Introduction

1Aujourd’hui, les femmes sont plus diplômées que les hommes (Couppié & Épiphane, 2019) et on constate un rapprochement des carrières masculines et féminines chez les plus jeunes (di Paola et al., 2017 ; Dupray & Épiphane, 2020). Celles des femmes demeurent néanmoins globalement moins favorables, que ce soit en termes salariaux ou d’accès aux positions professionnelles les plus élevées (Guergoat-Larivère & Lemière, 2018). Cette situation est liée en partie aux problématiques de conciliation entre vies familiale et professionnelle, notamment au moment des maternités qui entraînent des interruptions de carrière et des passages à temps partiel. La participation massive des femmes au marché du travail ne s’accompagne pas d’une redéfinition des rôles au sein de la famille et l’inégale prise en charge des tâches familiales et domestiques au sein du couple renforce les inégalités de carrières, même à de hauts niveaux d’emploi et de qualification (Jacquemart, 2014). Si l’écart hommes-femmes dans le partage des tâches s’est réduit au fil des années (Sofer & Thibout, 2015 ; Pailhé & Rémillon, 2022), il concerne surtout les couples sans enfant (Couppié & Épiphane, 2022). Les femmes continuent ainsi d’assumer la plus grande part du travail domestique, et ce même si elles s’investissent davantage dans le travail marchand (Sofer & Thibout, op.cit.). Des études récentes (Pailhé, Solaz & Wilner, 2022 ; Champeaux & Marchetta, 2022) ont par ailleurs montré que la répartition du travail domestique a très peu varié sous l’effet de la crise du Covid‑19.

2Pratique susceptible d’impacter les carrières, l’accès à la formation professionnelle continue présente des taux proches entre les femmes et les hommes, s’expliquant surtout par le fait que les femmes sont surreprésentées dans les secteurs où le recours à la formation est élevé (Briard, 2020a). On observe un effet négatif des naissances sur l’accès à leur formation (Briard, 2020b ; De Larquier & Rémillon, 2022), les contraintes familiales s’avérant un frein en particulier lorsque les enfants sont petits (Bosse, Checcaglini & Guégnard, 2006 ; Fournier & Sigot, 2009). Les conditions de formation se révèlent par ailleurs différentes entre les sexes. Pour se former, les femmes réorganisent leur vie personnelle deux fois plus souvent que les hommes (Fournier & Sigot, op. cit.) et elles se forment plus fréquemment en dehors de leur temps de travail habituel et financent plus souvent elles-mêmes leur formation (Briard, op.cit., b, De Larquier & Rémillon, op. cit.).

3Au sein de la formation continue, les formations formelles diplômantes sont relativement rares. Seuls 2 % des adultes en ont suivi une sur les douze derniers mois, essentiellement des jeunes reprenant des études après une interruption de plus d’un an (Gaini, 2018). Ainsi 62,4 % des femmes en emploi en 2010 et 2015 ont suivi une formation sur la période ; 7,3 % une formation diplômante (Briard, op. cit., a). Reprendre de telles études s’avère donc une démarche peu courante et demande un investissement temporel conséquent.

4Partant de ces constats, nous proposons d’étudier des parcours de femmes ayant repris des études diplômantes au cours de leur carrière et d’analyser leurs conditions de formation, sous l’angle spécifique de la conciliation des temps sociaux. Les résultats présentés s’appuient sur 23 entretiens biographiques semi-directifs, réalisés en 2021 et 2023 auprès de femmes âgées entre 29 et 50 ans (42 ans de moyenne d’âge). Elles se sont engagées, dans la plupart des cas, dans une année de master 2, précédée, pour quelques-unes d’une année de licence et/ou d’un master 1 (cf. annexe), dans un IAE et un IEP1 entre 2019 et 2022. Toutes vivent ou ont vécu en couple, 20 ont des enfants. Les enquêtées étaient invitées à évoquer leur parcours scolaire et d’études, ainsi que leur parcours personnel et professionnel depuis leur insertion sur le marché du travail, à la fois d’un point de vue objectif et subjectif.

5L’analyse thématique des entretiens a permis d’identifier trois grandes dynamiques de reprise d’études (concernant chacune environ un tiers des femmes interviewées). Dans un premier cas, l’objectif est d’engager une réorientation professionnelle. Les processus de reconversion observés présentent des similitudes avec ceux identifiés dans d’autres études (Dupray et al. 2022, Fournier et al., 2017). Des projets sont ainsi associés au souhait d’exercer une activité davantage porteuse de sens, avec des attentes orientées vers l’expression de soi et/ou de ses valeurs au travail. Parfois, ce sont des considérations extra-professionnelles qui entrent d’abord en jeu, comme la recherche d’une meilleure qualité de vie. La réorientation vise aussi l’accès à une place plus valorisée sur le marché du travail et le développement d’une nouvelle image de soi plus positive en tant que travailleuse. Enfin, elle s’impose parfois comme nécessaire par rapport à des difficultés rencontrées dans son emploi et vécues comme hors de contrôle.

6Dans un deuxième cas, la reprise d’études vient accompagner une évolution de carrière dans son métier. Elle se réalise alors dans une continuité de parcours « sans histoire », avec un objectif de développement de compétences nouvelles et/ou l’accès à davantage de responsabilités. Mais elle est aussi envisagée comme un moyen de sortir d’une situation professionnelle considérée comme bloquée en termes d’évolution et d’atteindre une position plus satisfaisante.

