Introduction

1Dans un article du 12 septembre 2022 du quotidien Le Monde, le doyen de la faculté de droit de l’UPEC (Créteil, située au sud-est de Paris) explique que le taux de réussite très bas en première année découle, depuis Parcoursup 2019, du renforcement du recrutement des candidat·es ayant eu une mention très bien au baccalauréat dans les universités parisiennes, au détriment de celles cristoliennes et versaillaises (Le Nevé, 2022). Qu’en est-il ? À partir des données Admission Post-Bac (APB) 2016 et Parcoursup 2019, cet article a pour objectif de décrire le changement de système d’affectation dans le supérieur français, effectif depuis la rentrée 2018, en documentant les évolutions socio-scolaires et géographiques des publics admis dans les formations de droit. Il s’agit ainsi de saisir l’articulation entre les caractéristiques sociales et scolaires des admis·es et une reconfiguration (plus ou moins forte) des aires de recrutement des formations.

2La dimension spatiale des inégalités scolaires, peu centrale dans les recherches menées avant les années 1980 en France, a d’abord été au cœur de travaux sur l’évitement (le plus souvent au collège) et les ségrégations scolaires (Frouillou, 2022), objectivant des écarts entre des établissements inscrits dans des configurations locales plus ou moins concurrentielles (Oberti, 2007). Considérer l’espace comme une dimension du social, au même titre que le temps, permet en effet de travailler sur les hiérarchies, périmètres institutionnels, bassins de recrutement, sans pour autant autonomiser l’espace (ou les territoires) (Ripoll, 2013). Cette approche dimensionnelle (Veschambre, 2006 ; Ripoll et Tissot, 2010) peut s’articuler avec un cadre théorique bourdieusien, notamment car elle permet de saisir la dimension spatiale des capitaux (par exemple l’emprise foncière pour le capital économique, le périmètre de validité des titres scolaires pour le capital culturel, ou les positions résidentielles ou professionnelles pour le capital social) comme celle de leurs processus d’accumulation. Ainsi, la dimension spatiale des inégalités scolaires peut être travaillée en croisant les politiques publiques (localisation et accessibilité d’offre de formation différenciée, bourses et logements, priorités géographiques dans les processus d’affectation, affectation des élèves comme des personnels administratifs et enseignants, etc.) avec le sens du placement scolaire opérant dans les trajectoires des élèves et étudiant·es (canalisation des aspirations scolaires vers certaines offres de formations, représentations de l’accessible et du possible, évitements scolaires, etc.) (Frouillou, 2022).

3Ici, nous souhaitons montrer ce qu’apporte une approche par la dimension spatiale à la compréhension du processus d’affectation par Parcoursup. La première partie du propos est centrée sur le passage d’APB à Parcoursup, et ses effets du point de vue de la stratification socio-scolaire des publics. Elle permet de problématiser et de clarifier des hypothèses quant à la dimension spatiale des effets de Parcoursup, ainsi que de présenter le périmètre d’étude associé à ces hypothèses. À partir de données issues des portails d’affectation, la deuxième partie montre l’articulation entre les évolutions socio-scolaires et géographiques des publics admis en L1 « non sélective » de droit en Île-de-France et en Occitanie, entre 2016 et 2019. La troisième partie a pour objectif de saisir plus précisément ces évolutions, en interrogeant les caractéristiques socio-scolaires des candidat·es recruté·es hors académie. Enfin, la comparaison de plusieurs cas d’étude (Paris 2, Paris 5, Nanterre et Cergy) montre cartographiquement les effets spatialement et socialement différenciés du passage à Parcoursup sur les formations de droit.

1. Les apports d’une approche par la dimension spatiale pour comprendre les effets de Parcoursup

4À la rentrée 2018, dans le cadre de la loi ORE (Orientation et Réussite des Étudiants), le système d’affectation à l’entrée de l’enseignement supérieur français APB est remplacé par Parcoursup. Plusieurs travaux ont pointé les différences comme les continuités entre les deux dispositifs (Clément et al., 2019 ; Frouillou et al., 2022). Pour synthétiser, retenons trois éléments saillants. Premièrement, la hiérarchisation des vœux des candidat·es, permettant un calcul d'appariement optimal par APB, a été remplacée dans Parcoursup par une gestion centralisée de listes d’attente avec une affectation au fil de l’eau sur plusieurs mois. Deuxièmement, Parcoursup généralise la sélection sur dossiers scolaires, auparavant limitée aux « filières sélectives » (CPGE, STS, doubles licences, écoles, etc.), à l’ensemble des formations, y compris les licences universitaires dites « non sélectives ». Ces dernières ne peuvent refuser de dossiers, mais lorsque la capacité d’accueil est largement dépassée par les demandes, les listes d’attente s’allongent fortement, ce qui rapproche pratiquement les formations « sélectives » et « non sélectives » attractives (Valarcher, 2022). Troisièmement, dans les classements des formations remontés sur la plateforme centralisée, Parcoursup intercale des boursier·es ou des candidat·es prioritaires sur le plan géographique pour les licences « non sélectives ». L’objectif est de favoriser la mixité sociale et d’éviter qu’un trop grand nombre de bachelier·es de l’académie soient sans proposition d’affectation. Ce fonctionnement par quotas (fixés par les formations et les rectorats) dans les propositions ne contraint cependant pas les admissions (les candidat·es boursier·es ou académiques pouvant se désister des propositions). Ces trois éléments considérés ensemble permettent de conclure à un renforcement de la « tonalité marchande » du processus d’affectation avec Parcoursup (Frouillou et al., 2020).

