Introduction

1L’arrivée de la plateforme nationale « Mon master » vise à gérer le flux de candidats en première année de master à l’échelle nationale à partir de la rentrée 2023, à l’instar de Parcoursup pour l’entrée en licence, et en substitution des démarches de candidature effectuées jusqu’alors au sein de chaque établissement. Ce dispositif parachève la mise en œuvre de la loi du 23 décembre 20161 portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat, 25 ans après l’initiation du processus de Bologne. Cette loi introduit principalement la fixation de capacités d’accueil en première année de deuxième cycle, l’accès de droit à la deuxième année pour les étudiants l’ayant validée, et la proposition d’une inscription dans une formation du deuxième cycle pour les titulaires d’un diplôme national de licence non admis dans la première année de deuxième cycle de leur choix, après recours auprès du rectorat (on parlera de « saisine », et pour faciliter la lecture, de « M1 » et « M2 »). L’admission en M1 se trouvant désormais subordonnée à un concours d’entrée ou un examen de dossier de candidature, c’est un processus de sélection formelle qui est ainsi instauré pour les titulaires du diplôme national de licence. Lors de sa mise en œuvre, la plupart des filières ont fixé des capacités d’accueil pour la rentrée 2017 alors que d’autres se sont vues accorder des dérogations (en droit et en psychologie) leur permettant de continuer à sélectionner les entrants en M2. La quasi-totalité2 des établissements dispensant des formations de droit ont obtenu ces dérogations les deux premières années, la moitié d’entre eux en 2019, environ deux tiers en 2020 et seulement quelques-uns en 2021.

2Dans sa mission d’évaluation3 de la version précédente de la plateforme (« Trouvez mon master »), le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) décrit un contexte de forte pression sur l’entrée en master, se traduisant par une augmentation des saisines de 126 % pour la rentrée 2020 (5 325 à 12 050), le tiers d’entre-elles attribuables à la discipline droit et sciences politiques. Plus généralement, les disciplines en tension sont identiques à celles qui concentrent les vœux à l’entrée en licence sur Parcoursup. Le constat dans les deux établissements que nous avons étudiés, où les capacités d’accueil en M1 ont été mises en place à la rentrée 2020, a témoigné de l’augmentation de cette pression : que ce soit à l’Université Toulouse Capitole (UT Capitole), spécialisée en droit, économie, gestion, ou à l’échelle d’une université pluridisciplinaire comme l’Université Grenoble Alpes (UGA), les données font état d’un doublement des candidatures de 2020 à 2021 pour un nombre de places resté stable sur ces deux années (en 2021, un total de 40 000 candidatures pour 1 500 places en M1 de droit). Cette stabilité des places en M1 avait été précédée d’une période d’ajustement des effectifs : observable au niveau national4, le nombre d’inscrits sur les deux années des masters de droit et sciences politiques est passé de de 50 000 à 48 500 environ, avec une part de M1 plus élevée jusqu’à 2019 (56 %) qu’après, où chaque niveau représente exactement la moitié des effectifs du cycle. Entre les périodes 2017-2019 et 2020-2021, l’ajustement des effectifs de M1 s’est donc appuyé sur les capacités d’accueil qui préexistaient en M2 afin d’y assurer l’accès de droit, ce qui parallèlement à la baisse du nombre de redoublants, a donné lieu à une diminution du nombre d’inscrits en M1 (de 28 000 à 24 000 environ).

3Ces premiers constats chiffrés de l’évolution des effectifs de master de droit, de la hausse des recours et des candidatures doivent être abordés au regard d’autres éléments de contextualisation : d’abord de la dimension particulièrement tubulaire des parcours d’études juridiques, mais aussi de la hausse des effectifs de diplômés de licence dans cette même discipline. Dans sa note d’information de juin 2017 (Maetz, 2017), la sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques (SIES) présentait la poursuite d’études des diplômés de licence comme stable entre les promotions 2010 et 2015, malgré une hétérogénéité forte entre les disciplines. Sur l’ensemble des disciplines de licence, 62 % des diplômés 2015 poursuivaient en master disciplinaire5, un taux atteignant 85 % à cette période pour la licence en droit, la discipline la plus homogène quant au devenir de ses diplômés. En parallèle, la hausse de 24 % du nombre de diplômés de licence en droit entre les promotions 2016 et 2021 fait écho à l’évolution du nombre de bacheliers et à l’attractivité toujours élevée de la discipline dans le premier cycle.