7Enfin, dans un troisième cas, la finalité est d’obtenir le diplôme associé aux fonctions déjà occupées, de faire reconnaître les compétences acquises au fil du parcours par un niveau de formation correspondant. Développer ou maintenir son employabilité est ici au cœur de la démarche, dans une logique de mobilité externe, de déploiement d’un nouveau projet, ou dans une optique de « protection », lorsque des personnes se trouvent dans des entreprises en réorganisation. Parfois aussi, la reprise d’études n’a pas de visée professionnelle précise, mais porte davantage une dimension symbolique de reconnaissance sociale à travers le niveau de diplôme.

8Les problématiques liées à la conciliation des sphères privée et professionnelle ont-elles joué un rôle dans ces trajectoires de reprise d’études ?

9Nous proposons dans un premier temps d’éclairer de manière transverse les parcours à l’aulne de la manière dont les femmes ont vécu et géré la conciliation entre travail et famille. Nous verrons que leur rapport à l’emploi et à la vie personnelle est plutôt conforme aux rôles sociaux de genre et que la recherche de l’équilibre entre les différentes sphères est très présente dans les discours. Prises entre des injonctions normatives difficiles à allier que sont « la réalisation de soi », la « disponibilité maternelle », « l’harmonie familiale » et « l’implication dans la sphère professionnelle » (Kertudo, 2013), certaines arrivent à maintenir un équilibre qui leur apporte satisfaction. D’autres, en revanche, sont prises dans des tensions entre leurs différents rôles sociaux, impactant les situations personnelles et les trajectoires professionnelles, dévoilant alors le rôle des reprises d’études au cœur de ces problématiques. Pour toutes, reprendre des études est une décision murement réfléchie qui représente une étape importante de leur trajectoire, un temps pour elles et leur carrière, mais un temps supplémentaire, celui de la formation, qui vient perturber les organisations et équilibres en place.

10Dans une deuxième partie, nous nous intéresserons ainsi à la manière dont les femmes s’engagent dans la formation et dans quelles conditions cette dernière se réalise. Nous verrons que les frontières entre études, emploi, temps libre, temps consacré aux activités parentales et domestiques, deviennent poreuses. Si les conditions s’avèrent différentes en fonction des situations individuelles (situation sur le marché du travail, âges des enfants, soutien de l’entourage, arrangements conjugaux…), le retour en formation demande un fort investissement, impliquant contraintes et sacrifices, générant parfois des difficultés, mais révélant aussi des femmes engagées et battantes.

1. Des trajectoires professionnelles mises en lumière sous l’angle de la conciliation

11Les femmes rencontrées2 sont diplômées du supérieur3, ont toujours été en activité4, avec des interruptions essentiellement dues aux maternités et/ou à la prise d’un congé parental d’une à trois années. La plupart sont mères de famille, vivent en couple et leur parcours est ainsi jalonné d’étapes liées à leur vie personnelle (suivi du conjoint, naissances, etc.). Si certaines expriment le sentiment de parvenir à maintenir un équilibre qui leur convient entre vie privée et travail, cela s’avère pour d’autres sources de tensions : au-delà de la conciliation des temps, se trouve alors interrogée la conciliation de leurs différents rôles sociaux, de travailleuse, de mère et de conjointe. Ces éléments permettent alors d’apporter un éclairage sur le déroulé des parcours et sur les facteurs conduisant à la reprise d’études.

1.1. Un équilibre trouvé entre vie personnelle et professionnelle

12Parmi les femmes rencontrées, une majorité présente des trajectoires marquées par la volonté de concilier leur vie de famille avec une vie professionnelle, sans que l’une prenne le pas sur l’autre. Point commun dans les discours, les enfants demeurent une « priorité »5 et, sans surprise, la disponibilité parentale relève avant tout de la disponibilité maternelle, même si elles ne sont « pas seule[s] à les [élever] » (Aurélie, 44 ans, 1 enfant). « À la naissance de ma fille j’ai pris un an […] je me suis dit un enfant c’est un privilège dans la vie » (Coralie, 32 ans, 1 enfant). Pour certaines, elle est même « naturellement » de leur ressort :

« Pour moi c’était hyper important d’être au centre de l’éducation de mes enfants. J’ai toujours travaillé à côté, mais en revanche j’ai pris ce sujet comme étant le mien » (Solène, 43 ans, 3 enfants).

13Pour autant, ces femmes ne renoncent pas à s’investir dans la sphère professionnelle, évoquant « cette éternelle recherche de ce fameux équilibre entre vie perso, vie de famille et vie pro » (Nadège, 49 ans, 3 enfants). C’est ce qu’exprime Aurélie, qui travaille dans le secteur de l’éducation populaire, domaine dans lequel elle trouve du sens et s’épanouit. Elle s’est formée au fil des ans, pour « nourrir » son expérience professionnelle et « faire en sorte que [s]a carrière […] puisse aussi prendre un certain envol », tout en veillant à préserver sa vie personnelle :

« Ça pour moi c’est primordial, en fait la qualité de vie… ma qualité de vie de famille… ça fait partie de mes priorités […] moi j’ai toujours besoin de regarder… comment va ma vie perso… et comment le travail vient… ‘fin compléter ou en tout cas quelle assise il peut avoir dessus » (Aurélie, 44 ans, 1 enfant).

14Le temps partiel ou encore le refus de certains postes sont des leviers évoqués dans la recherche de cet équilibre. Nadège, ingénieure, n’a jamais souhaité prendre des responsabilités en management, refusant les contraintes et impératifs liés à ces positions :

« Je ne veux pas rentrer dans un système qui est un système construit par les hommes pour les hommes et je ne veux pas moi m’adapter à ce système, je ne veux pas renier certaines choses » (Nadège, 49 ans, 3 enfants).

