Introduction

1Cet article vise à documenter l’évolution récente des perspectives d’accès des bacheliers professionnels à l’enseignement supérieur et plus particulièrement, à une section de technicien supérieur (STS). La décennie 2010-2020 est charnière pour cette question, en raison d’une conjonction de phénomènes pouvant être qualifiée de troisième vague de massification de l’enseignement supérieur français (Rossignol-Brunet et al., 2022). Dans un contexte d’allongement du niveau d’éducation stimulé autant par ses déterminants individuels que sociaux (Baudelot & Leclercq, 2005 ; Béjean & Monthubert, 2015 ; Labruyère & Kogut-Kubiak, 2013), la réforme du baccalauréat professionnel précipite à partir de 2009 deux tendances déjà à l’œuvre depuis sa création en 1985 : la croissance du nombre de bacheliers professionnels ainsi que de leur taux d’inscription dans l’enseignement supérieur. S’ajoute un boom démographique initié en 1995 qui conduit mécaniquement, à partir du début des années 2010, à une forte augmentation du nombre de jeunes entrant dans l’enseignement supérieur (+34 % entre 2010 et 2020, Mesri-Dgesip, 2022). Ce contexte a naturellement conduit à l’explosion récente du nombre de bacheliers professionnels s’engageant dans l’enseignement supérieur : entre 2010 et 2020, il est passé de 41 000 à 81 000, soit quasiment une multiplication par deux en dix ans.

2Durant cette période, deux réformes affectent les principes d’affectation des bacheliers dans l’enseignement supérieur : la première instaure en 2013 des places réservées (des quotas) aux bacheliers professionnels en section de technicien supérieur (STS), la seconde modifie en 2018 l’outil de candidature et d’admission dans l’enseignement supérieur (APB laisse la place à Parcoursup) tout en instaurant une forme de sélection en licence. Ce contexte occasionne une repolarisation des poursuites d’études des bacheliers professionnels vers les STS, liée à l’introduction des quotas mais aussi au renforcement des mécanismes de sélection à l’entrée de l’université. Par conséquent, le nouvel afflux de bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur n’a pas contribué à diversifier les filières dans lesquelles ils s’inscrivent. Au contraire, leur filière d’inscription de prédilection – la section de technicien supérieur (STS) – l’est plus encore en 2020 qu’en 2010. Plus de 80 % des bacheliers professionnels inscrits dans l’enseignement supérieur en 2020 l’ont fait en STS, contre 76 % en 2010 (Mesri-Dgesip, 2022). Sur une période récente, les opportunités de formation supérieure des bacheliers professionnels semblent donc avoir augmenté numériquement, tout en s’étant resserrées vers une voie de formation quasiment monopolistique.

3Jusqu’à 2013, le processus d’écartement des bacheliers professionnels des bancs de l’université s’est opéré de manière informelle, essentiellement au lycée, par le biais des acteurs de l’orientation qui diffusent aux bacheliers professionnels une information et un accompagnement différenciés, cadrés (Orange, 2010 ; Van Zanten, 2015), conduisant à une modération de leurs aspirations scolaires (Lemêtre, Mengneau & Orange, 2016) ou a minima, une canalisation de ces projets en direction des STS (Orange, 2013). Si malgré tout, certains bacheliers professionnels maintenaient un projet scolaire jugé inadapté pour eux, les entreprises de dissuasion ont pu se faire encore plus précises, à travers des séances de prérentrée à l’université dédiées exclusivement aux bacheliers professionnels et portant l’objectif explicite de les convaincre de renoncer à leur projet (Beaud & Pialoux, 2001).

4À partir de 2013, la canalisation des poursuites d’études de bacheliers professionnels vers les STS devient donc formelle avec la loi ESR et l’instauration de quotas. Son objectif affiché est d’améliorer la réussite des bacheliers professionnels « en les affectant dans les formations qu’ils ont choisies et qui sont mieux adaptées à leur parcours antérieur » (loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, exposé des motifs), soit « par voie de conséquence, limiter leur accès aux autres formations » (Comité éthique et scientifique de Parcoursup, 2022, page 35) au premier rang desquelles, l’université. À partir de 2018, la loi ORE vient prolonger la politique des quotas en STS dans la mesure où elle contribue à renforcer les mécanismes de sélection vers l’université en particulier.

5Dans ce contexte de dérivation organisée des bacheliers professionnels vers les STS, ce papier s’intéresse aux transformations récentes du public recruté en STS. Il se fonde sur les travaux de Merle (2002) et Duru-Bellat & Kieffer (2008) ayant mis au jour les effets contraires de la création du baccalauréat professionnel : si cette politique d’éducation a quantitativement augmenté l’accès d’une classe d’âge au baccalauréat, la diversification des filières a aussi conduit à davantage de ségrégation dans l’accès aux différents types de baccalauréat. La désignation d’une filière d’enseignement supérieur dédiée aux bacheliers professionnels pourrait constituer le prolongement de cette démocratisation ségrégative en suscitant de phénomènes comparables à ceux observés suite à la création du bac pro : en l’occurrence, davantage de séparation des publics à ce palier d’éducation et finalement, des opportunités plus uniformes pour le « nouveau public » visé.

