35 | 100 % | |
Type d’école | Lycée | 89 | 1 | 10 | 100 % |
Institut technique | 47 | 14 | 39 | 100 % | |
Institut professionnel | 34 | 26 | 40 | 100 % | |
Niveau d’études des parents | 100 % | ||||
Tous deux diplômés de l’université | Non | 61 | 10 | 29 | 100 % |
Oui | 83 | 3 | 14 | 100 % | |
Seule la mère est diplômée | Non | 62 | 10 | 28 | 100 % |
Oui | 76 | 4 | 20 | 100 % | |
Seul le père est diplômé | Non | 63 | 10 | 27 | 100 % |
Oui | 74 | 5 | 21 | 100 % |
Source : données du questionnaire destiné aux étudiants, année scolaire 2022-2023 (N=997) – OrientaUnito – Calculs par les auteurs.
29En particulier, les questionnaires (tableau 2) révèlent que les élèves filles sont plus enclines à poursuivre leurs études (75 % contre 52 % des garçons), tandis que les élèves garçons affichent un taux plus élevé d’indécision (34 % contre 19 % des filles) et de réponses négatives (14 % contre 6 %).
30Un autre facteur déterminant est le type d’établissement fréquenté. La volonté de poursuivre les études est nettement plus marquée parmi les élèves des lycées (89 %), comparé aux élèves des instituts techniques (47 %) et des instituts professionnels (34 %). Dans les instituts techniques et professionnels, la proportion de celles et ceux qui répondent « Je ne sais pas » augmente également (environ 39 % dans les deux cas), signe d’une plus grande incertitude quant aux perspectives d’avenir. Par ailleurs, c’est dans les instituts professionnels que l’on observe le pourcentage le plus élevé d’élèves qui ne souhaitent pas poursuivre leurs études (26 %).
31Concernant les stéréotypes liés à l’origine sociale, le niveau d’études des parents a été utilisé comme variable proxy. Ce facteur s’avère déterminant dans la construction des attentes éducatives. Le pourcentage d’élèves déclarant vouloir poursuivre leurs études est significativement plus élevé parmi celles et ceux dont les deux parents sont diplômé·es de l’enseignement supérieur (83 %), comparé aux élèves issu·es de familles ayant un niveau d’instruction plus faible (61 % parmi celles et ceux dont aucun parent n’est diplômé·e).
Tableau 3. Choix professionnel et changements après le parcours d’orientation
Vous savez déjà quelle profession vous souhaitez exercer ? | Après la formation, avez-vous changé d’avis sur la profession que vous vous imaginiez « faire quand vous serez grand » ? | Total | ||||
Variable | Catégorie | Oui (%) | Non (%) | Oui (%) | Non (%) | 100 % |
Genre | F | 60 % | 40 % | 20 % | 80 % | 100 % |
M | 68 % | 32 % | 20 % | 80 % | 100 % | |
ND | 70 % | 30 % | 30 % | 70 % | 100 % | |
Type d’école | Lycée | 54 % | 46 % | 20 % | 80 % | 100 % |
Institut technique | 70 % | 30 % | 18 % | 82 % | 100 % | |
Institut professionnel | 80 % | 20 % | 27 % | 73 % | 100 % | |
Niveau d’études des parents | 100 % | |||||
Tous deux diplômés de l’université | Non | 65 % | 35 % | 21 % | 79 % | 100 % |
Oui | 56 % | 44 % | 16 % | 84 % | 100 % | |
Seule la mère est diplômée | Non | 64 % | 36 % | 21 % | 79 % | 100 % |
Oui | 63 % | 37 % | 16 % | 84 % | 100 % | |
Seul le père est diplômé | Non | 64 % | 36 % | 20 % | 80 % | 100 % |
Oui | 62 % | 38 % | 19 % | 81 % | 100 % |
Source : Élaboration par les auteurs des données du questionnaire destiné aux étudiants, a.s 2022.2023 (N=997) – OrientaUnito.
32En comparant les résultats des questionnaires administrés avant et après le parcours d’orientation, plusieurs éléments intéressants émergent. Si l’on observe la variable de genre (tableau 3), avant l’orientation, les garçons avaient des idées plus arrêtées : 68 % d’entre eux savaient déjà quel métier ils souhaitaient exercer, contre 60 % de filles. Après le parcours, toutefois, les variations entre les deux groupes sont minimes. 20 % des filles et 20 % des garçons ont changé d’avis, signe que l’expérience a eu un impact similaire, indépendamment du genre.