15Travaillant à 80 %, d’abord pour ses enfants petits puis « pour [elle] », elle exprime « le sentiment d’avoir toujours pu prendre les décisions [qu’elle] voulai[t] prendre, d’avoir gardé une certaine liberté mais en étant peut-être aussi très consciente des limites », ce souhait de conciliation ayant de fait un impact sur le déroulement de la carrière.

16D’autres encore occupent des postes dont les conditions de travail offrent assez de latitude, comme Maya, cadre, qui a travaillé 17 ans dans la même association, avec son conjoint, facilitant ainsi l’organisation familiale :

« J’avais cette liberté quand même d’organisation […] donc ça s’est plutôt bien concilié » (Maya, 42 ans, 2 enfants).

17Articuler sa carrière et celle de son conjoint, en fonction de temporalités familiales, est aussi un élément mis en avant par Joline, qui s’est arrêtée durant un an lorsque son conjoint a pris un poste à responsabilités dans une autre région. L’objectif était d’être présente pour ses enfants alors en bas âge, mais aussi de mettre ce temps à profit pour préparer le concours d’entrée à l’école des cadres de santé, avec un projet familial de mobilité géographique, en fonction de l’école où elle serait retenue. C’est ainsi que son mari quitte son emploi et que toute la famille déménage l’année suivante : « soit c’était l’un, soit c’était l’autre » (Joline, 47 ans, 3 enfants).

1.2 Des choix privilégiant la vie familiale devenus insatisfaisants ou bloquants pour la carrière

18D’autres femmes, en revanche, font part de choix privilégiant la sphère familiale qui les ont placées dans des situations qui ne leur conviennent pas ou plus et les ont conduites à repenser leur rapport au travail et à l’emploi. Différents contextes et périodes de vie sont associés à ces orientations données au parcours.

19Pour Eva, il s’agit d’une erreur d’« aiguillage dans le début de choix », qu’elle explique par le modèle familial dominant dans son pays d’origine (situé en Europe), où les femmes quittent souvent le marché du travail lorsqu’elles fondent une famille. Elle poursuit des études, sans se projeter au-delà : « ma carrière ça n’a jamais été ce qui m’a attirée ». Mais être mère au foyer, qui correspondait « un petit peu [à] un idéal au début », ne s’avère au final « pas [s]on truc » :

« Ce qui est mon truc finalement, c’est plutôt construire des choses […] viser plus loin que ce que je pensais finalement ».

20Agrégée, elle expérimente le métier d’enseignante qui ne lui convient pas, son cursus l’ayant, à ses yeux, conduite « nulle part finalement » :

« Le point de départ dans mes choix aurait peut-être été un autre si je m’étais projetée dans ″il faut que j’assume le foyer″ » (Eva, 36 ans, 1 enfant).

21Parfois, c’est l’expérience du congé parental qui renvoie les femmes à une identité qui ne leur correspond pas, l’image de « mère au foyer » étant vécue comme socialement peu valorisante. Véra évoque ainsi « la pression sociale » éprouvée :

« Le fait de dire “je ne travaille pas”, on est très vite mis un peu dans une “case” et ça c’est un regard que j’avais beaucoup de mal à accepter […] j’ai très mal vécu ça […] la pression peut-être aussi un tout petit peu de ma famille au final, qui m’a quand même dit, tu n’as pas fait des études pour rien » (Véra, 42 ans, 3 enfants).

22Le congé parental a aussi changé la relation avec son compagnon, instaurant un certain rapport de « domination » et le sentiment de ne pas être reconnue :

« Mon mari avait un bon poste, lui il était en explosion de carrière […] Et aucune reconnaissance au final de mon statut de mère au foyer, de femme […] On était sur un rapport un peu de puissance en fait » (Vera, 42 ans, 3 enfants).

23Par ailleurs, certains choix d’emplois qualifiés de « stratégiques » (Véra, 42 ans, 3 enfants) et « correspond[ant] surtout à [l]a vie familiale » (Naïma, 49 ans, 2 enfants) relèguent au second plan l’intérêt pour l’activité elle-même, pouvant susciter avec le recul des regrets :

« Je pense que j’aurais dû plus insister dans ma branche [de formation initiale], pas forcément être obtus comme ça à vouloir faire la fonction publique » (Véra, 42 ans, 3 enfants).

24Pour ces femmes, le retour aux études participe alors de leur volonté de réinvestir leur vie professionnelle, en accédant à une place plus en accord avec leurs aspirations :

« Très rapidement j’ai capté aussi que […] je n’allais pas me faire recruter ailleurs, je n’allais pas faire une carrière qui me va sans reprendre mes études » (Eva, 36 ans, 1 enfant).

« J’avais aussi mon désir de maternité, d’être maman, mes enfants allaient bien, j’étais accomplie […] et je me suis dit, c’est le moment aussi de réfléchir une vraie fois dans ta vie, qu’est-ce que j’ai envie de faire » (Véra, 42 ans, 3 enfants).

1.3 Implication professionnelle, réalisation de soi et responsabilités familiales : entre obstacles et réussites, des tensions identitaires

25D’autres récits mettent en avant des parcours où l’implication professionnelle est fortement valorisée, tout en révélant les tensions engendrées par l’injonction au cumul des normes (Kertudo, op. cit.), avec parfois des conséquences sur la santé ou la vie de couple. Les histoires d’Agathe et Bénédicte, mariées et mères respectivement de trois et deux enfants, illustrent ces trajectoires, où des reprises d’études successives accompagnent leur « volonté d’évoluer ».

