Introduction

1À tous les niveaux et dans tous les ordres d’enseignements, l’existence de filières, de spécialités, d’options donne lieu à des phénomènes de ségrégation sexuée : autrement dit, il faut « déconstruire l’idée selon laquelle la mixité, au sein du système éducatif, serait acquise » (Kergoat, 2014).

2Cette ségrégation est observable au niveau de l’enseignement supérieur, aussi bien au niveau du type d’institution fréquentée (université, CPGE1, STS2, etc.) que des spécialités disciplinaires (Bechichi et al., 2021). Les étudiantes sont ainsi largement surreprésentées dans les formations paramédicales et sociales (86 % des effectifs), les CPGE littéraires (73 % des effectifs) ou encore les licences en langues, lettres et sciences humaines (70 %). Inversement, elles représentent moins d’un tiers des effectifs en CPGE scientifiques (31 %), en formations d’ingénieurs (29 %) et dans les STS « production » (22 %) (DEPP3, 2022). Cette moindre présence féminine dans certaines filières en sciences a été largement documentée, en France comme dans la majorité des pays de l’OCDE4 (Mostafa, 2019), et fait l’objet d’une attention politique particulière, en témoigne le rapport produit en 2018 sur les « femmes et les sciences » à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes à l’Assemblée nationale5.

3L’objet du présent texte est de documenter plus précisément cette « empreinte du genre » (Vouillot, 2007), dans les parcours étudiants au cours des quatre années suivant leur entrée dans l’enseignement supérieur, en conjuguant deux angles d’analyse. Premièrement, il s’agira avant tout d’interroger l’accès et le maintien à des filières dans le champ disciplinaire des sciences au cours de ces années. Deuxièmement, prenant acte des effets de « sentier de dépendance » qui existent entre le type de baccalauréat, mais aussi les spécialités choisies, et les études post-bac entreprises (Berthelot, 1987 ; Rossignol-Brunet, 2022), nous croiserons systématiquement la prise en compte des effets du sexe avec celle du type de baccalauréat obtenu pour analyser ces parcours. Pour cela, nous nous appuierons sur les données du panel 2014 des bacheliers.

4La première partie de ce texte analyse les déterminants à l’œuvre dans le choix du type d’institution et de la spécialité disciplinaire au moment de l’entrée dans l’enseignement, c’est-à-dire à la rentrée suivant l’obtention du bac en 2014. Après une rapide revue d’ensemble, les déterminants de l’orientation vers les filières scientifiques en particulier sont examinés.

5La seconde partie concerne le parcours au cours des quatre premières années après le bac. Un premier développement concerne les sorties du système éducatif au cours de ces années, relativement peu genrées. Nous nous intéressons ensuite aux mobilités disciplinaires et à leurs déterminants, au sein des filières scientifiques et vers les autres champs disciplinaires.

1. Du baccalauréat à l’entrée dans l’enseignement supérieur : choix institutionnels et disciplinaires

6L’espace de l’enseignement supérieur peut s’analyser à l’aune de deux grands types de découpage : un découpage par secteur disciplinaire (sciences, lettres, etc.) et un autre par type d’institution (université, CPGE, etc.) (Blanchard & Lemistre, 2022). Dans cette première partie, l’entrée dans l’enseignement supérieur des bacheliers et bachelières du panel 2014 (cf. encadré) sera analysée à l’aune de ces deux perspectives, soulignant le poids du sexe dans les deux cas, et ce quel que soit le type de baccalauréat obtenu.

1.1. La ségrégation sexuée des institutions dans l’enseignement supérieur

7Si les étudiantes représentent 56 % des effectifs du panel des bacheliers et bachelières 2014 inscrit·es dans l’enseignement supérieur à la rentrée 2014, cette part varie fortement en fonction du type d’institution prise en compte, allant d’un tiers pour les écoles de commerce et d’ingénieur, à plus de 75 % pour les autres formations (regroupant notamment les IFSI, les formations paramédicales, les écoles d’art) (cf. graphique 1).

