Enseignants et position sociale des établissements : une approche par les trajectoires de mobilités
p. 229-239
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Mots-clés : enseignant, mobilité professionnelle, collège, ZEP - zone d'éducation prioritaire
Keywords : teacher, occupational mobility, lower secondary school, ZEP - priority education zone
Texte intégral
Introduction
1La crise que traverse le groupe professionnel des enseignants (Charles et al., 2023 ; Charles et al., 2020 ; Farges & Szerdahelyi, 2024) et les déficits observés dans certaines académies et dans certaines filières influencent la mobilité des personnels. À Créteil ou Versailles, le manque de professeurs rend d’autant plus difficile le départ de ceux en poste vers une autre académie. En retour, les gestions de carrières apparaissent comme un point faible pour l’attractivité du métier. Ainsi, la Direction des études de la prospective et de la performance (DEPP) relevait que pour 34 % des professeurs avec moins de cinq ans d’ancienneté, la mobilité géographique était un axe d’amélioration prioritaire (Radé, 2023).
2Les mouvements d’enseignants entre établissements scolaires sont aussi importants sur le plan des inégalités sociales. Si ces derniers quittent les écoles et collèges défavorisés (Hanushek & Rivkin, 2012 ; Léger, 1981), alors les déficits observés se conjuguent avec la ségrégation socio‑scolaire des élèves (Oberti & Savina, 2019). Néanmoins, cette fuite n’est pas mécanique. Le statut de fonctionnaire des professeurs s’accompagne d’une gestion centralisée de leurs affectations. Leurs mobilités sont donc au cœur d’un arbitrage entre liberté de mouvement et nécessité de service. De plus, des mesures politiques sont mises en place pour renforcer l’attractivité des établissements de l’éducation prioritaire (EP), octroyant aux enseignants qui y exercent des primes et des bonifications pour la suite de leur carrière (Prost, 2013).
3Dans ce contexte, nous proposons une nouvelle approche des mobilités. La perspective longitudinale permet de décrire finement les trajectoires des enseignants au fil de leurs mouvements successifs. Il est alors possible de dresser une typologie de ces parcours en relation avec la composition sociale des établissements. La fuite de l’enseignement prioritaire n’est pas un phénomène majoritaire sur la période observée. Néanmoins, la dynamique des trajectoires montre que les postes dans les établissements défavorisés continueront à être remplis par les cohortes successives de jeunes enseignants tant que ne seront pas renforcées les mobilités des enseignants en collège ordinaire vers l’éducation prioritaire.
1. Littérature : mobilités et immobilités des enseignants
4Les études pionnières sur la mobilité des enseignants envisageaient ce phénomène dans le cadre des carrières professionnelles (Ball & Goodson, 1985 ; Becker, 1952 ; Chapoulie, 1987 ; Léger, 1981). Pour H. Becker, cette « mobilité horizontale », entre établissements, constitue la modalité principale d’évolution au sein d’une profession avec peu d’opportunités d’évolutions statutaires (mobilité verticale). Les professeurs élaborent des stratégies pour se diriger progressivement vers une école qu’ils trouvent plus agréable et a fortiori avec des élèves plus scolaires et socialement favorisés. Ce résultat est confirmé dans le contexte français par A. Léger (1981) qui note que les établissements favorisés sont également de beaux bâtiments, dans des quartiers bourgeois. C’est cet ensemble d’éléments, et non seulement les élèves, qui semblent attirer les professeurs au fil de leur carrière.