6L’article s’appuie également sur les analyses de Rossignol-Brunet et al. (2022) ayant établi que la troisième vague de massification de l’enseignement supérieur français s’opère surtout par de nouvelles répartitions des arrivants dans l’espace social hiérarchisé de l’enseignement supérieur, la notion de « nouveaux publics » masquant parfois simplement un jeu de vases communicants entre les filières : plus que de démocratisation, il s’agit davantage de nouvelles segmentations de l’enseignement supérieur, qui affectent prioritairement les STS et l’université. Nous parlerons donc des nouveaux parcours des bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur. Le caractère nouveau de ces parcours repose pour partie sur l’ouverture de l’enseignement supérieur à des publics effectivement inédits (le doublement du nombre de bacheliers professionnels entrant dans l’enseignement supérieur), et pour une autre, sur une nouvelle répartition des bacheliers dans l’enseignement supérieur tendant vers davantage de séparation entre les publics.

7La première partie de l’article revient sur les principales évolutions marquant les parcours des bacheliers professionnels entre 2010 et 2020. Elle s’appuie d’une part sur des données administratives de cadrage, et d’autre part sur une exploitation des données Parcoursup 2018 conduite pour une précédente recherche (Merlin, 2022), dont les conclusions sont prolongées ici. La deuxième partie introduit la suivante en présentant les enjeux méthodologiques d’une comparaison entre les données APB 2014 et Parcoursup 2018. La troisième partie présente les résultats de cette comparaison : elle décrit les évolutions à l’œuvre entre 2014 et 2018 dans le recrutement des bacheliers en STS, et brosse le portrait de ces nouvelles recrues – bacheliers professionnels ou non. Elle montre que la segmentation induite par cette vague de massification de l’enseignement supérieur s’opère également à l’échelle intra-STS, à travers une différenciation du profil des recrutés selon les secteurs d’enseignement ou les spécialités de formation.

1. Les parcours des bacheliers professionnels 2010-2020 : entre nouvelles opportunités et nouveaux obstacles

8Le contexte et les politiques publiques présentés en introduction ont contribué à redessiner l’accès des néo-bacheliers aux différentes filières de l’enseignement supérieur (Figure 1). On mesure d’abord l’ampleur de la fermeture de l’université aux bacheliers professionnels, dont seulement 12 % y accèdent en 2020 quand ils étaient 20 % en 2010. On voit également que la STS confirme sa place de voie quasiment unique de poursuite d’études des bacheliers professionnels. Les bacheliers technologiques, eux, se dirigent un peu plus souvent en IUT (comme prévu par la loi de 2013 qui leur y réserve également des places) ainsi que dans les autres formations mais se retirent notablement des STS, ce qui n’était pas nécessairement un objectif affiché ou attendu – les STS restent toutefois leur filière de prédilection. D’autant que sur la même période, la poursuite des bacheliers généraux en STS se maintient. L’arrivée des bacheliers professionnels en STS semble s’être opérée uniquement par le recul des bacheliers technologiques de la filière, pendant que les bacheliers généraux s’y sont maintenus.

Figure 1 • Filière de poursuite d’études des bacheliers (2010-2020)

9Par ailleurs, en termes d’opportunités individuelles, détenir un baccalauréat professionnel n’est pas devenu un sésame pour accéder aux STS. S’intéressant aux critères de la sélection formelle dans cette filière sur cette période, une première exploitation des données de Parcoursup en 2018 (Merlin, 2022) a montré que l’avantage sélectif relatif des bacheliers professionnels en STS n’était pas avéré, en dépit d’une politique publique très claire en termes déclaratifs. À l’été 2018, cinq années après la mise en place de quotas favorables aux bacheliers professionnels, ces derniers restent pourtant largement pénalisés pour entrer en STS, par rapport aux bacheliers généraux. Les bacheliers technologiques sont eux aussi désavantagés.

10La première explication à ce résultat se trouve dans le rapport d’information sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur, présenté à l’Assemblée nationale en 2020 après sollicitation de la Cour des comptes (Cour des comptes, 2020 ; Juanico & Sarles, 2020). Sa treizième proposition consiste à « créer des places supplémentaires en sections de techniciens supérieurs (STS) ». L’argumentaire préalable évoque en effet « une augmentation massive des effectifs de bacheliers professionnels sans augmentation corrélative du nombre de places disponibles en STS » : on y apprend que le nombre de places disponibles en STS a augmenté de 7 % entre 2000 et 2017, alors que le nombre de bacheliers professionnels a augmenté de 92 %. Sur la même période, en comparaison, le nombre de bacheliers généraux a augmenté de 25 % quand le nombre de places disponibles à l’université a augmenté de 19 % et celui en CPGE de 32 %. Au total, entre 2000 et 2017, le nombre de places créées en STS représente 3 % de l’augmentation totale des places disponibles dans l’enseignement supérieur, quand les places supplémentaires à l’université en représentent 45 %.

11Il existe un paradoxe important entre l’énonciation d’une politique publique visant à élargir l’accès des bacheliers professionnels aux STS, d’une part, et la réalité extrêmement concurrentielle, d’autre part, d’un nombre de places de plus en plus faible au regard de l’explosion des effectifs de bacheliers professionnels se présentant dans l’enseignement supérieur. D’ailleurs, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques conclut sans ambiguïté : « Ce déséquilibre global entre l’augmentation massive de la demande et la relative stagnation des places en STS porte fortement préjudice aux bacheliers professionnels » (Juanico & Sarles, 2020, p. 135).