Graphique 1 • Répartition entre institutions des bacheliers et bachelières à la rentrée 2014

8Cette ségrégation sexuée reflète pour partie les orientations différenciées en fonction du baccalauréat obtenu (filière et spécialité), les baccalauréats étant eux-mêmes très inégalement obtenus par les lycéens et lycéennes (Vouillot, op.cit.). Ainsi, la catégorie « autre supérieur » attire-t-elle une majorité de jeunes femmes (75 %), mais elle est aussi le débouché principal des bachelier·es ST2S, qui sont à 77 % des bachelières ! (Graphique 2.)

Graphique 2 • Types de baccalauréats (filières et spécialités) et parts relatives dans chaque institution à l’entrée dans le supérieur

9Toutefois, et il est important de le souligner, pour un même type de baccalauréat, hommes et femmes n’intègrent pas exactement les mêmes formations, comme le montre le graphique 3 à partir de quelques baccalauréats et institutions. Ainsi, les titulaires masculins d’un bac S spécialité mathématiques sont-ils proportionnellement plus nombreux à intégrer une CPGE (44 %) que leurs camarades féminines (34 %), alors que cet écart est presque inexistant pour les titulaires d’un bac ES spécialité mathématiques (9 % et 7 %) et L spécialité mathématiques (21 % et 19 %). L’impact du genre sur la propension à s’orienter à l’université varie ainsi en fonction des baccalauréats : quelle que soit la spécialité, les bachelières S sont plus nombreuses à s’y orienter (Blanchard & Lemistre, 2023), mais pour les titulaires d’un bac L maths ou encore ST2S, l’université est plutôt plébiscitée par les hommes (respectivement 67 % contre 59 %, et 37 % contre 25 %). Autrement dit, si le type de baccalauréat cadre fortement l’orientation dans le supérieur, celle-ci reste tributaire de logiques genrées. Ceci est vrai pour le type de formation intégrée, mais encore plus pour la spécialisation disciplinaire.

Graphique 3 • Hommes et femmes : des choix différenciés pour un même baccalauréat

1.2. Choisir les sciences : les usages genrés des baccalauréats

10Après cette rapide vue d’ensemble, la focale est faite sur les filières scientifiques, où l’on sait que les femmes tendent à moins s’orienter dans l’enseignement secondaire (choix des filières et désormais des spécialités) (Déage, 2022), mais aussi au moment de l’entrée dans l’enseignement supérieur (Blanchard, 2021).

11À cette fin, nous avons regroupé l’offre de formation dans l’enseignement supérieur en cinq groupes disciplinaires où les sciences sont réparties dans trois ensembles, conçus comme transversaux aux différentes institutions post-bac (encadré 1).

12Encadré 2 • Un regroupement des spécialités de filières

Tableau 1a • Spécialité disciplinaire de la formation intégrée en octobre 2014, en fonction du type de baccalauréat et du sexe.

13Ce regroupement disciplinaire, qui passe outre les différences institutionnelles, permet de voir comment s’orientent les élèves en fonction de leur sexe et du type de baccalauréat obtenu. En premier lieu, les orientations vers les sciences ne sont pas l’apanage des bacheliers scientifiques (Lermusiaux, 2019), 45 % des hommes titulaires d’un bac en ST2S intègrent une formation en sciences dans l’enseignement supérieur, et 73 % de ceux titulaires d’un bac STI2D intègrent une formation en sciences appliquées.

14En second lieu, si les orientations sont majoritairement cohérentes avec le type de baccalauréat, il existe deux types de clivage en fonction du sexe. Pour les titulaires de bac S spécialité physique-chimie, SVT et ST2S, ce clivage se dessine entre une orientation masculine modale vers les formations en sciences, et une orientation féminine modale vers les formations en sanitaire et social, ce dernier groupe incluant les formations en santé. Pour les titulaires d’un bac S ingénieur informatique, STI2D et d’un baccalauréat professionnel dans le domaine de la production, l’opposition se joue cette fois entre les sciences appliquées, plutôt masculines, et les SHS, plutôt féminines.