5À partir des années 1990, c’est la question de l’attrition1 des enseignants qui occupe le devant de la scène, notamment aux États-Unis. Les travaux s’intéressent aux caractéristiques individuelles qui favorisent ces départs. L’âge, l’ancienneté, le salaire, la matière enseignée apparaissent comme des facteurs déterminants (Boe et al., 1997 ; Shen, 1997). Au tournant des années 2000, R. M. Ingersoll (2001a, 2001b) propose de déplacer la perspective des caractéristiques individuelles des enseignants vers les caractéristiques organisationnelles des établissements. De nouveaux facteurs sont alors ajoutés aux modèles explicatifs : la taille de l’école, son implantation territoriale, les caractéristiques de ses élèves, son statut public ou privé ou encore le mode de management et les relations entre personnels (R. M. Ingersoll & May, 2012 ; Ladd, 2011 ; Van Eycken et al., 2024). Des travaux plus rares vont également analyser l’interaction entre caractéristiques organisationnelles et caractéristiques individuelles (Scafidi et al., 2007). Dans l’ensemble, cette perspective va permettre de nuancer certaines prénotions : toutes les écoles défavorisées ne voient pas leurs enseignants partir chaque année (Lothaire et al., 2012).
6Néanmoins, les études citées partagent un même paradigme : le raisonnement « toutes choses égales par ailleurs » (Abbott, 1988). Appliqué à la mobilité des enseignants, cela a, selon nous, deux grandes limites. Premièrement, la temporalité des mobilités n’est saisie que de manière indirecte et figée au travers de l’âge ou de l’ancienneté, mais nous ne savons rien des séquences de mobilités. Or, il y a de grandes chances qu’un changement ait différentes raisons et différentes conséquences selon sa place dans la carrière de l’individu. Surtout, la mobilité est perçue sous un prisme différentiel, on s’intéresse aux différences de taux de mobilités entre plusieurs sous-groupes. Mais cela néglige un résultat aussi important que basique : la grande majorité des enseignants ne bougent pas d’une année sur l’autre : en France, la mobilité des enseignants entre 2022 et 2023 est de 8,3 %2 (DEPP, 2024).
7Un large pan de la littérature, plutôt axé sur des recherches qualitatives, a ainsi pointé l’immobilité des enseignants. La thèse d’H. Becker (1952) identifiait déjà ces enseignants qui ne bougent pas, même d’un établissement difficile. Ces derniers s’adaptent à leur contexte d’enseignement, si bien que changer de lieux d’exercice leur semble trop coûteux (Becker, 1960). Ainsi, dans des contextes où l’offre scolaire est fortement différenciée comme en Suède ou en Australie, les enseignants effectuent des mobilités dites « immobiles », c’est-à-dire qu’elles s’opèrent entre des établissements similaires (Bertilsson, 2017 ; Dannefjord et al., 2023 ; Parding et al., 2017 ; Persson & Dannefjord, 2022). Mais cela s’observe également en France, y compris dans des établissements défavorisés. M.-F. Grospiron et A. van Zanten (2001) montrent que les enseignants adaptent leurs attentes du métier et leur manière d’enseigner à ces contextes. Elles ajoutent qu’une « fuite du métier », un désengagement professionnel, peut avoir lieu sans qu’il y ait une démission ou un changement de poste
8Ainsi, pour comprendre les trajectoires des professeurs qui aboutissent à leur inégale répartition entre établissements, il convient d’appréhender à la fois les moments de changement et les périodes de stabilité. L’approche longitudinale permet cette combinaison. Plutôt que de s’intéresser aux profils moyens des professeurs qui partent ou de ceux des établissements qui sont quittés, nous nous demandons quelles sont les types de trajectoires entre établissements, et dans quelle mesure ces parcours participent à l’inégale répartition des enseignants.
2. Champ, source, et méthode d’analyse
2.1. Champ : Les enseignants des collèges publics
9Dans cette étude, nous nous intéressons à la cohorte des enseignants en collèges titularisés en 2009 que nous suivons jusqu’en 2023 (3 585 individus, 53 775 observations). Par cette focale sur leurs quinze premières années, nous souhaitons appréhender deux moments : le début de carrière et la stabilisation (Huberman, 1989). En début de carrière, les jeunes professeurs n’accèdent pas toujours à un poste définitif. Quand aucun de leur vœu ne peut être satisfait, ils sont affectés sur un établissement ou sur une zone de remplacement de manière temporaire. Dans ce cas, ils participent aux campagnes de mobilités jusqu’à obtenir une affectation souhaitée. Ils sont alors titulaires de leur poste de manière définitive. À partir de ce moment il est possible d’envisager une phase de stabilisation.