12Si en dix ans, le nombre total d’inscriptions en STS a augmenté de 29 %, notons que l’évolution diffère sensiblement selon le secteur ou la voie d’enseignement (Tableau 1) : en se restreignant à la voie scolaire, la hausse n’est que de 10 % (cet indicateur est le même que celui mobilisé deux paragraphes plus haut par la Cour des comptes, cette fois pour la période 2010-2020). Dans le secteur privé, elle tombe à 4 %. C’est surtout le nombre d’inscriptions en apprentissage qui a bondi, ayant plus que doublé en dix ans. La forte présence du secteur privé et de l’apprentissage est spécifique à ce type de formation : en 2020, 31 % des inscriptions en STS relèvent du secteur privé (contre 21 % sur l’ensemble du supérieur) et 41 % de l’apprentissage (contre 12 % pour l’ensemble du supérieur).

13Par ailleurs, la disponibilité de l’offre de formation se lit également selon une frontière forte entre ses deux grands domaines de spécialités que sont celles des services (dites aussi tertiaires), d’une part, et celles de la production (dites aussi industrielles) d’autre part. Au manque de places disponibles en STS, s’ajoute en effet un défaut de répartition qu’évoque également le rapport Juanico et Sarles (2020). Si les chaises manquent dans un grand nombre de sections de techniciens supérieurs, elles restent vides dans d’autres moins demandées. Ainsi, environ 250 STS affichent en 2020 un taux de remplissage inférieur à 50 %. Notamment, le rapport pointe une offre de formation surdimensionnée dans les spécialités de la production, quand la demande se dirige davantage vers les services. La treizième proposition visant à créer des places supplémentaires en STS est ainsi complétée d’une méthode : « Notamment, par redéploiement de moyens résultant de la suppression des places vacantes dans les formations peu prisées. » On comprend mieux, dès lors, l’autre résultat de la recherche précitée (Merlin, 2022) qu’est la pénalité que subissent à l’admission, autant les lycéens du tertiaire que les candidats souhaitant se diriger vers ces spécialités, que ce soit parmi l’ensemble des candidats ou spécifiquement des bacheliers professionnels.

14S’ajoutant à cette problématique d’une offre de formation insuffisante et mal adaptée, une déficience est constatée dans l’application des quotas de places réservées aux bacheliers professionnels. Elles sont évoquées dans les deux rapports sus-cités et détaillées dans le rapport sur l’affectation des bacheliers technologiques et professionnels dans les IUT et les STS (IGEN & IGAENR, 2015). L’efficacité des quotas est qualifiée de « faible » en STS et « relative » en IUT (Juanico & Sarles, 2020, p. 139). L’effet de cette mesure sur la représentation des bacheliers est resté en-deçà des objectifs fixés, en raison d’un « volontarisme insuffisant pour appliquer les quotas ». Le secteur privé est particulièrement pointé du doigt.

15Les recherches de Karabel (2005) avaient montré qu’à chaque modèle de sélection correspond un public-cible bien défini, recruté prioritairement soit par le biais de quotas minimaux ou maximaux, soit par des critères administratifs d’éligibilité revenant à appliquer des quotas de façon contournée. Si les STS ont bien leur public-cible et leur outil (les quotas) pour le recruter, elles manquent donc aujourd’hui de trois éléments : des places disponibles, une allocation de ces places en adéquation avec la demande, ainsi qu’une application réelle de la politique du quota. Ces trois lacunes ont conduit à dessiner une filière très fortement sélective au plan scolaire, concurrentielle et de façon déséquilibrée selon les spécialités, expliquant finalement qu’elle soit restée seulement « entrouverte »1 aux bacheliers professionnels en dépit d’une parole institutionnelle volontaire. Dans un cadre aussi contraint, on comprend que favoriser formellement les bacheliers professionnels dans le processus de sélection n’a pas pu suffire à établir une égalité des chances d’admission entre les bacheliers ou à tout le moins, davantage d’équité.

2. Enjeux méthodologiques pour la comparaison 2014-2018

16Pour étudier la transformation du processus d’admission en STS, les bases APB 2014 et Parcoursup 2018 sont mobilisées. L’évolution de l’offre de formation disponible dans les applications ne correspond pas à la totalité de l’offre de formations puisque certaines pouvaient recruter, surtout en 2014, en dehors du dispositif informatique national.

17Sur un total de 14 861 formations présentes au total dans les deux applications, les évolutions sont différenciées selon les types de formations (Annexe 2, Tableau 6). Ainsi le nombre de DUT et leurs intitulés sont extrêmement stables ; les licences ont connu des mutations d’appellation, ce qui semble indiquer qu’une comparaison nécessiterait beaucoup de précautions ; le secteur médico-social a connu également des évolutions. L’augmentation constatée des mentions complémentaires pourrait correspondre au mouvement de création de classes passerelle initié en 2013 et renforcé ensuite.

