Trajectoires scolaires et professionnelles des jeunes résidant dans les QPV franciliens
p. 171-181
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Mots-clés : jeune, condition de vie, cheminement scolaire, insertion professionnelle, inégalités, enquête Génération
Keywords : young person, living condition, school paths, school-to-work transition, inequalities, Generation survey
Texte intégral
Introduction
1Les résultats de la première vague de l’enquête Génération 2017 ont mis en évidence l’existence d’inégalités à la fois au niveau de l’accès à l’enseignement supérieur et à l’emploi pour les jeunes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Cependant, ils ont également permis d’affirmer que, si la poursuite des études au-delà du baccalauréat accroît la probabilité de trouver un emploi en général, son effet est plus marqué pour les jeunes des QPV que pour ceux qui résident hors QPV (Blache & Prokovas, 2023). Il en est de même pour les jeunes diplômés du secondaire qui ont suivi une formation en alternance (Personnaz & Sawadogo, 2024). Cela remet en cause, si besoin était, la vision manichéenne « d’une orientation subie et d’un faible investissement scolaire des classes populaires
», comme l’avait très justement remarqué Fabien Truong (2013). La deuxième interrogation de la cohorte de l’enquête, malgré l’inévitable attrition observée, permet de tester la pertinence de ces observations avec une profondeur temporelle plus importante (encadré 2).
2Les difficiles conditions de vie dans les QPV (encadré 1) en termes de niveau de revenus, de conditions de logement, d’offre d’emplois, d’accès aux infrastructures et services publics, de nuisances diverses, de ségrégation spatiale et sociale, de discrimination, de contrôles d’identité… incitent inévitablement les jeunes à rechercher une échappatoire, une « mise à distance », voire une rupture avec ce « miroir grossissant d’une République qui a baissé les bras en matière d’égalité
» (Belmessous, 2023). Une des voies possibles est celle des études. Cependant, cela ne repose pas uniquement sur une question de décision, de volonté de « réussir », de sortir de son rang pour se rapprocher de catégories sociales supérieures, mais des contraintes qui orientent socialement ce « choix » et qui posent les limites « entre le possible, le probable, le souhaité et le souhaitable
» (Truong, 2013).
3Au-delà des études longitudinales qui donnent une idée d’ensemble, ex-post, de l’effet de la poursuite des études post-bac sur la trajectoire socioprofessionnelle, les enquêtes de terrain montrent que, si pour les jeunes des QPV prolonger leurs études est un objectif, la nature et le contenu de ces études ne sont pas liés à une stratégie préalable et – encore moins – claire, tout comme la nature et le contenu du métier envisagé. Cet objectif se construit au gré d’allers-retours entre aspirations, rationalité, incitations et résultats scolaires. Le prolongement des études après le bac implique de suivre les procédures imposées par la plateforme numérique de gestion des candidatures, APB (Admission post-bac) jusqu’en 2017, Parcoursup à partir de 2018. Or, ces procédures s’avèrent réductrices en termes de choix des candidats car elles conditionnent l’orientation à la cohérence du parcours scolaire antérieur, tout en généralisant la sélectivité des filières demandées. Elles promeuvent ainsi un modèle d’égalité des chances au détriment de celui de l’égalité sociale (Frouillou et al., 2020), au risque d’accroître les inégalités déjà existantes, dans la mesure où elles restent « indifférentes aux différences » qui expliquent l’inégale capacité à réussir aux épreuves scolaires (Bourdieu & Passeron, 1970). Dans les quartiers où l’école dysfonctionne, la « démocratisation scolaire » (Beaud, 2002) risque de se traduire par des trajectoires de relégation.