4Au regard de ces éléments, nous avons questionné les effets de l’adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système LMD sur l’accès au master des titulaires de la licence en droit, et plus précisément au travers des hypothèses suivantes : l’existence d’une baisse de la proportion de diplômés de licence qui accèdent au master depuis 2020, qui s’accompagnerait d’une hausse de la mobilité géographique lors de cette transition, et d’un effet du niveau académique sur la poursuite en M1, par analogie à Parcoursup (Frouillou, 2020). Au regard des éléments précédents, nous faisons également l’hypothèse d’une mise en place progressive de stratégies étudiantes visant à augmenter les chances d’accès en M1.

5Il est important de garder à l’esprit que nous analysons la période qui précède l’arrivée de la plateforme « Mon master » et donc les effets de la mise en œuvre de la sélection à l’entrée en M1 en droit sur une période spécifique de transition, marquée à la fois par des effets de flux potentiels et de forte évolution dans les comportements de candidature. Pour mener à bien ce travail, nous l’avons structuré autour de deux méthodes, à la fois sur des données nationales et sur celles de deux établissements dont les différences permettent aussi de contrôler l’évolution des pratiques étudiantes sur des terrains différents (taille des promotions de licence et de master, différences de contexte géographique et d’offre de formation).

6La retranscription des résultats tient compte de cette méthodologie et s’attache à répondre aux hypothèses en deux parties. La première s’appuie sur des données nationales pour analyser l’évolution du devenir des titulaires du diplôme général de licence en droit et dans un second temps sur l’analyse des données locales permettant de faire apparaître les situations des diplômés au regard des notes obtenues en licence. La deuxième partie développe les résultats des enquêtes que nous avons menées sur les stratégies de candidature (un angle peu documenté de la recherche sur la sélection) auprès des diplômés des promotions 2020 et 2021 des deux établissements étudiés, en traitant des pratiques de candidature, des avis reçus et de la satisfaction à l’égard du master obtenu.

1. L’évolution du flux des diplômés de licence vers le M1

1.1. La baisse de la proportion de diplômés qui entrent directement en M1

7Pour conserver une continuité statistique tout au long de la période depuis la valeur de référence de la promotion 2015, nous avons utilisé le périmètre de la note d’information mentionnée précédemment : celui des diplômes nationaux de licence appartenant à la discipline droit et sciences politiques. Ce domaine est constitué à 90 % des inscrits en licence générale en droit6. La comparaison des proportions de poursuite en M1 montre une homogénéité entre l’ensemble de la discipline (droit et sciences politiques) et la licence générale en droit, cette dernière ayant des taux de passage en M1 supérieurs d’un à deux points quelle que soit l’année observée. Dans le tableau 1, on observe l’évolution du flux des diplômés de licence vers les masters disciplinaires, c’est-à-dire en dehors des M1 Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF), dont la proportion représente 0,7 %.

8Deux résultats principaux peuvent être mis en avant. De 2016 à 2021, on observe une stabilité des effectifs admis en M1 (+0,6 %), et dans le même temps, une hausse du nombre de diplômés de licence (+24 %). C’est donc logiquement que la proportion de poursuite d’études baisse de 11 points. Dès la promotion 2020, la baisse de la part des diplômés de licence intégrant le master7 est statistiquement significative, et la promotion 2021 accentue encore cette tendance avec une baisse de 16 points par rapport à la période en amont de la mise en place de la sélection.

