Introduction

1À la fin des années 80, la carte universitaire se transforme avec l'apparition des antennes universitaires implantées dans les villes moyennes. Sous l'impulsion de la croissance des effectifs étudiants, d'une volonté d'équilibrage des pôles d'enseignement supérieur et du soutien des élus locaux soucieux de dynamiser leur territoire, des formations de premier cycle sont ouvertes hors des principaux sites universitaires. Au-delà de l'objectif affiché de désengorgement des universités mères, ces délocalisations s’inscrivent aussi dans une volonté de démocratiser l'accès à l'enseignement supérieur et mettent en avant un objectif de justice sociale (Felouzis, 2001) et de lutte contre les inégalités géographiques (Prieur & Caro, 1999). Le plan Université 2000 renforce ce mouvement de création et de restructuration des campus. Après une concentration dans les capitales régionales, les structures d’enseignement s'implantent dans des villes de taille moyenne et prennent le nom de délocalisations universitaires ou d'antennes (Lévy & Soldano, 2015 ; CDC, 2023). Cette nouvelle organisation souligne la volonté publique d'harmoniser, à l'échelle du territoire national, la répartition des villes équipées en structures universitaires. Assez paradoxalement, comme souligné par Lévy et Soldano en 2015, il n’existe toutefois aucune définition officielle permettant de catégoriser les sites universitaires. « Le champ lexical [est] varié : antennes, centres universitaires, campus, pôles, sites secondaires ou émergents, formations déconcentrées, etc. Ces multiples désignations témoignent cependant des évolutions, dans les représentations de leur place dans les politiques d'enseignement supérieur. » Ainsi, elles peuvent refléter une délocalisation d’une ou plusieurs formations ou se centrer sur l’implantation d’une filière spécifique en lien avec l’économie locale. Face à cette diversité, nous retenons pour cette étude, les universités qui, dans leur offre de formation, proposent des licences dupliquées (cf. Encadré 1).

2Les analyses dédiées aux antennes universitaires se développent au début des années 2000. Centrées sur des comparaisons de filières entre le site délocalisé et l'université mère, elles mettent en avant un accueil d'étudiants socialement moins favorisés que ceux des universités mères ou une sur-représentation d'étudiants aux caractéristiques scolaires plus faibles, mais leurs résultats divergent sur la question du rôle de l’antenne sur la réussite universitaire. Sur ce point, certains travaux concluent à un effet plutôt négatif de l'antenne sur les parcours étudiants (Bourdon et al 1994), d'autres aboutissent à une meilleure réussite des étudiants du site délocalisé (Bernet, 2009 ; Erard & Guégnard, 2018). En montrant que les résultats des antennes sont parfois meilleurs, parfois moins bons qu'au sein de l'université mère, G. Felouzis (2001) défend qu’il est plus pertinent de faire référence à « un effet de site » ; l’antenne délocalisée n’ayant, à proprement parlé, pas d’effet mécanique favorable ou défavorable sur la réussite.

3En 2018, la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) transforme le système d’accès à l’université. Adoptée afin d’apporter une réponse aux enjeux de l'orientation et de la réussite des étudiants, sa mise en œuvre dans les universités repose sur une procédure visant à examiner les dossiers scolaires des candidats. Désormais, via des commissions créées par filière, les universités classent les candidats, pour chaque formation, sur la base des attendus (nationaux complétés localement) jugés nécessaires pour réussir. Par ailleurs, un nouveau dispositif (Parcoursup) répartit les bacheliers dans les formations de l'enseignement supérieur en remplacement de l'ancienne plate-forme Admission post-bac (APB).

4Cette « sélection1 » du public étudiant a-t-elle des effets sur la population accueillie dans les antennes ? Cette question est d’importance puisque, tout comme l’université mère, l’antenne peut dorénavant classer ses candidats par ordre de préférence. Il est donc hautement probable que la population accueillie dans les antennes soit de plus en plus comparable, scolairement et socialement, à la population des universités mères. En prolongement, il est aisé de questionner une éventuelle modification des effets de cette nouvelle population sur la réussite à l’université. En somme, la réussite a-t-elle évolué dans les antennes suite à la mise en place de la loi ORE ?