4La nature du diplôme et la spécificité de la formation suivie conditionnent les trajectoires professionnelles (Merlin & Wierup, 2022). Poursuivre ses études à l’université, dans un IUT, dans une classe de préparation au BTS ou dans une école d’ingénieurs ou de commerce (pour ceux dont les parents ont les moyens financiers nécessaires), répond à un double objectif : dépasser l’horizon étriqué de la « cité », prouver que « la condition banlieusarde n’est pas un verdict définitif
» et, en même temps, réhabiliter son passé par l’acquisition d’un statut social et professionnel (Truong, 2022). L’insertion professionnelle s’apparente toutefois à un chemin semé d’embûches : des jobs ou des stages pendant les études, parfois pénibles et presque toujours insatisfaisants financièrement ou intellectuellement, à l’entrée dans la « vraie » vie active souvent synonyme de précariat et de chômage, la voie vers la stabilité, la sociabilité et la dignité « visant à consolider son identité
» peut prendre plusieurs années. L’accès à l’emploi, dans le contexte précis qu’impose le mode de gestion de la main-d’œuvre pratiquée par les entreprises, de « solution » devient « problème » dans la mesure où il « empêche, atomise et précarise là où il devait autoriser, lier et rassurer
» (ibidem).
5Dans le prolongement de notre précédente étude, nous allons présenter à partir d’une analyse longitudinale des trajectoires des jeunes résidant dans des QPV, leurs parcours scolaires et leurs parcours vers l’emploi, en tenant compte de leurs caractéristiques sociodémographiques et migratoires, ainsi que de la nature des formations qu’ils ont suivies, afin d’identifier les effets différenciés du diplôme. Nous avons fait le choix de centrer notre étude sur l’Île-de-France, région où les QPV sont surreprésentés (Cohen & Potin-Finette, 2024). En effet, un QPV sur cinq se situe en Île-de-France (cf. infra). De même, la région se caractérise à la fois par une disparité de revenus très forte, qui s’est accentuée avec le temps (Gerardin & Pramil, 2023), et par une proportion particulièrement élevée de ménages modestes comparativement aux autres régions, mais également par une population en QPV plus jeune (Berthelot & Veal, 2024).
6Après avoir consacré une première partie aux données du recensement afin de mieux contextualiser et caractériser les territoires dans lesquels s’insèrent les quartiers prioritaires et de rendre compte de leur spécificité à l’aide d’un outil cartographique (1), nous allons décrire la population des jeunes des QPV franciliens en mettant l’accent sur leurs parcours éducatifs (2). Enfin, dans une dernière partie, nous allons nous intéresser à l’insertion professionnelle de cette population, en mettant en évidence les variables qui la facilitent ou, au contraire, qui l’empêchent (3).
1. Caractéristiques des quartiers prioritaires de la politique de la ville franciliens
7L’Île-de-France est une des régions les plus jeunes de France. En 2018, 2,4 millions d’enfants sont âgés de 3 à 17 ans, correspondant aux âges de scolarisation dans l’enseignement primaire et secondaire, soit 19 % de la population de la région, contre 18 % en province (Acs & Boussade, 2022). La population des 15-29 ans représente 20 % de la population francilienne, contre 17 % pour la France métropolitaine d’après le recensement de 2021 (calculs des auteurs). Selon l’enquête Génération 2017, chaque année, environ 150 000 jeunes sortent du système scolaire, soit un jeune sur cinq.
8La région présente de multiples contrastes et est marquée par de fortes inégalités sociales et disparités territoriales. Tout d’abord, elle figure parmi les régions où les inégalités de niveau de vie et de revenus sont les plus importantes. En effet, l’Île-de-France comprend à la fois les trois départements de France métropolitaine aux niveaux de vie médians les plus élevés (Paris, Hauts-de-Seine, Yvelines), mais aussi le département au niveau de vie le plus faible (Seine-Saint-Denis). De même, l’intensité de la pauvreté y est forte : le niveau de vie médian des personnes pauvres est seulement de 780 € par mois contre 800 € en France métropolitaine (Bayardin et al., 2021). Parmi la population pauvre, la moitié la plus défavorisée dispose ainsi de ressources plus faibles en Île-de-France qu’au niveau national.
9À cela s’ajoute, la plus forte présence de quartiers prioritaires de la ville (QPV) au sein de la région. En 2020, d’après nos calculs à partir du recensement de 2021, près de 1,7 million de personnes vivent dans les nouveaux quartiers prioritaires de la politique de la ville, soit 13,9 % de la population francilienne (8,1 % en France métropolitaine). Cette proportion est la plus forte de toutes les régions métropolitaines.