33Les différences sont en revanche plus marquées selon les parcours scolaires. Les élèves des lycées sont celles et ceux qui, à l’entrée dans le programme, se sentaient le moins assuré·es quant à leur avenir professionnel : seulement 54 % avaient déjà une idée claire. Dans les parcours plus professionnalisants, comme les instituts techniques et professionnels, les pourcentages étaient plus élevés, respectivement 70 % et 80 %. Après le parcours, les élèves des instituts professionnels sont celles et ceux qui ont le plus reconsidéré leur choix, avec 27 % qui ont changé d’avis. Viennent ensuite les lycéen·nes, avec 20 %, tandis que dans les instituts techniques, la proportion baisse à 18 %. Ce résultat pourrait refléter la situation selon laquelle les élèves, suivant des formations plus professionnalisantes, ont eu l’opportunité de découvrir de nouvelles possibilités ou de réévaluer leurs choix.
34Certaines activités menées au cours des parcours visent spécifiquement à déconstruire les préjugés. La recherche qualitative permet de rendre compte plus directement des tentatives de sensibilisation des élèves à leur existence, afin de les reconnaître et de les surmonter. Une activité en particulier consiste à deviner la profession de personnes présentées en photo. Les résultats mettent en évidence la persistance des stéréotypes liés au genre et à l’origine migratoire. Par exemple, les élèves ont tendance à penser que les femmes n’occupent pas des rôles de direction, mais des fonctions davantage orientées vers le soin des personnes. Ce phénomène est particulièrement illustré par l’image d’une jeune femme asiatique, immédiatement identifiée comme masseuse par la majorité des participant·es9, révélant ainsi, en plus des stéréotypes de genre, ceux liés à l’origine migratoire. Cela souligne l’importance d’intégrer dans les parcours d’orientation des activités visant à déconstruire les stéréotypes, en réaffirmant que les compétences professionnelles ne dépendent ni de l’appartenance sociale ni de l’origine culturelle.
4.3. Connaissance du marché du travail et des compétences requises
35Dans le cadre de la transition école-travail, il est essentiel d’examiner comment les élèves perçoivent le marché du travail et les compétences nécessaires pour s’y insérer. Les questionnaires révèlent plusieurs éléments. Plus de 42 % des élèves considéraient leur avenir professionnel avec une grande inquiétude (tableau 4). Après le parcours d’orientation, une légère amélioration est observée : ce pourcentage diminue à 31 %. À la fin du parcours, le nombre de celles et ceux qui estiment que l’insertion professionnelle est difficile augmente légèrement. Ces éléments pourraient indiquer une montée en confiance des élèves en leurs propres capacités, accompagnée d’une vision plus concrète des opportunités disponibles.
36En ce qui concerne le genre, près de la moitié des filles (46 %) considéraient qu’il serait très difficile de trouver un emploi, contre 37 % des garçons. Après le parcours, cette perception s’améliore, bien que les garçons restent légèrement plus confiants. Les élèves des instituts professionnels ressentaient initialement plus d’anxiété que leurs homologues des lycées. Après le parcours, une amélioration générale est constatée, avec une baisse plus marquée de cette anxiété chez celles et ceux fréquentant les instituts professionnels.
37Le contexte familial joue également un rôle important : les élèves dont les parents sont diplômé·es de l’enseignement supérieur se montraient plus préoccupé·es (53 %) que celles et ceux dont les parents avaient un niveau d’éducation plus faible. Cependant, après le parcours, tous les groupes manifestent une plus grande confiance dans leur avenir professionnel.
38Ces résultats trouvent également un écho dans les observations participantes, qui révèlent une perception très stéréotypée du marché du travail. Bien que les élèves affirment que trouver un emploi est difficile, elles et ils ne semblent pas se rendre compte des conséquences de cette affirmation. Dans une classe10, lors de la consultation des statistiques du marché du travail sur le site www.atlantedelleprofessioni.it11, les taux d’emploi et de chômage étaient perçus comme des chiffres abstraits, éloignés et incompréhensibles, dont les implications leur échappaient. D’autres données ont toutefois suscité surprise et une réflexion. Les élèves ont trouvé excessif et difficilement compréhensible que, dans certains domaines disciplinaires, le temps moyen pour trouver un emploi (c’est-à-dire le temps mesuré uniquement pour les personnes ayant effectivement trouvé un poste) dépasse souvent six mois.
Tableau 4. Perception de la difficulté à trouver un emploi et niveau de connaissance des professions
Question | Réponses | Avant (%) | Après (%) |
Je pense qu’il est très difficile de trouver un emploi | Non | 14 % | 22 % |
Oui | 44 % | 47 % | |
Assez | 42 % | 31 % | |
Total | 100 % | 100 % | |
Je sais comment me renseigner sur les professions qui m’intéressent | Non | 20 % | 5 % |
Oui | 49 % | 39 % | |
Assez | 31 % | 56 % | |
Total | 100 % | 100 % |
Source : élaboration par les auteurs des données du questionnaire destiné aux étudiants, année scolaire 2022-2023 (N=997) - OrientaUnito ; confrontation questionnaire initial et final.