2.2. Sources des données
10Les données utilisées proviennent du panel des personnels de l’éducation nationale produit par la DEPP. Depuis 2008 ces données renseignent chaque année scolaire l’établissement occupé par les enseignants et certaines caractéristiques individuelles liées à leur carrière (ancienneté dans l’enseignement, ancienneté dans l’établissement, corps, matière enseignée, modalité de l’affectation). Le panel indique également l’âge, le sexe des individus et l’appartenance des établissements à une politique de l’éducation prioritaire.
2.3. Méthode d’analyse
11Pour analyser les différentes trajectoires effectuées par les enseignants de notre cohorte, nous codons chaque type d’établissement et de situation dans lesquels ils peuvent se retrouver (annexe 1). Concernant, les établissements nous distinguons les collèges en éducation prioritaire (C_EP) des collèges ordinaires (C_ORD). Nous verrons que les nouveaux enseignants se retrouvent aussi fréquemment en zone de remplacement (ZR).
12La combinaison de ces situations forme différentes séquences qui correspondent aux trajectoires des professeurs. Le premier enjeu est de décrire ces parcours, leur répartition et comment ils aboutissent à une inégale répartition de la cohorte entre collèges de l’éducation prioritaire et collèges ordinaires. Puis nous élaborerons une typologie des trajectoires en calculant la dissimilarité des séquences deux à deux (Gabadinho et al., 2011 ; Macindoe & Abbott, 2004). Cet indice de dissimilarité nous permet ensuite de faire une classification par ascendance hiérarchique (CAH) pour aboutir à une typologie en sept classes. Enfin, nous croisons la typologie obtenue avec le genre et l’académie de départ des enseignants.
3. Résultats
3.1. Description des trajectoires
13Les trajectoires observées des professeurs au cours de leurs quinze premières années traduisent une certaine tendance à l’immobilisme. La médiane est de trois changements d’établissements sur la période observée, mais ce chiffre est essentiellement porté par les enseignants dont l’affectation est temporaire. En revanche, une fois titulaire de leur poste, la majorité d’entre eux (56 %) reste dans leur établissement jusqu’en 2023. Les débuts de carrières sont également marqués par les remplacements. Cette situation est parfois négligée dans les études sur les enseignants (à l’exception notable des travaux de Xavière Lanéelle [2007a, 2007b, 2011]) ; or, nous verrons que les mobilités entre établissements sont liées à ce statut.
3.1.1. Des trajectoires peu mobiles et marquées par des remplacements
14Parmi les 3 585 enseignants suivis, 59,4 % des trajectoires correspondent à l’une des séquences présentées dans le tableau 1.
Tableau 1. Fréquences des dix séquences les plus communes
Séquence | Fréquence observée (%) |
ZR -> C_ORD | 17,8 |
C_ORD | 16,5 |
C_EP -> C_ORD | 7,2 |
C_EP | 5,1 |
ZR -> C_EP | 5 |
ZR -> C_EP -> C_ORD | 3 |
C_ORD -> C_EP | 2 |
C_ORD -> C_EP -> C_ORD | 1,6 |
ZR | 1,2 |
Note de lecture : 7,2 % des enseignants de la cohorte sont passés de collèges
en éducation prioritaire à des collèges ordinaires.
Champ : cohorte des enseignants en collège public, néo-titulaires en 2009.
Source : panel des personnels de l’éducation nationale, DEPP.
15Ces trajectoires gravitent autour de trois situations : le remplacement, le collège ordinaire et le collège en EP. La séquence la plus fréquente, qui concerne plus d’un enseignant sur six dans notre cohorte, est celle marquée par des débuts en tant qu’enseignant remplaçant puis un passage en tant qu’enseignant dans un collège ordinaire. Les remplacements sont donc non négligeables, ils s’observent dans quatre des dix séquences les plus fréquentes. Néanmoins, il s’agit souvent d’une situation temporaire en tout début de carrière (44 % de la cohorte en 2009, 12 % en 2015 et 5,5 % en 2023). Les trajectoires « immobiles » sont aussi relativement fréquentes, elles concernent 22,8 % des enseignants. Ce sont surtout ceux en collège ordinaire qui ont tendance à rester dans ce type d’établissement. Néanmoins, alors que les collèges d’éducation prioritaire sont souvent vus comme des repoussoirs, nous pouvons noter que 5 % de la cohorte y reste tout au long de leurs quinze premières années d’exercice et que 5 % supplémentaire y arrivent après un passage comme remplaçant.