10Toujours selon le recensement de 2021, en Seine-Saint-Denis, département métropolitain au taux de pauvreté le plus élevé, plus de quatre habitants sur dix (41,9 %) résident dans un QPV (calculs des auteurs). En deuxième position en ce qui concerne la concentration de personnes vivant dans des QPV se trouve le Val-d’Oise (18,5 %). À l’inverse, la proportion des habitants des QPV est nettement inférieure dans les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-et-Marne et des Yvelines (5,7 %, 6,1 %, 6,4 % et 7,3 % respectivement).
Carte 1a. Proportion de QPV par Région

Source : données du recensement 2021, Insee. Calculs des auteurs
Carte 1b. Proportion de QPV par Département

Source : données du recensement 2021, Insee. Calculs des auteurs
11Les départements où se concentre la plus forte proportion de QPV sont davantage touchés par le chômage. Le taux de chômage est de 10,3 % en Seine-Saint-Denis et de 8 % dans le Val-d’Oise, contre 7 % pour l’ensemble de la région. Les résidents en QPV sont en moyenne moins diplômés que ceux de leur environnement urbain : 42 % des personnes de 15 ans ou plus non scolarisées ne disposent d’aucun diplôme, soit deux fois plus que dans les milieux urbains environnants (Berthelot & Veal, 2024). En corollaire, la proportion de jeunes ni en emploi et ni en formation est plus importante dans les territoires où les QPV sont surreprésentés (d’après le recensement, 18,9 % pour la Seine-Saint-Denis et 15,3 % pour le Val-d’Oise).
Carte 2a. Taux de chômage par Département

Source : enquête Emploi (3e trimestre 2024). Calculs des auteurs
Carte 2b. Part de jeunes ni en emploi ni en formation

Source : données du recensement 2021, Insee. Calculs des auteurs
2. Caractéristiques sociodémographiques des jeunes franciliens résidant en QPV
12Les jeunes résidant dans un QPV en Île-de-France, au moment de leur sortie du système scolaire, qui ont répondu aux deux vagues, représentent 15 % de la Génération 2017. Concernant leur profil sociodémographique, la part des femmes est plus faible, soit 42 % contre 51 % pour les jeunes franciliens hors QPV. L’âge moyen des jeunes issus des QPV est de 21 ans, soit un an de moins que leurs homologues hors QPV. Ils sont plutôt issus d’un milieu social défavorisé. Seuls 13 % des jeunes résidant en QPV déclarent avoir au moins un parent cadre, contre 44 % pour les jeunes hors QPV. Près d’un jeune sur trois en QPV appartient à un ménage monoactif d’ouvrier ou d’employé. De même, ils sont plus nombreux à avoir un des deux parents nés à l’étranger (68 % pour les résidents en QPV, contre 36 % pour les jeunes hors QPV) (tableau 1).
Tableau 1. Caractéristiques des jeunes selon leur lieu de résidence (en %)
QPV francilien | Hors QPV francilien | Île-de-France | France entière | |
Part de femmes | 42 | 51 | 50 | 51 |
Âge moyen à la sortie du système éducatif | 21 ans | 23 ans | 23 ans | 22 ans |
Origine sociale | ||||
Au moins un des deux parents est cadre | 13 | 44 | 40 | 29 |
Dominante ouvrière | 13 | 8 | 9 | 14 |
Ménage monoactif d’employé ou d’ouvrier | 28 | 17 | 19 | 19 |
Origine migratoire | ||||
Deux parents nés en France | 32 | 64 | 59 | 78 |
Un des deux parents nés à l'étranger | 68 | 36 | 41 | 22 |
Un des deux parents nés à l'étranger et jeune né à l'étranger | 61 | 31 | 35 | 19 |
Champ : primo-sortants du système éducatif en 2017.
Source : enquête Génération 2017, interrogation à six ans, Céreq.