18Entre 2014 et 2018, le nombre de BTS intégrés à l’application augmente de 20 % (Tableau 2), pour arriver à environ 7 500 formations proposées en 2018. Les BTS privés ainsi que ceux en apprentissage représentent environ un tiers de cette offre : la part de ces BTS a augmenté dans les deux cas, mais la hausse la plus nette concerne les formations en apprentissage (+32 %). Quant aux grands domaines de spécialités, leur présence relative évolue peu : le secteur de la production occupe une part un peu plus importante en 2018 relativement à 2014, et par conséquent les services un peu moins.

19Le Tableau 3 vise à identifier les segments de formation ayant le moins évolué entre les deux applications, afin de définir un champ d’analyse pertinent pour la suite du travail. Si la grande majorité des STS en voie scolaire (88 %) est restée stable entre 2014 et 2018, c’est le cas de seulement la moitié des STS en apprentissage. Ces formations sont nécessairement exclues des comparaisons ultérieures. Le secteur privé a davantage évolué que le public mais présente tout de même une certaine stabilité, avec 70 % des STS privées qui étaient présentes dans les deux éditions. On retrouve dans ce tableau l’augmentation des formations dans le secteur de la production, qui est moins stable que ceux des services et de l’agriculture.

20Enfin, la stabilité des formations a également été examinée selon l’intitulé détaillé de la formation, ce qui a permis de choisir deux spécialités de formations comme sous-champs d’analyse permettant de réaliser des études de cas : il s’agit des STS conception et réalisation de systèmes automatiques (CRSA), et management des unités commerciales (MUC). Ces formations ont été choisies pour plusieurs raisons : leur forte stabilité entre 2014 et 2018 ; le fait qu’elles recouvrent les deux grands domaines de spécialité, la première relevant du domaine de la production et la seconde des services ; le nombre consistant de formations dans ces spécialités au regard du secteur choisi.

21Au terme de cette observation du champ des formations présentes respectivement dans APB en 2014 et Parcoursup en 2018, plusieurs champs sont définis et mobilisés sous les intitulés suivants dans la suite de l’article :

• Le champ 1 correspond au champ complet des STS.

• Le champ 2 correspond au champ comparable ou considéré comme tel, c’est-à-dire aux STS en voie scolaire

• Le champ 3 correspond au champ constant, c’est-à-dire aux STS qui étaient proposées dans les deux applications, en 2014 et en 2018

• Le champ 4 correspond aux études de cas, c’est-à-dire à deux sous-champs rassemblant chacun l’intégralité des formations d’une spécialité donnée, parmi les deux choisies pour leur stabilité : MUC et CSRA.

22Les traitements ont été exécutés successivement sur les champs 1, 2 et 3 afin de s’assurer de la constance des tendances observées sur les trois champs. Seuls les résultats observés sur le champ 2 sont présentés dans l’article.

23Pour appréhender l’évolution du public recruté en STS à partir des bases APB 2014 et Parcoursup 2018, une série d’indicateurs a d’abord été produite pour les deux millésimes et sur différents sous-champs de population. Leur nature diffère et ils sont mobilisés à de nombreuses reprises dans l’étude sous un intitulé très abrégé. Le Tableau 4 recense et décrit ces indicateurs.

24L’origine sociale est synthétisée dans une variable construite à partir de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) utilisée par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), agrégée selon la méthodologie développée par Lemistre (2019). Le détail de la méthodologie figure en Annexe 1, Tableau 5.

25Sont considérés comme « candidats » les néobacheliers ayant émis au moins un vœu vers une STS ; sont comptés comme « admis » les candidats ayant reçu et accepté une proposition d’admission en STS. La catégorie des admis porte donc à la fois la sélection de l’institution, mais également de la personne admise dont le choix est intervenu sur l’acceptation de la proposition. Néanmoins, c’est la seule information qui soit comparable entre les deux applications, puisque les modalités de candidature et de sélection ont évolué : la hiérarchisation des vœux par le candidat ayant disparu, tous les vœux reçoivent désormais une réponse, ce qui n’était le cas auparavant.

26Ces indicateurs sont calculés, successivement, pour les deux années étudiées (2014 et 2018) et sur une série de sous-champs de population :

• Les candidats en STS voie scolaire (champ 2)

• Les recrutés en STS voie scolaire

• Les recrutés en STS voie scolaire de l’enseignement public

• Les recrutés en STS voie scolaire de l’enseignement privé

• Les recrutés en STS voie scolaire dans les spécialités de la production

• Les recrutés en STS voie scolaire dans les spécialités des services

• Les recrutés en STS voie scolaire dans les spécialités de l’agriculture

• Les recrutés en STS voie scolaire management des unités commerciales (MUC)

• Les recrutés en STS voie scolaire conception et réalisation des systèmes automatiques (CRSA)

27La série de tableaux issus de ces calculs est intégralement produite en Annexe 3 (Tableau 7 à Tableau 14) et certains indicateurs sont parfois mentionnés dans le texte. Néanmoins, pour faciliter la lecture et décrire l’évolution du public de manière synthétique, les graphiques présentés dans le corps du papier expriment tous des taux d’évolution. Ils se rapportent soit à des effectifs, soit à des parts et dans les deux cas, leur utilisation permet de saisir l’ampleur de l’évolution par rapport à la valeur initiale – ce que ne permet pas le commentaire de l’évolution des effectifs absolus ou des points de pourcentage. Lorsque l’évolution n’est pas significative (test du chi²), la barre est hachurée dans les graphiques et la donnée n’est pas commentée.

