Introduction

1L’arrêté du 17 novembre 19991 instaure la création d’un nouveau diplôme universitaire : les licences professionnelles, formations de niveau bac + 3 organisées sur deux semestres et recrutant à bac+2. Pour le législateur, elles doivent être conçues et organisées dans le cadre de partenariats étroits avec le monde économique. En effet, elles visent une insertion immédiate sur le marché de l’emploi, même si dans ce premier texte les possibilités de poursuite d’études ne sont pas écartées2. Néanmoins, l’arrêté précise que les dossiers de demande d’habilitation seront évalués notamment au regard de la pertinence et de la qualité du projet par rapport à sa vocation professionnelle. Vingt ans plus tard, l’arrêté du 6 décembre 20193 portant réforme de la licence professionnelle confirme, à plusieurs endroits du texte, la finalité professionnelle du diplôme, fixant même des objectifs d’insertion chiffrés, dont la mesure sera prise en compte lors de l’évaluation externe (c’est-à-dire par un comité d’experts) de chaque formation. En outre, l’arrêté souligne dès le premier article du texte que la poursuite d’études en master n’est pas de droit.

2Or, Lemistre (2019) estime, à partir d’une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), que plus de quatre étudiants de licence professionnelle sur dix aspirent à poursuivre leurs études, aspirations qui tendent à se concrétiser. En effet, après l’obtention d’une licence professionnelle, les diplômés sont nombreux à poursuivre leurs études. Depuis la promotion 2013, les poursuites d’études augmentent régulièrement, passant de 29 % à 41 %4 pour la promotion 2018 dernièrement enquêtée. Et 10 % des diplômés s’inscrivent en master à l’université5. Ainsi, l’inscription en master représente un quart des poursuites d’études des diplômés de licence professionnelle. Toutefois, ils ne représentent que peu d’étudiants parmi les inscrits en master (3 %). Ainsi, Gautier (2016) observe un point d’achoppement entre les recommandations, voire injonctions, institutionnelles et la demande éducative des étudiants.

3Compte tenu du contexte institutionnel défavorable à la poursuite d’études de diplômés de licence professionnelle, nous nous interrogeons sur les chances de succès de leurs candidatures en master, et nous nous demandons si certaines caractéristiques individuelles augmentent les chances de recevoir un avis favorable à une poursuite en master.

4Pour répondre à ces questions, nous mobiliserons les données d’une université francilienne où la carte des formations fait une place importante aux formations professionnelles et à l’apprentissage. Cette université propose une cinquantaine de licences professionnelles, réparties dans tous les domaines de formation dont quasiment toutes les composantes portent au moins une licence professionnelle. D’ailleurs, les inscrits y sont plus nombreux que les inscrits en troisième année de licence (13 inscrits en licence professionnelle pour 10 inscrits en troisième année de licence générale). De surcroît, l’apprentissage est très développé : un quart des effectifs étudient sous contrat d’apprentissage. Cette université a fait le choix de la sélection en première année de master dès l’adoption de la réforme LMD, c’est-à-dire dès la rentrée 2004. D’ailleurs, initialement, la plupart des licences professionnelles portées par des UFR se prolongeaient par un master, en continuation des Instituts Universitaires Professionnalisés (IUP) qui venaient de disparaître. Cependant, à chaque renouvellement de l’offre de formation, l’université étudiée a pris ses distances avec ce modèle pour ne pas inciter à la poursuite d’études après une licence professionnelle, conformément aux recommandations institutionnelles.

5Dans cette université, les candidatures en master sont gérées via une application (Ecandidat). Nous exploiterons les données récoltées lors de la campagne de recrutement de 2019, conduisant à une inscription en master pour l’année universitaire 2019-2020. Nous utiliserons d’une part les données sur les candidats et d’autre part les avis obtenus sur leurs candidatures. Les données seront couplées avec Apogée, application de gestion des inscriptions, pour vérifier si les étudiants ayant reçu un avis favorable l’ont concrétisé par une inscription. Les traitements statistiques exécutés dans cette étude sont contraints par les effectifs parfois limités. Néanmoins, le caractère exhaustif de la base de données confère une représentativité optimale et donc une qualité élevée aux données exploitées.