16Cette faible mobilité peut d’abord s’expliquer par le régime des affectations de postes. C. Terrier, J. Combe, et O. Tierceux (2019) ont montré que l’algorithme actuel mène à de fortes limitations en partie causées par les différentiels d’attractivité entre académies. En 2013, le ratio entre le nombre de titulaires voulant rentrer dans l’académie de Rennes et le nombre voulant en sortir était de 15,5 ; ce ratio était de 0,03 dans l’académie de Créteil. Dans ce contexte, seulement 44 % des mobilités ont été satisfaites3.
17En plus des écarts entre demandes de mobilités et mobilités effectives, il faut considérer l’engagement (« commitment ») (Becker, 1960) des enseignants dans leur établissement. Cela va de pair avec une « adaptation contextuelle » (Grospiron & Henriot-Van Zanten, 2001). Autrement dit, les enseignants investissent et s’adaptent à leur établissement, à leurs élèves, à leurs collègues et développent des connaissances et des savoir-faire spécifiques à ce contexte. En revanche, ces dispositions professionnelles ne sont pas directement transférables. Plus les contextes sont différents, plus le coût d’un changement est important (Parding et al., 2017 ; Persson & Dannefjord, 2022). L’engagement professionnel s’accompagne aussi souvent d’un investissement dans l’espace local (achat d’une maison, développement d’un cercle de sociabilités…) accentuant l’attachement à un lieu d’exercice. Les auteurs notent que ce phénomène se retrouve aussi bien dans les établissements favorisés que défavorisés ; même dans des contextes difficiles, les enseignants développent un capital local qui limite les envies d’ailleurs (Grospiron & Henriot-Van Zanten, 2001 ; Persson & Dannefjord, 2022).
3.1.2. Les flux vers l’éducation prioritaire dépendent du stock d’enseignants remplaçants
18Les enseignants qui passent de l’éducation prioritaire à l’éducation ordinaire rassemblent 11 % de notre cohorte. En somme, il y a à peu près autant d’enseignants qui arrivent et/ou qui restent dans l’éducation prioritaire que d’enseignants qui en partent. Cette situation d’équilibre nuance l’idée d’une fuite des professeurs des collèges défavorisés. Elle pourrait marquer la réussite de politiques incitatives qui accordent des primes et des bonifications sur les mobilités futures à un passage en EP (Prost, 2013). Néanmoins, une importante nuance doit être apportée : les flux vers l’éducation prioritaire ne sont pas constants sur les quinze années d’observation, ils tendent plutôt à se réduire (graphique 1).
Graphique 1. Fréquences d’enseignants en zone de remplacement, éducation prioritaire et éducation ordinaire

Note de lecture : C_ORD = collège ordinaire ; C_EP = collège en éducation prioritaire ; ZR = zone de remplacement.
Champ : cohorte des enseignants en collège public, néo-titulaires en 2009.
Source : panel des personnels de l’éducation nationale, DEPP.
19La distribution des enseignants entre remplacements, EP et éducation ordinaire change drastiquement sur la période observée. En 2009, la situation la plus fréquente est le remplacement (44 % de la cohorte), mais cette situation devient rapidement de plus en plus rare (7 % en 2018). La distribution des enseignants en éducation ordinaire suit le parcours inverse : 30 % en 2009, 57 % en 2023. Enfin, il y a de plus en plus d’enseignants en EP jusqu’en 2013, puis cette proportion diminue jusqu’à passer un peu au-dessous de son niveau initial (19 % en 2009, 18 % en 2023). Ainsi, bien qu’il n’y ait pas une chute de la proportion d’enseignants en EP, la tendance est bien à la baisse. Les arrivées en EP sont majoritairement le fait d’enseignants auparavant en zone de remplacement. Mais le stock de ces remplaçants diminuant, les entrées dans l’EP décroient tout autant. En revanche, les enseignants qui quittent l’éducation prioritaire sont de plus en plus nombreux. À partir de 2013, le rapport s’inverse : le nombre de départs vers l’éducation ordinaire est supérieur au nombre d’arrivées.