26Dès la fin du lycée, l’objectif d’Agathe (39 ans) est de prendre son indépendance, ce qui se traduit par le souhait de rentrer au plus vite sur le marché du travail et de fonder une famille. Devant l’insistance de ses parents, elle s’inscrit néanmoins, un peu par hasard, en DUT, en alternance dans une banque. Elle entre alors dans ce qu’elle qualifie de « tunnel », ce choix d’entreprise ayant guidé la suite de son parcours. Très rapidement, Agathe se rend compte qu’elle a aussi envie de se réaliser dans la vie professionnelle et ressent « un sentiment de gâchis » de ne pas s’être davantage engagée dans les études. Elle se concentre alors sur le développement de sa carrière dans le secteur bancaire et va suivre, en interne, une formation de management bancaire (équivalent master 1) puis un master 2 en finances, à distance, sur son temps personnel. Elle se conforme à la norme de disponibilité nécessaire pour être promue dans ce secteur et s’arrête le moins possible lors de ses maternités.

27À cette forte implication professionnelle s’ajoute son investissement dans la sphère familiale :

« Je suis une femme et même si peut-être […] je ne suis pas la plus mal lotie, il y a un gros décalage quand même entre ce que j’avais à gérer sur la vie de famille par rapport à mon conjoint ».

28Pour elle, avoir réussi à accéder en tant que femme et mère à un poste de direction est source de fierté et revêt même une valeur d’exemplarité :

« Déjà, en tant que femme, d’être directrice c’était important pour moi […] de dépasser un peu toutes ces histoires de plafond de verre […]. Il y en a de plus en plus [de femmes] quand même, parce que c’est un milieu qui est assez féminin […] après des femmes qui avaient trois enfants, dont un en bas âge, qui avaient repris des études en même temps, qui ont toujours bossé à plein temps et tout, il n’y en a quand même pas beaucoup » (Agathe, 39 ans, 3 enfants).

29Mais parallèlement à cette réussite, elle manifeste le sentiment de ne s’être « jamais sentie à [s]a place pleinement » dans un secteur qui ne correspond pas vraiment à ses valeurs, parlant de « dissonance cognitive ». Elle rapporte ainsi avoir réalisé plusieurs bilans de compétences et exprime une tension entre la réalisation de soi et les responsabilités familiales, évoquant la prise de risque liée à une éventuelle reconversion :

« Je n’arrive pas à partir parce que je ne trouvais pas d’issue et que je ne pouvais pas démissionner comme ça, alors que j’avais trois enfants et que c’est moi qui avais le plus gros salaire ».

30Finalement, c’est un arrêt maladie lié à un épuisement professionnel qui marque un tournant dans son parcours et débouche sur la décision d’une nouvelle reprise d’études en master avec un objectif de reconversion dans un domaine plus en lien avec ses aspirations :

« J’ai vraiment craqué complet, du coup j’ai été arrêtée […] Il y avait un cumul à la fois de la surcharge de travail et en plus […] la perte totale de sens. Et là, c’était terminé » (Agathe, 39 ans, 3 enfants).

31Bénédicte (50 ans) vise, quant à elle, dès le départ, un poste à responsabilités. Après des études d’infirmière, elle poursuit sur une formation de puéricultrice dans l’objectif d’occuper un poste de directrice de crèche. Elle reprend une première fois des d’études – après environ 15 années de carrière – pour obtenir le diplôme de cadre de santé (équivalent master 1). Ce diplôme lui permet, dit-elle, « de [s]e reconstruire autrement et en étant valorisée ». Ce sentiment de dévalorisation est lié au regret de ne pas avoir fait d’études plus prestigieuses (pour des raisons financières, elle a dû renoncer à des études de droit et à son projet de devenir juge pour enfants), mais aussi au regard de la carrière de son conjoint, profession libérale et multidiplômé :

« Avec ce diplôme, quand même, j’avais un meilleur salaire […] donc c’était quand même plus intéressant pour moi aussi et puis même aux yeux de mon conjoint aussi. Parce que lui il était quand même [profession libérale], il a fait [aussi] pharmacie, il a fait plein de DU » (Bénédicte, 50 ans, 2 enfants).

32Elle évoque ainsi un conjoint qui la « pousse » à se former, tout en lui déléguant entièrement les activités domestiques et parentales, engendrant à plusieurs reprises des tensions au sein du couple : « il était sans arrêt en train de me dire faire des études, faire des études, faire des études. Ok, je vais à l’école des cadres et après, à chaque fois, il me fait, il ne faut pas arrêter là […] il faut continuer. Oui, il faut quand même s’occuper des enfants donc… ». Elle souligne par ailleurs les injonctions contradictoires qui lui sont renvoyées :

« À un moment, mon conjoint voulait que je travaille avec lui […] il voulait une assistante […] et moi j’étais déjà directrice de crèche. J’avais un poste à responsabilités et là ça a été difficile parce que ça, il avait du mal à l’entendre. Je voulais garder mon indépendance […] et en plus c’est vraiment un travail qui me plaît » (Bénédicte, 50 ans, 2 enfants).

33En lien avec cette absence de partage des tâches, qualifiée de « destruct[rice] pour le couple », son discours révèle le conflit identitaire engendré par la difficile articulation entre ses rôles de mère et de femme qui aspire à se réaliser professionnellement :

« Je me suis arrêtée trois ans et tant mieux, j’ai partagé trois ans pour [mes fils] mais c’était très bien, ça m’a permis de m’occuper d’eux, mais en fait on est tout le temps pieds et mains liés en tant que femme […]. Vous voyez, moi je suis restée infirmière alors que j’aurais aimé aussi peut-être faire plus d’études ou reprendre juge pour enfants ou reprendre autre chose. En tant que femme, on est pieds et mains liés parce qu’il y a les enfants ».

34Malgré une première reprise d’études éprouvante, Bénédicte suivra deux nouvelles formations, dont un master 2, « pour apprendre » mais aussi « avoir le diplôme » de niveau bac+5.

