« Quand l’impossible se produit ». Parcours de jeunes de classes supérieures en raccrochage scolaire dans le privé catholique
p. 61-62
Entrées d’index
Mots-clés : jeune en difficulté, classe supérieure, abandon des études, cheminement scolaire
Keywords : young with problems, upper class, drop out, school paths
Texte intégral
Résumé
1Afin de compléter les nombreuses recherches engagées sur les parcours de jeunes en situation de décrochage scolaire (Bernard, 2013), je m’intéresse à ce problème public sous l’angle de l’enseignement privé catholique sous contrat. Cet aspect n’a pas été enquêté au prisme des parcours des jeunes, ni dans ce monde social (Strauss, 1992) alors que ces structures sont parties prenantes sur ces dispositifs, notamment dans l’ouest (1995 pour la date de création de la mission d’insertion des jeunes de l’enseignement catholique). Il est donc intéressant de comprendre quels sont les particularités de ces jeunes et quels sont leur parcours, menant au décrochage puis au raccrochage scolaire (Pelletier & Alaoui, 2016). Afin de mieux dégager les spécificités et les similitudes de ces jeunes, je réalise une comparaison avec l’enseignement public, en prenant appui sur les travaux existants. De manière plus macro, ces éléments interrogent la place de l’enseignement privé catholique sous contrat dans la lutte contre les inégalités scolaires.
2Ce travail est réalisé sur l’ouest de la France (Rennes et Angers) dans la mesure où les premiers dispositifs de raccrochage scolaire naissent sur ce territoire sous la forme de « Lycées Nouveau Départ ». Ces dispositifs prennent place dans des établissements privés catholiques sous contrat et prennent en charge des élèves en situation de décrochage scolaire qui désirent passer le baccalauréat. La comparaison avec le dispositif public « Lycée de la Nouvelle Chance » est pertinente, car c’est un dispositif de raccrochage similaire, sur une aire géographique identique et peut dévoiler les différences ou les similitudes existantes dans les parcours de ces jeunes.
3Par ailleurs, il existe un paradoxe que cette recherche veut éclaircir. Au sein de ces établissements scolaires et donc, de ces dispositifs, sont accueillis des jeunes venant de milieux sociaux plus aisés (Van Zanten, 2009) que dans les établissements publics, alors que les chiffres sur le décrochage scolaire montrent que ce sont des élèves issus de classes populaires qui sont davantage touchés (Bernard, 2011). Comment se fait-il que ces jeunes échouent scolairement alors que leurs parents possèdent davantage de capitaux économiques et culturels ? (Henri-Panabière, 2010) Que nous disent ces parcours « atypiques » sur le décrochage scolaire des jeunes ? Quelles sont les différences et les similitudes dans les parcours des jeunes de l’enseignement privé catholique et dans l’enseignement public ?
4Pour ce faire, j’ai eu accès aux archives de ces deux dispositifs pour réaliser une étude longitudinale des parcours de jeunes concernés à partir des dossiers d’admission (Cayouette-Remblière, 2011). Il semblerait qu’au fil du temps, les profils des élèves aient changé. Ces éléments me permettent de comprendre les évolutions des publics accueillis et la pluralité des profils de ces jeunes au début des dispositifs (Barrère, 2013) jusqu’à aujourd’hui dans le public et dans le privé.
5Dans un deuxième temps et à partir des coordonnées prises dans les archives, j’ai réalisé vingt-cinq entretiens biographiques (Demazière & Dubar, 1997) auprès de jeunes issus de classes supérieures (parents cadres, médecins, avocats par exemple) pris en charge dans deux « Lycées Nouveau Départ » et dans un « Lycée de la Nouvelle Chance » de l’ouest, sur la base du volontariat.
6Les premières analyses font ressortir cinq points importants qui seront présentés dans cette communication. Dans un premier temps, le genre joue un rôle majeur dans le parcours des enquêté·es et des raisons de leur décrochage scolaire. En effet, les filles rencontrent davantage « d’accidents de parcours » liés à des violences sexistes et sexuelles ou de l’inceste que les garçons. Elles s’occupent également plus de leur famille lorsque survient un décès ou une maladie. Ensuite, le capital culturel est prépondérant dans la logique de raccrochage scolaire. Les jeunes dont les parents ont de forts capitaux raccrochent plus rapidement et poursuivent des études plus longues à la suite du dispositif. Troisièmement, le capital social à travers les relations amicales et familiales amène les jeunes à se comparer à leurs ami·es de milieux sociaux similaires, ce qui se traduit par une forte injonction à retourner en formation et d’avoir le baccalauréat, considéré comme un « minimum ». Ensuite, la question de la santé mentale des jeunes et de leur prise en charge en institution spécialisée conditionne les parcours scolaires, notamment le décrochage scolaire. Enfin, de manière générale et en comparaison avec les jeunes issus de milieux sociaux plus populaires, le capital économique n’est pas une variable d’ajustement pour elles et eux et le décrochage scolaire n’est pas du tout corrélé avec les résultats scolaires. Ainsi ces jeunes n’ont pas vécu de difficultés scolaires à proprement parler, ce qui ajoute à leur décrochage un sentiment d’échec d’autant plus fort.
Bibliographie
Barrère, A. (2013). La montée des dispositifs : un nouvel âge de l’organisation scolaire. Carrefours de l’éducation, 36(2), 95-116.
Bernard, P.-Y. (2011). Le décrochage des élèves du second degré : diversité des parcours, pluralité des expériences scolaires. Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle, 44(4), 75‑97.
Bernard, P.-Y. (2013). Le décrochage scolaire. Paris : Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? ».
Cayouette-Remblière, J. (2011). Reconstituer une cohorte d’élèves à partir de dossiers scolaires. La construction d’une statistique ethnographique. Genèses, 85(4), 115‑133.
Demazière, D. & Dubar, C. (1997). Analyser les entretiens biographiques. L’exemple des récits d’insertion. Paris : Nathan.
Henri-Panabière, G. (2010). Des « héritiers » en échec scolaire. Paris : La Dispute.
Pelletier, L. & Alaoui D. (2016). Du décrochage provisoire au raccrochage scolaire : l’importance de la reconnaissance. Questions Vives. Recherches en éducation, 25.
Strauss, A. L. (1992). Une perspective en termes de monde social. Dans La trame de la négociation (p. 269‑282). Paris : L’Harmattan.
Van Zanten, A. (2009). Choisir son école. Stratégies familiales et médiations locales. Paris : Presses universitaires de France.
Auteur
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Alicia Jacquot
Université de Rennes, laboratoire Arènes.

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