5Depuis 2018, les recherches sur Parcoursup et l’entrée dans le supérieur se sont centrées sur les inégalités à travers plusieurs axes. Elles documentent par exemple, d’une part, les effets de la sélection généralisée sur les candidatures, les processus d’auto-élimination étant particulièrement sensibles pour les candidat·es les plus dominé·es scolairement et les femmes (Bodin et Orange, 2019 ; Bugeja-Bloch et al., 2021), et, d’autre part, la socialisation à la présentation de soi opérée par le processus d’affectation (Valarcher, 2022). Des recherches portent également, en aval, sur les critères de sélection des commissions pédagogiques qui classent les dossiers de candidatures (Frouillou et al., 2020). Plusieurs travaux s’intéressent à la stratification socio-scolaire des formations (ou des universités) du supérieur français (Chareyron et al., 2022 ; Frouillou, 2017), tandis que d’autres plus récents tentent de saisir les évolutions induites par le changement de plateforme (Bechichi et al., 2021). Ces reconfigurations récentes sont cependant difficiles à imputer unilatéralement à Parcoursup car elles découlent en partie du contexte démographique, l’augmentation conjointe des naissances au début des années 2000 et des poursuites d’études se traduisant par un nombre croissant d’entrant·es dans le supérieur, et une saturation accrue de certaines formations (Rossignol-Brunet et al., 2022).

6Si Bechichi et al. (2021) ont montré que la stratification socio-scolaire des formations était globalement stable entre APB et Parcoursup, le constat diffère lorsque l’on change l’échelle d’analyse ou son périmètre1. Ainsi, les configurations concurrentielles, à la fois en termes de périmètre géographique et de filière d’études, peuvent donner lieu à des évolutions très fortes dans les caractéristiques des publics, en seulement quelques années (Rossignol-Brunet et al., 2022). Ces décalages entre les résultats au niveau national avec l’ensemble des filières de formation et ceux observés à des échelles plus locales pour certaines filières invitent à interroger plus finement les effets de Parcoursup, dans leur dimension spatiale. À partir de la revue de littérature, on peut faire l’hypothèse de trois processus en jeu dans la dimension spatiale du fonctionnement de Parcoursup.

1. Elle passe d’abord par des concurrences qui se structurent dans des configurations locales, car elles découlent de la densité des formations, de leur accessibilité en transports, et du vivier de recrutement dans lequel elles sont positionnées (donc de la socio-géographie résidentielle des agglomérations où se trouvent les formations). Cet élément fait jouer notamment le sens du placement des candidat·es aux formations (ce qu’ils et elles considèrent comme accessibles, et qui varie en fonction de leur genre, origine sociale, niveau scolaire, localisation résidentielle, etc.).

2. La dimension spatiale passe également par le fonctionnement même du système d’affectation à travers la question des priorités académiques ou régionales. En effet, la priorité académique d’APB a été maintenue dans Parcoursup 2018, mais a été remplacée pour l’Île-de-France par une priorité régionale en 2019 : les candidat·es des académies de Créteil et de Versailles ont désormais le même niveau de priorité que celles et ceux de Paris dans l’accès aux formations parisiennes « non sélectives ».

3. La prise en compte de la provenance géographique dans le processus de sélection a été au cœur de débats médiatiques sur la discrimination territoriale à travers la prise en compte du lycée des candidat·es dans les classements des commissions pédagogiques. Cette pratique, documentée depuis longtemps dans les recrutements en filières sélectives, notamment en CPGE ou STS (Orange, 2013 ; Lanéelle et al., 2020), pourrait désormais concerner les commissions de licences « non sélectives ». Elle renvoie à la concurrence entre établissements du secondaire, dont la différenciation pourrait s’est accentuée avec la réforme du baccalauréat en 2019. Ce dernier élément est encore très peu documenté.2.