15Fait notable, ce clivage genré n’apparaît que lorsque les sciences sont en jeu. Quand l’orientation modale pour l’ensemble de la population est en droit/économie/gestion ou en SHS, hommes et femmes font d’abord les mêmes choix. Ceci peut résulter d’un effet de construction : en désagrégeant le groupe des SHS par exemple, on trouverait des orientations plus masculines et d’autres plus féminines (Rossignol-Brunet, 2022). Mais cela reflète aussi l’usage différencié des baccalauréats liés aux sciences, et l’opposition maintes fois observée entre des sciences plus féminines, et d’autres, plus masculines (Blanchard, Orange & Pierrel, 2016) : les bachelières S sont ainsi plus promptes à s’orienter vers la santé (Blanchard & Lemistre 2022), tout comme celles ayant obtenu un bac ST2S. Autrement dit, même pour une formation a priori destinée à déboucher sur des formations dans le domaine sanitaire et social, les rares garçons (23 % en ST2S) tendent plutôt à choisir une orientation dans le supérieur plus « conforme » aux divisions de genre, notamment en sciences.

16Le fait que les femmes dans les formations en sciences et techniques où elles sont à la base minoritaires (bac STI2D, baccalauréat professionnel dans des domaines de la production, bac S spécialité sciences de l’ingénieur ou numérique et sciences de l’information) s’orientent tendanciellement plus non pas vers les sciences appliquées, mais vers les SHS, témoigne là aussi d’un réalignement sur des divisions genrées.

Tableau 1b • Écarts entre le % d’hommes et de femmes intégrant les différentes spécialités disciplinaires, en fonction du type de baccalauréat.

17Le tableau 1b permet à nouveau de visualiser les oppositions, notamment entre sciences appliquées et SHS, très marquées en STI2D, mais aussi de faire apparaître d’autres différences. Par exemple, les hommes titulaires d’un bac L spécialité mathématiques vont davantage en SHS (+27) et moins en droit/économie/gestion (-19). Hormis après un bac pro services et un bac STMG, les hommes vont moins souvent que les femmes vers des études en SHS.

18Plusieurs modèles de régression logistique permettent d’estimer les chances relatives d’intégrer une filière en sciences, à la rentrée 2014, à caractéristiques équivalentes (« toutes choses égales par ailleurs »). Pour des raisons d’effectifs, les champs disciplinaires sciences et sciences appliquées ont été regroupés en un seul grand domaine de spécialité, que l’on nommera par la suite « filière scientifique » (FS).

19Dans le premier modèle (modèle 1 du tableau 2), outre nos variables d’intérêt (sexe et type de baccalauréat), sont pris en compte :

• l’origine sociale – décomposée en sept niveaux (Lemistre & Blanchard, 2023) ;

• le type d’établissement où le baccalauréat a été préparé (public/privé) ;

• le fait d’avoir ou non redoublé ;

• la moyenne au baccalauréat avant le rattrapage ;

• la mention obtenue au baccalauréat ;

• et enfin le type d’institution intégrée dans le supérieur (CPGE, etc.).

20Même avec l’introduction de ces variables de contrôle, le sexe reste une variable explicative forte : être une femme diminue les chances d’être en filière scientifique de 63 % (1-0,37) par rapport à un homme. Le type de baccalauréat continue aussi de jouer un rôle significatif, avec bien évidemment des chances plus importantes d’accéder à une filière scientifique pour les titulaires d’un baccalauréat S, mais aussi STI2D et d’un baccalauréat professionnel production. Insistons à nouveau sur ce point : certes « voie royale », le baccalauréat S n’est pas la seule porte d’accès aux études scientifiques dans l’enseignement supérieur.

21L’origine sociale joue assez peu en apparence : ceci est lié au fait que ces estimations ne saisissent que les effets directs ; or celle-ci joue de façon indirecte, via son influence sur les types de baccalauréats (Lemistre & Merlin, 2019), ou encore le type d’institution intégrée. Les étudiant·es en CPGE ou en école (groupe qui contient les écoles d’ingénieurs) sont en effet celles et ceux qui ont le plus de chances relativement aux autres d’être dans une filière scientifique.