35Au-delà de ces deux récits, les entretiens révèlent plus largement la complexité à trouver, en tant que femme, sa « juste » place dans le monde du travail. En plus des contraintes familiales, certaines font part d’obstacles rencontrés sur le marché du travail, comme le maintien à des postes précaires ou peu intéressants, les opportunités manquées pendant les congés maternité, celles que l’on ne propose pas à des mères d’enfants en bas âge… Tenter de se conformer aux attentes en s’arrêtant le moins possible, s’interroger sur l’opportunité d’avoir un enfant lorsqu’on est recrutée sur un poste à responsabilités… sont autant d’attitudes faisant échos dans les discours aux sentiments ne pas être assez « légitime » pour se positionner sur certains postes. Au final, transparaît l’impression de devoir « redoubler d’énergie pour avoir un semblant de statut identique à celui de l’homme » (Nina, 36 ans, 3 enfants), le retour en études s’inscrivant alors dans cette logique :

« Moi je me suis accrochée au diplôme en ayant l’impression que [c’était nécessaire] si je voulais donner un tournant à ma carrière professionnelle […]. Alors qu’aujourd’hui avec du recul quand je regarde les responsables qu’on peut avoir chez [entreprise publique], j’ai probablement un diplôme supérieur à la majorité d’entre eux […] ils n’ont pas eu à repasser par tout ça » (Naïma, 49 ans, 2 enfants).

1.4 Reprendre des études au « bon moment » 

36Le projet de retour en formation est le plus souvent en germe depuis plusieurs années et la décision de se lancer s’enclenche à des moments qualifiés de propices : parfois, c’est une opportunité de financement de la formation ; dans d’autres cas, c’est une période compliquée au travail (relations conflictuelles, épuisement professionnel…), le départ en formation étant alors également appréhendé comme une occasion « de prendre l’air ». L’exemple de collègues ou amies partis en formation suscite aussi parfois un phénomène d’entraînement.

37Le moment du parcours de vie est aussi évoqué. Être en milieu de carrière laisse le temps d’investir un nouveau projet, avec le bénéfice de l’expérience et de la « maturité » :

« Je me sens un peu plus armée pour me lancer dans des trucs » (Solène, 43 ans, 3 enfants).

« J’’ai reçu mon relevé de points retraite […] et cette prise de conscience de recevoir ce papier, je me suis dit, là je viens juste de passer la moitié de ma vie professionnelle […] ça m’a fait me dire je peux reprendre complètement à zéro, j’ai eu le temps en 22 ans de faire une carrière, d’arriver à un certain niveau, si je repars, ça ira plus vite normalement » (Nadège, 49 ans, 3 enfants).

38Les enfants qui grandissent ou quittent le foyer offrent également « plus de latitude ». L’âge de ces derniers s’avère en effet un élément central, qu’il s’agisse – le plus souvent – d’attendre qu’ils soient suffisamment grands, « tant qu’ils étaient pas au collège, c’était impensable de faire ça » (Liane, 43 ans, 2 enfants), ou à l’inverse de profiter qu’ils soient en bas âge.

39Parmi les femmes rencontrées, cinq ont déjà l’expérience d’une reprise d’études diplômante, une a également réalisé une VAE6. Dans huit cas, le conjoint a lui-même repris des études les années précédentes, permettant d’anticiper la manière dont cela va se dérouler : « Je savais ce qu’allait être la charge de travail » (Valérie, 39 ans, 1 enfant), « weekends, jours fériés, vacances, tout y est passé donc ça, on connaissait bien » (Aude, 45 ans, 2 enfants). Est-ce que la reprise d’études du conjoint a pu avoir valeur d’exemple ou de déclencheur de leur projet ? À l’exception de Bénédicte (cf. 1.3), elle n’est jamais présentée comme tel par les femmes interviewées, même si dans deux cas cependant, elle s’inscrit dans ce qui s’apparente à un projet de couple, impliquant un changement professionnel pour les deux conjoints.

40Toutes soulignent être soutenues aussi bien par leur conjoint que par leurs enfants dans la décision de reprise d’études. Mais cette dernière implique de revoir les organisations en place et de composer avec ce nouveau temps dédié aux apprentissages. Quelles implications a-t-il sur la vie personnelle ? Comment s’articule-t-il avec la vie professionnelle ?

2. Reprise d’études et enjeux de conciliation des temps

41Les récits révèlent l’importante charge de travail induite par ce temps nouveau, les tensions et les concessions d’ordre privé et professionnel qui en résultent. Mais la dimension « sacrificielle » du retour en formation est nuancée du fait des ouvertures qu’il procure et en fonction des contextes dans lesquels il se déploie.

2.1 Une nouvelle charge de travail personnel considérable

42Les 11 spécialités de master s’organisent sur des rythmes variables. Huit de ces spécialités, concernant 20 interviewées, sont sur le « rythme de l’alternance », avec des cours une semaine par mois, ou bien entre deux et quatre jours tous les quinze jours, parfois les samedis, sur une année. Le reste du temps est libéré pour l’entreprise pour les personnes en emploi ou pour du temps personnel et le stage. Certaines spécialités accueillent surtout des adultes en formation continue, d’autres un public mixte d’adultes et de jeunes. Sur ces 20 femmes, 13 étaient salariées en cours d’emploi et 4 alternantes en contrat de professionnalisation, 3 n’avaient pas de travail (2 inscrites à Pole Emploi et 1 en congés de mobilité). Seules trois spécialités de masters, accueillant trois interviewées, sont organisées sur le « rythme classique » de la formation initiale avec un premier semestre de cours et un second semestre de stage. Elles n’accueillent qu’un ou deux adultes sur des promotions d’une vingtaine de jeunes. Le rythme implique d’être entièrement disponible aux études le premier semestre. Dans notre cas, elle concerne deux personnes sans emploi et une en congés de formation. Sur les 23 personnes, 17 ont donc combiné études et travail et 6 étaient dégagées de toute activité professionnelle à l’exclusion du stage.