6Parmi les candidats aux masters, les inscrits en licences générales et en licences professionnelles représentent la majorité des candidats6 (58 %). Toutefois, et fort logiquement, les candidats de licence professionnelle sont moins nombreux (11 %) et se trouvent en concurrence avec quatre fois plus d’étudiants de filière générale. Nous travaillerons principalement sur la population des inscrits en licence professionnelle au moment de leur candidature, soit 864 candidats. 20 % d’entre eux étaient inscrits dans l’université étudiée, soit 172 étudiants. Un cinquième des postulants ont déposé une candidature pour plusieurs masters, portant à 1161 le nombre de dossiers de candidatures. Secondairement, nous utiliserons les données des candidats inscrits en licence générale pour affiner nos conclusions. Toutefois, pour certaines analyses, la faiblesse des effectifs invite à la prudence dans l’interprétation des résultats. Ils seront toutefois présentés en pourcentage pour faciliter la lecture ; seuls les écarts significatifs statistiquement seront commentés.

7Selon les premiers résultats, un cinquième des candidats de licence professionnelle reçoivent un avis favorable pour une inscription en master ; ils ont deux fois moins de chances d’être acceptés en master que les candidats de licence générale. Dans un premier temps, nous étudierons quelles sont les caractéristiques individuelles les plus favorables au recrutement en master. Dans un deuxième temps, nous compléterons les analyses en nous intéressant à l’attractivité des masters, ou plutôt à leur manque d’attractivité. Remarquons que les étudiants de licence professionnelle ne postulent pas dans les mêmes masters que les étudiants de licence générale : quasiment aucun ne postule en master conduisant aux métiers de l’enseignement (contre 5 % des candidats de licence générale). Ils privilégient les masters ouverts à l’apprentissage (80 % contre 67 %), et tout particulièrement ceux où l’alternance est possible dès la première année de master (64 % contre 48 %).

1. Être accepté en master

8Depuis la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 et plus encore la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2008, les universités ont développé une batterie d’indicateurs à des fins de pilotage, de communication et d’évaluation des formations. Ces indicateurs sont utilisés en interne, mais également en externe, pour alimenter le dialogue contractuel avec la tutelle ou pour répondre de l’efficience des formations devant les agences mandatées (HCERES7 notamment). Une partie des indicateurs évalue la réussite et l’insertion professionnelle (Boras et al., 2014). Aussi, recruter en master des étudiants qui, d’une part, obtiendront leur diplôme et, d’autre part, s’inséreront rapidement est un enjeu qui dépasse la seule formation des étudiants. D’ailleurs, les travaux de Sarfati (2015) et Blanchard, Chauvel & Harari-Kermadec (2020) montrent que, pour sélectionner les étudiants à l’entrée en deuxième année de master, les jurys de recrutement cherchent à évaluer le niveau scolaire des candidats (pour sélectionner les étudiants les plus à même de réussir), essentiellement lors de la phase de l’étude des dossiers, et dans un second temps, lors des entretiens de sélection, vérifient leurs qualités professionnelles afin de retenir ceux qui s’inséreront le plus facilement. Sarfati précise même que les professionnels participant aux jurys de recrutement recherchent leurs futurs collaborateurs. En nous appuyant sur leurs résultats, nous nous interrogerons sur le recrutement des étudiants de licence professionnelle en master alors que celui-ci est vivement déconseillé, voire reproché aux universités par l’HCERES. Nous analyserons dans cette partie dans quelle mesure la sélection à l’entrée en première année de master repose sur des indices de compétences académiques (2.1) et professionnelles (2.2). Enfin, nous porterons une attention particulière à l’établissement d’origine des étudiants (2.3).