5À partir des données Parcoursup et des fichiers SISE nationaux cryptés, la comparaison des promotions 2015 et 2018 montre une homogénéisation sociale et scolaire en cours des étudiants accueillis dans les antennes et universités mères, même si les antennes continuent globalement à jouer leur rôle de démocratisation de l’enseignement supérieur en termes d’accès facilité par la proximité (1). En revanche, ce rapprochement des caractéristiques ne semble pas conduire à un effet plus positif en 2018 qu’en 2015 des antennes sur la réussite étudiante mesurée à partir d’un suivi longitudinal des bacheliers entrés en licence (2).

1. Vers un rapprochement des populations étudiantes ?

6Tout en favorisant l’accès à l’enseignement supérieur pour des bacheliers d’origine modeste, les antennes créent une université différente, plus typée pour accueillir l’afflux d’étudiants. L’offre de formation y est plus restreinte et les enseignants sont moins souvent en prise avec la recherche. Elles sont majoritairement ouvertes dans des villes plus petites, rurales ou industrielles (Felouzis, 2001). En période de forte augmentation du nombre de bacheliers, elles jouent pleinement leur rôle d’absorption des flux d’étudiants en proposant dans leur offre de formation les trois années du cycle licence. Sur la période récente, quels sont les domaines de formation les plus présents dans les antennes ?

1.1. Une offre de formation en évolution

7La part du nombre de nouveaux bacheliers inscrits dans les antennes par discipline est relativement hétérogène. Si, en moyenne, elles accueillent 18 % des nouveaux bacheliers de notre périmètre, ce sont les filières STAPS et AES qui en accueillent le plus (26 %). En effet, ces deux filières sont surreprésentées dans les antennes. Ces résultats confirmant pour AES, par exemple, son rôle de filière de démocratisation de l’enseignement supérieur (Filhon, 2010). Cette répartition reflète une stratégie propre à chaque université en termes de développement de son offre de formation sur chacun de ses sites, liée en particulier à la volonté de désengorger les filières à gros effectifs dans une période de forte augmentation des effectifs en première année de licence.

8Au sein de chaque discipline, la part de nouveaux bacheliers accueillis en antenne a peu évolué entre 2015 et 2018.

9Toutefois, sur cette même période, à périmètre constant, la structure de notre échantillon s’est transformée : la part des effectifs de nouveaux bacheliers inscrits en droit diminue (- 5,8 points) au profit d’une augmentation des inscriptions en sciences, STAPS (+ 5,0 points). Au sein de ce groupe disciplinaire, la progression est plus marquée dans les antennes universitaires (+6,8 points contre 4,5 en université mère) et elle est principalement liée à l’évolution des effectifs inscrits en STAPS.

Graphique 1 • Evolution de la répartition des nouveaux bacheliers par groupe disciplinaire (promotions 2015 et 2018)

1.2. Une sélection différenciée selon les domaines

10Les indicateurs construits à partir des données de Parcoursup apportent des éléments complémentaires pour caractériser notre échantillon.

11Le taux de pression3 montre qu’en moyenne, il y a 1 place pour près de 5 candidatures (4,6 en antenne contre 5,0 en université mère). Au regard des groupes disciplinaires, c’est en éco gestion que la situation est la plus tendue avec près de 9 candidats par place contre moins de 4 candidats par place en lettres langues et arts. Toutefois, les analyses menées dans les universités4 illustrent les limites de cet indicateur comme révélateur d’une forte pression car comme les candidats ont la possibilité de faire jusqu’à 10 vœux sur Parcoursup un grand nombre d’entre eux ne transforment pas leur candidature en inscription.