3. La filière STS entre 2014 et 2018 : un recrutement bouleversé

28Dans cette partie, la perspective est placée du point de vue de la filière STS, afin d’examiner l’évolution de la composition du public qui y est recruté. Un peu moins de dix ans après l’instauration des quotas de bacheliers professionnels en STS, la composition de la filière est grandement modifiée (Figure 2). La présence relative des bacheliers professionnels dans la filière a doublé en dix ans, passant de 20 % à 41 %. Leur arrivée avait démarré avant 2013, du fait de la canalisation informelle de leurs aspirations scolaires évoquée précédemment.

29En IUT, la représentation des bacheliers technologiques progresse légèrement, de même qu’à l’université. En licence, la présence des bacheliers professionnels recule. En termes de baccalauréat, c’est toutefois la STS qui reste la filière la plus affectée par les modifications de distribution des entrants dans l’enseignement supérieur.

Figure 2 • Origine scolaire des entrants en STS, IUT et licence générale selon le type de baccalauréat, 2010-2020

3.1. Les quotas de bacheliers professionnels et de boursiers visibles dans la sélection des candidats

30On s’intéresse d’abord à l’évolution du profil des recrutés en STS voie scolaire, en général, que l’on examine en parallèle de l’évolution des candidats vers ce même segment d’enseignement (Figure 3), entre 2014 et 2018. Le premier constat est qu’en dépit des créations de places annoncées (voir partie 1), la hausse du nombre de candidats à l’entrée des STS (+24 %) est deux fois plus importante que la hausse des recrutés (+12 %). Signe probable de l’instauration des quotas, la part de bacheliers professionnels recrutés en 2018 a augmenté alors que leur représentation parmi les candidats a baissé. La présence relative des bacheliers généraux augmente également (parmi les candidats comme les recrutés), quand celle des bacheliers technologiques affiche une baisse.

Figure 3 • Evolution 2014-2018 du profil des candidats et recrutés en STS voie scolaire (taux d’évolution)

31La part de recrutés d’origine sociale favorisée a un peu baissé, ce qui s’explique autant par les quotas de bacheliers professionnels à recruter que par ceux de candidats boursiers. Par ailleurs, la part de ces derniers a plus fortement augmenté parmi les recrutés que parmi les candidats, ce qui s’explique également par l’instauration des quotas. En revanche, la hausse des mentions bien ou très bien observée parmi les candidats ne se répercute pas complètement sur les recrutés. L’évolution de ces différents indicateurs dessine une filière qui se modifie vers davantage d’ouverture sociale et scolaire, conformément à ce que laissait supposer le contexte institutionnel et la vague de massification décrits précédemment.

32On note enfin que les candidatures des bacheliers professionnels se portent de plus en plus unanimement vers les STS : cette filière rassemble 90 % de leurs vœux en 2018, c’était 87 % en 2014 (Annexe 3, Tableau 7). Pour l’ensemble des candidats, à l’inverse, cette part a plutôt baissé. C’est ici la confirmation et l’accentuation récente d’une tendance déjà observée par Lemêtre et al. (2016), selon laquelle l’espace de l’enseignement supérieur se limite aux STS pour la plupart des bacheliers professionnels.

3.2. L’accentuation des différences de recrutement selon le bac : vers plus d’hétérogénéité dans les classes

33On reste ici sur le champ de l’ensemble des STS (voie scolaire) en examinant, cette fois, les nouvelles caractéristiques du public recruté selon qu’il détient tel ou tel type de baccalauréat (Figure 4). Ce graphique complète le précédent sur le rapport entre candidature et recrutement : la hausse des candidatures est portée par l’augmentation des candidatures de bacheliers généraux ; la hausse des recrutements est portée par l’augmentation des recrutements de bacheliers professionnels.

34Derrière cela, se trouvent les bacheliers technologiques dont le recrutement stagne alors que leurs candidatures ont augmenté. Il semble que l’instauration des quotas de bacheliers professionnels se joue au détriment des bacheliers technologiques, public pourtant prioritaire des STS jusqu’à 20132, dont le recrutement s’enraye quand celui des bacheliers généraux se poursuit.

Figure 4 • Evolution 2014-2018 du public recruté en STS, par type de baccalauréat

35S’agissant des caractéristiques des recrutés, une évolution nette apparaît chez les bacheliers généraux dont la proportion de mentionnés BTB bondit, quand celle des bacheliers professionnels diminue. Ces derniers sont, par ailleurs, moins souvent favorisés socialement que quatre ans plus tôt et plus souvent originaires du même département. Ces évolutions suggèrent qu’au sein des STS, les différences entre bacheliers vont en s’accentuant, selon les mêmes logiques que celles montrées par Gautier dans le présent ouvrage : la mise en place d’un mécanisme de priorité aux bacheliers technologiques (en IUT) et professionnels (en STS) induisant mécaniquement davantage de concurrence entre les bacheliers non prioritaires, elle conduit à davantage de sélectivité dans le recrutement de ces derniers et par conséquent, au recrutement d’un public de plus en plus polarisé entre deux types de profils.

