Introduction

1Près de 40 % des étudiant·es exercent une activité rémunérée en parallèle de leurs études (OVE, 2020), qu’il s’agisse d’un « job étudiant », purement alimentaire et sans lien avec les études ou au contraire une activité très intégrée dans leurs parcours d’études (comme l’internat pour les étudiants en médecine par exemple). Depuis la fin des années 2000, on assiste à un intérêt croissant des recherches pour l’activité rémunérée des étudiant·es et son articulation à la réussite de ces dernier·es. En particulier, le volume horaire des jobs étudiants et leur lien avec les études permet traditionnellement de distinguer les activités liées aux études des « jobs étudiants », des activités « très concurrentes des études » ou encore des activités « concurrentes des études » (Giret, 2016). La dernière enquête de l’Observatoire national de la vie étudiante mesurait ainsi que parmi les étudiant·es, 8 % exercent une activité liée aux études, 25 % un job étudiant, 5 % une activité très concurrente des études et 3 % une activité concurrente des études (Figure 1).

2Pourtant, les recherches menées jusqu’à présent sur l’activité rémunérée des étudiant·es ne se sont pas intéressées aux statuts d’emploi des étudiants. Cette question apparait pourtant particulièrement pertinente pour deux raisons. D’une part, la montée en puissance des plateformes d’emploi, s’adressant pour certaines spécifiquement aux étudiant·es, a contribué à visibiliser de nouveaux statuts – en l’occurrence le microentrepreneuriat. Celui-ci est présenté comme une promesse de flexibilité par les plateformes, et les étudiant·es paraissent le plébisciter (Tenret, Trespeuch, Verley, 2022). Également, la crise sanitaire a mis en lumière l’instabilité statutaire des étudiant·es et ses conséquences, puisque toutes et tous n’ont pas pu bénéficier des mesures de chômage partiel. Ainsi, seul·es 27 % des étudiant·es contraint·es d’arrêter leur activité rémunérée pendant le confinement ont pu toucher le chômage partiel (Belghith et al., 2020).

3Dans quelle mesure la prise en compte du statut d’emploi ou de l’absence de statut d’emploi (pour les étudiant·es sans contrat de travail) renouvelle-t-elle les analyses sur l’activité rémunérée des étudiant·es ? Dans la première partie de l’article, nous reviendrons sur les analyses classiques de l’activité rémunérée des étudiant·es, en montrant en quoi le statut en constitue un angle mort. Dans une deuxième partie, nous montrerons que dans le monde étudiant, les formes de contrat les plus précaires (absence de contrat de travail, indépendance) sont paradoxalement associées aux profils sociaux et scolaires les plus favorisés, ce qui s’explique en partie par le fait que la nature du contrat est associée à un certain type d’activité (nature, nombre d’heures travaillées, ressources). Enfin, dans une dernière partie, nous montrerons que les statuts d’emploi ont un effet propre, au-delà du nombre d’heures travaillées et du lien possible de l’activité avec les études, sur la réussite universitaire.

Figure • Le type d’activité rémunérée pendant l’année universitaire (extrait du Repère sur les conditions de vie des étudiants (OVE, 2020))

1. Les statuts d’emploi des étudiant·es, une dimension délaissée de l’activité rémunérée ?

1.1. La relative indifférence portée aux statuts d’emploi des étudiant·es dans les recherches

4Les dimensions statutaires de l’emploi étudiant ont jusqu’à présent peu intéressé les recherches sur l’activité rémunérée : ce désintérêt se lit d’abord dans les orientations et les données recueillies par la statistique publique. Les grandes enquêtes, ciblant la jeunesse, apparaissent ainsi relativement dépourvues d’interrogations sur « l’emploi » en cours d’études (à quelques exceptions près1), à l’image des enquêtes Générations du Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Céreq) – qui privilégient les axes de l’adéquation formation-emploi et des inégalités d’accès au marché du travail, et des enquêtes triennales Conditions de vie (CdV) des étudiants de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) qui privilégient l’axe de la concurrence entre activité rémunérée et activité studieuse. Cette dernière enquête a pourtant toujours proposé un volet sur les « activités rémunérées » dans ses questionnaires successifs, mais sans aucune référence au statut d’emploi avant la dernière enquête de 2020. Il était donc impossible jusqu’à cette date de distinguer les types de contrat a contrario de la nature de l’activité (intégrée ou pas aux études) et de son intensité (au cours de l’année universitaire et de façon hebdomadaire). La priorité était jusqu’alors de rendre compte de la façon dont l’exercice d’une activité rémunérée en cours d’études (selon sa nature et son intensité) est susceptible de pénaliser le « travail étudiant » et in fine la réussite aux examens (Giret, 2011 ; Beduwé, Berthaud, Giret & Solaux, 2019). Pour la première fois, l’enquête CdV 2020, sous l’impulsion d’un projet de recherche financé par la Dares et la Drees2, a opéré une distinction entre travail, renvoyant à la nature de l’activité exercée, et emploi, renvoyant au statut d’occupation de l’activité, en lien avec l’intermédiaire d’emploi mobilisé (numérique ou pas).