12Afin de mieux apprécier la tension existante sur certaines filières et de pouvoir tenir compte de la multiplicité des candidatures émises par un candidat unique, les analyses sont complétées par le taux de sélection5. Au fil des jours et face au renoncement des étudiants, l’université descend dans la liste des classés pour les appeler afin de remplir les promotions. S’il n’y a pas d’écarts entre les antennes et les universités mères, avec respectivement des taux de sélection de 80 et 81 %, il existe en revanche des différences plus importantes entre les domaines. C’est la filière éco gestion qui montre la plus grande sélectivité (62 %) et la filière sciences et techniques la plus faible (91 %). Par ailleurs, c’est pour AES que l’écart entre antennes et universités mères est le plus grand (10 points), il est beaucoup plus resserré pour les autres domaines.

13Même pour les licences dites non sélectives, une forme de sélection se met peu à peu en place en raison de l’instauration de capacités d’accueil. Ces dernières apparaissent comme un facteur déterminant du caractère sélectif ou non de la formation (CDC 2020).

1.3. Une mobilité géographique moins prononcée dans les antennes

14En termes de mobilité géographique6, plus de 39 % des nouveaux bacheliers de nos deux promotions ont changé de département entre le baccalauréat et leur inscription en première année de licence. Ce taux atteint 28 % pour les effectifs inscrits dans les antennes et près de 42 % pour ceux qui sont en université mère. Si les antennes jouent pleinement leur rôle de site de proximité en permettant l’accès du plus grand nombre à l’enseignement supérieur, l’écart avec les universités mères se resserre. Le taux de mobilité augmente de 6,2 points (passant de 24,7 % à 30,9 % entre 2015 et 2018) pour les étudiants inscrits dans une antenne, alors qu’il reste relativement stable pour ceux qui sont inscrits dans une université mère (41 %).

15Les nouveaux bacheliers inscrits dans une antenne demeurent significativement moins mobiles lors de leur entrée dans l’enseignement supérieur (écart de 11 points avec l’université mère).

Graphique 2 • Évolution de la part des bacheliers mobiles entre le département d’obtention du bac et le département du site d’études par université – comparaison par promotion et université

16Ce schéma est dominant dans la majorité des sites universitaires étudiés ; seuls 5 d’entre eux montrent une mobilité nettement plus élevée pour les inscrits en antennes.

Graphique 3 • Part des étudiants mobiles entre le département d’obtention du bac et le département de la première année de licence par université (promotion 2018, en %)

17La moindre mobilité des étudiants des antennes s’explique de plusieurs façons comme l’illustrent les résultats des enquêtes menées par les universités de Paul-Valéry Montpellier 3, Bordeaux et Bordeaux Montaigne. D’une part, l’existence de cette offre de formation de proximité limite les besoins de migrations vers les métropoles pour s’inscrire dans l’enseignement supérieur ; d’autre part, opter pour la proximité peut être liée à la crainte du futur étudiant de poursuivre ses études dans un lieu inconnu ou le signe d’une forme de renoncement lié à des contraintes financières. En effet, rester au domicile familial limite les coûts liés aux déplacements quotidiens, moyens de transport ou logement. Cependant, l’offre de formation de proximité étant assez restreinte, il est fréquent que l’orientation vers ces filières se fasse par défaut. Ce choix contraint pèse sur les motivations et en prolongement sur la réussite universitaire.

1.4. Des inscrits dans les antennes au capital scolaire et social de moins en moins défavorable

18Les données disponibles dans SISE permettent d’analyser les caractéristiques sociodémographiques des nouveaux bacheliers : ont-elles évolué entre les deux promotions ? Quelles sont celles qui pourraient avoir un impact sur la réussite ? La composition sociale de la population s’est-elle transformée ? Existe-t-il des différences entre les grands champs disciplinaires, entre les antennes et les universités mères ? La mise en œuvre de la loi ORE impacte-t-elle certaines évolutions ?