1.1. Choisir de bons étudiants

9Pour appréhender le niveau académique des candidats, nous avons retenu des variables de passé scolaire : le type de bac obtenu, l’âge à l’obtention du bac, la mention obtenue et la rapidité du parcours depuis l’obtention du bac. En effet, ces éléments continuent d’influencer les chances de succès en master8. Ce choix est limité par les éléments disponibles dans la base Ecandidats : les notes post-bac ne sont pas accessibles pour nous. De plus, au moment où les étudiants postulent, l’année universitaire n’est pas terminée ; ils ne peuvent donc pas renseigner leurs notes qui pourraient être un bon indicateur pour nous, mais aussi pour les jurys.

10Pour les candidats de licence professionnelle, comme pour les candidats de licence générale, le passé scolaire influence aussi les chances d’être recruté en master (Tableau 1). Ainsi, les titulaires d’un bac général reçoivent plus souvent un avis positif que les titulaires d’un bac non général, les bacheliers professionnels étant plus souvent écartés que les bacheliers technologiques. De plus, avoir obtenu le bac avec retard est négativement lié aux chances d’être accepté en master, tout comme l’est l’allongement des études depuis l’obtention du bac. C’est-à-dire que les étudiants de licence ayant un parcours linéaire, sans retard dans leur scolarité ont plus de chances d’être recrutés en master. La mention obtenue au bac est très mal renseignée dans l’application gérant les candidatures en master : près d’un cinquième des candidats n’ont pas complété cette information. Toutefois, parmi ceux ayant renseigné cette information, ceux signalant avoir obtenu une mention bien ou très bien sont plus souvent retenus. De surcroît, les caractéristiques scolaires se combinent et les atouts ont un effet cumulatif. Ainsi, les bacheliers généraux sans retard sont plus susceptibles de recevoir un avis favorable (27 %) que les bacheliers non généraux avec retard (12 %). Toutefois, les bacheliers non généraux sans retard sont légèrement plus souvent acceptés en master que les bacheliers généraux avec retard (20 % contre 16 %).

11Autre élément de cursus : le diplôme à l’entrée en licence professionnelle. La moitié des candidats sont titulaires d’un BTS et un peu plus d’un quart ont obtenu un DUT. Les jurys ne semblent pas avoir de préférence pour l’un ou l’autre de ces diplômes, quel que soit le domaine de formation du master. Toutefois, la faiblesse des effectifs limite les analyses. Or il aurait été intéressant de croiser les variables de caractéristiques scolaires ou d’introduire d’autres éléments, si nous y avions eu accès, comme les notes obtenues lors du cursus post-bac.

12Néanmoins, les résultats sommairement décrits ci-dessus corroborent ceux de Sarfati : le parcours scolaire antérieur serait lu comme un indice de la capacité des étudiants à réussir, ou tout du moins, permet de discriminer les candidats de licence professionnelle entre eux. En effet, in fine, les candidats de licence professionnelle retenus ne présentent pas un meilleur profil scolaire que les étudiants de licence générale retenus d’une part, et que les étudiants de licence générale non sélectionnés d’autre part. Toutefois, les candidats de licence professionnelle sélectionnés accusent moins souvent un retard dans leurs études que les candidats de licence refusés (Tableau 2).

1.2. Choisir de bons professionnels

13Les licences professionnelles ont pour finalité l’insertion professionnelle. Aussi, les enseignements font la part belle aux enseignements pratiques et mises en situation professionnelle, via notamment les projets tutorés et les stages9. De plus, l’alternance y est bien développée : 55 % des apprenants sont sous contrat d’apprentissage10.