5La relative indifférence portée aux statuts d’emploi des étudiants – et à leur éventuelle instabilité – doit être rapportée au système éducatif français, construit autour d’une norme dominante, celle de l’injonction à des parcours d’études traditionnels, i.e. longs, linéaires et prenant faiblement en compte les contraintes individuelles, auxquels s’associe une dépendance forte et prolongée à la famille (Charles, 2016). Faire une pause pendant sa formation, s’engager dans une activité de travail intense, c’est prendre le risque de se confronter à l’incompréhension manifeste des enseignants, des proches, à l’éventuelle perte de bourses, et de ne plus pouvoir reprendre ses études. Les étudiants français semblent plus que leurs homologues européens engagés dans une course au diplôme (Van de Velde, 2008) associée à un sentiment d’urgence à s’intégrer le plus vite possible à la suite des études, une fois pour toutes et pour toute la vie. En résumé, il existe une norme claire de l’étudiant en France : étudier sans s’arrêter, à temps plein, en limitant au minimum ses autres activités, dont les activités rémunérées pour une insertion postérieure définitive. Une telle « emprise des études » (Dubet, Duru-Bellat, & Vérétout, 2010) apparaît alors peu compatible avec l’exercice d’une activité concurrentielle aux études, justifiant que l’emploi en cours d’études soit secondaire et que les conditions d’emploi puissent être instables.

6Dans ces conditions, le travail en cours d’études est perçu, le plus souvent, comme « transitoire », « provisoire », « un présent qui n’engage à rien » (Pinto, 2010) ou socialisant (pôle de l’anticipation). Les fonctions instrumentales du travail étudiant (« alimentaires », « émancipatrices » à l’égard de la tutelle parentale, ou « professionnalisantes ») légitiment l’orientation de la recherche sur ses effets à plus long terme : effets sur la capacité à assurer pleinement le « métier d’étudiant » ou effets sur l’insertion ultérieure. Les « petits boulots », les « stages » ou autres « expériences » (la dénomination renvoyant à une représentation de la fonction sociale du travail) sont ainsi représentés soit comme potentiellement néfastes (risque de pénalisation des études par le travail) soit comme propédeutiques (trajectoire construite sur le mode du cheminement professionnel). De telles représentations servent aussi de support à une gestion flexible des contrats par les employeurs qui y trouvent l’opportunité de mobiliser une main d’œuvre qualifiée ou en cours de qualification, peu coûteuse et peu revendicative (Pinto, 2010).

7Cette indifférence n’est pas propre aux recherches : du côté des étudiants aussi, les entretiens réalisés dans le cadre d’une recherche sur les étudiant·es passés par le numérique pour trouver un travail (Tenret, Trespeuch, Verley, 2022), révèlent leur indifférence aux statuts d’emploi. Lorsqu’on les interroge sur leur contrat de travail, nombre d’étudiant·es nous disent ne pas savoir quel est leur statut, qu’ils ou elles doivent vérifier dans leurs papiers ou sur l’appli qu’ils ou elles utilisent, comme l’illustrent les expressions suivantes « je crois que c’est un contrat », « je vais regarder mais je ne suis pas sûr », « on n’est pas vraiment déclaré », « je sais que c’était payé au Smic mais je ne sais pas si c’est déclaré », etc.

1.2. L’intérêt et la mesure des statuts d’emploi : les questions de l’enquête CDV 2020

8Pourtant s’intéresser au statut d’emploi des étudiants apparaît nécessaire pour mieux comprendre le sens du travail étudiant, son articulation avec les études et son rôle dans la réussite et l’insertion professionnelle. En effet, le type de statut (notamment salariat ou indépendance) ou l’absence de statut (travail non déclaré) est associé à un certain degré de flexibilité permettant des ajustements plus ou moins fins de l’activité rémunérée avec l’emploi du temps studieux et de loisirs. Il est également associé à des différences de protection sociale. Même si le public étudiant est relativement protégé par son statut principal d’étudiant, la crise sanitaire a révélé les fragilités des étudiants dont l’activité a dû être interrompue et qui n’ont pas pu bénéficier d’indemnisations. Enfin, les travaux sur la montée des discours entrepreneuriaux au sein de l’enseignement supérieur (Chambard, 2020) ou encore sur les effets de la formation à l’entrepreneuriat sur l’insertion professionnelle (Beduwé et Robert, 2021, Béduwé, Jacob, Robert dans cet ouvrage), justifient de s’intéresser, au-delà du « salariat étudiant » (Pinto, 2014 ; Beduwé et al., 2019), à la diversité des statuts d’emploi des étudiants, au moment où ils connaissent leurs premières expériences d’activités rémunérées.