20Les postes en EP devront donc être pourvus par les cohortes suivantes et ce mécanisme maintient une plus forte proportion de jeunes enseignants dans ces établissements. Si les politiques publiques mises en place ont permis de retarder le départ des professeurs des collèges défavorisés (Prost, 2013), nous montrons que la baisse des flux entrants et leur dépendance au stock de professeurs remplaçants est tout aussi problématique. Même réduits, les départs de l’éducation prioritaire vers l’éducation ordinaire ne sont pas compensés par des trajectoires inverses. Dès lors, l’inégale répartition d’une cohorte d’enseignant s’accentue au fil des années et des mobilités successives.
213.2. Typologie des trajectoires et diversité des profils
22Dans cette deuxième partie nous étudions la variation des parcours selon le genre des professeurs et les académies où ils exercent. L’analyse prend ici en compte la durée passée dans chaque situation. Pour dresser une typologie des trajectoires, nous avons recours à la méthode de l’optimal matching (Macindoe & Abbott, 2004) qui calcule un indice de dissimilarité entre chaque séquence deux à deux. Avec cette méthode, une séquence C_EP -> C_ORD est regroupée avec les séquences C_EP si le changement n’intervient qu’au tout dernier moment.
Graphique 2. Typologies des séquences

Note de lecture : C_ORD = collège ordinaire ; C_EP = collège en éducation prioritaire ; ZR = zone de remplacement. Les cinq séquences les plus fréquentes dans chaque groupe sont affichées, leur épaisseur est proportionnelle à leur fréquence relative. Dans le groupe des trajectoires ZR -> C_ORD, ces séquences représentent 49,5 % des séquences observées.
Champ : cohorte des enseignants en collège public, néo-titulaires en 2009.
Source : panel des personnels de l’éducation nationale, DEPP
3.2.1. Trajectoires et genre
23Les débuts de carrière entrepris par les enseignants au gré de leurs affectations peuvent s’avérer déterminants pour la suite (Huberman, 1989). Néanmoins, il est probable que ces trajectoires dépendent également de dispositions préalables. Le genre est un facteur déterminant dans la plupart des parcours professionnels, et l’enseignement, bien qu’étant largement féminisé, n’échappe pas à la règle (Moreau, 2011).
Tableau 2. Tri croisé entre le genre et le type de trajectoires suivies
ZR -> C_ORD | C_EP | C_ORD | C_EP -> C_ORD | ZR | Autres affectations | Hors de l’enseignement | |
Hommes | 13,6 | 23,9 | 30,9 | 8,4 | 10,9 | 7,6 | 4,8 |
Femmes | 15,6 | 21,9 | 35,4 | 6,9 | 10,2 | 7,2 | 2,8 |
Total | 14,9 | 22,5 | 33,9 | 7,4 | 10,5 | 7,3 | 3,5 |
p-value = 0,02.
Note de lecture : C_ORD = collège ordinaire ; C_EP = collège en éducation prioritaire ; ZR = zone de remplacement. 35,4 % des enseignantes de la cohorte suivent des trajectoires en collèges ordinaires
Champ : cohorte des enseignants en collège public, néo-titulaires en 2009.
Source : panel des personnels de l’éducation nationale, DEPP.