14Dans l’université choisie comme terrain, 40 % des candidats étudient en licence professionnelle sous contrat d’apprentissage et 10 % effectuent un stage de longue durée (20 semaines ou plus). Ces étudiants ont les chances les plus élevées d’être acceptés en master (23 %), a contrario des étudiants ayant effectué un stage de moins de 20 semaines (Tableau 3). Une part non négligeable de candidats de licence professionnelle n’ont pas renseigné d’expérience en milieu professionnel (17 %), ce qui ne manque pas d’interroger dans la mesure où dans ce type de formation, les savoirs théoriques doivent s’articuler avec des périodes de formation en milieu professionnel. D’ailleurs, un cinquième de ces candidats ont reçu un avis favorable à une inscription en master. Ces expériences en entreprise ont pu être valorisées dans des documents auxquels nous n’avons pas eu accès (curriculum vitæ, lettre de motivation) ou lors d’entretien de recrutement.

15Cette préférence pour les étudiants ayant déjà des expériences professionnelles dans le cadre d’une alternance ou d’un stage long s’explique par les représentations qu’ont les responsables de formation de l’apprentissage et des avantages sur l’insertion qu’il conférerait. Il s’agit bien de représentations, qui font d’ailleurs consensus dans le corps enseignant comme chez les étudiants (Beaupère, Collet et Issehane, 2017). En effet, des chercheurs se sont interrogés sur cet avantage du point de vue de l’insertion professionnelle. Leurs travaux les conduisent à modérer l’effet de l’apprentissage. D’une part, les apprentis sont fortement sélectionnés scolairement et socialement ; en outre, ils ont parfois des parcours antérieurs déjà professionnalisés, et possèdent donc déjà les codes du marché du travail (Béduwé, Danner & Giret, 2019). De plus, l’avantage que confère l’apprentissage masque l’effet d’autres variables comme le capital social ou le capital culturel des parents (Goastellec et Ruiz, 2016, Lopez & Sulzer, 2016). Enfin, les effets de l’apprentissage sur l’insertion ne sont pas univoques : si leur insertion semble rapide, leurs perspectives de carrière sont limitées et notamment l’accès aux postes de cadre (Beaupère, Collet et Issehane, op. cit, Mignot-Gérard et al., 2015).

16Outre les expériences acquises durant leur formation, l’application Ecandidat permet de décrire jusqu’à trois expériences professionnelles. Ainsi, les étudiants ont pu également compléter quasiment l’intégralité de leurs expériences professionnelles, celles acquises durant le cursus précédant leur licence professionnelle, mais également leurs emplois étudiants, c’est-à-dire des emplois peu qualifiés (facteur, serveur, caissier…) et/ou occupés pendant moins de trois mois, ou d’autres emplois plus qualifiés et plus longs. Toutes ces expériences peuvent signaler une capacité à s’insérer professionnellement et s’ajoutent à celles acquises pendant la licence professionnelle.

17Afin de synthétiser l’ensemble des expériences décrites par les candidats, nous avons créé un indicateur de professionnalité (Annexe 1). Il s’avère que la professionnalité des candidats semble peu discriminante quant à leurs chances d’être acceptés en master, sauf pour ceux ayant une professionnalité faible (Tableau 4). Néanmoins, force est de constater que les informations contenues dans la base de données Ecandidat sont peu homogènes, les champs de réponses n’étant pas bridés. Par exemple, concernant les emplois, dans la catégorie « durée », certains candidats indiquent le volume horaire hebdomadaire, d’autres la date d’entrée dans l’emploi, d’autres la durée du CDD sans précision du volume hebdomadaire. De même, dans la catégorie « descriptif de l’emploi », le verbatim est très variable : certains décrivent les tâches, d’autres le type de contrat, ou bien expliquent qu’il s’agit d’un « job étudiant » ou avoir été recrutés à la suite d’un stage… En nous référant aux travaux de Sarfati (op. cit.) et de Beaupère, Collet & Issehane (op. cit.) nous faisons l’hypothèse que les jurys de recrutement s’appuient plutôt sur les curriculum vitæ et s’il y a des entretiens, sur la posture des candidats (tenue vestimentaire, niveau de langage…) pour déceler les qualités professionnelles des candidats.