9Pour ces différentes raisons, nous avons souhaité interroger les étudiants à grande échelle sur leurs statuts d’emploi, en introduisant de nouvelles questions dans l’enquête CDV 2020. Il s’agissait en effet de faire converger davantage les enquêtes portant exclusivement sur le champ de la population étudiante avec les autres enquêtes (comme par exemple l’enquête Emploi). Néanmoins, afin de ne pas trop alourdir le questionnaire, la question de leur statut d’emploi n’a pu être posée que pour l’activité principale des étudiant·es (à savoir l’activité leur rapportant le plus d’argent), leur statut d’emploi. La question a été formulée comme suit (Figure 2). Elle permet à la fois de mesurer le caractère formel ou non du contrat (présence vs absence d’un contrat de travail) et sa nature : CDD, CDI, contrat de micro-entrepreneur…

2. Le recours aux statuts d’emploi les plus précaires pour les étudiants les plus favorisés

2.1. La diversité des statuts d’emploi

10Les réponses à l’enquête conditions de vie 2020 permettent de mesurer que plus d’un quart des étudiants exerçant une activité rémunérée ont un contrat à durée déterminée (26 %), et un peu moins d’un quart ont un contrat à durée indéterminée (24%) (Tableau 1). Viennent ensuite les étudiants exerçant leur activité sans contrat de travail (17 %), puis les étudiants en contrat d’intérim ou de travail temporaire (10 %). Les étudiants indépendants (exerçant avec le statut de microentrepreneur ou à leur compte) représentent un peu plus de 5% des effectifs, juste après les vacations/contrats saisonniers (6 %).

11Pour la suite de l’analyse, nous avons choisi d’exclure les étudiants en apprentissage (car c’est un statut très lié à la formation suivie – le cas de l’apprentissage est étudié spécifiquement par X. Collet et B. Cart dans des chapitres de cet ouvrage) et les étudiants en contrat aidé, et de regrouper l’intérim avec les vacations et contrats saisonniers (nombre d’heures médian presque identique, resp. 8h et 8h30). La répartition des étudiants avec les catégories retenues est présentée dans le tableau suivant (Tableau 2).

2.2. Emplois stables, emplois flexibles3 : des logiques sociales différentes

12Plus les étudiants avancent dans les études, plus ils privilégient des formes d’emploi « stables » ou « régulière ». Comparé au microentrepreneuriat ou à l’absence de contrat, le salariat apparaît relativement stable et protégé – même si le CDD peut être associé à des formes de précarité de l’emploi. L’absence de contrat ou l’intérim sont ainsi plus fréquents parmi les étudiants de licence, tandis que le CDD ou les contrats de droit public sont plus fréquents pour les étudiants de 3^e cycle (mais pas le CDI).

13L’absence de contrat de travail est plus fréquente chez les étudiants dont les parents sont cadres, alors que l’interim ou le contrat saisonnier est surreprésenté parmi les enfants d’ouvriers, d’employés ou d’agriculteur de même que le CDI pour les deux premiers. Ce sont donc les étudiants d’origine plus populaire qui privilégient les formes les plus « stables » de contrat pour l’exercice de leur activité rémunérée

14Les étudiant·es en CPGE et les étudiant·es des écoles d’ingénieurs sont celles ou ceux qui travaillent le plus sans contrat de travail, le CDD ou le CDI étant plus souvent l’apanage des étudiants de LSHS à l’université aux emplois du temps plus souples et moins denses, tandis que les étudiant·es d’IUT ou de STS privilégient, plus que leurs camarades des autres filières, les contrats d’intérim ou les contrats saisonniers.