13Les jeunes issus des QPV connaissent des difficultés dans leur parcours scolaire comparativement à leurs homologues hors QPV. Ils sont plus nombreux à redoubler avant l’entrée en sixième (23 % pour les jeunes issus de QPV contre 11 % pour les jeunes hors QPV). De même, quel que soit le diplôme préparé, ils ont plus de probabilités de ne pas l’obtenir (42 % pour les jeunes QPV, contre 30 % pour les jeunes hors QPV).
14Très tôt dans leur parcours scolaire, après la troisième, plus de la moitié (54 %) des jeunes issus des QPV s’orientent vers les filières de l’enseignement professionnalisant (bac professionnel et bac technologique). Ce constat se confirme par la suite car au moment des vœux l’année du bac, qu’ils soient bacheliers professionnels, technologiques ou généraux, ils choisissent plus systématiquement des voies courtes de l’enseignement supérieur. En effet, plus de la moitié des jeunes résidant en QPV émettent le souhait d’intégrer une filière courte de l’enseignement supérieur (IUT, BTS ou BTS agricole). Ils sont également moins nombreux à opter pour des filières sélectives telles que les grandes écoles (8 % des jeunes issus d’un QPV, contre 12 % pour leurs homologues hors QPV, cf. tableau 2).
15Un jeune sur cinq résidant en QPV sort du système scolaire sans diplôme. Ils quittent plus souvent que leurs homologues hors QPV le système éducatif en étant, au mieux, titulaires d’un diplôme du secondaire (CAP-BEP, baccalauréat professionnel, technologique ou général) : 43 % des jeunes en QPV ont pour plus haut diplôme un diplôme du secondaire, contre 30 % pour les jeunes hors QPV. Plus particulièrement, le CAP, le BEP ou un diplôme de niveau équivalent constitue le diplôme le plus élevé pour 13 % des jeunes résidant en QPV, contre 9 % pour les jeunes hors QPV. Par ailleurs, ils sont nettement moins nombreux à avoir obtenu leur baccalauréat avec mention.
16S’agissant de la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur, 37 % des jeunes de QPV sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur contre 62 % pour leurs homologues hors QPV. Pour 15 % d’entre eux, il s’agit d’un diplôme du supérieur court (BTS-DUT, bac+2, +3 et +4). Ils sont moins nombreux à être titulaires d’un diplôme du supérieur long (M2, doctorat, grandes écoles : école de commerce et ingénieurs) soit 22 %, contre 41 % pour les jeunes hors QPV. Lorsqu’ils sortent avec un diplôme du supérieur long, ils sont davantage titulaires d’un diplôme universitaire (M2, doctorat) que diplômés d’une grande école. Par ailleurs, ils déclarent moins souvent avoir effectué leur dernière année d’études en apprentissage (13 % pour les jeunes résidant en QPV, contre 23 % pour les jeunes hors QPV), bien que la pratique de l’apprentissage soit bien plus fréquente en Île-de-France comparativement au reste du territoire national.
Tableau 2. Plus haut niveau de diplôme atteint à la sortie des études (en %)
QPV francilien | Hors QPV francilien | Île de France | France entière | |
Non diplômés | 20 | 8 | 9 | 12 |
Secondaire | 43 | 30 | 32 | 41 |
CAP-BEP-MC | 13 | 9 | 10 | 13 |
Bac pro-techno | 25 | 14 | 16 | 19 |
Bac général | 5 | 7 | 7 | 9 |
BTS-DUT | 7 | 6 | 6 | 10 |
Supérieur court (bac+2, +3 et +4) | 8 | 15 | 14 | 14 |
M2, doctorat | 17 | 29 | 27 | 17 |
Grandes écoles (école de commerce, ingénieurs) | 5 | 12 | 11 | 6 |
Redoublement avant l'entrée en 6e | 23 | 11 | 13 | 14 |
Mention au bac | 31 | 52 | 49 | 42 |
Apprentissage | 13 | 23 | 21 | 19 |
Stage étranger du CP à la fin des études | 33 | 48 | 46 | 39 |
Champ : primo-sortants du système éducatif en 2017.