18Les inscrits en licence professionnelle ont plus de chances d’être acceptés en master quand ceux-ci sont ouverts à l’apprentissage, en particulier dès la première année, alors que leurs chances sont relativement faibles quand l’enseignement est uniquement sous statut scolaire (8 %). De surcroît, dans les masters ouverts à l’apprentissage dès la première année, la professionnalité des candidats semble liée à la décision des jurys. En effet, seuls 18 % des candidats à faible professionnalité y ont reçu un avis favorable, contre 37 % pour ceux à professionnalité élevée ; les candidats à professionnalité intermédiaire se situant entre ces deux extrêmes (23 %). En revanche, dans les formations qui ne proposent pas d’étudier sous contrat d’apprentissage, la professionnalité des candidats n’a pas d’influence. Comme la faiblesse des effectifs relativise la portée de ces résultats, nous avons réalisé plusieurs tests pour vérifier l’indicateur de professionnalité. Il s’avère que modifier les bornes des catégories confirme la conclusion : la professionnalité des candidats est positivement liée à leurs chances d’être recrutés en master quand ses liens avec l’entreprise sont affirmés.

1.3. Réduire l’incertitude en recrutant des candidats connus

19Le profil académique et le profil professionnel des candidats de licence professionnelle semblent donc influer sur leurs chances d’être recrutés en master. Nous avons vu d’ailleurs qu’ils sont plus facilement retenus quand le master est ouvert à l’apprentissage. Ceci nous invite à déplacer la focale portée sur les candidats vers les contextes de formation.

20En effet, les candidats de l’établissement ont plus de chances de recevoir une proposition favorable (28 % contre 18 % pour les candidats inscrits en licence professionnelle dans une autre université). Remarquons que ce constat est identique pour les candidats de licence académique : eux aussi ont — encore plus nettement — davantage de chances d’être acceptés en master quand ils étudient déjà dans l’établissement (83 % contre 29 %). Finalement, les candidats de licence professionnelle de l’établissement ont autant de chances de recevoir un avis favorable que les candidats de licence académique originaires d’un autre établissement. De plus, les candidats postulant dans un master porté par leur composante de formation ont plus de chances de recevoir un avis favorable, ce qui est également le cas pour les étudiants de licence académique. Les interprétations de Sarfati (2014) peuvent ainsi être transposées à nos résultats : les responsables de formation connaissent bien leurs étudiants, ce qui joue en leur faveur. De plus, ne pas recruter les étudiants formés en interne décrédibilise leur formation aux yeux des professionnels partenaires qui participent aux jurys de recrutement.

21Ainsi, les caractéristiques individuelles, prises séparément, semblent jouer un rôle sur la probabilité d’être retenu en master. Même si ces variables sont indépendantes (les candidats à forte professionnalité n’ont pas un meilleur profil scolaire que ceux à faible professionnalité, les candidats originaires d’un autre établissement n’ont pas un moindre niveau scolaire que ceux de l’établissement), il conviendrait de confirmer ces premiers résultats en raisonnant toutes choses par ailleurs, pour peu que les effectifs soient suffisants. Cela permettrait également d’évaluer la relative importance de tel ou tel critère.

2. Recruter des étudiants de licence professionnelle : une manière d’alimenter son master

2.1. Forte concurrence entre formations

22Pour Frouillou (2015), les universités cherchent à attirer les meilleurs étudiants en développant d’une part une offre de formation spécifique et d’autre part, pour certaines, une véritable stratégie de marque. En effet, le nombre de mentions de master proposé en première année a augmenté de 16 % entre les années universitaires 2005-2006 et 2016-201711, alors qu’un arrêté de 201412, visant une clarification des intitulés de formation, restreint le nombre de mentions de master possibles. En Île-de-France, où est regroupé un quart de l’offre de formation de masters, le nombre de mentions a crû de 23 %. Cette expansion est sans commune mesure avec l’évolution des effectifs en troisième année de licence ou en première année de master qui ont légèrement décru sur la période.