15Les étudiantes sont moins nombreuses parmi les étudiant·es indépendant·es, et surreprésentées parmi les étudiants en CDI, CDD ou sans contrat (sans doute en lien avec les activités de babysitting et de cours particuliers qui privilégient l’absence de contrat). Les étudiant·es boursier·es sont surreprésentés parmi les étudiant·es en intérim, et nettement sous représenté·es parmi les étudiant·es en contrat de droit public. Les étudiant·es étranger·es sont plus nombreux parmi les étudiant·es exerçant leur activité rémunérée avec un CDI ou un CDD, ou encore parmi les microentrepreneurs ou les indépendants.

2.3. Des activités de nature différente selon le type de contrat

16Le type de contrat des étudiants dépend de la nature de leur activité principale. L’absence de contrat de travail est ainsi déclarée par plus de la moitié des étudiants donnant des cours particuliers ou faisant du babysitting, tandis que le statut d’indépendant est surreprésenté parmi les livreurs ou coursiers, les étudiants pratiquant le street marketing, ou encore les guides touristiques. Les emplois de serveur ou de caissier se font, pour un étudiant sur deux, avec un CDI, tandis que les emplois d’assistant d’éducation ou d’ATER se font davantage sous contrat à durée déterminée (Tableau 7). Le nombre d’heures travaillée et le revenu tiré de l’activité rémunérée varient aussi fortement selon le type de contrat : les étudiants ayant un contrat de droit public déclarent ainsi travailler 22h par semaine (durée médiane), contre 15h pour les étudiants en CDI, 6h30 pour les étudiants indépendants et 3h30 pour les étudiants sans contrat (Tableau 8). Ces derniers tirent 300 € (valeur médiane) de leur activité, contre 500 € pour les étudiants en CDI, ce qui confirme des stratégies de tarification de certains étudiants, observées sur certaines plateformes (notamment pour les cours particuliers) (Trespeuch et al., 2022).

17L’activité ne prend pas le même sens pour les étudiants selon le type de contrat : les formes les plus « stables » de statuts (CDI ou contrats de droit public) sont associées à des activités qui sont indispensables aux étudiants pour vivre ; au contraire, les étudiants qui travaillent sans contrat sont une minorité à exercer une activité qui leur est indispensable pour vivre, de même que les étudiants en intérim ou travaillant de manière saisonnière. Ainsi, les formes de contrat les plus précaires ou flexibles (voire l’absence de contrat) semblent mobilisés de manière plus opportuniste par les étudiants. Les étudiants sans contrat considèrent également moins que les autres que leur statut d’activité leur assure une indépendance vis-à-vis de leurs parents (43 % contre 63 % dans l’ensemble). Quel que soit leur statut d’activité, les étudiant·es considèrent que les activités rémunérées qu’ils ou elles mènent leur permettent d’améliorer leur niveau de vie. Ce sont les étudiant·es sans contrat de travail qui considèrent le moins que l’activité rémunérée qu’ils exerce leur permettra d’acquérir une expérience professionnelle.

3. Un effet propre du statut d’emploi sur la réussite universitaire

18Selon les statuts d’emploi des étudiant·es, les effets sur la réussite universitaire varient. Ces derniers sont repérés à travers deux questions de l’enquête Conditions de vie : une question portant sur la validation des résultats du premier semestre (excluant toutefois les étudiant·es n’ayant pas encore eu de résultats ou les étudiant·es n’ayant pas de validation semestrielle – comme les étudiant·es de CPGE dont l’année est organisée en trimestres) ; une question reposant sur la perception des étudiant·es ; il leur était demandé s’ils considéraient que leur activité rémunérée avait pu avoir un effet négatif sur leurs résultats d’études.

19Sans surprise, les étudiant·es ayant les formes de contrat les plus régulières (CDI ou CDD), sans doute en lien avec les caractéristiques sociales mises en évidence dans la partie précédente, sont les étudiant·es ayant les plus faibles taux de validation au semestre précédant l’enquête (Tableau 10). En particulier, les étudiant·es exerçant leur activité en CDI ont une propension nettement plus élevée à considérer que leur activité a pu avoir un impact négatif sur leurs résultats d’études (29% contre 19% dans l’ensemble des étudiants exerçant une activité rémunérée) ou que leur activité est une source de stress (41% contre 30%).

20Afin de mesurer les effets propres du contrat de travail sur les résultats des étudiants, au-delà des autres caractéristiques de leur activité rémunérée et de leurs caractéristiques sociales, nous avons réalisé des modèles de régression logistique sur la probabilité de considérer que le travail a un effet négatif sur les résultats d’étude, d’une part (tableau 11), et sur la probabilité d’avoir validé ses résultats au premier semestre, d’autre part (tableau 12 ci-après). Nous avons réalisé des modèles emboités, afin de voir ce que l’introduction du contrat de travail change ou ajoute au modèle classique prenant en compte le volume horaire et le lien avec les études. Nous avons donc introduit les caractéristiques sociales (nationalité, sexe, âge) et les caractéristiques « classiques » de l’activité rémunérée (durée du travail, temps de travail, lien avec les études) dans un premier modèle (modèle 1) ; puis, dans un second modèle, nous avons introduit la nature du contrat de travail (modèle 2).