22La décomposition des estimations par sexe (modèles 2 et 3 du tableau 2) permet de confirmer les observations précédentes, à savoir que certains types de bac donnent lieu à des « usages » différents en termes d’orientation, notamment vers le domaine des sciences. Ceci est particulièrement saillant pour le bac STI2D, qui joue très fortement sur les chances des titulaires masculins d’accéder à une filière scientifique, et moins pour les femmes.

23Les différences genrées dans le fait d’accéder ou non à une filière scientifique pour un type de bac donné s’expliquent par l’existence de la filière 3S à l’université, qui apparaît très féminisée. Une dernière estimation (modèle 4 du tableau 2) considère les chances d’intégrer cette filière, et montre que les femmes ont trois fois plus de chances de le faire que les hommes. Par ailleurs, la filière 3S intègre les études de santé, ce qui explique que les chances de l’intégrer augmentent avec la mention obtenue au baccalauréat (Blanchard & Lemistre, 2022).

24Plus que l’université, intégrer une « autre institution » est associé à des études dans la filière santé/sanitaire/social (3S), ceci s’expliquant par le fait que ce groupe comprend nombre de formations paramédicales et sociales, en partie dans le privé (cf. supra). De manière tout à fait attendue, les titulaires du bac S en spécialité SVT et plus encore du bac technologique en ST2S ont les plus fortes probabilités d’accéder à ce domaine 3S. Le bac S spécialité physique-chimie est néanmoins en bonne place puisque ses diplômés ont près de 4 fois plus de chances (coefficient 3,67) d’intégrer ce domaine que la spécialité mathématiques du même baccalauréat contre 5 (coefficient 5,04) pour la spécialité SVT. Ceci traduit bien la porosité entre filière scientifique (FS) et filière 3S. À noter que par rapport au bac S spécialité mathématiques, les titulaires de bac ES ou STMG ont certes une probabilité nettement plus faible d’accéder à la filière 3S, mais non négligeable puisque la probabilité est diminuée de seulement 51 % à 62 %. Toutefois, cette porosité est surtout portée par les femmes (cf. supra tableaux 1a et 1b).

2. D’octobre 2014 à mars 2018 : les sciences dans les parcours

25Dans cette deuxième section, on se propose de donner quelques éléments permettant de décrire le parcours des bachelier·es entré·es dans le système éducatif en octobre 2014 et ce jusqu’en mars 2018. Pour cela, on va considérer dans un premier temps les probabilités d’atteindre deux états possibles :

• le fait d’être sorti du système éducatif (en étant diplômé ou non) avant mars 2018 ;

• et le fait d’avoir atteint le niveau maximum possible au cours de ces 4 années, à savoir bac+4.

26Dans un second temps, on s’intéressera plus en détail aux chances de persévérer dans une filière scientifique au cours de ces premières années d’études.

2.1. Les sorties avant mars 2018 : quelques nuances selon le genre

27Lorsque l’on considère les facteurs déterminant les chances d’arrêter ses études entre octobre et mars 2018 (que l’on sorte avec ou sans diplôme), c’est très logiquement le type de diplôme obtenu qui joue le plus : les titulaires d’une licence professionnelle sont ainsi celles et ceux qui ont le plus de chances de sortir, relativement à celles et ceux qui n’obtiennent aucun titre sur la période6. Ces sorties ne doivent donc pas être nécessairement associées à un décrochage : elles signifient la plupart du temps l’aboutissement d’un cursus, de niveau bac+2 ou bac+3, et l’entrée sur le marché du travail.

28De la même façon, le type d’institution fréquentée en octobre 2014 a un impact : les étudiant·es entré·es en CPGE en 2014, destiné·es à poursuivre ensuite dans une école, ont moins de chance d’être sorti·es du système éducatif en 2018 que celles et ceux ayant intégré un IUT.