36Cette tendance soulève de nombreuses questions sur la composition des classes des STS à l’avenir, d’autant que la frontière sociale et scolaire entre bacheliers professionnels et bacheliers généraux était déjà pointée par Troger, Bernard & Masy (2016) comme un enjeu notable de la réussite des bacheliers professionnels en STS. À partir de données recueillies en 2009, leur ouvrage signale notamment que l’une des difficultés éprouvées par ces derniers dans l’enseignement supérieur tient en partie à un sentiment d’humiliation sociale émergeant chez les bacheliers professionnels face aux « autres », les bacheliers technologiques et généraux, qui contrairement à eux maîtrisent les enseignements généraux et attirent l’attention des enseignants. La sensation de se trouver dominés socialement dans l’espace de la classe peut ainsi contribuer à développer chez les bacheliers professionnels le sentiment de ne pas être à leur place dans cet enseignement supérieur.

37Plus généralement, l’amplification d’une polarisation socio-scolaire du public recruté en STS n’est pas anodine en matière de pédagogie et d’enseignement, surtout au regard des taux de réussite dans cette filière qui accusent récemment une baisse notable (Mesri-Dgesip, 2022 ; ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 2018). On pourrait comprendre cette évolution dans la mesure où l’accès des bacheliers professionnels à l’enseignement supérieur s’étend sur la même période : de nouveaux arrivants intègreraient les STS, moins armés pour l’enseignement supérieur et moins susceptibles d’y réussir. Mais cette explication ne suffit pas car le taux de réussite des autres bacheliers baisse aussi. C’est bien la réussite dans la filière STS en général qui interroge, d’autant que la réussite en licence générale en trois ans progresse légèrement sur la même période (Mesri-Dgesip, 2022 ; ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 2018) et que les sorties non diplômées de STS ne sont pas sans conséquence (Merlin, 2020).

38Quant à l’origine géographique, les candidats recrutés sont plus souvent issus du département dans lequel ils sont recrutés : cette tendance concerne essentiellement les bacheliers professionnels et peut signaler, à la fois et paradoxalement, une meilleure accessibilité géographique des formations ou un accroissement de la ségrégation territoriale.

3.3. La massification des STS publiques, l’élitisation des STS privées

39Nous poursuivons les comparaisons de recrutement entre 2014 et 2018, en focalisant cette fois l’analyse sur le secteur d’enseignement (Figure 5). On y voit des tendances tout à fait divergentes ; tout d’abord, dans le recrutement selon le type de baccalauréat : dans le secteur public, la part de bacheliers généraux recrutés a légèrement baissé, quand celle des bacheliers professionnels a nettement grimpé. Dans le secteur privé, à l’inverse, la représentation des bacheliers professionnels diminue pour laisser davantage de place aux bacheliers généraux. C’est donc uniquement le recrutement des STS privées qui explique l’accroissement des bacheliers généraux observé dans la population générale.

Figure 5 • Evolution 2014-2018 du public recruté en STS, par secteur d’enseignement

40Dans la même perspective, les profils recrutés en 2018 dans le secteur public sont moins favorisés socialement qu’en 2014, et plus souvent boursiers ; quand ces deux indicateurs évoluent en sens inverse dans le secteur privé. Relevons que la part de boursiers recrutés est influencée par l’instauration de quotas, mise en place pour la première fois en 2018 avec la première campagne de Parcoursup : s’ils ont été immédiatement visibles dans la filière STS, ils n’ont concerné que les établissements publics pour la première édition (Comité éthique et scientifique de Parcoursup, 2019). Ceci explique au moins en partie la quasi-stagnation de la part des boursiers parmi les recrutés du secteur privé.

41On note aussi que l’élévation du profil social n’est pas systématiquement associée à davantage de sélection scolaire, dans la mesure où la part de mentionnés BTB augmente dans le public et diminue dans le privé. Parmi les critères de recrutement dans ce dernier secteur figure en effet celui des capacités financières, qui peut venir concurrencer l’importance du critère des résultats scolaires.

42Il faut relever, enfin, une baisse significative de la part de femmes recrutées en STS dans le secteur privé, alors que leur présence relative est restée constante dans le secteur public.

43En regardant succinctement les seuls bacheliers professionnels recrutés dans les deux secteurs d’enseignement, ces tendances sont confirmées et l’une d’elle est précisée : la part de mentionnés BTB baisse parmi les bacheliers professionnels quel que soit leur secteur de recrutement, ce qui pourrait signifier que la hausse de ces mentions dans l’ensemble du secteur public s’explique surtout par une sursélection scolaire des autres bacheliers, dans la même logique que les constats précédents sur la polarisation socioscolaire des publics recrutés.

44En quatre ans, le public des STS privées devient donc plus favorisé, plus masculin et plus souvent détenteur d’un baccalauréat général, alors que les STS privées proposent plus souvent des formations tertiaires3 (spécialités au public traditionnellement plus féminin et ouvert aux bacheliers non généraux). Sur la même période, la composition des STS publiques connaît une évolution tout à fait différente : les bacheliers professionnels y deviennent majoritaires, l’origine sociale baisse en même temps que la part de boursiers augmente considérablement. Pour cette filière, c’est donc dans le secteur public que s’opère la massification de l’enseignement supérieur. C’est ici que se déroulent les nouveaux parcours de bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur. La porte des STS privées, elle, s’est ouverte aux bacheliers généraux.