1.4.1. Des bacheliers mieux armés pour réussir à l’université

19Parmi ces données, les caractéristiques scolaires sont des variables fréquemment mobilisées par les universités dans le cadre de l’analyse de la réussite : âge d’obtention du bac, série / groupe de baccalauréats, mention obtenue sont autant de facteurs pris en compte simultanément ou non et qui hiérarchisent les performances à l’issue de la première année passée à l’université (Morlaix & Suchaut, 2012).

20En 2018, 81 % des nouveaux bacheliers de notre échantillon ont obtenu leur baccalauréat en avance ou à l’heure, soit 6,6 points de plus qu’en 2015. Ce rajeunissement, signe d’un moindre redoublement dans le primaire et le secondaire, est légèrement plus marqué dans les antennes.

21Concernant les groupes de baccalauréats, entre les 2 promotions, la part des bacheliers généraux a progressé de 4,1 points au détriment des bacheliers technologiques (- 1,5 point) mais surtout des bacheliers professionnels (- 2,6 points). Compte tenu des effectifs, ce sont surtout les antennes qui ont connu une forte évolution de la structure de leurs bacheliers : + 8,4 points pour les bacheliers généraux contre – 2,6 points pour les bacheliers technologiques et -5,8 points pour les bacheliers professionnels.

22Cette évolution suit la tendance nationale. En effet, la part des bacheliers professionnels qui s’inscrivent à l’université baisse progressivement entre 2015 et 2018 (passant de 8,3 à 5,9 %) et se poursuit au-delà malgré l’augmentation de leur taux de poursuite d’études qui atteint 39,5 % de la cohorte en 2018 sous l’effet principalement du développement de quotas d’admission en STS (RERS 2022).

23La diminution de l’accès des bacheliers technologiques et professionnels à l’université apparaît comme l’une des conséquences de l’instauration de capacités d’accueil en première année de licence et la mise en place dans Parcoursup d’« attendus ». Ces réformes portées par la loi ORE dissuadent un certain nombre de lycéens, tout particulièrement les moins dotés en capital scolaire, de s’inscrire dans des cursus dans lesquels ils ont peu de chance de réussir7 . Par ailleurs, le classement des dossiers lors des phases d’admission relègue en fin de classement les bacheliers pour lesquels la cohérence entre d’une part leur projet de formation, les acquis de leur formation ou leurs compétences et, d'autre part les caractéristiques de la formation ne sont pas assurés. Enfin, certains critères d’appréciation des dossiers matérialisés par les notes de premières, de terminale ou lettre de motivation sont susceptibles de favoriser une forme d’auto-sélection des candidats.

24Malgré cette évolution, en 2018, la part des nouveaux bacheliers titulaires de bac technologique (principalement STMG) ou professionnel reste plus élevée chez les étudiants des antennes avec respectivement un écart de + 5 points et + 2 points. A l’inverse, la part des bacheliers généraux est inférieure de 7 points. Dans cette catégorie, ce sont principalement les bacheliers économiques qui sont moins présents dans les antennes.

Graphique 4 • Évolution de la répartition des promotions selon le groupe de baccalauréats (promotions 2015 et 2018, %)

25En complément du groupe de bacs, la mention obtenue au bac est aussi un signal de hiérarchisation universitaire. Pour la promotion 2018, la part des néobacheliers (tous bacs confondus) ayant accepté la proposition de l’établissement avec une mention « bien » ou « très bien » atteint en moyenne 20,9 %. Elle est plus faible dans les antennes (17,9 % contre 21,7 % dans les sites principaux). Cette hiérarchie se vérifie pour tous les groupes disciplinaires excepté le groupe économie-gestion. Par ailleurs, sur l’ensemble de notre échantillon, la part des nouveaux bacheliers avec mention « très bien » ou « bien » est plus élevée que celle de l’université mère dans seulement quatre antennes.