23À la multiplication de l’offre en master s’ajoute une démographie très favorable aux étudiants de licence. Ainsi, en considérant que le nombre d’inscrits en première année de master correspond aux capacités d’accueil, en 2016-2017, quasiment chaque étudiant de licence peut espérer une place en master : le ratio des effectifs en troisième année de licence rapportés aux inscrits en première année de master est de 1,2. Il est même de 1,1 en Île-de-France. Or, tous les inscrits ne seront pas diplômés, même si le taux de réussite est élevé (80 % pour les primo-entrants en troisième année de licence13). Et tous les diplômés de licence ne poursuivent pas en master, même si cela reste la poursuite d’études privilégiée (73 %14). D’ailleurs, Bodin et Orange (2013) signalent que l’enseignement supérieur n’est pas un espace cloisonné, et que le passage du cycle L au cycle M est l’occasion de brassage d’étudiants entre l’université et les établissements proposant des formations non universitaires. En conséquence, en première année de master, les diplômés de licence représentent à peine plus de la moitié des effectifs15.

2.2. Pallier une faible attractivité des formations

24Ainsi, les responsables de formation peuvent rencontrer des difficultés pour alimenter leur master. C’est ce que montrent Blanchard, Chauvel et Harari-Kermadec (op cit.) dans leur travail sur la concurrence et la sélectivité en master. Ils concluent que le recrutement en master est contraint notamment par les capacités d’accueil (qui restreignent de fait le nombre de réponses positives), mais aussi par la concurrence avec les autres formations, les autres établissements. L’enjeu pour certaines formations est alors d’être suffisamment attractives, voire de profiter des entretiens de sélection, pour convaincre les étudiants de s’inscrire.

25Dans le prolongement de ces travaux, les masters de l’université étudiée ont été classés en trois catégories selon leur niveau d’attractivité, évalué ici par le nombre de candidatures reçues au regard des capacités d’accueil, approchées par le nombre d’inscrits (cf. Annexe 2). Il s’avère que les candidatures d’étudiants de licence professionnelle reçoivent plus souvent un avis favorable lorsque le master dans lequel ils postulent est faiblement attractif (37 % de chances d’être acceptés). À l’inverse, dans les masters les plus attractifs, les chances de recevoir un avis favorable sont plus minces (12 %). Et la probabilité d’être accepté en master se situe entre ces deux valeurs pour les masters à l’attractivité intermédiaire (20 %).

26Dans la mesure où l’attractivité d’un master ne se mesure pas uniquement par le nombre de candidatures ou même le ratio du nombre de candidatures par place en master (Béduwé et Carré, 2014, Cassette, 2014), les masters ont été classés selon la qualité (au sens de qualification, nature) des candidatures, et plus précisément selon le taux de candidatures émanant d’étudiants de licence professionnelle (cf. Annexe 2). Néanmoins, la part que représentent les étudiants de licence professionnelle ne semble pas être un élément significativement discriminant. Autrement dit, les étudiants de licence professionnelle ont autant de chances d’être retenus, que le master soit peu demandé par d’autres étudiants de licence professionnelle ou à l’inverse qu’il concentre un nombre non négligeable de candidatures d’étudiants de licence professionnelle.