9Le deuxième résultat observable est celui de la hausse de la proportion des poursuites qui s’effectuent en mobilité. Cette notion peut recouvrir des définitions différentes : on pourrait parler de mobilité géographique ou de mobilité d’établissement (pouvant intervenir sans mobilité géographique), et même de mobilité disciplinaire (pouvant intervenir sans changement d’établissement). Il convient ici de rappeler que la discipline du droit est marquée par une transition de la licence au master qui demeure tubulaire : la proportion des diplômés qui changent de discipline est inférieure à 3 %, et malgré une tendance haussière, elle reste inférieure à 5 % en 2021. Nous avons donc choisi de traiter la mobilité au niveau académique, à la fois car elle correspond à une mobilité géographique et à un changement d’établissement, et parce qu’au niveau du département, on trouve des mobilités « attendues » des antennes vers les « universités mères ». Dans le tableau 1, on peut donc constater la hausse de la mobilité académique (+2 060, soit +59 % entre les promotions 2016 et 2021), qui confirme qu’une stratégie d’accès au M1 a bien été d’élargir géographiquement le périmètre de candidature, et ce dès 20208.

1.2. L’effet du niveau académique sur l’accès au M1

10Après avoir observé la tendance nationale, nous concentrons la lecture sur les données des deux établissements étudiés à la fois pour supprimer des effets potentiels qui ne sont pas observables dans SISE9, mais aussi pour qualifier chaque diplômé par son niveau académique à partir du système d’information de gestion des inscriptions10. Dans un premier temps, on observe la baisse du taux de poursuite d’études en M1 des diplômés de licence des deux établissements étudiés (cf. tableau 2) : les nouvelles règles d’accès en master ont donc engendré une baisse significative11 de l’accès en M1 conformément aux données observées au niveau national au profit d’une augmentation des interruptions d’études d’une part (+13 points) et des poursuites dans d’autres formations d’autre part (+7 points : diplômes d’université, nouvelles inscriptions en L3, et dans une proportion moindre, licences professionnelles). Avec un recul de plusieurs années, il pourra être intéressant de voir quelle proportion de ces diplômés parviennent à accéder au M1 au cours des années suivantes.

11Sur cette population, on peut observer la relation entre la mention obtenue au diplôme12 et la poursuite en M1 (cf. tableau 3). L’évolution n’est pas régulière entre 2019 et 2021 et s’apparente plutôt à une forme d’ajustement de la sélection pour l’entrée en M1, les écarts d’accès au M1 entre les différentes mentions obtenues au diplôme étant moindres en 2020 qu’en 2021. Les diplômés avec mention « assez bien », « bien » ou « très bien » (AB, B, TB) gagnent 10 points pour revenir en proximité avec les standards d’avant 2019, là où les diplômés avec mention « passable » (P) accusent une chute de la transition par rapport aux trois années d’observation antérieures, de 27 points en 2020, jusqu’à 37 points en 2021. Nous faisons ici l’hypothèse que dans la mise en place progressive de la sélection, le critère académique gagne en importance en sa qualité d’élément observable dans un contexte d’accroissement exceptionnel de la quantité de candidatures, traduisant un centrage des critères de sélection vers des éléments quantitatifs permettant d’opérer un classement des candidatures au détriment d’éléments plus qualitatifs moins opérationnels face au nombre de dossiers.

12Après avoir montré que les diplômés au niveau académique le plus faible continuaient moins que les autres vers le M1, on peut approfondir la compréhension de la poursuite en regardant si parmi ceux qui poursuivent, la mobilité est différenciée selon la mention obtenue (cf. tableau 4). Ce qui est effectivement le cas : à partir de la promotion 2020, les étudiants ayant obtenu leur licence avec la mention passable poursuivent moins dans leur établissement d’origine - donc plus en mobilité - que ceux ayant obtenu leur diplôme avec mention AB, B, TB. Néanmoins, dans une moindre mesure, ces derniers sont également impactés par l’augmentation de la mobilité entre la licence et le master.

13Il est intéressant de noter que le phénomène est homogène sur les deux universités observées, qui n’ont ni la même taille, ni la même offre de formation territoriale, ce qui tend à dire qu’il s’agit d’un effet de la façon dont la sélection s’opère, et que le processus favorise la poursuite des diplômés ayant le meilleur niveau académique au sein de l’établissement d’obtention de leur licence. L’éclairage apporté par les enquêtes sur les stratégies de candidature est développé dans la partie suivante.