24Les écarts observés (tableau 2) indiquent une corrélation significative entre le genre et les trajectoires effectuées. En premier lieu, les hommes sont surreprésentés dans des parcours menant à une sortie précoce de l’enseignement. Néanmoins, ce type de trajectoire demeure minoritaire (3,5 % de le cohorte) et n’est pas forcément négative. Par exemples, certains enseignants du secondaire peuvent passer dans l’enseignement supérieur. Concernant les trajectoires entre établissements, les hommes se retrouvent plus fréquemment dans l’éducation prioritaire. Le choix de passer par des établissements défavorisés demande certaines ressources (notamment émotionnelles et temporelles pour gérer les difficultés sociales et scolaires des élèves) et un rapport au métier qui doit dévier de la pure transmission de connaissances (Blanchard, 2023 ; Grospiron & Henriot-Van Zanten, 2001). Cependant, le choix des établissements en éducation prioritaire peut s’avérer être un investissement rentable pour la suite de la carrière. Il garantit une hausse de revenus pour les jeunes professeurs via des primes, une bonification du barème de mobilité et apporte une expérience souvent valorisée par les inspecteurs de l’Éducation nationale. En ce sens, le passage par l’éducation prioritaire n’entre pas forcément en contradiction avec des carrières plus favorables aux enseignants qu’aux enseignantes.
3.2.2. Trajectoires et académies
25Les académies de Versailles et de Créteil concentrent à elles seules 39 % des nouveaux enseignants en 2009. Si nous ajoutons les académies de Lille et d’Amiens, nous obtenons les premières académies d’affectation de 50 % de notre cohorte. En se focalisant sur ces quatre académies (et celle de Grenoble par contraste), nous souhaitons mettre en lien les différents types de débuts de carrière avec l’offre de postes en établissements (tableau 3).
Tableau 3. Tri croisé entre les académies de première affectation et le type de trajectoires suivies
ZR -> C_ORD | C_EP | C_ORD | C_EP -> C_ORD | ZR | Autres affectations | Hors de l’enseignement | |
Lille | 11,2 | 34,0 | 29,1 | 5,3 | 9,7 | 6,3 | 4,4 |
Amiens | 9,3 | 25,7 | 37,2 | 9,8 | 12,0 | 3,3 | 2,7 |
Créteil | 11,9 | 27,9 | 27,9 | 10,8 | 10,2 | 8,0 | 3,4 |
Versailles | 16,0 | 22,3 | 27,6 | 8,8 | 13,9 | 7,8 | 3,7 |
Grenoble | 18,2 | 7,0 | 44,1 | 9,1 | 11,9 | 8,4 | 1,4 |
Toutes académies | 14,9 | 22,5 | 33,9 | 7,4 | 10,5 | 7,3 | 3,5 |
p-value < 0,001
Note de lecture : C_ORD = collège ordinaire ; C_EP = collège en éducation prioritaire ; ZR = zone de remplacement. 34 % des enseignants de l’académie de Lille suivent des trajectoires en collèges de l’éducation prioritaire.
Champ : cohorte des enseignants en collège public, néo-titulaires en 2009.
Source : panel des personnels de l’éducation nationale, DEPP.
26Les enseignants débutant dans les académies de Lille et Créteil suivent beaucoup plus que leurs collègues des parcours en éducation prioritaire. À Créteil, il y a la même proportion d’enseignants qui restent dans ces collèges défavorisés pendant leurs quinze premières années que d’enseignants qui restent en collège ordinaire (27,9 %). Il y a également une surreprésentation des enseignants qui quittent l’EP pour aller vers des collèges plus favorisés. Les résultats de l’académie de Lille sont encore plus frappants : 34 % des enseignants débutants dans cette académie sont dans le groupe des trajectoires de l’EP contre 22,5 % dans l’ensemble des académies. Contrairement à Créteil, les enseignants lillois sont aussi sous-représentés parmi ceux quittant l’éducation prioritaire. L’offre d’établissement dans ces académies permet d’expliquer une partie des résultats : 33 % des élèves sont en EP dans l’académie de Lille, 36 % à Créteil. À l’inverse dans l’académie de Grenoble où 12 % des collèges sont en EP, 44,1 % des trajectoires de la cohorte se font dans des collèges ordinaires.