3.4. L’amplification de la séparation des publics entre spécialités de formation

3.4.1. Par grand domaine

45En se penchant maintenant sur l’évolution des publics en fonctions des domaines de spécialité (Figure 6), on constate que c’est surtout dans les STS des services que le recrutement est bouleversé entre 2014 et 2018.

Figure 6 • Evolution 2014-2018 du recrutement en STS, par grand domaine de spécialité

46Ce sont essentiellement ces spécialités qui connaissent une hausse des effectifs recrutés. Augmentent également la part des bacheliers professionnels, ainsi que de celle des boursiers. La part de jeunes issus de milieu favorisé, elle, diminue. Dans les spécialités de la production, si les effectifs recrutés progressent aussi (bien que moins nettement que dans les services), la présence relative des bacheliers professionnels stagne en dépit de la politique des quotas – et celle des bacheliers généraux augmente. Si la part de mentionnés BTB n’évolue pas significativement dans la population générale, elle accuse une baisse marquée dans le secteur des services en considérant les seuls bacheliers professionnels (Annexe 4, Figure 9).

47Les STS agricoles font figure d’exception : en effectifs, le nombre de recrutés a (très) légèrement baissé, de même que la part de bacheliers professionnels ainsi que celle de boursiers. L’origine sociale des recrutés est devenue beaucoup plus favorisée.

48Si une massification s’opère bel et bien dans les spécialités tertiaires (elles-mêmes davantage représentées dans le secteur privé que celles de la production), un mouvement bien plus timide est à l’œuvre dans les autres domaines, qu’on pourrait même qualifier d’inverse dans les spécialités agricoles, ou dans les spécialités industrielles en considérant le recrutement par type de baccalauréat. On relève, en revanche, une tendance au rééquilibrage dans la séparation genrée selon les spécialités : on parle bien ici de tendance mais la parité demeure extrêmement lointaine, puisque seulement 16 % de femmes ont été recrutées en STS production en 2018 et parmi les bacheliers professionnels, cette proportion tombe à 10 % (Annexe 3, Tableau 11 et Tableau 12).

3.4.2. Deux études de cas

49Pour finir, on s’est intéressé à deux formations plus précisément, l’une relevant des services (la spécialité management des unités commerciales, MUC) et l’autre de la production (conception et réalisation de systèmes automatiques, CRSA). En se penchant sur ces deux spécialités identifiées comme très stables entre 2014 et 2018 (voir partie 2), on relève quelques variations aux tendances observées précédemment.

50Concernant les admissions en STS de management des unités commerciales (MUC), la baisse de la part des femmes est plus nette que dans l’ensemble de la filière (Figure 7). La hausse des mentions BTB n’est pas observée, en revanche l’augmentation de la part des bacheliers professionnels est particulièrement forte (+31 % contre +11 % sur l’ensemble des STS). En STS MUC, les tendances précédemment commentées ne sont pas contredites, mais on devine un effet de la loi de 2013 plus fort ici que sur certaines autres spécialités.

Figure 7 • Evolution 2014-2018 du public recruté en STS dans deux spécialités : MUC et CRSA

51S’agissant de la STS CRSA (Figure 7), les admissions ont évolué entre 2014 et 2018 comme si la loi de 2013 n’existait pas : la part de bacheliers généraux a progressé de quasiment 20 %, quand celle des bacheliers professionnels a baissé (-7 %). La part de bacheliers mentionnés bien ou très bien a fortement augmenté.

52Ici, tout laisse à penser que la sélection sociale et scolaire s’est intensifiée à l’entrée de la spécialité CRSA entre 2014 et 2018. Si la loi de 2013 n’y montre pas ses effets, le changement d’outil d’affectation a pu y renforcer les mécanismes de sélection.

53Au total, les nouveaux parcours de bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur ont lieu essentiellement dans les STS publiques et dans les spécialités des services. Ces différentes tendances sont confortées par les effectifs de bacheliers professionnels recrutés dans les STS publiques (en effectifs, le nombre de bacheliers professionnels recrutés y augmente de +32 % contre +3 % dans le secteur privé – Annexe 3, Tableau 10) et dans le domaine des services (le nombre de bacheliers professionnels recrutés évolue de +42 %, contre +10 % dans la production et -6 % dans les STS agricoles – Annexe 3, Tableau 12), ce qui converge avec les l’évolution de leur présence relative observée sur la population générale.

54Le profil de ces bacheliers professionnels est moins favorisé, moins performant scolairement, plus souvent boursier. Les bacheliers technologiques, eux, se retirent globalement des STS quand les bacheliers généraux les plus dotés tirent leur épingle du jeu : plus fortement sélectionnés socialement et scolairement, ils accèdent davantage au secteur privé et aux spécialités industrielles. Dans l’ensemble, le profil de ces étudiants en STS tend vers davantage de différenciation selon le baccalauréat détenu. A tous les points de vue, les évolutions observées témoignent d’un mouvement global engagé vers davantage de ségrégation, entre les filières, entre les bacheliers, entre les secteurs d’enseignement et entre les spécialités de formation. Les données relatives aux formations en apprentissage seraient précieuses pour compléter ce tableau.

