Orientation et conditions d’emploi des diplômés de l’enseignement professionnel : questionner l’inadéquation horizontale
Résumé
p. 287-288
Texte intégral
1L’enseignement professionnel avait pour finalité première de répondre aux besoins du marché du travail en proposant des formations centrées sur les compétences attendues dans les métiers visés (Troger et al., 2016). Les transformations socio-économiques de ces dernières décennies (modes de production, expansion du secteur tertiaire, digitalisation…) sont venues réactualiser les critiques déjà formulées sur les limites de cette logique adéquationiste (Bruyère & Lemistre, 2010 ; Depoilly, 2022).
2Les transformations profondes de la voie professionnelle quant à ses finalités suite aux différentes réformes (2007, 2018) conduisent à des formes d’harmonisation du secondaire avec plus de perméabilité pour la voie professionnelle et des possibilités de poursuite d’études effectives. Si ces réformes élargissent le champ des possibles pour une partie des jeunes et attirent un public s’inscrivant plus souvent dans une démarche d’orientation positive (Jellab, 2014), il est à craindre un sentiment de relégation exacerbée pour une autre partie des jeunes.
3Il existerait ainsi une certaine hétérogénéité des parcours des jeunes au sein de la voie professionnelle (Olympio, 2020) (orientation choisie ou non, apprentissage ou voie scolaire, poursuite d’études ou non, etc.) pouvant conduire à des socialisations professionnelles différenciées.
4Les conditions d’emploi et le rapport au travail dépendent de l’expérience scolaire et invitent à prolonger les réflexions en s’intéressant aux jeunes qui exercent un métier éloigné de leur spécialité de formation, une situation qui peut être qualifiée d’« inadéquation horizontale » (Plassard, 2015). Bruyère et Lemistre (2010) montraient que seulement 44 % de sortants de l’enseignement professionnel étaient dans un emploi en lien avec leur spécialité de formation et qu’une « inadéquation » pouvait avoir des répercussions sur les situations d’emploi des jeunes plus ou moins marquées selon le secteur d’activité.
5Peu de travaux ont étudié le poids des déterminants sociaux et scolaires dans l’explication de cette inadéquation professionnelle. Or, la question de l’orientation voulue ou par défaut vers la voie professionnelle pourrait apporter un éclairage complémentaire au constat de l’« inadéquation formation-emploi ». À titre d’exemple, Divert (2006) montre que la relation lâche entre la formation et l’insertion des diplômés issus des CAP « métiers de la mode » ne s’explique pas seulement par la structure du marché du travail et la transformation de l’industrie du textile, mais également par le fait qu’une majorité de jeunes ayant subi leur orientation espère se repositionner sur d’autres métiers. Cette « inadéquation horizontale » peut aussi relever de comportements plus stratégiques. Certains élèves voient dans l’enseignement professionnel la possibilité de contourner la voie générale pour rejoindre l’enseignement supérieur et vivent leur formation professionnelle dans un projet d’attente scolaire (Troger et al., 2016). D’autres encore entrent volontairement en formation professionnelle pour accéder rapidement à un métier et acquérir une autonomie tandis que d’autres vivent leur orientation sur le mode d’un choix vocationnel (Kergoat, 2018). Il y a, enfin, les jeunes qui s’affirment contre les déterminismes (Dagot & Dassié, 2014) et choisissent stratégiquement des spécialités qui élargissent leurs horizons professionnels pour échapper à un certain destin social (Palheta, 2011).
6Dans cette communication, nous proposons d’analyser les conditions d’entrée sur le marché du travail des jeunes sortants de l’enseignement professionnel. Un intérêt sera porté sur l’identification des jeunes dans une situation d’« inadéquation horizontale ». Nous chercherons à expliquer ces différentes situations d’emploi selon plusieurs facteurs : parcours d’orientation, statut scolaire, profil sociologique et « freins à l’emploi » (mobilité, enfant à charge…). La hiérarchie des diplômes au sein des spécialités, les tensions dans l’offre d’emploi et le contexte du territoire seront également pris en considération.