1.4.2. Des caractéristiques sociales plus favorables

26Au-delà des données sur la scolarité antérieure, les travaux qui analysent les déterminants de la réussite à l’université mobilisent très souvent l’origine sociale, un marqueur fort des conditions d’études et parcours universitaires. En effet, les étudiants issus de milieux aisés sont proportionnellement plus nombreux à être titulaires d’un diplôme du supérieur : 66 % des enfants de cadres, professions intermédiaires ou indépendants sont diplômés du supérieur contre 33 % des enfants d’ouvriers ou d’employés (MESRI-SIES 2021).

27La répartition des néobacheliers de notre échantillon montre que la part des enfants d’agriculteurs, d’employés, d’ouvriers est très significativement plus élevée dans les antennes et cela pour les deux promotions ; à l’inverse, on y accueille moins d’enfants de cadres. Une situation qui, à sa manière, illustre leur rôle d’ouverture sociale de l’enseignement supérieur. L’utilisation de l’indice de position sociale (IPS) complète ces données (cf. Encadré 2). Il permet de prendre en compte le capital (économique, éducatif, culturel), mais aussi les pratiques et les attitudes qui influencent les étudiants, à la fois lors de leur choix d’orientation post-bac et tout au long de leur cursus universitaire. Appliqué à notre échantillon, l’IPS moyen reproduit l’écart entre université mère et antenne (plus de 6 points séparent les deux structures) et il augmente de 1,7 point entre 2015 et 2018. Cette évolution illustre un léger glissement de l’origine sociale des néobacheliers : ils sont plus souvent enfants de cadres, de professions intermédiaires et moins souvent enfants d’ouvriers ; une tendance plus marquée dans les antennes.

28La répartition des différents sites universitaires, selon l’évolution de leur IPS entre 2015 et 2018, montre d'une part, une forte hétérogénéité de l’échantillon et d’autre part, une faible diminution de l’écart entre université mère et antenne. Ceci confirmerait ainsi le rôle positif des antennes dans la lutte contre la ségrégation sociale (Avouac & Harari-Kermadec, 2021) Enfin, l’IPS des universités mères est toujours supérieur à celui des antennes sauf pour 3 universités en 2015 et 7 en 2018. Par ailleurs, appliqué à chaque type de baccalauréats, l’IPS des étudiants inscrits en université mère est aussi toujours supérieur à celui des antennes, excepté pour les bacs professionnels.

Graphique 5 • Evolution de l’indice de position sociale par université et type de site (2015 et 2018)

29L’évolution observée entre 2015 et 2018 montre que les nouveaux bacheliers qui accèdent à l’université en 2018 sont mieux dotés en capital scolaire et social. Ces mécanismes ont un effet plus marqué dans les antennes : on y trouve moins de bacheliers technologiques et professionnels et plus d’étudiants issus de catégories sociales plus favorisées. De façon mécanique, les écarts avec les universités mères se réduisent. Mais cette tendance a-t-elle des effets sur la réussite en licence ?

2. Les antennes comme aide à la réussite ?

30Globalement, les différentes études menées depuis le début des années 2000 ne démontrent pas toujours un effet positif de l’antenne sur la réussite universitaire. Pourtant, les conditions d’études favorables (proximité avec les enseignants, encadrement plus important, accès facilité à l’information et à l’administration…), proches d’une « logique de lycée » (Felouzis 2001), devraient aider la réussite des étudiants dans les antennes. La dernière étude d’Evrard et Guégnard en 2018 sur les étudiants de STAPS au Creusot, dans une logique de non-sélection, atteste de l’importance de ces conditions d’études dans les sites délocalisés. Cependant, l’ensemble de ces études se limite à un secteur disciplinaire dans un établissement, ce qui empêche la généralisation des conclusions. En prolongement, et du fait de l’homogénéisation des publics accueillis entre les antennes et les universités mères, nous pouvons toutefois nous demander si cette tendance a des effets sur la réussite.