29Outre le type d’institution, le domaine de spécialité a aussi un effet, plus réduit, les étudiant·es entré·es en SHS arrêtant plus souvent leurs études que ceux entrés en sciences.

30Enfin, le type de baccalauréat a là encore un effet propre, confirmant le poids non seulement de la filière, mais aussi de la spécialité sur les parcours dans l’enseignement supérieur (Blanchard & Lemistre, 2023).

31Notons qu’il n’y a pas d’effet direct du genre sur la probabilité de sortie, en revanche certains déterminants agissent un peu différemment pour les hommes et les femmes (estimations séparées non reproduites). Ainsi, l’origine sociale joue nettement plus en faveur des femmes de classes supérieures (40 % de chances de moins de sortir pour les hommes d’origines très favorisées par rapport aux très défavorisées, 75 % pour les femmes). Concernant l’effet du type de baccalauréat, il n’y a pas de différences notables entre les deux sexes, ce qui signifie que si l’orientation vers les différents baccalauréats est genrée, l’effet direct du genre s’estompe quant à la poursuite d’études.

2.2. Filières scientifiques : celles et ceux qui partent, celles et ceux qui restent

2.2.1. Bacs et Filières scientifiques : les sorties plus nombreuses que les entrées pour qui ?

32Afin d’appréhender la persistance dans la filière scientifique (FS), qui rappelons-le, regroupe les champs disciplinaires « science » et « sciences appliquées », on se concentre ici uniquement sur les étudiant·es entré·es dans l’enseignement supérieur en octobre 2014 et qui sont toujours en étude lors de la dernière interrogation, en mars 2018.

33Ces deux dates constituent nos points de comparaison, avec trois types de trajectoires possibles : entrer en filière scientifique et y rester, entrer en FS et en sortir entre ces deux dates, et enfin n’être pas entré en FS en 2014, mais s’y être réorienté au cours de la période considérée.

34Le tableau 3 permet ainsi de mesurer le « solde net » de cette filière : parmi les étudiant·es toujours en études en mars 2018, 83 979 sont inscrit·es en sciences, alors que 94 782 étaient inscrit·es dans une formation scientifique en octobre 2014. Autrement dit, la filière compte 10 803 étudiant·es en moins (-11 %). Ce chiffre global masque des mouvements plus importants, puisque si 63 533 étudiant·es n’ont pas connu de mobilité disciplinaire (du moins on les retrouve en sciences en octobre 2014 et en mars 2018), 20 446 ont rejoint cette filière, et 31 249 en sont sorti·es. Si le solde est négatif au final, cela ne doit donc pas conduire à ignorer le nombre relativement important d’étudiant·es qui rejoignent ce domaine.

35De plus ce solde négatif global doit être nuancé au regard des baccalauréats d’origine. En effet, la persévérance est moindre pour les bachelier·es ES et L qui s’étaient aventuré·es dans ces formations (notamment -40 % pour les bachelier·es ES spécialité maths). De la même façon, pour les bachelier·es technologiques on constate une décroissance plus rapide des effectifs en FS que pour les bachelier·es S, à l’exception des bachelier·es ST2S, dont le solde net relatif est le plus faible compte tenu des entrées et sorties quasi équilibrées (1 416/1 660). Les diplômé·es de STMG présentent un cas similaire avec une persistance en FS très faible, mais un des rares soldes positifs. Les effectifs sont néanmoins limités pour ces deux derniers baccalauréats et les résultats devront donc être consolidés sur d’autres sources, ceci, d’autant plus qu’une spécificité de ces deux baccalauréats est que les femmes y sont majoritaires.

2.2.2. Les femmes persistent moins en filières scientifiques : comment « le tuyau est percé »

36Si le type de baccalauréat joue sur le fait d’être inscrit·e dans la filière scientifique en octobre 2014 et/ou mars 2018, qu’en est-il des autres déterminants, et en particulier du sexe ?