43Le « rythme classique » apparait donc rare et le « rythme de l’alternance » semble être la règle. Adapté aux différentes situations professionnelles des repreneuses, il permet de conserver un emploi – et donc un salaire – pendant la reprise d’études, à condition de pouvoir se libérer pour les cours. 13 salariées ont été autorisées à s’absenter de leur poste, 8 se sont formées entièrement sur le temps de travail, 3 partiellement (50/50 en moyenne) et 2 entièrement hors temps de travail, sur leurs jours de congés.

44Toutes insistent spontanément sur la charge de travail personnel considérable, débordant les heures de présence en cours, occupant soirées et week-ends. Elles parlent d’une formation universitaire « très exigeante et il y a des fois ça me demandait beaucoup […] au niveau de la charge de travail » (Léonore, 45 ans, 2 enfants), du besoin de « temps supplémentaire pour assimiler et pour apprendre » (Julia, 29 ans, pas d’enfant), d’une quantité de travail personnel sous-estimée : « on a besoin de temps pour le travail personnel et que c’est bien plus énorme que ce qu’on croit » (Vanessa, 39 ans, 2 enfants). Absorber cette « masse de travail » est une difficulté commune à toutes les interviewées, exprimée par celles ayant dû combiner études et travail, par Léonore, salariée et responsable d’une structure associative ou Julia, alternante, mais aussi par des femmes sans emploi comme Vanessa en congé de mobilité pour 18 mois suite à un départ volontaire dans le cadre d’un plan social.

45L’intensité de cette charge de travail personnel a plusieurs causes. Il y a « pas mal de travaux de groupes » sur des horaires contraints pour s’ajuster aux autres étudiants, « ce qui pose le problème de différents rythmes de différentes personnes de la promo. Il y a des adultes avec enfants, il y a des jeunes adultes […] ce n’était pas forcément toujours simple » (Eva, 36 ans, 1 enfant). Elles ressentent ensuite un décalage et une lenteur par rapport aux plus jeunes et doivent réactiver les méthodes d’apprentissage :

« C’était comme si j’avais des automatismes à apprendre, à créer pour aller aussi vite qu’eux, notamment au niveau des outils informatiques, la mémoire, on n’apprend plus à 40 comme à 20 […] il faut se remettre dedans, et tout ça a été compliqué » (Léonore, 45 ans, 2 enfants).

46L’exercice académique du mémoire est une épreuve pour beaucoup : « je n’avais pas du tout conscience de ce que ça représentait en termes de réflexion, de travail, de revue de littérature, de méthodo » dit Vanessa. Il y a enfin, le désir de se donner à fond dans les études. Nacera qui a enchainé L3, L1 et M2 a « essayé de concilier » en ne visant « pas la meilleure note possible mais la note moyenne », sans y parvenir :

« Il fallait tout le temps que j’aille au bout, il fallait que je comprenne ce que je faisais, que je donne le meilleur de moi-même, et c’est ce que j’ai fait sur les deux années. Du coup, ça a été épuisant » (Nacera, 48 ans, 2 enfants).

2.2 Des concessions d’ordre privé ou professionnel

47Intégrer ce nouveau temps des études dans les agendas s’avère « compliqué », source de tensions et de concessions. C’est d’abord le temps privé qui est rogné pour les études, plus particulièrement par celles qui, devant combiner études et travail, les 13 salariées et 4 alternantes, n’ont d’autre choix que de reporter le travail personnel sur leur temps libre.

48Valérie, cadre dans le secteur privé, dont la formation sur le temps de travail est financée par l’employeur se rappelle comment « c’était dur pendant un an de ne plus avoir de week-ends, parce que bon les cours c’était un samedi sur deux mais les autres week-ends, y a beaucoup de travail personnel quand même » (Valérie, 39 ans, 1 enfant). Léonore se remémore ses soirées studieuses après avoir couché les enfants, la frustration de n’avoir plus de temps libre :

« Au niveau du boulot, on me demandait beaucoup. Le master, on me demandait beaucoup. Du coup, je devais faire tout ça sur du temps “off” genre quand tout le monde était couché […]. J’avais l’impression de louper plein de trucs, je ne faisais que ça, je ne lisais que des bouquins, quand j’avais du temps c’était pour bosser » (Léonore, 45 ans, 2 enfants).

49Le temps pour soi, le sport, les loisirs, les sorties… est réduit en priorité, parfois « au strict minimum ». Léonore a tout « sacrifié », « surtout la dernière année, plein de sorties, de lien social, de famille. Après pour moi c’est quelque chose qui valait le coup, qui n’allait pas durer non plus ». Nacera, divorcée, met de côté la « vie sentimentale », Bénédicte arrête le sport et a « pris au moins 5 kg ». Les concessions vont parfois au-delà du temps pour soi, atteignant le temps pour les enfants ou les proches. Valérie renonce à faire l’école à sa fille de 11 ans pendant la période Covid : « fallait que je fasse un choix hein, soit je lâchais mon boulot, soit je lâchais mes cours à moi, soit je lâchais ses cours à elle ». Nina rallonge au maximum les horaires de garderie et décline les invitations de sa famille qui « ne comprend pas forcément pourquoi on ne peut pas les voir, ça a été deux années off en fait […] si on veut y arriver, là on n’a pas le choix à un moment. Donc les enfants ont aussi appris à être de plus en plus autonomes » (Nina, 36 ans, 3 enfants). Julia (29 ans, sans enfants) se dispute avec son compagnon, car elle n’est plus disponible pour sortir.

