1Depuis plusieurs décennies, les politiques publiques successives ont contribué au développement de la professionnalisation de l’enseignement supérieur afin d’améliorer l’insertion professionnelle des étudiants (Gayraud et al., 2011 ; Lemistre et Mora, 2016 ; Glaymann et Maillard, 2021). Cette professionnalisation passe aussi bien par une meilleure adaptation des formations aux besoins de l’économie et des attentes du marché du travail, que par la généralisation des dispositifs d’accompagnement des étudiants, afin d’améliorer leur employabilité et leurs chances d’accès à un emploi de qualité. Les incitations à développer l’expérience professionnelle des étudiants, en lien avec leur cursus universitaire (alternance, stages, entrepreneuriat étudiant, etc.) ou non (travail étudiant, année de césure, service civique, activités associatives, etc.), et la capacité des étudiants à se saisir de ces opportunités et à les accumuler tout au long de leur parcours de formation sont au cœur de la professionnalisation de l’enseignement supérieur. Désormais, « c’est moins la formation en elle-même que l’ensemble du parcours de l’étudiant qui est susceptible de témoigner, en sa faveur ou en sa défaveur, de l’accumulation plus ou moins grande et variée d’éléments de professionnalisation » (Mora, 2017). Et les études menées, notamment via le dispositif des enquêtes Génération, montrent que la diversité et l’accumulation plus ou moins grande d’éléments de professionnalisation acquis par l’étudiant au fil de ses études ont effectivement un impact sur sa trajectoire d’insertion professionnelle ultérieure (Béduwé et Mora, 2017).

2Cette approche de la professionnalisation et son évaluation en termes d’insertion professionnelle nécessitent toutefois de bien connaître les enjeux formatifs, les publics sélectionnés et le type de marché du travail visé par chacun des éléments éventuellement professionnalisants d’un parcours (Béduwé et al., 2019). Qui plus est, l’évolution de la législation, aussi bien au sein du système de formation que du système d’emploi, rend précieuse l’actualisation de ces connaissances.

3Les six contributions réunies dans cet ouvrage proposent d’éclairer deux formes particulières de professionnalisation des parcours de formation dans l’enseignement supérieur : l’alternance et l’entrepreneuriat. Les analyses produites cherchent à évaluer l’impact de ces éléments de parcours sur la réussite universitaire ou les conditions d’insertion professionnelle des étudiants. Elles s’appuient sur des enquêtes locales originales (Universités de Rennes et Lille) ou nationales (enquête Conditions de vie de l’Observatoire de la vie étudiante, enquêtes Génération du Centre d’études et de recherches sur les qualifications) ou encore sur la compilation de travaux et données administratives du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Elles ont été menées dans le cadre du groupe de travail sur l’enseignement supérieur (GTES), porté par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Réseau d’échanges et de production, le GTES s’intéresse aux parcours de formation et d’insertion professionnelle des inscrits dans l’enseignement supérieur.

4L’apprentissage dans l’enseignement supérieur est autorisé depuis la réforme Seguin de 1987, mais il connaît un véritable développement à partir de 1995, soutenu par plusieurs réformes consécutives (Cart et al., 2018). La dernière, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, se donne comme objectif d’attirer de nouveaux publics intéressés par l’acquis de savoirs professionnels, la connaissance du monde de l’entreprise et la possibilité d’avoir un revenu pour financer leurs études. Ces réformes ont également profondément transformé l’apprentissage et plus largement l’alternance, en définissant un nouveau cadre législatif empreint d’une logique de « marché », de « qualité » et de « flexibilité », pour mieux répondre aux besoins de compétences des entreprises (Cart et Toutin, infra, chap.6). L’évaluation de cette forme de professionnalisation, et notamment son avantage comparatif au moment de l’insertion, est complexe (Rose, 2018). Elle a donné lieu à de nombreux travaux (par ex. Beaupère et al., 2017 ; Merlin et Wierup, 2022) aux résultats parfois contradictoires, auxquels viennent s’ajouter les contributions de Xavier Collet, Benoit Cart et Marie-Hélène Toutin dans cet ouvrage.