Source : enquête Génération 2017, interrogation à six ans, Céreq.
17Parmi les motifs d’arrêt des études, quel que soit le lieu de résidence, les jeunes sortants évoquent massivement le fait d’avoir trouvé un emploi. Les jeunes résidant en QPV sont moins nombreux à avoir arrêté leurs études parce qu’ils avaient atteint le niveau de diplôme souhaité. En revanche, les motifs d’arrêt en lien avec leur parcours scolaire, tels que le fait d’avoir été refusé dans une formation ou d’avoir échoué à un concours, sont plus systématiquement évoqués par les jeunes issus de QPV. Ils sont également plus susceptibles de rencontrer des difficultés personnelles ou financières durant leur parcours (cf. tableau 3).
Tableau 3. Motifs d’interruption des études
QPV francilien | Hors QPV francilien | Île-de-France | France entière | |
Interruption d'études avant 2016-2017 | 14 | 17 | 17 | 13 |
Motifs d'interruption | ||||
Lassé de faire des études | 42 | 43 | 43 | 46 |
Niveau de diplôme souhaité atteint | 48 | 69 | 66 | 62 |
Résultats insuffisants pour continuer dans la filière souhaitée | 19 | 13 | 14 | 17 |
Refusé dans une formation ou échoué à un concours | 15 | 9 | 10 | 9 |
Pas trouvé d’employeur pour une formation en alternance | 15 | 7 | 9 | 10 |
Souhaitait travailler ou avait trouvé un emploi | 74 | 81 | 80 | 76 |
La formation souhaitée n’existait pas à proximité | 8 | 4 | 5 | 7 |
Raisons personnelles ou familiales (enfant, santé, déménagement) | 19 | 15 | 15 | 19 |
Raisons financières | 21 | 18 | 19 | 19 |
Champ : primo-sortants du système éducatif en 2017.
Source : enquête Génération 2017, interrogation à six ans, Céreq.
3. De la formation à l’emploi : parcours et conditions
18L’accès à l’emploi des jeunes se caractérise par des inégalités liées d’un côté aux logiques du fonctionnement du marché du travail et, de l’autre, à une série de paramètres qui se combinent, se cumulent entre elles et s’agrègent (Renaud & Sémécurbe, 2016). Il s’agit du parcours scolaire (Aliaga & Lê, 2016 ; Flamand, 2020), de l’origine sociale (Dabet et al., 2024) et ethnique (Jugnot, 2023) ou du sexe (Di Paola et al., 2023), ainsi que du lieu de résidence, notamment le fait de résider dans un quartier socialement et économiquement défavorisé (« effet quartier », cf. Couppié et al., 2020).
3.1. Influence du territoire sur les parcours d’entrée dans la vie active des jeunes franciliens
19L’insertion dans l’emploi est plus difficile pour les jeunes de QPV, qu’ils résident ou pas en Île-de-France. Alors que 60 % et 72 % des jeunes franciliens issus de QPV sont en emploi à trois ans et à six ans respectivement après la fin de leurs études, leurs homologues hors QPV le sont à 75 % et à 83 % aux mêmes dates. Les temps d’accès au premier emploi sont également plus longs allant de six mois pour les jeunes des QPV à douze mois pour les jeunes hors QPV, bien que la stabilité de l’emploi progresse avec le temps (Personnaz et al., 2024). Parmi les franciliens résidant en QPV qui avaient un emploi stable trois ans après leur sortie du système scolaire (emploi non salarié, à durée indéterminée ou fonctionnaire), un sur dix l’a perdu trois ans plus tard. Ce pourcentage est moitié moins élevé pour les jeunes résidant hors QPV.