27Les académies d’Amiens et de Versailles se distinguent sur d’autres aspects, notamment la proportion d’enseignants qui perdurent en zone de remplacement (respectivement 12 % et 13,9 %). Les enseignants versaillais passent aussi plus fréquemment de la zone de remplacement à des collèges ordinaires, là où ceux d’Amiens restent surreprésentés dans les parcours liés à l’EP. Néanmoins, le type de trajectoire le plus fréquent dans l’académie d’Amiens comme dans l’académie de Versailles reste l’enseignement en collèges ordinaires. Ainsi, il serait difficile d’expliquer la faible attractivité de ces académies et leur grande proportion de jeunes titulaires uniquement par la présence d’établissements défavorisés. Le déséquilibre entre postes ouverts et nombre d’admis aux concours est une première piste d’explication. Parmi les enseignants affectés à Versailles, nombre d’entre eux ne proviennent pas de cette région. Cela implique une dissociation géographique entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale. Cette séparation peut être d’autant plus difficile à vivre que l’affectation n’est pas choisie. Ainsi, 57 % des enseignants de la cohorte débutant à Versailles n’y exercent plus en 2023, c’est aussi le cas de 67 % d’entre eux à Créteil et 47 % à Amiens. À l’inverse, l’académie de Lille, se démarque par une forte rétention de ses professeurs (79 %), bien qu’ayant une forte proportion d’élèves en EP.
Conclusion
28L’approche longitudinale des débuts de carrière des enseignants en collège permet de battre en brèche certaines idées reçues sur les mobilités entre établissements défavorisés et favorisés. Premièrement : tous les enseignants ne fuient pas l’éducation prioritaire. En ce sens, cette étude s’inscrit dans la lignée des travaux sur l’adaptation contextuelle et l’immobilisme qui en résulte (Dannefjord et al., 2023 ; Grospiron & Henriot-Van Zanten, 2001). Néanmoins, nous apportons une nuance. Si peu d’enseignants partent chaque année de l’éducation prioritaire pour aller dans des collèges ordinaires, ils sont toujours plus nombreux que ceux faisant le chemin inverse. Dès lors, les écarts d’ancienneté s’accumulent puisque les départs de l’EP ne sont compensés que par les arrivées d’enseignants des cohortes suivantes. Deuxièmement, débuter dans des collèges défavorisés n’annonce pas forcément une carrière difficile. Au contraire, ces établissements peuvent être vus de manière instrumentale, un moyen d’accéder à des primes et à une bonification du barème. Il ne semble pas si paradoxal que les hommes, dont la littérature a montré la meilleure évolution professionnelle, se retrouvent aussi plus fréquemment dans des trajectoires liées à l’EP. Ces collèges peuvent alors agir comme un tremplin pour la suite de la carrière. Enfin, l’attractivité des académies ne dépend pas seulement du profil social des élèves. Versailles et Créteil sont toutes les deux très peu attractives, pour autant elles ne présentent pas du tout la même distribution d’établissement en EP et hors EP. Les jeunes professeurs qui y sont affectés ne suivent pas les mêmes trajectoires à cet égard. D’autres dimensions liées au coût, à la qualité de vie et au déséquilibre entre besoin et offre d’enseignants devraient être investiguées pour affiner cette question.
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Notes de bas de page
1L’attrition des enseignants inclue à la fois les démissions et les changements d’établissement. Elle émerge dans le contexte américain où les mobilités des enseignants sont régulées par le marché du travail. A contrario, cette notion n’a pas la même pertinence en France où les enseignants appartiennent à la fonction publique d’État. Il en résulte un très faible taux de démission de la profession (Charles et al. 2023 ; DEPP 2024).
2Ces taux sont un peu plus élevés aux États-Unis. R.M Ingersoll (2001a) fait ainsi état d’un taux oscillant entre 13 et 15 % sur les périodes qu’il considère pour son étude. Néanmoins, l’attrition reste un phénomène minoritaire.
3Un travail en cours confirme ces résultats à la fois au niveau interacadémique, mais aussi inter‑établissements (Azoulay et Radé, à paraître).
Auteur
-
Tom Azoulay
CRIS Sciences Po-DEPP.

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