Des chemins tortueux de précarisation : parcours d’insertion socioprofessionnelle des demandeurs d’asile au Québec (Canada)
p. 281-282
Entrées d’index
Mots-clés : travailleur migrant, travail précaire, Québec
Keywords : migrant worker, unstable employment, Quebec
Texte intégral
Résumé
1Depuis plus de cinq ans maintenant, on observe de nouvelles vagues d’entrées importantes des personnes demandeuses d’asile sur le territoire du Québec. Ainsi, bon an mal an, ce sont des dizaines de milliers de personnes, 65 570 en 2023, qui y ont déposé leur demande afin de tenter d’y obtenir le statut de réfugié. La littérature s’est essentiellement concentrée sur les conditions d’accueil et d’installation de ces personnes tandis que leurs conditions d’emploi ont été jusqu’à très récemment, très peu médiatisées, voire étudiées, alors qu’une grande majorité de ces personnes travaillent, occupant même souvent, simultanément, plusieurs emplois. Par ailleurs, depuis la crise sociosanitaire liée à la pandémie de COVID-19, un voile a été levé sur le rôle que jouent ces personnes dans l’économie québécoise, qualifiées de travailleurs « essentiels » lorsque le système était au plus fort de la crise. Cependant, malgré une prise de conscience collective de l’importance de leur rôle au sein du marché du travail, rares sont les pratiques d’accompagnement et de soutien pour leur insertion en emploi. Leur accès aux programmes et mesures d’aide à l’emploi demeure extrêmement limité et peu connaissent leurs droits face aux normes du travail. Ceci les expose à de multiples enjeux en termes, par exemple, de précarité d’emploi (Vosko, 2006), d’heures de travail, de rémunération, etc.
2Cette communication portera sur la précarisation du parcours socioprofessionnel des demandeurs d’asile dans la région de la Capitale-Nationale (Québec, Canada). La compréhension de l’articulation et des facteurs contextuels des trajectoires des personnes demandeuses d’asile a constitué l’objectifs principal d’un projet de recherche. Les données à l’appui de cette présentation proviennent du projet intitulé « Au-delà de l’entrée irrégulière : parcours migratoire et d’insertion socioprofessionnelle des demandeurs d’asile au Québec ». Il s’agit d’une recherche dont l’approche méthodologique qualitative s’inscrit dans une perspective longitudinale en mobilisant l’approche des parcours de vie (Elder, 1998). Une première série d’entretiens semi-dirigés auprès de trente demandeurs d’asile entre 2020 et 2021 a permis d’explorer la succession des emplois et les conditions de travail des participants et de mieux comprendre « la spirale de précarité » dans laquelle ils sont à risque de tomber, tandis qu’une seconde salve d’entrevues, menées auprès de ces mêmes participant·es entre un an et dix-huit mois après la première rencontre, a rendu possible l’exploration de la structure et des points tournants de leurs parcours.
3Deux points majeurs ont émergé des analyses. D’abord la question de la précarité a été centrale lors de l’analyse des résultats. Celle-ci a été mobilisée en partant des quatre dimensions de la précarité de Rodgers et Rodgers (1989), c’est-à-dire : l’insécurité du lien d’emploi, le peu de contrôle sur son travail, le déficit de protection réglementaire et la faiblesse du revenu. Par ailleurs, la perspective longitudinale résultant du regard rétrospectif proposé lors des premières entrevues et puis prospectif lors des secondes, a mis de l’avant des points tournants et des bifurcations liés certes aux différentes sphères de vie des personnes rencontrées, mais aussi et surtout aux facteurs contextuels. Au-delà des trois types de parcours mis de l’avant (cul-de-sac, escaliers roulants, échelles et serpents) les analyses ont démontré des enjeux structuraux compromettant les possibilités, pour les demandeurs d’asile, de sortir de cette spirale de précarité qui jalonne leur trajectoire d’insertion socioprofessionnelle. Il en découle une véritable normalisation des parcours de précarisation (Rubery et al., 2018).
4Enfin, l’analyse des trajectoires au regard de l’action publique (McDaniel & Bernard, 2011) a permis de révéler les conditions susceptibles d’induire des points tournants dans les parcours des demandeurs d’asile. Au-delà des facteurs biographiques, les facteurs contextuels et de discrimination institutionnelle s’imbriquent et se conjuguent pour affecter les trajectoires.
Bibliographie
Elder, G. H. (1998). The life course as developmental theory. Child Development, 69(1), 1-12.
McDaniel, S. & Bernard, P. (2011). Life course as a policy lens: Challenges and opportunities. Canadian Public Policy, 37(Supplement 1), 1-13.
Rodgers, G. & Rodgers, J. (eds). (1989). Precarious jobs in labour market regulation: the growth of atypical employment in Western Europe. Genève : ILO.
Rubery, J., Grimshaw, D., Keizer, A. & Johnson, M. (2018). Challenges and contradictions in the ‘normalising’ of precarious work. Work, Employment & Society, 32(3), 509–27.
Vosko, LF. (ed). (2006). Precarious employment: understanding labour market insecurity in Canada. Montreal : McGill-Queen’s University Press.
Auteur
-
Aline Lechaume
Université Laval, Québec.

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