20La typologie d’itinéraires construite par le Céreq met en exergue une hétérogénéité des parcours à l’issue de la formation initiale selon que les jeunes résident ou pas en QPV. En effet, les jeunes franciliens issus des QPV empruntent moins souvent que les autres la trajectoire d’accès rapide et durable à l’emploi à durée indéterminée (EDI) : 27 % contre 45 % pour ceux qui ne résident pas en QPV. Ils sont parallèlement plus souvent concernés par les trajectoires aux marges de l’emploi au cours des six premières années de leur vie active : 24 % suivent une trajectoire caractérisée soit par le chômage persistant soit par l’inactivité (contre 12 % pour les jeunes hors QPV). Dans une moindre mesure, les jeunes de QPV suivent également un peu plus souvent les parcours avec « interruptions » qui comprennent les successions d'emplois à durée déterminée (EDD), l'activité tardive ou encore les retours en formation (cf. graphique 1).
Graphique 1. Trajectoires au cours des six ans qui suivent la sortie de formation initiale

Graphique montrant les trajectoires au cours des six ans qui suivent la sortie de formation initiale.
EDI : emploi à durée indéterminée (CDI + Fonctionnaires + indépendants + aides familiaux).
EDD : emploi à durée déterminée (Intérim, CDD, contrats aidés…).
La variable résulte de la construction d'une typologie des trajectoires à partir des situations mensuelles d’activité (emploi (EDI et EDD), chômage, inactivité et formation ou reprise d'études).
Champ : primo-sortants du système éducatif en 2017.
Source : enquête Génération 2017, interrogation à six ans, Céreq.
3.2. Accès (rapide) à l’emploi : propagateurs et freins
21Afin de neutraliser les effets de compositions liées aux différences de caractéristiques entre les jeunes issus des QPV et leurs voisins, plusieurs régressions ont été menées sur les chances d’insertion à trois ans et six ans, ainsi que sur l’accès rapide et durable à l’EDI. Les résultats mettent en évidence un effet « quartier » sur les parcours, les jeunes des QPV étant ceux qui accèdent plus difficilement à l’emploi, ceux à caractéristiques observables identiques par rapport aux autres jeunes (cf. tableau 4). En Île-de-France, l’influence négative du quartier est un peu moins marquée sur l’emploi à trois ans. Ainsi, « toutes choses égales par ailleurs », les franciliens issus des QPV ont une moindre probabilité d’être en emploi à trois ans, par rapport à ceux qui n’habitent pas dans un QPV (-23 % contre -31 % pour la France entière). À six ans l’effet « quartier » en Île-de-France est comparable à celui observé pour l’ensemble du territoire. Les jeunes franciliens des QPV ont en revanche une probabilité deux fois moins importante d’accéder rapidement et durablement à l’EDI. Cette probabilité diminue de 31 %, contre 17 % pour la France entière.
22Le milieu d’origine reste par ailleurs déterminant dans le parcours professionnel des jeunes (Dabet et al., 2023). Ainsi, les jeunes issus d’un ménage monoactif d’un employé ou d’un ouvrier connaissent davantage de difficultés dans leur insertion professionnelle au cours des six premières années de la vie active. Parmi les variables de parcours scolaire, le fait d’être diplômé du supérieur conditionne fortement les reprises d’emploi notamment sur l’accès rapide et durable à l’EDI. Ainsi, les chances d’être en emploi à six ans sont respectivement deux et trois fois plus importantes pour les jeunes diplômés du supérieur court (bac+2, 3 et 4) et ceux diplômés du supérieur long (bac+5 et plus). Les trajectoires scolaires caractérisées par l’absence de redoublement ou l’obtention du bac avec mention sont aussi des marqueurs importants de l’insertion professionnelle future des jeunes. Enfin, l’alternance exerce une influence positive en matière d’insertion pour l’ensemble des jeunes, comme cela a déjà été démontré (Personnaz & Sawadogo, 2024).