50Malgré ces concessions, le risque de surmenage est souvent présent. Il s’explique par des responsabilités importantes, notamment pour les cadres, une charge de travail rarement allégée, des fonctions ne pouvant être déléguées. Cela se traduit par une difficulté voire une impossibilité de « couper » avec le travail. Liane (53 ans, 2 enfants) réussit à « préserver » ses temps de cours, à ne pas regarder sa boite mail professionnelle, mais doit retravailler sur deux sessions « en plus de mes heures de cours pour le boulot parce que je voulais pas laisser mes collègues dans l’embarras on va dire et ça a été compliqué, très très fatiguant ». Valérie (39 ans, 1 enfant) n’arrive pas à cloisonner, « au travail, on m’a pas donné moins de boulot donc j’ai dû apprendre à tout combiner », et elle est « mobilisée quotidiennement » car personne ne parle anglais. Le risque d’épuisement résulte également de l’absence de congés pour celles contraintes de se former hors temps de travail ou de l’accumulation de fatigue après avoir enchainé plusieurs années de formation. Pour Naima (49 ans, 2 enfants), qui utilise tous ses congés pendant un an (CET, RTT, récupérations d’heures supplémentaires, temps partiel à 80 %) pour pouvoir s’absenter une semaine par mois, la fatigue s’installe subrepticement : « C’est très intense, c’est très fatigant, mais je n’ai pas senti la fatigue tout de suite ». C’est ainsi que la reprise d’étude atteint la santé :

« J’ai fait un malaise au travail et j’ai été arrêtée plus d’un mois, je commençais à faire un burn-out » Nacera (48 ans, 2 enfants).

« J’ai eu une période où je n’étais pas bien, vraiment. La charge de travail faisait que j’ai été voir un psy » Léonore (45 ans, 2 enfants).

51Pour les 6 femmes dégagées de contraintes professionnelles pendant la formation, les tensions sont limitées aux derniers mois, lorsqu’il faut trouver du temps pour rédiger le mémoire, en parallèle du stage et pendant les vacances d’été. S’il est plus simple d’étudier en préservant la vie privée, c’est dans leur cas au prix de concessions sur le niveau de salaire et la sécurité de l’emploi. Sur les 6 interviewées, une s’est portée volontaire pour un congé de mobilité dont l’issue est le chômage. Une est en congés de formation, à la fin duquel elle démissionne d’un CDI pour un CDD. Enfin, 4 ont démissionné pour reprendre des études avec les allocations chômage.

52Quasiment toutes ont réduit leur niveau de vie, leurs allocations représentant 50 % à 70 % du salaire antérieur. Seule Vanessa bénéficie de « conditions hyper-confortables », un salaire maintenu 18 mois et admet que : « ça a beaucoup facilité aussi la prise de décision ». Inversement le choix a été « extrêmement difficile » pour Agathe, trois enfants à charge, des prêts immobiliers en cours, le plus gros salaire du couple :

« Donc là c’est sûr que ça a été un choix quand même cornélien, parce qu’il y avait d’un côté plus de garantie quand même puisque le salaire à [nom de son entreprise] était quand même confortable, un boulot tout de suite en CDI etc. versus un truc qui a l’air hyper enthousiasmant mais sans savoir si j’allais avoir du boulot derrière » (Agathe, 39 ans, 3 enfants).

53Certaines ont choisi de démissionner, car leur projet de reconversion ou d’évolution n’aurait pas été possible en gardant leur emploi. D’autres auraient pu le conserver, mais ont préféré le quitter afin de se consacrer entièrement aux études et préserver leur vie familiale :

« J’ai trouvé ça très confortable de ne pas être en cours d’emploi. Pour pouvoir vraiment n’avoir que ça à faire […] j’ai commencé à être à Pôle emploi en mars 2020 et j’avais deux ans de financement donc ça couvrait du coup mon année de master. Par contre je savais qu’il fallait que je me dépêche de retrouver du boulot derrière » (Aurélie, 44 ans, 1 enfant).

2.3. Des difficultés de conciliation à nuancer

54Les dimensions « sacrificielles » de la reprise d’études sont tempérées dans les propos par la mise en avant des bénéfices personnels et professionnels qu’elle procure. La décision de se relancer dans des formations longues et diplômantes répond toujours à des ambitions personnelles. Elle relève d’une initiative individuelle. Aller de son plein gré se former, la stimulation intellectuelle et le plaisir d’apprendre minimisent le sentiment de contraintes :

« On l’a voulu, il n’y a personne qui nous a mis le couteau sous la gorge en disant “toi tu retournes cumuler ton boulot, ta vie, tes études” non c’est un choix, donc à partir de ce moment-là, on y va dans la même démarche, ça n’a jamais été une contrainte » (Alexia, 39 ans, sans enfant).

« J’avais besoin quand même depuis longtemps de stimulation intellectuelle, chose que je n’avais pas forcément dans mes boulots, et la reprise d’études venait combler cet aspect-là même s’il y avait des contraintes » (Agathe, 39 ans, 3 enfants). 

« Il y a un côté plaisir d’apprendre, donc on n’aborde pas du tout les choses quand on prend du plaisir par rapport à quand c’est des trucs obligatoires et imposés du travail » (Liane, 43 ans, 2 enfants).