37Afin d’examiner les déterminants de la présence en FS en mars 2018 et simultanément en octobre 2014 et mars 2018, deux modèles probabilistes sont proposés (tableau 4). Il apparaît que les femmes ont moins de chances d’être en FS en mars 2018 (50 % de moins que les hommes), ce qui s’explique par le fait qu’elles y sont moins entrées en octobre 2014 (ce que l’on a montré plus haut), mais aussi qu’elles y persistent moins (59 % de chance en moins). Autrement dit, pour reprendre une métaphore couramment mobilisée pour décrire l’évolution de la place des femmes à mesure de l’avancée dans les cursus (Blanchard & Lemistre, 2023), le « tuyau » est bien toujours percé à ce niveau d’étude, en ce qui concerne les sciences (hors santé).

38Pour plusieurs variables, dont celles associées à l’origine sociale, les coefficients ont des effets proches de ceux obtenus pour l’estimation relative à la probabilité d’être dans le domaine de spécialité FS en octobre 2014 (tableau 2). Il est toutefois important de noter que cette similitude ne va pas de soi, dès lors que l’on a pu constater que l’origine sociale avait un effet marqué sur le fait d’arrêter ses études, ce qui transforme nécessairement la structure sociale de la population toujours en études en 2018 (tableau 4). Le changement de structure ne semble donc pas affecter les préférences individuelles. Ce constat serait à clarifier en regard des autres déterminants pour des échantillons plus importants.

39Concernant l’effet du type de baccalauréat, l’écart entre la référence, le bac S spécialité mathématiques, et les baccalauréats ES est nettement plus restreint pour l’estimation d’être en FS en mars 2018 qu’il ne l’était octobre 2014. Sans doute un effet des sorties du système éducatif avant mars 2018 qui demeure à expliciter.

40Concernant la mention obtenue au baccalauréat, des performances moindres au baccalauréat vont de pair avec une plus faible probabilité d’être dans une formation scientifique en mars 2018, toutefois cet effet est moins marqué que pour le fait d’y être en octobre 2014. Sans doute le décrochage qui concerne davantage les élèves les plus fragiles scolairement et le départ après l’obtention d’un BTS de jeunes n’ayant également pas les meilleures mentions peuvent expliquer cette évolution. Plus original est le constat d’une absence d’effet de la mention sur la persistance en FS. Ainsi, une fois les jeunes en formation dans le domaine disciplinaire, le fait qu’ils y restent ou le quittent n’est plus dépendant de leurs résultats antérieurs. Ce sont vraisemblablement davantage les contenus de formation qui vont orienter leur choix.

41Quant aux autres spécialités d’inscription que FS en octobre 2014 (pas d’écart significatif au sein des FS entre sciences fondamentales et appliquées), elles rendent logiquement moins probable l’accès aux FS en mars 2018. Il y a en effet une cohérence disciplinaire assez marquée dans les parcours des étudiant·es.

2.2.3 Les mobilités d’un champ disciplinaire à l’autre

42Les effectifs ne permettant pas des estimations en séparant les populations masculines et féminines, nous proposons quelques éléments descriptifs pour terminer et un peu mieux caractériser les mobilités disciplinaires entre octobre 2014 et mars 2018, selon le genre, en séparant cette fois les sciences et les sciences appliquées.

43Plus précisément, nous présentons deux tables de mobilités disciplinaires, en regardant dans un premier temps le devenir, c’est-à-dire où sont allé·es les étudiant·es en mars 2018, à partir de leur domaine disciplinaire en octobre 2014 (5a), puis dans un second temps les recrutements (octobre 2014) de chaque domaine disciplinaire où sont inscrit·es les étudiant·es en mars 2018 (5b).

44Premier constat : dans la majorité des cas le parcours modal est sur la diagonale, autrement dit, la plus grande proportion d’individus reste dans le même champ disciplinaire au cours de ces quatre années. Une exception notable : les étudiant·es et surtout les hommes inscrits en sciences en octobre 2014 se tournent majoritairement (52 % pour les hommes) vers les sciences appliquées. Ce fait s’explique par le découpage plus fin effectué pour les sciences : il y a donc un effet de nomenclature, les élèves de CPGE ou prépa intégrée (sciences fondamentales cf. encadré 1) intégrant ensuite le cycle en école d’ingénieur (sciences appliquées).