2. Des candidatures à l’admission en M1

14Dans cette partie nous regardons la transition entre la licence et le master qui fait l’objet d’un processus chronologique de la candidature aux avis des commissions de sélection, jusqu’à l’inscription en master. Pour cela, nous verrons si les pratiques de candidature influencent l’obtention d’un avis favorable indépendamment du profil scolaire des candidats, mais aussi si les résultats de la sélection permettent aux diplômés de choisir le master de leur choix et selon quels critères. In fine, si les étudiants sont satisfaits du master obtenu suite à ce processus.

15Pour analyser ces différentes étapes, nous avons mené une enquête sur les pratiques de candidature auprès des diplômés de licence de droit 2020 et 2021 des deux établissements étudiés, les diplômés 2020 étant les premiers à connaître la sélection en M1 suite à l’obtention de dérogations les années précédentes13.

16Les analyses présentées portent uniquement sur les diplômés de licence de droit candidats à l’entrée en M1, c’est-à-dire qui indiquent avoir effectué au moins une candidature pour intégrer un M1 l’année suivant l’obtention de la licence. Notons que les non-candidats à l’entrée en M1 représentent 7 à 9 % des diplômés 2020 et 2021. Environ la moitié d’entre eux n’ont pas candidaté par choix, avec le souhait de s’orienter vers une autre formation ou d’entrer sur le marché du travail. Les motifs de non-candidature ne dépendent pas de la mention obtenue à la licence alors même que l’on constate un taux de candidature plus faible pour les titulaires d’une mention passable : 89 % de ces diplômés ont été candidats contre 93 % à 99 % pour les titulaires d’une mention AB, B ou TB.

17La mention obtenue à la licence, voire la note pour les titulaires d’une mention passable, constitue l’une des variables explicatives principales de notre analyse et doit être considérée comme un indicateur d’évaluation du niveau des diplômés. Il s’agit d’un élément d’analyse et non d’un critère de sélection pour l’admission en M1 (les commissions de sélection n’en avaient pas connaissance dans la mesure où la sélection a eu lieu avant la fin de la 3^e année de licence).

2.1. La diversification des candidatures en M1

18Plus de 9 diplômés sur 10 ont donc déposé au moins une candidature pour entrer en M1. Le critère de la spécialité du master est le plus souvent cité dans les éléments pris en compte dans le choix des candidatures (9 candidats sur 10), très loin devant les autres critères que nous leur avons proposés (ville, débouchés professionnels, notoriété de l’établissement ou du master…). Un candidat sur deux a candidaté en M1 en tenant compte de la ville dans laquelle la formation se déroulait et/ou des débouchés professionnels et 3 à 4 sur 10 de la notoriété de l’établissement ou du master. Les diplômés titulaires d’une mention passable à la licence ont moins souvent tenu compte de la notoriété du master ou de l’établissement que les autres et davantage du nombre de places disponibles. On retrouve là sans doute à l’entrée en M1 une estimation du niveau de sélectivité des formations, influencée par le niveau scolaire des étudiants telle que Marion Valarcher l’analyse à l’entrée dans l’enseignement supérieur (Valarcher, 2022).

19La grande majorité des diplômés de licence ont candidaté à la fois dans leur établissement d’origine (candidature interne) et dans un autre établissement (candidature externe), et quel que soit le niveau académique, la diversité des candidatures a progressé entre les deux promotions, avec une hausse des candidatures à la fois externes et internes et une baisse des candidatures uniquement internes et dans une moindre mesure, uniquement externes (déjà très peu nombreuses pour la promotion 2020). L’évolution est plus nette à Toulouse qu’à Grenoble : à Toulouse on constate une hausse de 11 points des candidatures mixtes (72 % à 83 %) et une baisse identique qui se répercute sur les candidatures uniquement internes (24 % à 13 %), à Grenoble la hausse est de 4 points (de 78 % à 82 %).