5Le développement de formations à l’entrepreneuriat dans l’enseignement supérieur date du début des années 2000, fortement soutenu par des politiques ministérielles successives. En 2013, les Pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat (PÉPITE), le diplôme étudiant-entrepreneur (D2E) et le statut national d’étudiant entrepreneur (SNEE) ont été créés. Ensuite, en 2019, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) a présenté un plan pour généraliser l’enseignement de l’entrepreneuriat à tous les niveaux et dans toutes les spécialités de l’enseignement supérieur. Ces formations prennent différentes formes allant de la sensibilisation aux carrières d’indépendant au soutien pédagogique et même financier d’étudiants porteurs de projet, en passant par des enseignements spécifiques dispensés au sein des diplômes ou transversaux aux formations. En voulant sensibiliser 100 % des étudiants à « l’esprit d’entreprendre », l’objectif affiché est de « permettre à chacun d’être acteur de son propre destin et de développer des compétences utiles tout au long de la vie » (exemple : créativité, innovation, prise de risques, capacité de programmer et de gérer des projets, etc.) (MESR, 2019 ; Meige et al., 2019). Ces compétences, même si elles sont au cœur de la création d’une activité entrepreneuriale, se veulent plus généralement un levier pour l’insertion professionnelle. Deux contributions, celle de Stéphanie Favreau et Hélène Robic, et celle de Catherine Béduwé, Nathalie Jacob et Alexie Robert sont consacrées à cette nouvelle forme de professionnalisation.

6En parallèle de ces changements dans la formation, du côté du marché du travail, la création du statut d’auto-entrepreneur en 2008, entré en vigueur au 1^er janvier 2009 et requalifié micro-entrepreneur fin 2014, facilite l’accès au travail indépendant, notamment chez les jeunes, comme le montre la contribution de Catherine Béduwé et Alexie Robert. Ce nouveau statut soutient également la montée en puissance des plateformes d’emploi, s’adressant pour certaines spécifiquement aux étudiants, renouvelant ainsi les formes du travail étudiant comme le soulignent Elise Tenret et Elise Verley dans cet ouvrage.

7La première contribution de Stéphanie Favreau et Hélène Robic offre une rétrospective historique de la façon dont la volonté de développer l’esprit d’entreprendre s’est déployée dans les établissements de l’enseignement supérieur depuis le début des années 2000. Pour cela, elles s’appuient sur des articles de recherche, des rapports, des dossiers de presse, des documents officiels sur le contenu des plans mis en place par le gouvernement et des données du ministère de l’Enseignement supérieur. D’abord porté par quelques initiatives individuelles, le développement de l’esprit d’entreprendre dans l’enseignement supérieur s’est vu, à la faveur d’un contexte politique national et international incitant à réformer les systèmes économique et éducatif, porté au rang de dispositif national déployé sur l’ensemble du territoire. Malgré une forme de disparité dans sa mise en œuvre, atténuée par les mesures du plan Esprit d’entreprendre, les auteures montrent, à travers les projets entrepreneuriaux portés par les étudiants mais aussi en lien avec les changements économiques et sociaux intervenus depuis le début des années 2000, les évolutions de ce dispositif, susceptible aujourd’hui de trouver une place dans le paysage de l’enseignement supérieur. Même si un nombre encore faible d’étudiants sont sensibilisés à l’entrepreneuriat ou porteurs de projets entrepreneuriaux, ils incarnent les nouvelles attentes de la jeunesse vis-à-vis des défis environnementaux et sociétaux.

8La contribution suivante de Catherine Béduwé, Nathalie Jacob et Alexie Robert tente d’analyser l’effet de cette politique de développement des formations à l’entrepreneuriat dans un contexte territorial donné, celui de l’université de Lille, engagé de longue date dans l’entrepreneuriat. Après avoir décrit l’historique et le contexte du développement des formations à l’entrepreneuriat à l’université de Lille, les auteures s’intéressent au profil des diplômés d’un master en 2018 qui se sont formés à l’entrepreneuriat, puis au rôle de cette formation sur leurs débuts professionnels. Les données sont issues de l’enquête du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation sur l’insertion professionnelle des diplômés d’un master de l’université de Lille en 2018, réalisée par l’Observatoire de la direction des formations de l’université de Lille en décembre 2020 et à laquelle des questions spécifiques sur l’entrepreneuriat ont été ajoutées. Si les formations à l’entrepreneuriat sont loin d’être une condition nécessaire pour s’installer à son compte dans les trois ans, elles en facilitent néanmoins l’accès. Les jeunes devenus indépendants apparaissent par ailleurs plus satisfaits des missions qu’ils ont à accomplir que les salariés. Enfin ces formations permettent aux jeunes salariés qui les ont suivies d’obtenir des rémunérations légèrement supérieures, ce qui prouverait une reconnaissance de leurs compétences entrepreneuriales par le marché.