55Par ailleurs, le sentiment d’être redevable vis-à-vis de l’employeur justifie des comportements qui pourraient être discutables dans d’autres contextes. Aude, responsable des ressources humaines d’une start-up, juge « normal » de travailler deux heures le soir après ses cours pour son entreprise et de « sacrifier » ses vacances :

« Moi j’étais tellement contente d’avoir pu reprendre ces études, que mes chefs me fassent confiance, pour moi c’est donnant-donnant […] j’ai passé quinze jours à la mer, je l’ai vue la mer hein, mais de mon appart […] j’étais en vacances, mais je licenciais des gens en même temps et je rédigeais mon mémoire » (Aude, 45 ans, 2 enfants).

56Les difficultés de conciliation sont également nuancées en fonction des situations familiales. Comme nous l’avons vu, de nombreuses femmes ont attendu que les enfants soient suffisamment autonomes, au collège ou au lycée, et les révisions réalisées ensemble sont même évoquées à plusieurs reprises :

« Moi j’en ai une qui passait le bac et une qui passait le brevet, donc avec moi qui passais le master 2 c’était l’année rêvée pour qu’on soit toutes le nez dans les cahiers » (Aude, 45 ans, 2 enfants).

57Les soutiens du conjoint et de la famille sont aussi déterminants surtout avec de jeunes enfants. Le conjoint de Maya « était là, toujours là, pour tout gérer […] Et puis après il y a eu des moments de rush quand il fallait faire les exposés, mon conjoint prenait le relais. Je lui ai demandé des fois de partir avec les enfants, sur des week-ends pour que je sois concentrée. » (Maya, 42 ans, 2 enfants). Nacera, divorcée, sollicite ses parents qui prennent le relais le soir et les week-ends et met en place la garde alternée : « ça me permettait d’avoir une semaine consacrée 100 % école-boulot. » (Nacera, 48 ans, 2 enfants). En l’absence d’entente avec le conjoint, la reprise d’étude peut mettre le couple en péril. Bénédicte (50 ans, 2 enfants) se sépare au début du M2 car « en plus de travailler » dit-elle, « je m’occupe de toute l’intendance et faire les devoirs avec mes deux enfants […] je n’en peux plus, j’en ai marre de tout gérer ». Dans son cas, le fait d’avoir des enfants plus âgés n’a pas apporté la sérénité espérée. Elle a passé une « année horrible » apportant un soutien scolaire et psychologique à ses deux fils, l’un redoublant en terminale et l’autre en études à l’étranger, tout en se séparant de son conjoint.

58Du point de vue professionnel, la situation la plus enviable est d’être sans emploi et disponible pour les apprentissages. Lorsque de plus la formation est dans le « rythme classique » de la formation initiale, il n’y a « que ça à faire, à étudier » et cela parait « très, très simple ». Les cours ayant lieu « sur des horaires scolaires ou de bureau », il y a « suffisamment de temps pour pouvoir travailler, lire les différents ouvrages, articles etc. sur le temps où les enfants étaient scolarisés » Agathe (39 ans, 3 enfants). Lorsqu’il faut malgré tout combiner études et travail, certains contextes professionnels sont facilitants. Ne pas avoir trop de responsabilités, voir sa charge de travail allégée, pouvoir déléguer, se former sur le temps de travail, etc. facilite la conciliation. D’autres caractéristiques sont mentionnées dans les entretiens : être dans « des métiers où il n’y a pas d’urgence vitale » (Léonore), être maître de son temps de travail comme Solène, associée de son entreprise, avoir un rapport distancié à son employeur comme Julia (29 ans, sans enfant) qui avoue :

« Je travaille aussi au travail (rires). Je travaille mes cours au bureau ».

Conclusion

59Les récits dessinent des parcours de femmes actives, pour lesquelles la vie professionnelle revêt une importance non négligeable. Le souhait d’exercer un métier pour lequel on trouve de l’intérêt, de progresser vers davantage de responsabilités au fil des ans est largement partagé. La reprise d’études en est un révélateur, dans le sens où elle marque la volonté d’une évolution professionnelle (et pas « seulement » d’une insertion professionnelle), que ce soit une mobilité interne ou externe, une reconversion… Mais ces parcours se comprennent aussi à l’aune des problématiques liées à la conciliation entre travail et vie privée : l’importance de préserver du temps pour ses enfants est maintes fois soulignée et la carrière se fait alors plutôt « en pente douce ». Si certaines ont le sentiment de parvenir à un équilibre qui leur convient, d’autres font part de tensions, prises entre les normes de disponibilité parentale, d’implication professionnelle et de réalisation de soi, débouchant parfois sur des situations peu satisfaisantes, voire douloureuses. Ces divers éléments relatifs aux contraintes et/ou choix de conciliation permettent ainsi d’apporter un éclairage complémentaire sur les contextes de reprise d’études, les motivations qu’elles recouvrent, mais aussi leur temporalité.

60Reprendre des études est en effet une démarche qui comporte des conséquences multiples. Outre un retour dans une position d’apprenante, elle conduit à un bouleversement des organisations en place. Elle constitue un temps qui vient, de manière variable, déborder sur les temps professionnels, familiaux et de loisirs. Elle implique ainsi des coûts personnels, mais parfois aussi financiers, engendre quelquefois même des prises de risque sur le marché du travail. Mais malgré les difficultés, ces femmes font preuve de ressources leur permettant de finaliser leur cursus, cette « année de sacrifices » étant compensée par les avantages retirés, à la fois pour elles-mêmes et leur carrière. Ces histoires rappellent cependant à quels points l’inégale répartition des tâches et des rôles au sein des familles pèse sur les parcours des femmes. Même à un niveau d’études élevé, dans des formations qui peuvent être adaptées à un public adulte et salarié, elles constituent toujours un obstacle pour les femmes.