45La persistance disciplinaire est la plus forte en DEG, et dans une moindre mesure en SHS, pour les hommes comme pour les femmes. Ces dernières sont aussi 66 % à rester en santé/sanitaire/social, contre 56 % des hommes.

46Enfin, il faut noter du côté des femmes, que celles qui ont fait le choix des sciences fondamentales y restent plus souvent que leurs camarades masculins (respectivement 30 % et 24 %), ce qui correspond aux observations faites par Ferrand (1994, p. 54) selon laquelle celles « qui choisissent la voie scientifique le font par goût, leur vocation scientifique s’affirmant alors davantage que celle des garçons, qui ont, semble-t-il, un rapport plus instrumental à ces disciplines ». Inversement, les femmes quittent largement les sciences appliquées : elles ne sont que 39 % à y rester, pour 68 % des hommes. Ce départ est un départ de la filière science en général, puisque seulement 4 % vont en sciences fondamentales, les autres se répartissant entre l3S et surtout SHS et DEG. Le sens à donner à cette évolution n’est pas univoque. Faut-il y voir le reflet de la plus grande polyvalence disciplinaire des femmes (Ferrand, Imbert & Marry, 1995), utilisant les sciences comme tremplin vers d’autres formations ? Ou au contraire le résultat d’un climat encore peu accueillant pour les femmes – ce que les études anglo-saxonnes nomment le chilly climate (Simon, Wagner & Killion, 2017) – en raison d’un sexisme persistant ?

47De façon assez cohérente, pour le tableau des « recrutements » c’est également sur la diagonale que l’on retrouve les parcours modaux, à savoir le fait d’être resté dans la même discipline. Cependant, ces proportions varient fortement en fonction des disciplines, ce qui traduit leur plus ou moins grande ouverture. Moins de la moitié (39 %) des étudiant·es en sciences appliquées viennent de ce champ, ce qui s’explique par la porosité avec les sciences (dont viennent également 39 % des effectifs en mars 2018), mais aussi dans le cas des femmes le domaine santé-sanitaire-social (18 % en viennent), et les SHS (14 %).

48En ce qui concerne les sciences, on voit (5a) que si la majorité part vers d’autres champs disciplinaires, en revanche celles et ceux qui y sont inscrit·es en 2018 y étaient pour la majorité déjà inscrit·es en octobre 2014 (71 % des hommes et 60 % des femmes).

Conclusion

49Partant de l’ensemble des bachelier·es 2014 ayant poursuivi dans l’enseignement supérieur, l’objectif de ce texte était d’appréhender l’effet du sexe sur les inscriptions disciplinaires, et plus particulièrement dans le domaine des sciences. Nous avons montré qu’être un homme ou une femme joue fortement tout à la fois sur les orientations à l’entrée dans l’enseignement supérieur, mais aussi sur le devenir quatre ans plus tard, pour celles et ceux qui sont encore en étude à ce moment-là. Concernant plus spécifiquement les sciences, il y a un effet très net qui se maintient dans les modèles toutes choses égales par ailleurs : les femmes s’inscrivent moins dans ce domaine, et s’y retrouvent moins que les hommes trois ans et demi après avoir intégré l’enseignement supérieur.

50Bien évidemment, d’autres facteurs sont à prendre en compte, notamment le poids du type de baccalauréat. Comparativement à d’autres travaux (Blanchard & Lemistre, 2023) nous avons ici pris en compte l’ensemble des bachelier·es et pas seulement les bachelier·es S, ce qui permettait de mettre à l’épreuve le fait qu’obtenir ce diplôme était une condition nécessaire pour entreprendre des études scientifiques dans le supérieur. Les données rappellent que les voies technologiques, et certaines voies professionnelles, peuvent aussi être des propédeutiques aux études scientifiques, et invitent ainsi à ne pas négliger ces voies moins « royales » dans l’étude des trajectoires en sciences.