7Les situations d’emploi et conditions de travail des sortants de l’enseignement professionnel seront étudiées à partir l’enquête Génération 2007 du Céreq. Ces enquêtes interrogent environ 25 000 jeunes trois années après leur sortie du système éducatif, dont environ 7000 sortants de la voie professionnelle. Cette enquête permet d’avoir des informations sur le parcours scolaire et d’insertion du jeune. Des modèles économétriques permettront d’analyser plus finement l’importance des choix d’orientation comparativement aux déterminants sociaux sur les situations d’emploi. Un intérêt sera également porté aux choix de formation (niveau d’étude, modalité de formation et spécialités) en lien avec le dynamisme des secteurs d’activité. Cette enquête nous permettra ainsi d’identifier les situations d’« inadéquation formation-emploi » pour les sortants de l’enseignement professionnel et d’étudier les conséquences sur les conditions de travail.
Bibliographie
Bruyère, M. & Lemistre, P. (2010). La formation professionnelle des jeunes : quelle valorisation de la spécialité ? Revue d’économie politique, 120(3), 539-561.
Depoilly, S. (2022). Postface. Des effets de sélection du système éducatif au marché du travail : mythe de l’adéquation et reproduction des inégalités dans l’enseignement professionnel secondaire. Formation emploi, 159(3), 213-222.
Kergoat, P. (2018), De l’indocilité. Apprentie·es et élèves de lycées professionnels, à l’école et au travail. Mémoire en vue de l’obtention de l’HDR, Université de Poitiers.
Auteurs
-
Claire Bonnard
Institut de recherche sur l’éducation (IREDU) – Sociologie et économie de l’éducation – Université de Bourgogne.
-
Magali Danner
Institut de recherche sur l’éducation (IREDU) – Sociologie et économie de l’éducation – Université de Bourgogne.
-
Noémie Olympio
Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST) – Aix-Marseille Université, CNRS.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Reprise d’études à l’université : quels publics, quelles finalités ?
Groupe de travail sur l’enseignement supérieur (GTES)
Valérie Canals et Séverine Landrier (dir.)
2020
Formation continue et parcours professionnels : entre aspirations des salariés et contexte de l’entreprise
Groupe d’exploitation des données Defis
Ekaterina Melnik-Olive et Danièle Guillemot (dir.)
2020
Sélections, du système éducatif au marché du travail
XXVIèmes journées du longitudinal. Toulouse, 12-13 novembre 2020
Marianne Blanchard, Gérard Boudesseul, Thomas Couppié et al. (dir.)
2021
Trajectoires et carrières contemporaines : nouvelles perspectives méthodologiques
XXVIIèmes journées du longitudinal, Grenoble, 23-24 juin 2022
Isabelle Borras, Nathalie Bosse, Laurence Baraldi et al. (dir.)
2022
Territoires et parcours. De nouvelles trajectoires d’emploi et de formation à l’épreuve des territoires ?
XXVIIIèmes journées du longitudinal, 14-15 juin 2023, Caen
Patrice Caro et Agnès Checcaglini (dir.)
2023
De plus en plus de sélection dans un enseignement supérieur en segmentation
Groupe de travail sur l’enseignement supérieur (GTES)
Fanette Merlin et Nadine Théophile (dir.)
2023
Les femmes dans l’enseignement supérieur : une (r)évolution inachevée
Groupe de travail sur l’enseignement supérieur (GTES)
Nathalie Beaupère et Carine Érard (dir.)
2023
Les expériences étudiantes professionnalisantes : diversité et effets sur les parcours
Groupe de travail sur l’enseignement supérieur (GTES)
Alexie Robert (dir.)
2023
Crises et transitions : quelles données pour quelles analyses ?
XXIXes journées du longitudinal, 24-25 juin 2024, Aix-en-Provence
Vanessa di Paola et Christophe Guitton (dir.)
2024
Premiers pas sur le marché du travail : quand les inégalités s’en mêlent - Tome 1
Exploitations de l’enquête 2020 auprès de la Génération 2017
Thomas Couppié, Dominique Épiphane, Olivier Joseph et al. (dir.)
2024
Après la formation initiale : les vicissitudes du parcours professionnel - Tome 2
Exploitations de l’enquête 2020 auprès de la Génération 2017
Thomas Couppié, Dominique Épiphane, Olivier Joseph et al. (dir.)
2024
Parcours et expériences en formation initiale : quel(s) impact(s) sur l’insertion ? - Tome 3
Exploitations de l’enquête 2020 auprès de la Génération 2017
Thomas Couppié, Dominique Épiphane, Olivier Joseph et al. (dir.)
2024
