Le genre à l’épreuve de l’oral. Facteurs de discrimination directe et indirecte à travers l’exemple de Sciences Po Paris
p. 419-420
Entrées d’index
Mots-clés : accès à l’enseignement supérieur, grande école, sélection, genre
Keywords : access to higher education, elite school, selection, gender
Texte intégral
Résumé
1L’analyse statistique du recrutement à Sciences Po Paris entre 2013 et 2024 met en évidence une constante : les filles sont systématiquement désavantagées par l’épreuve orale d’admission, alors même qu’elles réussissent mieux à l’étape de l’admissibilité. La seule année où leur performance à l’étape de l’admission est plus importante est 2020, année de crise sanitaire où l’épreuve orale n’a pas pu se tenir.
2Il existe une littérature importante, mais non consensuelle, relative à l’existence de discriminations genrées lors d’épreuves orales, que celles-ci soient directes (Goldin & Rouse, 2000), et/ou indirectes (Gautier, 2018). Breda et ses co-auteurs ont par ailleurs montré que les filles réussissent mieux à l’oral du concours de l’ENS dans les disciplines réputées « masculines » (comme les mathématiques), où on compte une minorité de candidates : elles bénéficieraient ainsi d’une « préférence pour la mixité » de la part des jurés (Breda & Ly, 2014 ; Breda & Hillion, 2016). Enfin, plusieurs travaux mettent en évidence un effet de la composition genrée des jurys sur l’évaluation, là encore de manière non consensuelle (De Paola & Scoppa, 2015 ; Musselin & Pigeyre, 2008 ; Bagues et al., 2017).
3À partir des données internes à Sciences Po, nous explorons les effets de composition sexuée des jurys et des pools de candidat·es sur l’évaluation à l’oral, en nous demandant si les écarts de réussite constatés entre filles et garçons sont attribuables aux critères et modalités d’évaluation, aux performances des candidat·es et/ou à des biais de la part des juré·es ?
4Ces données administratives exhaustives (environ 2 000 admissibles chaque année), comportant les notes obtenues à chaque épreuve ainsi que les commentaires rédigés par les jurés à l’issue des évaluations orales, permettent en effet d’explorer trois dimensions rarement étudiées :
- la composition genrée des jurys (uniquement des hommes/femmes ou mixte), avec l’hypothèse qu’un jury non mixte est plus enclin à discriminer ;
- les candidats évalués par un même jury, avec l’hypothèse qu’il existerait un avantage aux candidats en situation de rareté (ici, un unique garçon évalué en compagnie de filles) ;
- les représentations genrées des candidat·es de la part des jurés (au travers des commentaires justifiant la note attribuée), pouvant conduire à des biais dans l’évaluation.
5D’autres variables telles que l’origine sociale, le niveau scolaire ou encore l’origine territoriale sont également prises en compte dans les modèles de régression logistique utilisés pour vérifier les points 1 et 2.
6En ce qui concerne les représentations genrées, nous adoptons une approche quantitative des régularités linguistiques des commentaires rédigés, en utilisant des modèles de langage en machine learning permettant d’identifier : 1) des écarts dans la manière dont les candidat·es sont décrits à notation équivalente ; ou 2) une éventuelle différence dans les notes obtenues par les filles et les garçons à commentaires équivalents.
7Les principaux résultats obtenus sont les suivants :
- les garçons auditionnés uniquement par des hommes obtiennent effectivement une note significativement supérieure, indiquant qu’il est préférable d’avoir des jurys mixtes si l’on veut limiter les biais de genre dans l’évaluation ;
- les garçons seuls représentants de leur genre dans le pool d’auditionnés bénéficient effectivement d’un avantage dans la notation, indiquant qu’il est également préférable de s’assurer d’une mixité des groupes d’auditionnés ;
- les hypothèses d’attendus différenciés selon le genre, ou de biais sexistes de notation de la part des juré·es, sont partiellement vérifiées, mais n’expliquent qu’une faible part des écarts constatés : c’est donc que les critères d’évaluation de l’épreuve orale et les compétences qu’ils visent à objectiver favorisent indirectement les garçons.
8Cette communication est issue d’un article en cours de parution dans une revue.
Bibliographie
Bagues, M., Sylos-Labini, M. & Zinovyeva, N. (2017). Does the gender composition of scientific committees matter? American Economic Review, 107(4), 1207-1238.
Breda, T. & Ly, S. T. (2014). Les filles sont-elles discriminées en science ? Les enseignements du concours d’entrée à l’ENS. Notes IPP, 15.
Breda, T. & Hillion, M. (2016). Teaching accreditation exams reveal grading biases favor women in male-dominated disciplines in France. Science, 353(6298), 474-478.
De Paola, M. & Scoppa, V. (2015). Gender discrimination and evaluators’ gender: Evidence from Italian academia. Economica, 82(325), 162-188.
Gautier, F. (2018). Une « résistible » féminisation ? Le recrutement des gardiennes de la paix. Travail, genre et sociétés, 39(1), 159-173.
Goldin, C. & Rouse, C. (2000). Orchestrating impartiality: The impact of ’blind’ auditions on female musicians. American Economic Review, 90(4), 715-741.
Musselin, C. & Pigeyre, F. (2008). Les effets des mécanismes du recrutement collégial sur la discrimination : le cas des recrutements universitaires. Sociologie du travail, 50(1), 48-70
Auteurs
-
Mathieu Rossignol-Brunet
Maître de conférence à l’université de Bourgogne Europe, IREDU.
-
Alice Pavie
Postdoctorante au CIRST, Université Laval (Québec).
-
Théo Voldoire
Doctorant en statistiques, Statistics Department, Harvard University.
-
Marco Oberti
Professeur à Sciences Po Paris, CRIS.

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