21La régression logistique réalisée sur la probabilité de considérer que l’activité rémunérée a un résultat négatif sur les résultats d’étude confirme l’effet des caractéristiques sociales et des caractéristiques traditionnellement prises en compte dans les recherches sur l’activité rémunérée : l’effet négatif de l’activité est d’autant plus important que l’étudiant est étranger, de sexe masculin et âgé. Plus l’activité est concurrente des études (exercée plus d’un mi-temps, plus de six mois dans l’année et sans lien avec les études), et plus elle est associée à des résultats d’étude négatifs. Ces effets demeurent lorsqu’on introduit le statut d’emploi, qui exerce lui-même un effet net et significatif sur la variable expliquée : toutes choses égales par ailleurs, les étudiants en CDI ont, en comparaison des étudiants en CDD, une probabilité plus importante de considérer que leur activité a pu avoir un résultat négatif sur leurs résultats d’étude ; au contraire, pour les étudiants sans contrat de travail, la probabilité est significativement plus faible.

22Les mêmes modèles réalisés sur la probabilité d’avoir validé ses résultats du premier semestre confirment les résultats précédents, même si le sexe et la durée du travail (plus ou moins de six mois dans l’année) ne sont pas significatifs, toutes choses égales par ailleurs, sur la variable expliquée. En revanche, le statut d’emploi demeure significatif : la validation des examens est ainsi moins fréquente pour les étudiants en CDI que pour les étudiants en CDD, alors qu’elle est plus fréquente pour les étudiants exerçant leur activité rémunérée sans contrat de travail. La nature de l’activité (cours particuliers, babysitting…) de même que la flexibilité permise par l’absence de contrat expliquent sans doute ces effets.

Conclusion

23Au-delà du nombre d’heures travaillées ou du lien avec les études, les statuts des emplois pendant les études – et la capacité des étudiant·es à utiliser ou non la souplesse de ces derniers – jouent un rôle significatif dans la réussite étudiante. Le statut d’emploi est révélateur des conditions de travail et surtout des possibilités de conciliation des temps sociaux (temps des études/temps du travail). La quête de temps pour des jeunes exerçant une activité en parallèle de leurs études s’articule à la prise en compte des impératifs de scolarité, qui constituent une dimension centrale du rapport au temps et à l’engagement dans une activité de travail. La question d’une éventuelle pénalisation des études par la participation au marché du travail se pose donc à la fois en termes d’intensité du travail (en y agrégeant les temps de déplacement), mais aussi en termes de flexibilité et d’ajustement aux contraintes temporelles, qui s’incarnent dans le statut d’emploi. À l’inverse du « salariat » classique, la flexibilité du contrat de travail est plébiscitée par les étudiant·es car elle est perçue comme permettant de combiner ou maximiser l’ensemble des expériences constitutives de la vie étudiant (études, travail, vie sociale).

24Cette capacité à se positionner sur des contrats flexibles dépend des ressources des étudiants. Pour les plus fortement dotés en ressource scolaire et les moins dépendants des revenus d’activité – ceux que Sarfati nomme les « vainqueurs » (Sarfati, 2012), l’incertitude, la flexibilité comportent donc son lot d’attraits. C’est pourquoi ils sont plus nombreux à exercer une activité sans contrat de travail ou avec le statut de microentrepreneur. À l’inverse, pour les étudiants les plus dépendants des revenus d’emploi, les moins soutenus financièrement par leurs parents, pour lesquels le travail en cours d’études est donc un impératif, l’absence de protection sociale, de droit au chômage est plus difficilement supportable. Le recours au salariat classique s’impose donc, associé paradoxalement à une plus grande précarité studieuse et susceptible de fragiliser les investissements studieux.

25Les premières analyses que nous avons présentées invitent donc à poursuivre l’investigation autour des usages faits par les étudiants des contrats de travail selon leur degré de flexibilité, en tenant compte aussi de la nature des activités associées à ces formes de contrat (même si toutes ces dimensions sont liées et sans doute difficiles à démêler). Elles invitent également à repenser ces différentes notions de précarité et de flexibilité non pas en partant des définitions « classiques » associées à la population active, mais en tenant compte de la spécificité du travail étudiant.