31Afin d’isoler l’effet propre de l’antenne, nous avons ainsi mené des analyses descriptives, suivies de régressions logistiques. Le faible effet de l’antenne sur la réussite nous a amené à faire l’hypothèse qu’il existait différents types d’antennes, en termes d’offre de formation et d’étudiants accueillis. C’est pourquoi, nous avons réalisé une typologie des étudiants inscrits afin de vérifier si, effectivement, certains types d’antennes pouvaient avoir un effet sur la réussite universitaire.

2.1. Des effets limités des antennes sur la réussite et les parcours des étudiants

32Depuis la loi ORE, la notion de réussite fait l’objet de nombreuses discussions, comme en attestent les rapports de l’IGESR publiés en 2021 : la volonté de personnaliser et d’individualiser les parcours des étudiants en licence rend difficile la production annuelle de statistiques. Seuls les suivis de cohortes permettront de calculer un taux d’obtention du diplôme, notamment via le rythme d’acquisition des crédits ECTS (European Credits Tranfert System). Nous faisons, en effet, le constat que les données disponibles pour mesurer la progression de l’étudiant dans un diplôme font, aujourd’hui encore, largement défaut. Aussi, dans la suite de notre étude, nous utilisons trois indicateurs permettant d’estimer la réussite en licence des néobacheliers en antenne et en université mère : l’accès en deuxième année de licence (L2) en un ou deux ans, l’accès en troisième année de licence (L3) en deux ans et la sortie de l’université au terme d’un an.

33Globalement, à périmètre constant, les taux d’accès en L2 des néobacheliers entrés en première année de licence (L1) sont plus faibles pour les étudiants inscrits dans les antennes que ceux inscrits en université mère. Même si nous constatons une augmentation de l’accès en L2 en un an, l’écart entre les antennes et l’université mère reste le même. En affinant l’analyse, sur les parcours au sein de la licence, le taux d’accès en L3 en deux ans couplé au taux de sortie de l’université au terme d’un an montre que les antennes ne participent pas davantage à la réussite des étudiants que les universités mères. Alors qu’il n’existait pas de différence en 2015 (31 %), l’accès en L3 en deux ans a globalement progressé, mais davantage en universités mères (38 % vs 36 %). De plus, les néobacheliers des antennes sont systématiquement et proportionnellement plus nombreux à sortir de l’université au bout d’un an, et ce, quelle que soit la promotion.

34Contrairement aux résultats généraux, les taux d’accès en L3 divergent pour certains types de baccalauréat et certaines disciplines. En 2015, les antennes semblent plus efficaces à faire réussir les bacheliers généraux que les bacheliers technologiques ou professionnels. C’est moins le cas pour la promotion 2018, promotion pour laquelle le rôle positif de l’antenne semble se réduire. Concernant la discipline d’entrée en licence, le rôle positif de l’antenne s’observe en STAPS et, dans une moindre mesure, en Sciences Humaines et Sociales pour les deux promotions. Pour les néobacheliers inscrits en Arts, Lettres et Langues en 2015, l’effet positif de l’antenne ne perdure pas pour les néobacheliers 2018.

35Afin de vérifier un éventuel effet des antennes sur le parcours et la réussite des étudiants, nous avons réalisé des régressions logistiques avec les critères suivants : le sexe, l’âge au bac, le type de bac, l’origine sociale, le type de composante, la mobilité postbac et la discipline. Les fichiers ne permettent malheureusement pas de disposer de la mention au baccalauréat.

36Globalement, il apparaît que l’antenne n’a pas d’effet positif sur la réussite des étudiants en licence par rapport à ceux de l’université mère (à périmètre constant). Le seul effet positif porte sur l’accès en L3 en deux ans pour la promotion 2015, effet qui ne perdure pas pour la cohorte 2018. En revanche, être inscrit en première année en antenne augmente la probabilité de quitter l’université au terme d’une année.