Conclusion

55En définitive, pour accueillir l’afflux de bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur, l’action publique récente a essentiellement consisté à les diriger vers une filière jugée la mieux appropriée pour eux : les STS. Portée par les quotas, cette intention vise en même temps à éloigner les bacheliers professionnels de l’université, tendance atteinte et renforcée en 2018 avec l’instauration d’une forme de sélection à l’université. En dépit des recommandations émises en ce sens, ces dispositions ne se sont accompagnées ni d’une vague de création de places dans la filière STS, ni d’une mobilisation pédagogique permettant d’améliorer la préparation des bacheliers professionnels aux STS puis leur accueil une fois inscrits dans la filière. L’absence d’action publique portant sur le dimensionnement de l’offre de formation ainsi que sur les conditions d’accueil des bacheliers professionnels, en dépit d’une explosion de la demande stimulée par les pouvoirs publics eux-mêmes, interroge quant à la considération pour ces parcours et dépeint la STS des bacheliers professionnels comme une orientation ambivalente, porteuse d’un accès facilité à l’enseignement supérieur en même temps que d’un mécanisme de relégation.

56Dans ce contexte, cet article décrit les mutations en cours dans les processus de sélection à l’entrée des STS et les nouvelles compositions des classes qui en découlent. Il identifie certaines évolutions en miroir de celles à l’œuvre dans les autres filières de l’enseignement supérieur, mais aussi, dégage des mouvements propres à la filière STS à laquelle l’accès est loin d’être uniforme. Des sous-espaces émergent et permettent de dresser le portrait des nouveaux arrivants en STS.

57Ces derniers sont, effectivement, des bacheliers professionnels (les effectifs recrutés en STS croissent de 25 % les concernant), conformément à la loi de 2013 instituant des quotas de recrutement ; mais aussi, de manière moins attendue, des bacheliers généraux, dont les effectifs recrutés en STS ont augmenté de 17 %. À cette hausse répond le retrait des bacheliers technologiques des STS : la baisse du nombre de bacheliers technologiques s’explique en partie par leur orientation facilitée en IUT. Cet effacement demeure toutefois remarquable, alors que pendant près de vingt ans et jusqu’à 2013, les bacheliers technologiques ont formé le public privilégié des STS.

58Par ailleurs, les nouveaux arrivants en STS sont recrutés dans le domaine des services et dans le secteur public : si au global, le secteur privé et les spécialités de la production connaissent une hausse de leurs effectifs recrutés, celle-ci ne concerne aucunement les bacheliers professionnels : ces derniers, supposés former le « nouveau public » des STS, sont essentiellement recrutés dans le secteur public (+32 %) et dans les spécialités des services (+42 %). C’est en réalité dans ces STS que s’opère la massification : de cette évolution, les différentes formations sortent avec un public plus ségrégué qu’auparavant, ce qui s’apparente à un renforcement de segmentations déjà anciennes de cette filière.

59Finalement, la troisième massification d’enseignement supérieur français semble contribuer, d’une part, à renforcer la hiérarchisation entre les différentes filières de l’enseignement supérieur – la part des bacheliers professionnels accédant à l’université diminue, par exemple – et d’autre part, à renforcer les segmentations au sein même des STS : dans cette filière, les nouveaux flux d’inscriptions sont essentiellement absorbés par le secteur public et les spécialités tertiaires (ces dernières étant sous-représentées dans le premier, il s’agit bien de deux tendances distinctes). Les formations privées ou relevant des spécialités de la production restent largement fermées à la massification.

60Cette étude comporte un angle mort non négligeable : l’absence des formations en apprentissage, voie d’enseignement pourtant particulièrement représentée en STS, est regrettable. Elle l’est d’autant plus que cette voie d’enseignement a connu un bouleversement propre sur la période, le nombre d’inscriptions en STS apprentissage ayant plus que doublé entre 2010 et 2020 (Tableau 1). On suppose que l’exploitation de données plus complètes permettrait de compléter les observations ici présentées, dans la mesure où l’apprentissage constitue déjà, en STS ou ailleurs, une propriété qualitative du diplôme accessible aux élèves les mieux dotés scolairement comme socialement (Kergoat & Sulzer, 2017).

61Il serait aussi intéressant de prolonger cette étude par des analyses territoriales. En l’ébauchant (Annexe 4, Figure 11), nous avons constaté que le bouleversement du recrutement est loin d’être uniforme sur tout le territoire. Un rapide examen montre des évolutions locales fortement disparates. Ainsi la part des bacheliers généraux augmente particulièrement en Loire-Atlantique ou à Paris, quand elle baisse en Seine-Saint-Denis. Dans ce dernier département, la part des bacheliers professionnels admis en STS connaît une hausse très sensible. À l’opposé, la représentation des bacheliers professionnels en STS diminue en Loire-Atlantique entre 2014 et 2018. La hausse de la part de candidats locaux est particulièrement élevée dans le département de Paris. Ce portrait brièvement brossé de trois départements suggère que de nouvelles répartitions des publics s’opèrent aussi selon une hiérarchie socio-spatiale accrue.