9Dans la troisième contribution, Catherine Béduwé et Alexie Robert se penchent sur l’accès au statut d’indépendant des sortants de l’enseignement supérieur en 2010 au cours de leurs 7 premières années de vie professionnelle (enquête Génération 2010). Trois dimensions sont étudiées : les déterminants de l’installation à son compte, les parcours professionnels de ceux qui s’installent et le rôle de l’existence d’un projet antérieur dans cette installation et enfin les conditions de travail et le ressenti des jeunes qui se sont installés en tant qu’auto-entrepreneur. Portée par la création du statut d’auto-entrepreneur en 2010, la part des jeunes indépendants augmente au fil des 7 ans pour s’établir à 8 %. Cette installation peut succéder à de premières expériences en emploi salarié, pas nécessairement précaires, et correspond souvent à un projet développé en amont mais qui a mis un peu de temps à se concrétiser. Le statut d’auto-entrepreneur, déclaré par un tiers des indépendants au bout de 7 ans, semble satisfaire une majorité de jeunes (86 %). Rien dans leurs parcours professionnels et leur situation professionnelle ne laisse entrevoir des difficultés particulières, ce qui les oppose aux salariés en emploi à durée déterminée et, encore plus, aux jeunes en recherche d’emploi à 7 ans. Ils ont par ailleurs des situations d’emploi et des ressentis très comparables à ceux des indépendants classiques et, comme eux, déclarent massivement se réaliser professionnellement. Ce qui laisse penser que ce statut, offrant encore peu de protection sociale, correspond à des situations plus voulues que contraintes pour ces jeunes diplômés de niveau bac+2 à bac+5.

10La contribution d’Elise Tenret et Elise Verley apporte un éclairage sur l’activité rémunérée des étudiants au prisme du statut de leur emploi étudiant. Elle s’appuie sur l’enquête Conditions de vie des étudiants de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) conduite en 2020. Au-delà du nombre d’heures travaillées ou du lien avec les études, le statut de l’emploi occupé pendant les études, révélateur de certaines conditions de travail, joue un rôle significatif dans la réussite des études. La flexibilité permise par le statut d’auto-entrepreneur est plébiscitée par les étudiants, y voyant la possibilité d’une meilleure conciliation entre le travail et les études. Les étudiants travaillant avec ce statut sont souvent fortement dotés en ressources scolaires et les moins dépendants des revenus de leur activité, de même que ceux déclarant ne pas avoir de contrat de travail. Les étudiants les plus dépendants du revenu de leur emploi ont plus souvent recours à un contrat de salarié classique, lequel s’associe paradoxalement à une plus grande précarité studieuse et se révèle davantage susceptible de mettre en péril la réussite des études.

11La contribution de Xavier Collet s’intéresse aux profils et motivations des étudiants de master en alternance à l’université de Rennes 1 (devenue université de Rennes depuis le 1^er janvier 2023) puis à leur insertion dans le monde du travail. Ces trajectoires professionnelles sont comparées à celles des diplômés non alternants issus des sept mentions offrant les deux types de parcours. Les données sont issues de l’agrégation des cinq dernières promotions (2013 à 2017) de diplômés de master à l’université de Rennes 1 interrogées dans le cadre des enquêtes Insertion professionnelle du ministère de l’Enseignement supérieur. Cette comparaison montre que les alternants ne bénéficient pas plus souvent de « l’effet contact » (embauche directe dans l’entreprise où s’est effectuée l’alternance) que les non-alternants ayant réalisé un stage long à la fin de leur master. Ensuite, à caractéristiques égales, les non-alternants obtiennent aussi souvent un « emploi de qualité » que les alternants, à savoir : emploi de niveau cadre, en CDI et salaire supérieur à 2 000 euros. Les écarts observés en statistiques descriptives renvoient à des spécificités de l’offre de formation, du bassin d’emploi et des caractéristiques sociodémographiques. L’alternance a en revanche un effet positif sur la probabilité d’être satisfait de son emploi en termes de responsabilités et, dans une moindre mesure, de sa rémunération. Un résultat qui souligne l’importance d’aller au-delà des mesures objectives dans ce type d’analyse.

12Dans la dernière contribution de l’ouvrage, Benoit Cart et Marie-Hélène Toutin abordent également la question des effets de l’alternance, plus spécifiquement de l’apprentissage, sur l’insertion professionnelle des jeunes, mais sur un champ d’étude plus large et à plus long terme. Les données sont celles de l’enquête Génération 2010 auprès des diplômés sortis en 2010 aux niveaux bac+2 à bac+5 et suivis pendant 7 ans. Les résultats montrent que, si les ex-apprentis bénéficient d’un avantage indéniable en matière d’insertion professionnelle, cet avantage a tendance à se réduire avec l’avancée de la carrière. Il est aussi à nuancer selon les niveaux et groupes de spécialités de la formation suivie. L’accès à l’emploi pérenne après les premières années de vie active apparait surtout déterminé par des caractéristiques individuelles, telles que le genre et la classe sociale d’origine, caractéristiques qui favorisent également le fait d’entrer en apprentissage dans l’enseignement supérieur. Ce constat amène les auteurs à s’interroger sur le bien-fondé du développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur.