Introduction

1La recherche sur l’accès à l’enseignement supérieur constate un accès typé et inégalitaire dans les différentes voies d’accès à l’enseignement supérieur en dépit des réformes successives (Jaoul-Grammare, 2020). Les inégalités d’orientation sont multifactorielles et dépendent en partie de la structure relativement complexe et étanche entre les différentes filières du secondaire et du supérieur. Elles dépendent aussi des manières dont la sélection est organisée à chacune des bifurcations du système éducatif. Les choix sont le résultat de préférences personnelles socialement marquées et d’une intériorisation des possibles futurs ou probables (Duru-Bellat, 2002), en fonction de sa position dans le système éducatif (Berthelot, 1989 ; Merle, 1996 ; Dumora, 2010). Les choix sont aussi le résultat d’une connaissance plus ou moins importante de soi, des filières et des métiers, du système de formation. A cela s’ajoute la marque de l’établissement et du territoire : la composition du groupe de pairs, l’offre de formation (Nakhili, 2005 ; Dupriez, Monseur et Van Campenhoudt, 2009 ; Laplante et al., 2018), les politiques d’établissement et aussi les pratiques des acteurs de l’orientation et des enseignants (Drealantz, 2013 ; Van Zanten, 2015 ; Daverne & Bobineau, 2020). Enfin, à choix équivalent, les demandes des élèves n’aboutissent pas de la même manière et portent la marque d’une sélection pas toujours égalitaire (Landrier & Nakhili, 2010). Ainsi, les inégalités d’orientation sont liées aux ressources et au contexte décisionnel des élèves et peuvent être infléchies ou au contraire augmentées en fonction des changements institutionnels et des réformes. Or, la période récente est marquée par des réformes qui transforment les logiques de la transition secondaire-supérieur.

2L’objectif de ces réformes est d’une part d’introduire davantage de régulation, dans une logique adéquationniste, afin de réduire les orientations par défaut, les orientations qui seraient non adaptées et les échecs à l’université. D’autre part, elles visent à une individualisation des parcours, avec un baccalauréat plus souple, permettant aux lycéens et futurs étudiants, d’explorer leurs potentiels et de construire pas à pas, le parcours qui leur correspond. Plus précisément, coté supérieur, la loi orientation et réussite des étudiants (ORE) de 2018 parachève la mise en place d’une régulation de l’accès à l’enseignement supérieur sous la forme d’une sélection active par les établissements d’enseignement supérieur et gérée au niveau national par la plateforme Parcoursup, qui vise l’uniformisation, la transparence et l’égalité devant la procédure (Charles & Delès, 2018). Coté secondaire, la réforme du baccalauréat de 2018 met en place un nouveau baccalauréat général (NBG) qui consiste en un remplacement des anciennes séries par un tronc commun et le choix par les lycéens d’une combinaison libre de spécialités (voir annexe 2). Le choix de ces dernières, s’il permet aux lycéens d’explorer et de définir leur parcours a également, tout comme les anciennes filières, une incidence dans les possibilités d’accès au supérieur. Enfin, avec la mise en place du « parcours avenir » au secondaire, le nombre d’heures d’accompagnement à l’orientation a augmenté au lycée (54h annuelles en seconde, première et terminale, soit 1h30 par semaine en moyenne) et confèrent un rôle plus important à l’accompagnement à l’orientation par les professionnels dans les établissements ; principalement les enseignants et les professeurs principaux. Ainsi, la logique de la construction du parcours est modifiée et compte tenu de ce qu’on sait des inégalités liées à l’orientation, ces réformes interrogent sur la manière dont les lycéens s’en approprient les enjeux. Quels repères ont-ils pour construire leur parcours ? Sur la base de quel accompagnement se situent-ils dans ce nouvel environnement ? Pour quelles expériences ?

3L’objectif de cet article est d’éclairer ce point et de faire ressortir les éléments parfois contradictoires d’une socialisation à l’individualisation dans ce nouveau contexte. Il s’appuie sur l’analyse de 20 récits biographiques de bacheliers 2021 (voir encadré 1). Le tableau 1 en annexe présente les caractéristiques des interviewés.

4Première cohorte de nouveaux bacheliers généraux, les lauréats de la promotion 2021 ont traversé les années de lycée pendant la crise sanitaire ce qui apparaît en filigrane de leur expérience : les aménagements dérogatoires diffèrent d’un établissement à l’autre tout comme le vécu des lycéens. Ils partagent l’expérience d’un nouveau baccalauréat qui, en dépit de sa nouvelle formule et du grand oral très apprécié, laisse pour cette promotion un sentiment d’illégitimité et d’avoir eu le bac « gratuitement », « sans épreuves ». De même, ils ont été dans l’incertitude pendant tout leur parcours et ont le sentiment d’avoir dû avancer à tâtons, avec leurs enseignants « sans connaitre les contenus des enseignements », et d’avoir été « la première génération qui a testé la réforme ».

5Concernant la transition secondaire-supérieur, leur récit laisse apparaitre une socialisation à l’individualisation contrainte par les nouvelles règles du jeu, et une expérience de la sélection en demi-teinte. La première partie de ce texte propose une description de cette socialisation à l’individualisation, la seconde en présente les effets en termes de vécu de la transition secondaire-supérieur et les ressources inégalitaires pour accompagner ces expériences.

Schéma 1 • Spécialités choisies et parcours des interviewés

1. Une socialisation à l’individualisation poussée par les réformes et leurs outils

6Les nouvelles règles du jeu participent de manière formelle à la socialisation à l’individualisation des lycéens. L’organisation nouvelle des sociabilités lycéennes autour des spécialités rendent leur expérience plus solitaire d’une part, et l’autonomisation des choix des spécialités où la prudence est encouragée, propulse les lycéens dans une individualisation « à tâtons » et incertaine d’autre part. Ils sont progressivement conduits, au rythme du calendrier et de la procédure vers une sélection anticipée par l’encouragement à la multiplication des choix.

1.1. Déstructuration de la sociabilité lycéenne

7La réforme du baccalauréat produit un effet sur l’organisation de la vie lycéenne qui participe de cette individualisation des parcours au prix d’un isolement des lycéens. Le groupe classe n’existe que lors du tronc commun, mais les jeunes passent beaucoup de leur temps scolaire regroupés autour des spécialités qu’ils ont choisi et pour lesquelles ils sont mélangés, ce qui est assez déstabilisant comme le raconte Ornella :

« Le truc un peu pénible c’est que je me suis pas fait beaucoup d’amis pendant la première et la terminale parce qu’en fait on n’avait plus de classe en fait, on changeait quasiment pour tous les cours, on avait une classe différente parce que bah du coup forcément, comme on n’a pas tous les mêmes spécialités. On va là où y a le cours et pas avec la classe où on est en fait, car personne n’a la même combinaison donc en fait y a plus de classe et du coup les personnes ne se ne créent pas de lien comme on peut créer de lien quand on est dans une classe et qu’on se voit toute la journée là en fait on est jamais avec les mêmes personnes et du coup c’est vrai que moi j’avais des amis à l’extérieur mais j’avoue que pendant ces 2 années-là en cours j’étais toute seule parce que parce qu’en fait y avait pas d’unité de classe et ça m’a manqué » (Ornella).

8La composition des regroupements autour des spécialités peut aussi influencer le choix de la spécialité à arrêter en fin de première, indépendamment de la construction du projet. C’est ce qu’explique Ismaël qui ne gardera pas en terminale une de ses spécialités, entre autres parce qu’il n’y développe aucune affinité avec ses camarades de spécialité :

« En terminale je n’ai gardé que les maths et SES ; la physique chimie je n’ai pas trop accroché, (…) en fait quand je suis arrivé en première en classe de physique chimie je ne connaissais personne dans la classe, j’étais tout seul, moi je n’étais pas trop dans le délire d’apprendre bête et méchant, il me fallait un engouement » (Ismaël).

1.2. Choisir ses spécialités : marcher à tâtons avec des logiques incertaines

9Face à la multiplication des combinaisons possibles en première et en terminale, goûts, préférences et logique du pas à pas semblent être encouragés par le cadre institutionnel qui permet toutes les combinaisons possibles tout en ayant des « horizons » pour le supérieur. Le fascicule du ministère renvoie à un simulateur en ligne concernant les spécialités et les « horizons » auxquels conduisent les différentes combinaisons possibles à l’issue de la classe de première.

10Au niveau local, la mise en œuvre dépend des établissements. Par exemple, même si a priori ce n’est pas attendu dans le cadrage national de la réforme, dans certains établissements, les jeunes sont conduits à choisir des combinaisons précises, comme dans l’établissement de Cécilia qui « avait des triplettes imposées » ; dans d’autres, comme celui de Lou, il est possible de « faire tout ce qu’on veut ».

11Quoiqu’il en soit, et quel que soit l’établissement, même dans les contextes où la réforme est mise en œuvre de la manière la plus flexible, il ressort du discours des interviewés que les enseignants encouragent à la prudence, à la cohérence en classe de seconde. Avec ce cadre, ces outils, et sous l’impulsion des enseignants, les jeunes sont donc responsabilisés à faire leur miel ou à trouver le « bon mix » entre faire ce qui leur plait, ce où ils ont les meilleures chances de réussites et ce qui leur ouvrira le plus de portes ou leur permettra d’accéder à leur projet d’études supérieur. Trois logiques se dégagent pour guider leur choix : la logique de linéarité, la logique de cohérence, la logique d’ouverture.

12Avoir un projet d’études anticipé est structurant mais reste rare en seconde. Dans ce cas c’est la logique de linéarité qui régit les choix de spécialité. C’est le cas de Mélissa :

« Dans mon idée d’être orthophoniste je choisis des maths et de la physique donc mathématiques, physique, chimie, et je prends aussi une matière qui me paraissait la plus littéraire parmi les matières qu’il y avait qui se rapprochaient le plus du français, qui pouvaient me servir à m’améliorer en grammaire et orthographe » (Mélissa).

13Sans projet précis, ils oscillent, selon les conseils qu’ils reçoivent, entre la logique de cohérence et la logique d’ouverture. Ceux qui ont une logique de cohérence, cherchent à afficher une lisibilité pour le supérieur, ce qui est encouragé par les familles et les enseignants. Pour cela, ils se réfèrent aux anciens baccalauréats ou essaient de faire que les « spécialités aillent ensemble un minimum » comme le précise Bastien, sous l’influence de ses enseignants, et Lana, qui semble arriver aux mêmes conclusions, toute seule :

« Comment étaient présentés les textes officiels, ils nous étaient présentés en nous disant prenez ce que vous voulez et officieusement les profs, il me semble qu’on nous disait, ne prenez pas non plus n’importe quoi, c’est un peu idiot ; ce n’est pas très cohérent et ce n’est pas très judicieux de prendre des options qui n’ont aucun rapport entre elles, ça peut vous porter préjudice » (Bastien).

« La toute première année de la réforme je savais très bien que les universités allaient galérer à s’adapter et qu’en tout cas c’est sûr qu’elles ne sont pas adaptées sur notre génération. Donc j’ai tout fait pour refaire une voie ES classique avec anglais, SES, histoire géopolitique (…) donc ce qui se rapproche le plus d’une voie sciences économiques et sociales » (Lana).

14Ceux qui ont une logique d’ouverture, s’appuient davantage sur leurs préférences, mais afin de marcher pas à pas, combinent les choix « les plus ouverts pour la suite » ; comme nous l’explique Kamilia :

« En faisant de l’économie [en seconde] j’ai remarqué que j’aimais bien ça et en revanche j’aimais aussi les sciences donc je mettais toutes les chances de mon côté et je n’ai pas fait un choix entre les deux, j’ai pris un mix SES, maths et physique chimie » (Kamilia).

15Pour le choix de la triplette de première, les lycéens sont guidés par des repères flous, ce qui les conduit à faire un compromis, a fortiori quand le projet d’orientation n’est pas encore clair, consistant à choisir deux spécialités de « raison » (pour la lisibilité et/ou la cohérence) et une de « cœur » pour s’autoriser à faire ce qu’ils aiment ou explorer quelque chose (ouverture). Les mathématiques restent au cœur de ces choix de raison, souvent sous l’influence des parents, car « on n’arrête pas les maths en première » nous dit Cécilia, « et c’était hors de question pour ma mère ».

16Pour le duo de spécialité en terminale ils éliminent le coeur ou la raison. Se distinguent ainsi les « stratèges » et les « passionnés ». Les premiers restent dans la linéarité et sacrifient les goûts au projet d’orientation comme le raconte Martin, dont le père est enseignant, qui abandonne l’informatique :

« Parce que, à côté comme c’est ma passion je faisais de l’informatique, et surtout, ce que me disaient mes parents, ce n’est pas l’informatique qui allait m’ouvrir des portes. Si je voulais faire des études supérieures ça allait d’abord se jouer sur les maths et la physique et pas sur l’informatique » (Martin).

17Martin s’inscrira ensuite dans une prépa prestigieuse, mais craquera dès les premières semaines, il se réoriente en prépa intégrée en école d’ingénieurs et se spécialisera en informatique.

18Les seconds vont affirmer leurs goûts, ou abandonner les matières où ils sont en difficultés, quitte à renoncer, parfois sans le savoir, à des possibles ultérieurs. C’est le cas d’Anaëlle qui arrête les mathématiques :

« J’étais contente de pouvoir abandonner les maths, parce qu’à l’époque on pouvait abandonner les maths, parce que je n’aimais pas. Je me suis rendu compte que dans le futur ne plus avoir de maths quand même ça joue en ma défaveur et que du coup mon profil n’était pas vraiment complet ». (Anaëlle).

19Le choix d’arrêter les mathématiques est justifié par Anaëlle par un profil « pas très scientifique » qu’elle assume finalement le décrivant comme un « profil typique de jeune fille ». Ce choix est effectivement plus féminin et typé socialement (DEPP, 2021) et s’avère discriminant à l’entrée dans l’enseignement supérieur. Anaëlle, elle ne sera pas admise à Sciences po qu’elle prépare pourtant avec une préparation privée. Mélissa, qui tout comme Martin, avait sacrifié ses goûts en première, notamment pour l’anglais, garde les maths pour rester avec l’équivalent d’un bac S en vue de son projet d’école d’orthophonie, ce qui a joué sur sa moyenne et compromis, selon elle, son accès à ces écoles où elle ne sera pas admise.

« En mathématiques et en physique je n’étais pas du tout bien, ça a été le début du stress et de vraiment galérer et avoir des bonnes notes et avoir la moyenne partout, contrairement à l’anglais ou l’espagnol où je m’en sortais mieux. Donc dans des spécialités qui sont des coef. aussi gros que ça pour le coup on se dit, je dois avoir un dossier parfait pour orthophoniste mais au final mon dossier au niveau notes ne va pas être parfait parce qu’avec des coefficients aussi gros ce n’est pas possible » (Mélissa).

20Derrière ces logiques de construction de leurs parcours se cache le sentiment d’avancer à l’aveugle, sans savoir ce qui est le mieux. Toutes ces décisions et leurs conséquences sont assez stressantes pour les jeunes qui ne se trouvent pas toujours suffisamment informés ou prêts à formuler des choix décisifs comme en témoignent Cécilia et Loris.

« En fait je pense que c’est trop tôt pour savoir ce qu’on veut faire concrètement, si on choisit une spécialité le mieux c’est d’avoir un projet concret, savoir ce qu’on veut faire savoir les études qu’on veut faire, et si on ne sait pas les études qu’on veut faire c’est très compliqué » (Cécilia).

« En fait l’école [de commerce] voulait absolument par exemple SES et maths et pas de géopolitique en spécialité, donc là les écoles ne se sont pas vraiment adaptées aux profils ce sont les profils qui devaient être adaptés, sauf que nous quand on était en première année on n’avait aucune idée de ce que les écoles voulaient » (Loris).

21Finalement, quelles que soit les logiques, choisir ses études et trouver « le bon mix » s’avère relativement difficile, car il ne semble pas y avoir de combinaison parfaite, ni de manière claire pour eux, d’envisager une transition secondaire-supérieure optimale et sereine au moment où ils font leur choix.

1.3. Remplir Parcoursup et anticiper le pire : « J’ai rempli mes 10 vœux, j’avais plein de plans B »

22L’année de terminale est marquée par la procédure parcoursup et son calendrier. Tous les jeunes expliquent qu’ils ont été informés et alertés, voire stressés par leurs enseignants concernant deux points : le calendrier de la procédure, qui agit comme accélérateur du projet et le risque de ne pas avoir de place incitant à multiplier les candidatures. Les enseignants craignent que certains jeunes se retrouvent sans formation, et encouragent comme c’était déjà le cas pour les spécialités de première à la prudence. Cette prudence se caractérise par l’élargissement des vœux et la formulation des choix de second ordre, voire non souhaités du tout. L’élargissement des vœux non hiérarchisés, est aussi l’occasion pour certains de reporter leur choix à la phase d’acceptation et validation des vœux et s’autorisent donc des orientations variées.

« J’avais rempli tous mes vœux. J’avais prévu plein de plans B. j’avais mis genre une licence de LEA et LLCE mais ça ne m’intéressait pas du tout, je l’avais vraiment mis à la fin ; j’avais mis SHA, sciences humaines appliquées ; j’avais mis des licences de droit aussi (…) Oui j’avais mis au cas où parce qu’il ne fallait pas se retrouver sans rien. J’avais un peu cette pression où on nous disait, na, na, na, on vous conseille de remplir toutes vos possibilités de vœux parce qu’il ne faut pas se retrouver sans rien, il y en a qui ne sont pris nulle part etc. Du coup j’avais tout rempli par affinité même si je savais il y en avait je savais que je ne voulais jamais aller là-bas, oui j’ai rempli ces vœux-là » (Anaëlle).

23Le calendrier sert d’accélérateur et la plateforme de source d’information, en complément ou non d’autres démarches. Ils font leurs recherches et même découvrent des formations sur la plateforme, c’est le cas de Samuel et d’Ismaël.

« Fin décembre début janvier on commençait à faire nos vœux etc. et donc ça m’a, pas précipité parce que ce n’est pas le bon mot, mais ça m’a hâté un peu dans mes réflexions et j’en suis arrivé au fait que le BTS était la meilleure option » (Samuel).

« C’est vraiment quand j’entends Parcoursup et que je commence à m’inscrire que là je commence à vraiment à m’organiser, à avoir des idées claires (…) Et grâce à la plateforme j’ai fait mes recherches et j’ai visité les différents parcours qui existaient, et c’est là que sont venues en tête des idées et des formations qu’on pouvait réaliser » (Ismaël).

24Le fait de rechercher et de s’inscrire, s’informer en partie, permet une certaine ouverture et une diffusion plus homogène de l’information. Pour élaborer ces nombreuses candidatures, tous font référence à un accompagnement réel, avec des cours comportant des éléments procéduriers et peu personnalisés, concernant Parcoursup, ou de méthodologie concernant la lettre de motivation, comme le décrit Léa.

« Je me souviens qu’on avait des cours, préparer Parcoursup, rédiger sa lettre de motivation, comment choisir la bonne fac, etc., comment fonctionne Parcoursup. On avait quand même été un peu accompagné mais c’était un accompagnement un peu flou parce que même les professeurs ne savaient pas trop sur certaines questions quoi nous dire ou comment faire, etc. » (Léa).

25La socialisation à l’individualisation au moment de l’orientation post-bac se fait par une procédure demandant de l’implication et une injonction à élargir ses choix, avec un accompagnement mettant l’accent sur le calendrier, le fonctionnement et la méthodologie de la lettre de motivation, au prix d’un sentiment pour les lycéens qu’il n’est pas toujours assez personnalisé, on y reviendra.

2. Des expériences éprouvantes mais acceptées, soutenues par un environnement et des ressources inégalitaires

26Les parcours ont été multiples pour ces jeunes, et l’expérience des choix de spécialités suivie par celle de Parcoursup s’avère relativement éprouvante. Éprouvante, on l’a vu par les incertitudes, le sentiment d’avoir été mal accompagnés, le travail que cela leur a demandé de faire les nombreuses candidatures et nous le verrons, éprouvante aussi lors de l’affichage des résultats, l’attente et l’étape de validation des choix, éprouvante encore par l’opacité des résultats surtout en cas de refus. Nous verrons que ces différentes étapes rendent inexorablement le lycéen acteur de son parcours. In fine, en dépit des incertitudes et des déceptions, cette socialisation les conduit à développer une forme de résilience, d’adaptabilité.

2.1. Des ressources inégalitaires en réponse à un accompagnement procédurier et lacunaire

27La littérature montre que les lycéens ne sont pas armés également, face à la procédure, aux plateformes (Lemaître & Orange, 2017). Or, leurs expériences laissent apparaitre des manques dans l’accompagnement reçu au sein des établissements, principalement par leurs enseignants tout au long du processus. Nous verrons que ces manques sont compensés, quand ils le peuvent, par les familles qui peuvent déléguer à des acteurs privés, ce qui rend ces expériences relativement inégalitaires.

28L’accompagnement, avec des modalités différentes selon les contextes, comporte des temps collectifs et en petit groupe ou individuels. Dans certains établissements, ils ont des cours de méthodologie à la rédaction des lettres de motivation ; tous parlent des « cours de Parcoursup ». Lors de ces séances, les enseignants ont été très présents, rappelant les enjeux des choix, invitant à la prudence. Ils accompagnent les élèves à la maitrise des outils et à rechercher l’information sur la plateforme.

29À quelques exceptions qui apparaissent nommément dans le récit et où « on voyait que ça lui tenait à cœur qu’on prenne les bonnes décisions », les enseignants s’en tiennent à des vérifications ou des rappels des échéances laissant les lycéens en autonomie face aux enjeux de leurs choix, leur indiquant les ressources ou les salons1, les « obligeant à prendre rendez-vous avec la conseillère d’orientation ». Cependant, beaucoup d’élèves témoignent d’un manque de quelque chose qu’ils ont du mal à verbaliser. Voici comment l’exprime Amanda qui a choisi d’avoir recours à une conseillère d’orientation privée, ou Lana qui décrit le travail mené en BUT autour de la valorisation des compétences qu’elle aurait aimé trouver avant.

« Je ne sais pas comment expliquer mais elle [elle parle de la psy-en] a simplement demandé qu’est-ce que tu veux faire ? Je ne sais pas c’est sans doute pour ça que je suis là ! Qu’est-ce que tu aimes bien comme matière ? C’est toujours une question à laquelle j’ai du mal à répondre parce que j’aime bien toutes les matières que je fais ; et après on a parlé de plusieurs points, elle m’a dit si tu veux faire ça il y a telle école, c’était intéressant dans le sens qu’elle m’a montré, il y a telle fac qui fait ça, telle école qui fait ça, mais c’est pour moi qu’en surface. Et au final ce que j’ai fait avec la dame de l’orientation (elle parle d’un cabinet privé), c’est quelque chose de privé que j’ai fait de moi-même, mais au final aujourd’hui j’en suis très contente parce qu’il y avait tout un bilan de personnalité, savoir ses qualités, ses défauts, comment on est, ce qu’on aime, etc. » (Amanda).

« Je vais être très médisante, la manière dont a été fait l’accompagnement était stupide. Parce qu’ils nous mettent 1 heure devant un PC pour nous expliquer juste le fonctionnement de comment ça s’ouvre, de comment remplir un CV, de comment machin, en fait pour la plupart des élèves c’est quand même vachement intuitif (…) Par contre, c’est vrai que moi dans mon BUT le premier truc qu’on m’a fait faire c’était une bibliothèque de compétences pour traduire nos expériences, nos compétences etc. et ça je pense pour la recherche d’alternance ou pour les lettres de motivation ça m’aurait vachement servi » (Lana).

30Ces récits montrent qu’une des dimensions cruciales de l’éducation à l’orientation (CNESCO, 2018), la connaissance de soi et l’émergence du projet personnel, fait souvent défaut. « Les professeurs ne savaient pas trop sur certaines questions » et semblent dépourvus des outils d’un accompagnement au projet poussé, ou restent en retrait. En effet, en dépit de la formulation d’un curriculum réel « l’emploi du temps on avait des heures de vie de classe qui étaient purement consacrées à Parcoursup et à l’orientation », il n’est pas rare que les enseignants se positionnent dans une posture avec un degré faible de personnalisation des jugements et des conseils (Van Zanten, 2015), et, sans une coordination et une politique claire d’établissement, une posture plus personnalisée reste possible mais de l’ordre des initiatives personnelles des enseignants (Daverne, 2023).

31Dans ce contexte d’un accompagnement relativement lacunaire, décrit tour à tour comme « en surface » ou « flou », les familles sont donc très présentes. Elles apparaissent en filigrane dans le discours des jeunes. Quand ils racontent leur parcours, ils utilisent souvent « nous » ou « on » : « on a regardé », « on s’est dit » derrière lesquels se cachent les parents. Se distinguent alors les jeunes très soutenus (pour les choix de spécialité, face à l’opacité des critères de sélection des écoles, pour les lettres de motivation, face aux possibilités de rebondir) par des parents, qui, enseignants ou cadres, se montrent très impliqués depuis la fin de la troisième y compris dans le choix des lycées, de ceux qui le sont beaucoup moins. Les ressources familiales diffèrent beaucoup pour les jeunes au moment de la transition secondaire-supérieur, cela n’est pas nouveau ; ce qui l’est davantage à l’heure de l’individualisation des parcours, c’est que le processus est incertain, que les élèves sont autonomisés à toutes les étapes, et que le résultat s’avère stressant et éprouvant en cas de refus, de désillusion ou de réorientation. Le soutien et les ressources pour rebondir se révèlent alors encore plus discriminantes.

32Par exemple Martin, Melissa, Anaëlle ou Lou, relativement résilients malgré le renoncement à leur premier choix ou leur réorientation ont été très entourés par leurs familles.

« Pour les démarches, j’ai eu très peu de démarches à faire. Je suis allé voir quelquefois sur le campus mais je n’ai pas eu beaucoup d’informations et ce sont mes parents qui ont fait les démarches. En fait c’est eux qui me soutiennent, je suis ultra dépendant d’eux » (Martin, père et mère enseignants).

33Ce n’est pas le cas d’Ismaël, qui au moment où, après avoir oublié de confirmer sa place en BUT, se retrouve sans formation et finira, non sans stress, par se débrouiller pour trouver une solution.

« Je vois que ma demande de candidature d’inscription a été refusée, en gros ils ont rayé mon inscription. Et le jour où j’arrive en France je découvre ça, je ne le dis pas à mes parents parce qu’à ce moment-là ils m’auraient tué et tout, c’est la rentrée, je n’ai pas d’école, je ne sais pas quoi faire. J’arrive en France là je tombe de haut, je n’ai pas d’école, je fais quoi ? ! Je suis allé les voir. J’ai essayé de recoller un peu les pots cassés, je vais dans les bureaux administratifs ; à ce moment-là j’étais désespéré mais je ne le montrais pas. Ils m’ont dit on ne peut rien faire pour vous, ils n’étaient pas méchants, mais ils m’ont dit vous avez perdu votre place et maintenant c’est mort ; on est désolé. Je ressors de là-bas j’étais dégoûté. (…) Je sors et je repense à un truc, je repense au DCG de (la ville où il est actuellement) et j’appelle le secrétariat, je leur explique la situation, c’était le premier jour de la rentrée au DCG. J’appelle le secrétariat et je leur ai dit que j’avais candidaté sur Parcoursup, que j’avais été pris directement sauf que j’ai refusé… et là je voulais revenir en arrière, est-ce que c’est possible ou pas. Je ne sais pas si elle a réfléchi ou si elle m’a dit directement, mais en gros elle m’a dit oui c’est bon, j’ai envoyé deux, trois documents » (Ismaël, père artisan, mère au foyer).

34Ces exemples montrent que les ressources familiales sont bien différentes pour ces jeunes et que s’opposent des familles qui interviennent beaucoup à des familles en retrait, des familles présentes ou moins présentes pour accompagner les réorientations, et les parcours résilients.

35Bien sûr, les familles interviennent pour compenser une carence institutionnelle, mais elles ne sont pas toujours compétentes pour le faire. Certaines familles sont très présentes, au risque d’exercer une pression sur les choix, « mes parents étaient pour la double licence parce que forcément c’est un peu plus prestigieux » nous dit Amanda. Elles cherchent à aider leur enfant sans forcément toujours permettre ce réel travail d’accompagnement au projet de l’élève, à moins d’avoir recours à des prestataires privés, on l’a vu.

36Lou, par exemple, prend conscience, alors qu’elle est contrainte d’arrêter sa première année suite à une sorte de burn out, qu’elle n’est pas du tout à sa place, qu’elle ne s’est pas écoutée, et ne s’est jamais posé vraiment la question de ce qu’elle voulait. Elle avait pourtant obtenu son premier choix, une filière scientifique sélective, très marqué par la tradition familiale « scientifique » (elle précise que ses deux parents ont des doctorats et que tout le monde est scientifique dans sa famille). Si ses parents seront ensuite très soutenants pendant cette phase difficile, « mes parents m’ont beaucoup soutenu », son cas montre que ses parents, bien que présents, n’avaient pas su déceler son besoin d’être accompagnée, dans cette dimension qui lui a fait défaut et qu’elle exprime a posteriori en ces termes :

« Je l’associerais à deux choses. Il y a une dimension personnelle, c’est-à-dire que j’étais rentrée dans un système de perfectionnisme absolu, d’exigence qui était trop élevée, et quelque chose qui n’était plus sain ; et je pense qu’il y a une autre raison qui est liée au « système » qui ne m’a pas accompagnée dans mon orientation, qui n’a pas fait en sorte que j’aie un projet professionnel qui me soit personnel, qui soit construit, qui soit adapté à moi, qui soit accompagné, je n’ai rien eu de tout ça et je pense que je manquais de beaucoup de sens dans ce que je faisais, que j’étais là mais sans savoir qu’est-ce que je faisais là. J’étais dans un endroit que je n’avais pas réellement choisi, c’était un choix quelque part qu’on m’avait imposé parce qu’il fallait faire des démarches Parcoursup, parce qu’il fallait faire un projet professionnel mais ce n’est pas le mien en fait. Et donc je pense que ce sont ces deux dimensions qui ont fait que quand je suis arrivée là par rapport à cette construction personnelle et la manière dont je fonctionnais personnellement, je pense qui n’était pas durable, mais aussi ce manque d’accompagnement » (Lou).

37Même si la plateforme uniformise l’accès à l’information et que le temps d’accompagnement à l’orientation existe dans le programme pour que les élèves construisent leur projet, les lycéens sont encore assez jeunes et témoignent avoir besoin d’un accompagnement plus individualisé. Certains l’ont trouvé chez des prestataires privés, ou auprès de leur famille. Cette socialisation à l’individualisation apparaît donc comme très inégalitaire et tout se passe comme si, malgré les heures dédiées, cette partie du travail d’orientation était déléguée aux familles (Couto & Valarcher, 2022). Ces dernières, même quand elles sont présentes, sont parfois démunies face au manque d’accompagnement au projet ressenti et à l’origine de certains parcours en rupture et d’expériences difficiles. Ainsi, les futurs étudiants à qui l’on enjoindra de formuler un projet professionnel (voir Delès & Guichard, dans le même ouvrage) sont donc bien peu formés à la construction de ce projet. Cela pointe le besoin de coordonner au niveau des établissements et au-delà, une politique réelle d’accompagnement plus suivi de cette individualisation a fortiori dans les contextes les moins dotés.

2.2. Une expérience éprouvante de la transition secondaire-supérieur et l’acceptation progressive du parcours

38Même pour les bons élèves, ceux qui avaient « les bonnes spécialités », ou ceux qui ont fait des vœux « non-sélectifs » et qui auront presque tous leurs vœux, l’expérience de la procédure parcoursup peut se révéler « stressante » lors de l’étape des validations de vœux. L’attente est vécue de manière stressante et les met, d’après leur vécu de la procédure, de nouveau en position de devoir faire des arbitrages, refuser des places où ils sont pris afin de « miser » sur le fait de progresser dans les listes d’attente pour des vœux qu’ils préfèrent. Comme l’explique Amanda, qui est pourtant prise « presque » partout et en attente sur d’autres vœux géographiques :

« Mais ça m’avait inquiétée parce qu’on n’avait que trois, quatre jours pour accepter le vœu sinon on le perdait, mais quand même c’est assez rapide pour prendre une décision qui est très importante, donc c’est un peu de stress et d’angoisse… » (Amanda)

39Enfin, l’expérience puis l’acceptation du refus, la peur de ne rien avoir ainsi que l’opacité sur les raisons des refus en font une expérience difficile.

40Mélissa et Anaëlle, qui avaient beaucoup travaillé à leur dossier et concours pour respectivement les écoles d’orthophonie et les sciences Po, ne seront pas acceptées. Ce refus est très violent et elles seront toutes les deux très déçues :

« C’était assez stressant, et quand j’ai été voir les résultats c’était l’hécatombe, je ne sais pas comment dire mais visuellement il y avait une liste de tous les IEP et c’était "non, non, non, non" genre neuf "non" d’un coup, donc c’était assez démoralisant par rapport au travail fourni » (Anaëlle)

41Mélissa explique qu’elle n’a aucun retour sur ces candidatures :

« Du coup aujourd’hui je suis en psychologie à [la ville où elle est], je n’ai été acceptée dans aucun de mes vœux en orthophonie, à ce moment-là et même encore maintenant d’ailleurs je n’ai aucune raison qui a été avancée » (Mélissa).

42Face à cette opacité, tout comme Anaëlle, les lycéens trouvent eux-mêmes des raisons : « leur dossier », « leurs notes », « des appréciations », ce qui n’enlève rien à l’expérience négative de ce résultat :

« Comment je l’explique, je l’explique simplement que je n’ai pas le niveau, que je n’ai probablement pas eu une assez bonne note à l’épreuve que j’ai passée, et que j’avais des bonnes notes de manière générale, je ne sortais pas du lot, je n’avais pas 18 de moyenne donc… Moi je me l’expliquais comme ça, mais après ça ne changeait rien à ma déception, vraiment énorme déception, parce que j’avais tellement fourni d’efforts ; non vraiment je l’ai mal vécu sur le moment » (Anaëlle).

43Annaëlle et Mélissa se rabattront toutes deux sur leur « second » choix, non sans une grosse déception, puis finiront, après quelques mois par s’y plaire et s’y adapter : « Non je n’étais pas très motivée pour aller faire en plus quelque chose qui n’était pas mon premier choix à la base, non j’étais assez défaitiste. Mais après ça m’est vraiment passé et aujourd’hui c’est complètement l’inverse que je pense » nous dit Anaëlle au moment d’entrer en sciences humaines appliquées (SHA) qui propose une passerelle vers Sciences po. Mélissa entre en L1 de psychologie dans le but de retenter les prépas orthophonies. Toutes les deux finiront par rester dans ce parcours, en renonçant à leurs perspectives initiales de retenter leur chance dans leur premier choix.

44Autonomiser les lycéens à la construction de leur parcours, les conduit à en devenir les responsables, même en cas de difficultés, d’échec ou de réorientation. Cela a été préparé par la multiplication des vœux non hiérarchisés. Le « second choix » finit par être accepté, et le refus parfois occulté. C’est le cas de Cécilia qui affirme qu’elle a « eu tout ce qu’elle voulait » alors qu’elle n’obtient pas le BUT qu’elle préférait ni sa ville de préférence. Elle s’engage ainsi dans ses études avec enthousiasme. Cela d’autant plus que cette place dans un des BUT, elle l’avait eue au prix d’une expérience de candidature fastidieuse :

« C’était éprouvant parce que j’avais fait tous mes vœux, c’est très sélectif, j’avais demandé tout, j’ai fait mes 20 vœux et les écoles demandaient en plus, une dizaine d’écoles, de fournir des travaux, d’expliquer les choses et tout. C’était hyper éprouvant parce qu’il fallait faire ça en plus des cours au lycée, j’étais très, très stressée, mais j’ai réussi » (Cécilia).

45D’autres, alors qu’ils ont élaboré leurs choix dans la « crainte » de ne pas avoir de formation, c’est le cas d’Ismaël par exemple, ou de Maxime, ayant une place (parfois après avoir été en liste d’attente), sont heureux quand ils se retrouvent dans une formation qu’ils avaient demandée, et s’engagent dans une véritable résilience : « Je me suis réjouis de ce que j’avais déjà » nous dit Maxime accepté en BTS, et « le destin fait bien les choses », nous dit Ismaël, au prix d’une expérience amère :

« Ce que je pense de Parcoursup après deux années, c’est que c’est limite de l’aléatoire ce qu’ils font, je trouve que ce n’est pas franchement une bonne idée de trier les élèves comme ça. Par exemple pour un élève comme moi, je pense que j’aurais plus de chance s’il y avait des entretiens physiques, pour pouvoir démontrer sa personnalité. J’ai connu beaucoup d’élèves qui étaient dans un niveau scolaire vraiment derrière moi, ils étaient pris alors que moi je n’étais pas pris. Je comprends complètement, mes appréciations ne donnaient pas envie (…) Moi je voulais vraiment faire un truc dans ma vie et parce que j’ai eu des mauvaises appréciations des professeurs (…) Après voilà c’est la vie, j’ai fini en DCG et j’aime bien ce que je fais (…) Franchement, le destin fait bien les choses, parce que le DCG j’aime beaucoup ce que je fais, malgré le fait que je ne voulais pas y aller » (Ismaël).

46Tous les deux au moment de l’interview « aiment ce qu’ils font » et se projettent dans des poursuites d’études avec prudence et « par étapes » : licence à l’étranger et peut-être école pour Maxime et DSCG et un DEC (bac+8) pour Ismaël.

47Ainsi, cette socialisation à l’individualisation du parcours a pour effet de les avoir responsabilisés afin qu’ils acceptent le résultat en dépit des désillusions possibles, même quand la procédure a été opaque ou arbitraire, même s’ils ont eu le sentiment d’avoir été peu ou mal accompagnés à cette autonomie. Tout au long du processus, l’implication des lycéens les prépare à accepter un second choix et à faire preuve de prudence, de renoncement, d’adaptation et de résilience.

48Cependant, derrière ces « acceptations » se cachent pourtant des parcours variés, des expériences plus ou moins marquées par des désillusions et des inégalités importantes liées aux conditions de cette socialisation, aux ressources et à l’accompagnement.

Conclusion

49Les réformes, celle du bac en particulier, ajoutent à l’expérience Parcoursup des changements qui propulsent encore plus les lycéens dans l’individualisation de leur parcours. Cette dernière se matérialise par la destruction des sociabilités liées à la classe au profit des groupes de spécialités en première et terminale ainsi qu’en un accompagnement relativement procédurier, encourageant la lisibilité et la prudence tout en autorisant, selon les contextes, tous les choix possibles. La plateforme Parcoursup quant à elle, permet de fournir plus d’information et les lycéens sont encouragés à y faire le maximum de vœux. Cette « socialisation à l’individualisation », marquée par des compromis, se révèle être un apprentissage de l’autonomie, à tâtons, avec le sentiment de ne pas toujours être accompagné sur les dimensions cruciales du projet, à savoir la connaissance de soi, ni de comprendre les règles du jeu. In fine, ce cheminement produit une transition secondaire-supérieur relativement éprouvante et dont le résultat est l’acceptation du parcours, et une certaine résilience quand celui-ci est marqué par des ruptures.

50Les réformes par les nouvelles organisations de la transition secondaire-supérieur précipitent donc les jeunes dans une expérience de la construction de leur parcours sans pourvoir de manière satisfaisante aux conditions d’une individualisation réellement individualisée, soutenue et égalitaire. L’accompagnement personnalisé de cette individualisation apparait donc comme un nouvel enjeu majeur de la transition secondaire-supérieur. En effet, même s’il est prévu dans les emplois du temps, les enseignants et les équipes étant au cœur de cet accompagnement font de leur mieux pour anticiper et cadrer des ruptures sans être forcément outillés pour ce suivi individualisé qui déborde l’école et s’avère donc très discriminant. La socialisation à l’individualisation, telle qu’observée, entérine donc des dispositions et des ressources inégales et conduit à accepter le verdict d’une sélection qui demeure inégalitaire. Ces analyses interrogent donc sur la division du travail et les modalités concrètes de l’accompagnement à l’orientation dans et aux frontières de l’école et sur les territoires. Afin de soutenir sans renforcer les inégalités cette individualisation des parcours, l’accompagnement à la connaissance de soi, à la construction du projet de l’élève seront des éléments tout aussi importants que la transparence de l’information concernant les motifs de sélection ou de refus des établissements d’enseignement supérieur.