Tableau 4. Déterminants de la probabilité d'être emploi et de connaître un accès rapide et durable à l'EDI aux cours des premières années de vie active (odds ratio)
Île-de-France | France entière | |||||
En emploi | Accès rapide et durable à l'EDI | En emploi | Accès rapide et durable à l'EDI | |||
Caractéristiques des jeunes | 3 ans après la sortie d'études | 6 ans après la sortie d'études | Au cours des 6 ans | 3 ans après la sortie d'études | 6 ans après la sortie d'études | Au cours des 6 ans |
Réside en QPV à la fin des études (réf. non) | 0,77*** | 0,81*** | 0,69*** | 0,69*** | 0,84*** | 0,83*** |
Femme (réf. homme) | 0,90*** | 0,70*** | 0,80*** | 0,82*** | 0,74*** | 0,65*** |
Redoublement avant la 6ème (réf. non) | 0,92*** | 0,95** | 0,90*** | 0,75*** | 0,77**** | 0,86*** |
Mention au bac (réf. non) | 1,43*** | 1,34*** | 1,31*** | 1,20*** | 1,03*** | 1,26*** |
Sortant d'alternance (réf. non) | 1,75*** | 1,69*** | 2,39*** | 1,67*** | 2,05*** | 2,67*** |
Emploi rémunéré pendant les études (réf. non) | 1,038** | 1,24**** | 1,12*** | 1,34*** | 1,37*** | 1,35*** |
Plus haut niveau d'études atteint : non diplômé | 0,45*** | 0,39*** | 0,10*** | 0,32*** | 0,29*** | 0,22*** |
Plus haut niveau d'études atteint : CAP-BEP | 0,46*** | 0,78*** | 0,74*** | 0,63*** | 0,62*** | 0,60*** |
Plus haut niveau d'études atteint : bac | réf. | réf. | réf. | réf. | réf. | réf. |
Plus haut niveau d'études atteint : bac+2, 3 et 4 | 1,36*** | 1,95*** | 1,87*** | 1,68*** | 1,86*** | 1,98*** |
Plus haut niveau d'études atteint : bac+5 et plus | 1,96*** | 3,09*** | 2,84*** | 2,41*** | 2,98*** | 3,41*** |
Ménage monoactif (ouvrier ou employé (réf. non) | 0,78*** | 0,65*** | 0,75*** | 0,81*** | 0,83*** | 0,91*** |
Issu de l'immigration (réf. non) | 0,91*** | 1,06** | 1,14*** | 0,75*** | 0,79*** | 0,91*** |
Significatif au seuil de : ** 5 % ; *** 1 %.
Champ : primo-sortants du système éducatif en 2017.
Source : enquête Génération 2017, interrogation à six ans, Céreq.
23Des régressions menées à la fois sur les jeunes résidant en QPV et les jeunes résidant hors QPV montrent que le rôle « protecteur » de l’alternance et du diplôme face au chômage est plus marqué pour les jeunes issus des QPV franciliens, notamment au cours des trois premières années de vie active (tableau 5). Ainsi, « toutes choses égales par ailleurs », les sortants d’alternance et les diplômés du supérieur issus des QPV multiplient par 1,97 et 2,47 leurs chances de retour à l’emploi, contre respectivement 1,64 et 1,96 pour les jeunes qui ne résidaient pas en QPV à la fin de leurs études. Bien que les effets se resserrent au bout de 6 ans, ce sont les premières années de vie active qui sont les plus importantes.
Tableau 5. Déterminants de la probabilité d'être emploi aux cours des premières années de vie active selon le lieu de résidence (QPV ou non) en fin d’études (odds ratio)
Île-de-France | ||
En QPV en fin d'études | Hors QPV en fin d'études | |
Caractéristiques des jeunes | Emploi à 3 ans | |
Femme (réf. homme) | 1,21*** | 0,88*** |
Redoublement avant la 6ème (réf. non) | 0,67*** | 0,86 (ns) |
Mention au bac (réf. non) | 1,51*** | 1,82*** |
Sortant d'alternance (apprentissage/contrat pro) (réf. non) | 1,97*** | 1,64*** |
Emploi rémunéré pendant les études | 1,21*** | 1,01 (ns) |
Diplômé du supérieur (réf. non) | 2,47*** | 1,96*** |
Ménage monoactif d'ouvrier ou d'employé (réf. non) | 0,65*** | 0,76*** |
Issu de l'immigration (réf. non) | 1,11** | 0,87*** |
Significatif au seuil de : ** 5 % ; *** 1 %.