Graphique 1 • Taux de candidatures internes et/ou externes des promotions 2020 et 2021

20Au sein des deux promotions cumulées, plus de la moitié des candidats ont déposé des candidatures dans plus de 5 établissements. On observe toutefois une évolution importante du nombre total d’établissements différents dans lesquels les diplômés de licence ont candidaté. Alors que les diplômés 2020 étaient 42 % à candidater dans plus de 5 établissements différents ils sont 62 % pour la promotion 2021.

21Quelle que soit la promotion, les titulaires d’une mention passable ou assez bien à la licence ont plus souvent candidaté dans plus de 5 établissements (55 % contre 43 % pour les mentions B/TB).

Graphique 2 • Nombre d’établissements différents dans lesquels les diplômés de licence ont candidaté

22Les diplômés avec un niveau académique moins élevé diversifient également significativement plus leurs candidatures entre des mentions différentes de master. Les candidats titulaires d’une mention passable à la licence ont plus souvent candidaté à plus de 4 mentions différentes.

23D’une manière générale, et quelle que soit la mention à la licence, les diplômés grenoblois semblent plus diversifier leurs candidatures que les diplômés toulousains, à la fois en termes de nombre d’établissements que de mentions de master différentes (59 % des diplômés de Grenoble ont candidaté dans plus de 5 établissements différents contre 52 % des diplômés toulousains et 36 % des diplômés grenoblois ont candidaté à plus de 4 mentions différentes contre 17 % de ceux d’UTCapitole).

Graphique 3 • Nombre de mentions différentes de master parmi les candidatures selon la mention obtenue à la licence

24Nous observons une hausse de la diversité des candidatures entre les deux promotions interrogées, mais nous pouvons nous demander si cela a contribué à une augmentation des avis favorables reçus.

2.2. L’obtention d’un avis favorable impactée par le niveau académique

25Parmi les candidats en M1, plus de 8 sur 10 ont obtenu au moins un avis favorable. Malgré l’augmentation du nombre et de la diversité des candidatures, on n’observe pas d’évolution significative du taux de candidats ayant obtenu au moins un avis favorable entre les deux promotions enquêtées dans les deux établissements et les notes obtenues au cours de la licence restent le critère principal d’accès au M1.

26Pour l’ensemble des candidatures, près de 70 % des titulaires d’une mention passable à la licence ont obtenu au moins un avis favorable à l’entrée en master contre 93 % des titulaires d’une mention AB et presque 100 % des mentions B ou TB. Plus finement, parmi les titulaires d’une mention passable (qui représentent près de la moitié des diplômés de licence) plus la moyenne à la licence se rapproche de 10, plus le taux d’obtention d’un avis favorable à l’entrée en M1 est faible (57 % de ceux ayant obtenu une note inférieure à 11).

Graphique 4 • Taux d’obtention d’un avis favorable selon la note obtenue la licence

27À niveau académique équivalent, il existe toutefois un lien faible entre la diversification des candidatures et l’obtention d’un avis favorable. En effet, ne candidater que dans l’établissement d’obtention de la licence lorsqu’on a un niveau académique parmi les plus faibles (mention passable) est relativement risqué. Au-delà de la mention passable, les diplômés obtiennent plus facilement au moins un avis favorable, quel que soit le niveau de diversification de leurs candidatures.

Graphique 5 • Taux d’obtention d’un avis favorable selon le type de candidatures (interne/externe/les deux) par mention obtenue à la licence

Champ : diplômés 2020 et 2021 d’une licence en droit, hors enseignement à distance.

Source : enquête candidatures, UTCapitole, UGA.

2.3. La spécialité de la formation, prioritaire dans l’arbitrage du choix du master

28Nous avons constaté une augmentation du nombre et de la diversité des candidatures sur deux promotions sans hausse de l’obtention d’avis favorables. Pour les titulaires d’une licence avec une mention passable, il ressort une nécessité de candidater dans son établissement d’origine ainsi que dans un ou plusieurs autres établissements afin d’avoir plus de chances d’obtenir au moins un avis favorable. Lorsque plusieurs avis favorables sont obtenus, le diplômé doit faire un choix pour s’inscrire en M1. Nous avons interrogé les candidats ayant reçu au moins deux avis favorables sur les critères qui leur ont permis de choisir le master dans lequel ils se sont inscrits. Ils représentent 60 % des diplômés, avec une différence nette entre les mentions à la licence (40 % pour les mentions P, 72 % pour les mentions AB et 83 % pour les B/TB).