27Ce constat mérite d’être nuancé, en croisant cette information avec celle sur l’attractivité quantitative des masters. Néanmoins, cette analyse ne pourra qu’être sommaire dans la mesure où la majorité des candidats de licence professionnelle postulent dans des masters très demandés. En effet, plus des trois quarts des candidats de licence professionnelle candidatent dans des masters à forte attractivité. À l’inverse, le nombre de candidatures est relativement faible dans les masters faiblement attractifs et à faible concentration de candidatures de licence professionnelle. Si l’analyse est restreinte en raison de la faiblesse des effectifs, elle est toutefois prometteuse, dès lors qu’on s’intéresse à deux catégories particulières. Premièrement, dans les sept masters cumulant forte attractivité et nombre élevé de candidatures d’étudiants de licence professionnelle (proportionnellement), les chances d’obtenir une autorisation d’inscription sont relativement faibles (14 %). Autrement dit, quand les responsables de formation ont le choix parmi les candidatures, les arbitrages sont rarement favorables aux étudiants de licence professionnelle (Tableau 5). Deuxièmement, dans les quatre masters à faible attractivité (en termes de nombre de candidatures) où les candidats de licence professionnelle sont bien représentés, leurs chances d’être retenus sont élevées. Dans ces masters, retenir des étudiants de licence professionnelle peut être un moyen d’alimenter le master et pallier le déficit de candidatures, comme l’a fait remarquer Gautier (op. cit.). Outre ces résultats, rien ne permet de distinguer les masters de chacune de ces deux catégories. En effet, du point de vue de la formation, ils sont portés par des composantes variées, répartis dans tous les domaines de formation et également ouverts à l’apprentissage. De surcroît l’origine géographique des candidats n’est pas significativement différente, c’est-à-dire que les masters du premier groupe étudié ne rayonnent pas plus que les seconds. Enfin, du point de vue scolaire (type de bac, mention obtenue), les inscrits ne se démarquent pas non plus, c’est-à-dire que les uns ne semblent pas plus élitistes que les autres.

Tableau 5 • Attractivité des masters et taux d’acceptation en master pour les candidats issus de licence professionnelle

2.3. Assurer le remplissage des masters

28Ainsi, la concurrence entre formations pour attirer les meilleurs étudiants, couplée à la faiblesse d’attractivité de certains masters, peut expliquer le recrutement plus fréquent d’étudiants de licence professionnelle, l’enjeu étant d’assurer l’alimentation des masters en sélectionnant les étudiants les plus susceptibles de s’inscrire. Ainsi, une autre lecture des résultats décrits plus haut (partie 2.3) peut être proposée : dans la mesure où les candidats de l’établissement concrétisent plus fréquemment leur candidature par une inscription quand ils reçoivent un avis favorable, et ce dans une plus forte proportion que les candidats résidant pourtant dans la région (Tableau 6), les sélectionner permet de garantir le recrutement de masters peut-être moins attractifs. En effet, plus les candidats résident loin de l’université dans laquelle ils postulent, moins ils sont nombreux à s’inscrire s’ils reçoivent une réponse favorable. Car, s’ils en ont la possibilité, les étudiants préfèrent ne pas changer de région, ni même d’établissement. Par exemple, lors du passage de licence en master, moins d’un quart des étudiants changent d’université. Et quand les étudiants changent d’académie, ils s’inscrivent dans une académie limitrophe16. Ceci s’explique aisément par le coût que représente une mobilité, coût qui est autant d’ordre économique que psychosocial (Giret et Stoeffler-Kern, 2009).

Conclusion

29Pour le législateur, les poursuites d’études après une licence professionnelle ne sont pas souhaitables. Le nouvel arrêté sur les licences professionnelles entre toutefois en contradiction avec les aspirations des étudiants et la réalité des parcours d’études. L’exploitation de la base de données des candidatures en master permet d’appréhender comment celles des étudiants de licence professionnelle sont reçues par les responsables de formation. Les résultats de ce travail montrent que les étudiants de licence professionnelle présentant les meilleurs profils scolaires ont plus de chances d’être acceptés en master ; les jurys peuvent lire les éléments scolaires comme des indices de niveau académique. De plus, ceux montrant les expériences professionnelles les plus affirmées ont également plus de chances d’être retenus. Comme les masters sont évalués par la tutelle sur la capacité à faire réussir leurs étudiants d’une part, et sur leur capacité à favoriser l’insertion professionnelle d’autre part, les responsables de formation sont enclins à retenir les étudiants disposant d’atouts permettant de répondre à ces deux critères. D’ailleurs, parmi les entrants en première année de master, les titulaires d’une licence professionnelle réussissent plus que les diplômés de licence générale17. En outre, au-delà des enjeux de diplomation et d’insertion professionnelle, les responsables de formation doivent également prendre en compte des problématiques d’alimentation de leur master dans un contexte d’offre de formation concurrentiel.