Tableau 8 • Probabilité d’accéder à une L2 en 1 ou 2 ans, à une L3 en 2 ans et de quitter l’université au bout d’1 an

37Pourtant, ces résultats globaux cachent probablement des différences plus marquées en fonction des types de populations accueillies. Aussi, nous avons cherché à classifier les étudiants en fonction de leurs caractéristiques sociodémographiques et scolaires, ceci afin de mesurer l’effet de l’antenne sur la réussite et leur parcours au regard du public accueilli.

2.2. Un effet positif de l’antenne pour les étudiants les mieux dotés

38Afin d’étudier la réussite comparée entre les universités mères et les antennes, à secteur disciplinaire équivalent, une typologie sur les caractéristiques des étudiants accueillis a été réalisée à partir d’une analyse en correspondances multiples et d’une classification ascendante hiérarchique. Les variables utilisées dans la classification sont les suivantes : le sexe, le type de bac, l’âge au bac, la mobilité entre le département du bac et le département d’inscription en première année, l’indice de position sociale regroupé et la discipline SISE.

39Quatre classes d’étudiants intègrent une L1, à périmètre identique :

• la première classe d’étudiants, représentant 44 % de l’effectif du périmètre, est très féminine (90 %), composée de bacheliers littéraires (40 %) et économiques et sociales (53 %) à l’heure (83 %), inscrits majoritairement en 1ère année de licence de droit (63 %) et d’arts-lettres-langues (22 %). Ce sont des étudiants qui se répartissent de manière égale dans les 4 catégories sociales (modeste, moyenne, favorisée et très favorisée) ;

• la deuxième classe d’étudiants (22 %) est majoritairement masculine (55 %), regroupant des bacheliers économiques et sociales (51 %) et scientifiques (37 %), ayant eu leur bac à l’heure (83 %) inscrits majoritairement en L1 de droit (61 %) et d’économie (11 %). Ils sont d’origine très favorisée ou favorisée (69 %) ;

• la troisième classe (16 %) est très masculine (69 %), titulaire d’un bac S (83 %) obtenu à l’heure (88 %) inscrits en L1 STAPS (42 %) et L1 STS (29 %). Ils sont d’origine sociale très favorisée (44 %) et favorisée (30 %) ;

• la quatrième classe (8 %) est très masculine (62 %), titulaire d’un bac technologique (45 %) ou professionnel (29 %), obtenu en retard (70 %) surreprésentés en L1 de STAPS (21 %) et d’AES (16 %). Leur origine sociale est modeste (43 %) et moyenne (29 %). Ils sont caractérisés par une surreprésentation dans l’absence de mobilité entre le département du bac et de la L1 (69 %).

40Au regard de la promotion et de la composante, la répartition par classe d’étudiants montre globalement une diminution, entre 2015 et 2018, de la proportion d’étudiants de la classe 4 à l’université mère et en antenne au profit du groupe des bacheliers scientifiques favorisés inscrits en L1 STAPS et STS. Cette baisse est plus importante en antenne. Ces deux résultats confirment, d’une part, la sélectivité accrue en première année de licence, et d’autre part, l’accentuation de ce mouvement dans les antennes par rapport aux universités mères depuis la mise en place de Parcoursup. La répartition des deux autres groupes n’évolue que faiblement entre les deux promotions.

41Quelle que soit la population accueillie dans les antennes, le taux d’accès en L2 en un ou deux ans est inférieur à celui des universités mères à l’exception de celui des bacheliers scientifiques favorisés inscrits en L1 STAPS ou STS en 2015. Au regard du taux d’accès en L3 en 2 ans, les antennes jouent un rôle positif pour la même catégorie de population mais principalement en 2015. Evrard et Guégnard avaient déjà constaté que « les enfants de cadres sont donc les premiers à bénéficier des modalités d’encadrements spécifiques à l’antenne, même si cette logique de proximité facilitant la transition entre le lycée et l’université profite aussi aux étudiants d’origine moins favorisée ». Enfin, la proportion d’étudiants des antennes qui quittent l’université au bout d’un an est systématiquement supérieure à celle des universités mères à l’exception des bacheliers scientifiques favorisés inscrits en L1 STAPS ou STS pour lesquels les taux sont identiques entre l’antenne et l’université mère.