29Pour tous, c’est la spécialité du master qui prime, qu’ils restent ou qu’ils quittent leur établissement et quelle que soit la mention obtenue à la licence. On relève toutefois des critères de choix différenciés selon le niveau académique des diplômés.

30Pour ceux qui partent suivre un M1 dans un autre établissement et qui ont obtenu une mention B ou TB à la licence, le critère de la notoriété est très important dans le choix du master. Pour les diplômés ayant obtenu une mention passable, ce sont les débouchés professionnels (surtout à UTCapitole) et la ville où se déroule la formation qui sont les critères qui arrivent en seconde position (toujours derrière la spécialité du master). Pour ceux qui restent dans leur établissement d’origine, quelle que soit la mention à la licence, c’est la ville qui arrive en deuxième critère de choix.

31Si de nombreux travaux ont montré qu’une hiérarchie des formations et des établissements s’était constituée à l’entrée dans l’enseignement supérieur, notamment sous l’effet de Parcoursup, peu d’éléments existent aujourd’hui quant à l’existence d’une hiérarchie réelle ou supposée par les étudiants pour les formations universitaires de cycle master. Pourtant, il est probable que la mise en place de la sélection à l’entrée en M1 et la création d’une plateforme nationale de candidature accélèrent ce processus de hiérarchisation des masters et amènent les étudiants à adopter des stratégies différentes selon leur capital scolaire. Comme l’observent Frouillou et Moulin à l’échelle des universités franciliennes, nous devrions constater sous l’effet de cette réforme le renforcement d’un « ajustement social et scolaire à travers les trajectoires interuniversitaires. Celles-ci faisant jouer à la fois le capital scolaire des étudiants (notamment à travers la sélection de leur dossier par l’établissement) et leurs capitaux économiques (possibilité de déménager) et sociaux (liens familiaux et amicaux, voire amoureux) » (Frouillou & Moulin, 2019).

2.4. La satisfaction du M1 obtenu différenciée selon le niveau académique

32Si le critère principalement lié à l’obtention d’au moins un avis favorable à l’entrée en M1 est le niveau académique de l’étudiant, est-ce également le cas pour obtenir le master souhaité ? Pour mesurer si les diplômés de licence sont satisfaits du master qu’ils ont obtenu, nous leur avons demandé de donner une appréciation de 0 à 10. Nous retiendrons que les personnes qui déclarent un niveau de satisfaction de 9 ou 10 sont très satisfaits à l’égard du master obtenu. Ceux qui indiquent un niveau de satisfaction entre 6 et 8 seront considérés comme plutôt satisfaits, et pas ou peu satisfaits pour un niveau inférieur ou égal à 5. Globalement, on constate que les diplômés titulaires d’une mention B ou TB à la licence sont nettement plus souvent satisfaits que les titulaires d’une mention AB et P.

33À mention équivalente, on constate que la satisfaction du M1 obtenu n’est pas liée à la priorité qu’avaient les diplômés au moment de candidater14 mais qu’une fois encore, elle l’est avant tout au niveau académique. En effet, dans les deux établissements étudiés, les diplômés ayant obtenu une mention B ou TB sont autant satisfaits lorsqu’ils poursuivent dans leur établissement d’origine ou dans un autre établissement alors que les diplômés d’une mention AB ou P sont nettement plus satisfaits lorsqu’ils poursuivent en interne plutôt que dans un autre établissement. On peut supposer que les diplômés ayant le niveau académique le plus élevé ont obtenu en externe un master qu’ils considèrent comme ayant une meilleure notoriété. Comme nous l’avons vu, il s’agissait d’un critère de choix important pour les titulaires d’une mention B ou TB (particulièrement à UTCapitole). Les diplômés moins dotés scolairement, qui ont principalement tenu compte de la ville lors de leurs candidatures, sont davantage satisfaits de pouvoir poursuivre leurs études dans le même établissement. À l’UGA, on observe que même les diplômés les mieux dotés scolairement sont davantage satisfaits lorsqu’ils poursuivent leurs études dans leur établissement d’origine.