Champ : primo-sortants du système éducatif en 2017.
Source : enquête Génération 2017, interrogation à six ans, Céreq.
3.3. Déclassement à l’embauche et discriminations ressenties
24L’analyse des correspondances entre le diplôme et la qualification de l’emploi montre que les jeunes franciliens issus de QPV sont plus souvent « déclassés » que leurs voisins hors QPV. Parmi les emplois occupés six ans après la fin d’études, 47 % des jeunes diplômés du supérieur issus des QPV n’occupent pas d’emplois de cadres, contre 37 % pour les jeunes diplômés du supérieur hors QPV. D’autres études montrent en effet que l’accès à un emploi de cadre est plus entravé pour les jeunes des QPV (Apec, 2023).
25Au-delà des discriminations que les jeunes franciliens qui résident en QPV ressentent au quotidien (Balazard et al., 2021), ils font également état de discriminations à l’embauche ou dans l’exercice de leur emploi. Cela concerne 25 % de cette population (18 % de ceux qui n’habitent pas dans un QPV) et six personnes sur dix disent avoir été victimes de discrimination plus d’une fois. Les motifs de discrimination les plus courants, bien plus fréquents pour les habitants des QPV avec des écarts qui vont souvent du simple au double par rapport aux autres, sont l’origine ethnique (47 %), la couleur de la peau (43 %), l’apparence physique (42 %) et le quartier de résidence (41 %). Pour les autres jeunes de la cohorte, hors QPV, ce sont les discriminations qui concernent l’origine ethnique, l’apparence physique et le sexe qui sont les plus citées.
Conclusion : dans les QPV franciliens, des jeunes comme les autres ?
26L’enquête Génération permet de décrire de manière précise les parcours des jeunes à l’issue de leurs études, notamment au regard de leur lieu d’habitation. Les jeunes franciliens vivent dans une région qui se caractérise par de conséquents contrastes socio-économiques. Parmi eux, une proportion élevée réside dans des QPV, bien plus importants en nombre que dans le reste du territoire national. Ils cumulent les difficultés et les handicaps liés à leur lieu de résidence, ils subissent l’effet « quartier » déjà démontré par plusieurs études, cependant ils évoluent dans un contexte économique a priori plus favorable, au sens où l’offre de formation et l’activité économique, ainsi que le réseau des transports sont plus denses qu’ailleurs. Cela leur permet d’accéder plus facilement aux études et à l’apprentissage. Cependant, les écarts avec leurs homologues qui ne vivent pas dans les QPV sont flagrants : leur accès à un emploi stable est deux fois plus retardé, leur taux d’accès à l’EDI est deux fois moins important, leur taux de chômage est deux fois plus élevé. Par contre, ceux qui ont eu une opportunité précoce de se rapprocher du marché du travail, au moyen de l’alternance ou de l’exercice d’un emploi rémunéré pendant leurs études, ont des probabilités d’accéder à l’emploi plus fortes que leurs congénères ne résidant pas en QPV. Mais, l’élément qui leur procure l’avantage le moins négligeable pour trouver un emploi à l’issue de leur parcours scolaire est l’acquisition d’un diplôme de l’enseignement supérieur, notamment universitaire. Les jeunes des QPV, en Île-de-France comme partout ailleurs, font face à davantage de difficultés au regard de leur scolarité ; à diplôme équivalent avec les autres jeunes un « effet quartier » subsiste. Cependant, pour ceux qui réussissent à mener leurs études à terme, à obtenir un diplôme de niveau bac+5 ou bac+8, l’effet « protecteur » du diplôme est plus important que pour les jeunes qui ne résident pas dans les QPV. L’enseignement supérieur étant en grande partie public et gratuit, pour le moment, en France, la suppression de la sélectivité à l’entrée contribuera à la réduction des inégalités entre territoires.
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Auteurs
-
Guillaume Blache
France Travail.
-
Élodie Guirchoun
Conseil régional d’Île-de-France, pôle Formation Professionnelle et Apprentissage.
-
Nicolas Prokovas
Université Paris 3.

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