39Un autre aspect important concerne la perception des compétences. L’analyse des questionnaires révèle que 57 % des élèves estiment posséder des compétences seulement partiellement adaptées, que 37 % se sentent confiants et que 7 % ne se reconnaissent aucune compétence. Cela met en évidence un sentiment d’incertitude généralisé. La situation est d’autant plus complexe qu’en Italie les investissements en formation et en outils de soutien à l’insertion professionnelle restent limités (Rosina, 2023) et les jeunes ont eux-mêmes le sentiment de ne pas disposer des ressources suffisantes pour affronter les défis du monde du travail. L’école fournit des connaissances et des compétences, mais elle ne les relie pas toujours efficacement aux exigences du marché, laissant aux jeunes la responsabilité de combler cet écart par leur propre expérience (Pastore, Quintano & Rocca, 2021).
40Dans la majorité des cas, cependant, les jeunes n’ont pas eu l’occasion de se confronter au monde du travail : elles et ils manquent donc d’expérience et de repères. Par exemple, dans les classes observées en 202512, seul·es quelques élèves avaient envoyé un CV, passé un entretien ou exercé une activité professionnelle.
41Par ailleurs, une faible conscience des compétences acquises et de leur applicabilité professionnelle est observée ; certain·es ont même du mal à les identifier et à les relier aux moments clés de leur parcours de vie13, ainsi qu’à la réalité concrète du travail et à leur avenir professionnel14.
42L’un des obstacles majeurs reste la difficulté à trouver des informations claires et fiables sur les professions et les opportunités de carrière : « Quand je pense à mon avenir, j’ai l’impression de ne pas avoir assez d’informations
»15. C’est précisément cette soif de connaissance qui suscite l’intérêt des élèves pour toutes les activités, y compris celles de nature plus informative que pratique, portant sur les parcours universitaires, les professions et l’accès au marché du travail16. Toutefois, elles et ils semblent très désorienté·es quant aux sources où chercher et identifier les informations pertinentes, ce qui accentue encore leur sentiment d’incertitude face à l’avenir. C’est pourquoi certaines activités, conçues pour réfléchir aux caractéristiques des emplois souhaités ou non, se concentrent sur l’illustration d’aspects pratiques tels que le travail en horaires décalés, les contrats à durée déterminée, le travail à temps partiel, salarié ou indépendant.
43Ces observations se retrouvent également dans l’analyse des questionnaires (tableau 4) : avant le parcours, seulement 31 % des élèves savaient comment approfondir leur connaissance des professions, tandis qu’après l’orientation, cette proportion s’élève à 56 %. Après le parcours d’orientation, le pourcentage d’élèves ayant une faible conscience de leurs compétences diminue à 5 %. En revanche, la catégorie ayant une forte connaissance des professions et des compétences requises atteint 56 %, indiquant qu’une majorité d’élèves possède désormais une meilleure compréhension des ressources à mobiliser pour s’informer sur les professions.
44Ces résultats s’inscrivent dans un cadre plus large, où l’orientation apparaît comme un levier clé pour combler l’écart entre formation et réalité du travail, dans un système où le contexte socio-économique, les politiques de protection sociale et les dynamiques du capital culturel et économique influencent profondément les aspirations et les choix des jeunes (Lodigiani, 2005 ; Bertolini, 2018 ; Bertolini et al., 2022).
Conclusions
45Malgré des variations selon le type d’établissement où se déroule l’orientation, le genre des élèves et les activités proposées ainsi que leurs modalités de mise en œuvre (Ricchiardi, Torre & Lattanzi, 2023), les parcours semblent, bien que de manière limitée, élargir l’horizon des choix des élèves qui y participent.
46Les observations participantes montrent que, peut-être en raison de leur nouveauté, ces parcours parviennent à encourager les jeunes à mieux se connaître et à se confronter à la réalité de leur avenir éducatif et/ou professionnel. L’un des apports les plus ambitieux et significatifs du parcours réside dans le processus d’empowerment dans lequel il engage les élèves, en les poussant à se confronter à la réalité concrète des activités éducatives et professionnelles qui les attendent, et en les mettant en situation de rechercher et d’évaluer par elles et eux-mêmes les informations nécessaires pour faire des choix éclairés, en étant conscient·es que l’incertitude fait partie intégrante du processus décisionnel et qu’il est donc opportun d’envisager plusieurs solutions possibles.