Graphique 6 • Taux de satisfaction des diplômés inscrits à l’égard du M1 obtenu dans leur établissement d’origine et dans un autre établissement selon leur mention à la licence

Conclusion

34La période de 2017 à 2021 a vu la mise en œuvre de la loi portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système LMD : dans la discipline droit et sciences politiques, la hausse du nombre de diplômés de licence et les ajustements d’effectifs en master ont induit une très forte baisse proportionnelle de la transition directe de la licence au master (-18 %), qui était traditionnellement élevée dans cette discipline. Nous avons également pu montrer, au niveau national, une hausse des trajectoires en mobilité inter-académique (+64 %), comme une réponse stratégique des acteurs à la compréhension de la plus grande sélectivité des M1. Ces constats sont particulièrement marqués pour les diplômés de licence au niveau académique le plus faible.

35Comme en témoignent les résultats des enquêtes que nous avons menées, ces stratégies ont évolué entre 2020 et 2021 : elles ont donné lieu à une augmentation nette du nombre de candidatures et de leur diversité géographique, et ce d’autant plus chez les diplômés ayant obtenu les moins bons résultats au cours du cycle de licence, qui reçoivent moins d’avis favorables que les autres à l’inscription en second cycle, et doivent éventuellement s’engager dans des mobilités non choisies. Ainsi, c’est bien l’ensemble du processus de candidature qui parait favorable aux étudiants au niveau académique le plus élevé au détriment des autres. Ce résultat nous a conduit à faire l’hypothèse que la sélection devient plus formelle avec la hausse de la quantité globale de candidatures, s’appuyant davantage sur des critères tangibles comme le niveau académique.

36Au-delà, l’évolution des comportements des diplômés de licence entre les deux années montre une forme d’assimilation des règles de cette sélection, par l’observation d’une différenciation des stratégies en fonction du niveau académique. Cependant, cette assimilation n’a pas engendré de phénomène d’autocensure à ce stade, la part de « non-candidature » restant stable d’une année sur l’autre. En revanche, l’affichage nouveau d’informations sur les M1 (ratio entre le nombre de candidatures et le nombre de places, par exemple) pourrait conduire à de nouvelles méthodes d’estimation de la probabilité d’accès à une formation, et mettre en place in fine des mécanismes d’auto-sélection. Au regard de ces résultats et hypothèses, il sera intéressant de suivre les évolutions de la poursuite d’études, de la mobilité et des stratégies étudiantes au cours des premières années de mise en place de la plateforme « mon master » : le nombre de candidatures qu’elle va générer devenant un enjeu d’importance à la fois pour les stratégies et pour la qualité des affectations qui en résulteront. Si nous avons jusque-là interrogé la notion de qualité à travers la satisfaction à court terme à l’égard du M1 obtenu, aujourd’hui très liée au niveau académique des étudiants comme tout le processus de candidature, une analyse complémentaire sur d’autres dimensions, l’insertion professionnelle par exemple, pourrait nous permettre de mieux appréhender les effets à long terme.

37Enfin, la hausse du nombre de diplômés qui ne poursuivent pas d’études immédiatement après leur licence constitue un nouvel enjeu pour l’étude du devenir : arrêtent-ils temporairement ou durablement leurs études ? Accèdent-ils à l’emploi ? Reprennent-ils des cursus courts à visée professionnalisante ? Poursuivent-ils leurs études dans d’autres formations afin d’améliorer leur bagage de futur candidat ? Ces questions nécessiteront d’être approfondies afin d’enrichir les outils du conseil aux étudiants, leur permettant de construire des parcours d’études dans le premier cycle qui tiendront compte des évolutions de l’accès au second.