30D’ailleurs, il serait pertinent d’évaluer finement ce qui relève du contexte de la formation (sélectivité, attractivité) et ce qui relève des candidats (profil scolaire et professionnel) pour expliquer le recrutement d’étudiants originaires de licence professionnelle. Mais dans ce travail, les effectifs sont insuffisants pour aller plus loin. De plus, la base de données Ecandidat est parcellaire : d’une part les informations sont parfois mal renseignées, comme celles concernant la mention au bac ou les descriptifs des emplois. D’autre part, certaines informations, pourtant essentielles pour appréhender les poursuites d’études, sont manquantes comme celles permettant de caractériser le milieu social des candidats. Enfin, la procédure de recrutement en master n’est pas standardisée. Les modes de sélection peuvent être très variables d’un master à l’autre, chaque responsable de formation étant souverain dans l’organisation de son recrutement. Nous n’avons eu accès qu’à la base de données. Mobiliser les pièces complémentaires (lettres de motivation, curriculum vitæ par exemple) permettrait d’étoffer les conclusions. Les analyses pourraient également s’enrichir par des données qualitatives et subjectives, c’est-à-dire en confrontant ces résultats à l’avis des responsables de master les plus ouverts au recrutement d’étudiants de licence professionnelle.

31Rappelons cependant que la poursuite d’études en master ne représenterait qu’un quart des poursuites d’études après une licence professionnelle. Ainsi les études se poursuivent majoritairement dans d’autres formations, par exemple des diplômes non nationaux, parfois non reconnus par les autorités. Ces poursuites d’études constituent un angle mort de la statistique, qui empêche de comprendre totalement les déterminants de la poursuite d’études après une licence professionnelle. D’ailleurs, comme Merlin (2020) qui s’intéresse au devenir des bacheliers professionnels n’ayant pas vu leurs candidatures via Parcoursup se concrétiser, nous nous interrogeons sur celui des « recalés » de master. Se tournent-ils vers ces formations non reconnues ? Cherchent-ils à s’insérer sur le marché de l’emploi ? Si c’est le cas, ont-ils une insertion équivalente aux diplômés n’ayant pas envisagé de poursuite d’études ? Ces questions ne sont pas dénuées d’intérêt d’autant qu’avec la crise sanitaire de grande ampleur, le contexte a évolué depuis la réalisation de cette étude. Les diplômés de licence professionnelle chercheront-ils à contourner un marché du travail morose ? Plusieurs universités ont interrogé les diplômés de la promotion 2020. D’après les éléments que nous avons recueillis sur les sites internet de quelques-unes18, il semblerait que les poursuites d’études aient augmenté de manière très significative. Toutefois, dans l’université francilienne retenue pour notre étude, les diplômés ayant connu le premier confinement n’ont pas davantage postulé en master. En revanche, la promotion suivante (2020-2021), qui a connu des restrictions sanitaires tout au long de l’année universitaire, a proportionnellement plus souvent demandé à entrer en master (+ 4 points). Cependant, les jurys y ont moins souvent répondu favorablement, possiblement en lien avec les capacités d’accueil qui ne sont pas extensibles : le taux d’acceptation en master pour les candidats de licence professionnelle a baissé de 6 points.

32À partir de 2023, les procédures de recrutement en master deviennent nationales, via la plateforme « Trouver mon master », avec un fonctionnement similaire à celui de Parcoursup, selon les premiers éléments diffusés par l’Agence Éducation et Formation (AEF19). A priori, les étudiants de licence professionnelle pourront postuler comme ceux de licence académique. Nous espérons que les données récoltées par la plateforme seront ouvertes aux chercheurs, ce qui permettra de reproduire nos analyses, les approfondir et les affiner grâce à des effectifs plus conséquents.