47Cet aspect trouve un écho dans une question ouverte posée aux enseignant·es pour recueillir leurs retours :
« Nous avons pu constater un impact positif sur nos élèves [de troisième et de quatrième année], qui ont atteint un niveau plus élevé de conscience de leurs intérêts, de leurs aptitudes et de leurs compétences, avec une vision plus claire de leur parcours futur. Quelle que soit leur décision dans un an, elles et ils seront enfin conscient·es. Déjà maintenant, elles et ils ne répondent plus “je ne sais pas” à la question traditionnelle “que feras-tu après ?” »17.
48Les différences d’efficacité du parcours (plus marquées chez les filles que chez les garçons et dans les lycées par rapport aux instituts techniques et professionnels, cf. Ricchiardi et al., 2023) indiquent d’une part que les modalités d’orientation et les activités proposées ne suffisent pas à réduire les inégalités liées au genre et à l’origine sociale. Il est cependant nécessaire d’élargir les possibilités d’une orientation éducative qui, en Italie, permettrait d’affranchir les choix scolaires et professionnels de l’influence exclusive de la famille afin de réduire les inégalités culturelles et sociales. Un élément qui émerge est une prise de conscience accrue des élèves à l’égard de leurs choix et l’importance de leur présenter des outils facilitant la mise en relation entre jeunes et réalité actuelle du marché du travail. Dans ce contexte, des dispositifs comme l’Atlante delle Professioni peuvent jouer un rôle clé, en aidant les jeunes à mieux comprendre les compétences requises dans différents secteurs professionnels et à élargir leurs perspectives. En outre, une orientation efficace ne devrait pas se limiter à une fonction informative, mais aussi se concevoir comme un soutien aux jeunes dans l’affrontement de l’incertitude, en les aidant à développer des stratégies de choix éclairées.
Bibliographie
Appadurai, A. (2014). Il futuro come fatto culturale: Saggi sulla condizione globale. Raffaello Cortina.
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Notes de bas de page
1Désormais, OrientaUnito.
2Le plan national de relance et de résilience (Piano Nazionale di Ripresa e Resilienza, PNRR) fait partie du programme Next Generation EU, conçu après la pandémie. Il prévoit d’importants investissements ainsi que des réformes cohérentes, y compris dans le domaine de « l’Éducation et la Recherche » (voir ici : https://www.mef.gov.it/en/focus/The-National-Recovery-and-Resilience-Plan-NRRP/)
3Not in Employment, Education or Training : ni en emploi, ni en enseignement, ni en formation.
4Pour plus d’informations, consultez : https://www.unito.it/ricerca-e-innovazione/unito-il-pnrr/pnrr-orientaunito-percorsi-di-educazione-alla-scelta
5Celles et ceux-ci fréquentent les classes III, IV et V.
6Classe de IV, Institut Professionnel Accueil Touristique et Technicien Touristique, année scolaire 2023-24.
7Classe de IV, Institut Technique Touristique, observation participante 2024-25.
8Classe de IV, Lycée Sciences Appliquées, observation participante 2024-25.
9Classe IV, Institut technique touristique, observation participante 2024-25 et Classe IV, lycée des sciences appliquées, observation participante 2024-25
10Classe IV, Institut technique touristique, observation participante 2024-25
11Le site « Atlante delle Professioni » est un projet de l’Université de Turin qui regroupe les fiches descriptives de plus de 170 professions, détaillant les activités exercées, les environnements et conditions de travail, les parcours de formation ainsi que les compétences requises. Il constitue un outil facilement consultable, permettant d’inciter les jeunes à se confronter à la réalité concrète du monde du travail et à identifier ses éléments clés.
12Classe IV lycée sciences appliquées et classe IV institut technique touristique, observation participante 2024-25.
13Classe IV institut technique touristique, observation participante 2024-25.
14Cela a été constaté dans les observations participantes menées depuis 2022 jusqu’aux plus récentes de 2025, en passant par les grilles d’observation des consultant·es (2023-24).
15Classe IV prof. accueil touristique et technicien·ne touristique, grilles d’observation des consultant·es 2023-24.
16Grilles d’observation de nombreux·ses consultant·es (2023-24).
17Questionnaire aux enseignant·es 2023-24.
Auteurs
-
Sonia Bertolini
Université de Turin – Département de la culture, de la politique et de la société.
-
Marinella Vercelli
Université de Turin – Département de la culture, de la politique et de la société.
-
Lucia Cheller
Université de Turin – Département de la culture, de la politique et de la société.

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