42En conclusion, faire émerger un effet positif de l’antenne sur les parcours et la réussite des étudiants, avant ou après Parcoursup, s’avère difficile. Il existe bien des populations qui bénéficient de l’apport des conditions d’études dans les antennes, mais il s’agit d’étudiants disposant d’un capital social et scolaire favorable ou inscrits dans des disciplines spécifiques comme STAPS.

Tableau 10 • Indicateurs de réussite par type d’étudiants accueillis (en %)

Conclusion

43La mise en place de la loi ORE conduit à un changement de structure de la population en première année de licence (MESRI 2020). Ce constat est d’autant plus observable dans les antennes universitaires et aboutit à un rapprochement des caractéristiques des populations accueillies entre les antennes et les universités mères à périmètre constant. L’introduction des capacités d’accueil en première année de licence, concomitante à un changement de l’offre de formation dans certaines antennes, transforme le public avec moins de bacheliers professionnels, plus d’étudiants avec mention au bac et moins d’étudiants d’origine populaire.

44Cette homogénéisation des étudiants ne semble pas avoir plus d’effet qu’auparavant sur la réussite des étudiants en antenne si ce n’est sur le public très spécifique des bacheliers scientifiques d’origine favorisée inscrits en L1 STAPS et STS qui bénéficient de modalités pédagogiques propres à ces sites délocalisés. Transposée à l’échelle nationale, notre étude corrobore ainsi les résultats de recherches menées au début des années 2000 sur des filières et des sites délocalisés spécifiques qui montraient qu’il était difficile de conclure à un effet positif global des antennes sur la réussite étudiante en licence. Néanmoins, l’impossibilité d’accéder à des données sur les taux d’encadrement des étudiants, sur les moyens financiers alloués ou encore sur la mention au baccalauréat ou les vœux d’APB 2015 apporte des limites non négligeables à l’étude.

45Cependant, si les populations étudiantes tendent à s’harmoniser entre antennes et universités mères, l’objectif de démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur et d’aménagement du territoire porté initialement par les antennes universitaires perdure. La proportion de bacheliers d’origine populaire y est supérieure tout comme la proportion de bacheliers technologiques ou professionnels, sans mention. Pourtant, alors que le développement de sites universitaires dans des villes moyennes était porté au début des années 2000, la tutelle ministérielle semble les délaisser. En effet, depuis une quinzaine d’années dans un contexte de fusions d’universités, de développement de pôles d’excellence et de concurrences nationales et internationales, les moyens alloués aux universités ne couvrent pas les coûts additionnels générés par ces structures. Ils sont le plus souvent compensés par un soutien des collectivités territoriales qui reconnaissent dans ces implantations un facteur de développement local à la fois économique, social et culturel (CDC, 2023).

46La hausse de la pression immobilière dans les métropoles et ses effets sur la précarité étudiante, les nouvelles pédagogies portées par le développement du numérique ou encore l’importance des questions environnementales sont autant d’atouts pour renforcer les sites délocalisés dans les villes moyennes. Dans ce contexte, de nombreuses antennes se sont saisies de la mise en place de la labellisation « campus connecté » depuis 2019. Ce nouveau dispositif doit permettre, à un nouveau public, l’accès à l’enseignement supérieur en offrant des formations (pas nécessairement universitaire) à distance, des lieux d’accueil et un tutorat. Sera-t-il un moyen pour redynamiser les antennes universitaires ? Les travaux à venir devraient nous permettre d’élaborer des éléments de réponse en ce sens.