7Les licences non sélectives en tension constituent ainsi un terrain particulièrement propice pour montrer le rôle de la dimension spatiale de Parcoursup dans la stratification socio-scolaire des admis·es des formations du supérieur. Nous proposons d’étudier le cas des formations de droit en Occitanie ouest et en Île-de-France, deux régions parmi les plus attractives au sortir du secondaire (Chareyron et al., 2022) mais correspondant à des densités de formations et configurations concurrentielles différentes (13 sites franciliens proposent une L1 en droit non sélective, contre 3 dans l’académie de Toulouse).

2. Les évolutions des caractéristiques géographiques et socio-scolaires des admis·es dans les formations de droit entre 2016-2019

2.1. Les données des portails d’affectation APB et Parcoursup

8Une convention avec la sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques (SIES) du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) nous a permis de travailler sur les données issues des plateformes APB 2016 et Parcoursup 2019. Elles décrivent de manière exhaustive les propositions d’admission de ces deux procédures d’affectation. Dans ce travail, nous étudions celles en L1 en 2016 et en 2019 (avec une stabilité du paysage universitaire, l’université Paris 7 étant intégrée dans l’Université de Paris en 2020). La population d’études correspond ainsi à l’ensemble des candidat·es ayant accepté et validé une proposition d’admission faite en licence de droit dans une des universités des régions Île-de-France et Occitanie ouest. Outre des informations sur la procédure d’affectation (date de la proposition d’admission, en phase normale ou complémentaire, cette dernière étant celle où les candidat·es peuvent postuler dans les formations avec des places vacantes), les données permettent d’objectiver les caractéristiques scolaires des candidat·es admis·es à travers la mention à l’examen du baccalauréat et le type de baccalauréat obtenu l’académie d’appartenance. Elles permettent également de distinguer les néo-bachelier·es des admis·es suite à une réorientation. Les informations sur le sexe, la nationalité ou l’origine sociale (catégorie socio-professionnelle des deux parents) sont également mobilisées. Enfin, si cet article est centré sur les évolutions concernant les licences « non sélectives » (LNS), car ce sont elles qui sont affectées en premier lieu par le changement de priorité géographique d’affectation en 2019 en Île-de-France, nos analyses prennent ponctuellement en compte les licences « sélectives » (LS), dont le recrutement est spécifique à bien des égards (Rossignol-Brunet et al., 2022).

2.2. Une augmentation des baccalauréats généraux parmi les admis·es en L1 droit entre 2016 et 2019

9Alors que le nombre d’admis·es en L1 droit (LNS et LS) en Île-de-France a augmenté entre 2016 et 2019 (de 8 542 à 9 553), on observe une légère diminution dans l’académie de Toulouse (de 2 353 à 2 201). Notons que l’augmentation est particulièrement sensible pour les LS de droit, passant de 1 667 à 2 280 admis·es sur la période en lien avec la création de formations sélectives comme à Paris 2 ou Paris 5.

10Entre 2016 et 2019, la part des femmes parmi les admis·es en LNS a progressé de 6 points, et ce parmi les néo-bachelier·es (de 67 % à 73 %) comme les admis·es en réorientation (61 % à 66 %), en région parisienne (+6 points) plus que toulousaine (+4 points). Cette hausse est particulièrement sensible (plus de 10 points) à Paris 1, Paris 2 et à Paris 13. La part des admis·es dont au moins un des parents est d’origine sociale très favorisée (A selon la classification du ministère de l’Éducation nationale3) est quant à elle restée relativement stable (autour de 45 %). Symétriquement, la part d’admis·es dont les deux parents sont considéré·es comme défavorisé·es selon cette nomenclature reste stable (9%). À l’échelle des formations, les universités les plus défavorisées socialement en 2016 ont un recrutement un peu moins populaire en 2019, avec une stabilité du recrutement social pour les formations les plus favorisées, notamment Paris 1 et Paris 2. Parmi les formations au recrutement intermédiaire, Nanterre et l’UVSQ voient leur public d’admis·es devenir plus populaire entre 2016 et 2019 (cf. figure 1).

11L’évolution la plus frappante relative à la population des admis·es en droit entre 2016 et 2019 concerne l’augmentation considérable de la part des bachelier·es généraux·ales, de 78 % en 2016 à 85 % en 2019. Elle apparaît plus prononcée encore sur le territoire francilien (+7 points) que toulousain (+4 points). Cette croissance est particulièrement spectaculaire dans les formations où la part de bachelier·es généraux·ales était la plus basse en 2016, comme à Paris 13 (figure 2) : du fait de l'introduction de la sélection à l’entrée de l’université avec Parcoursup, les populations « à risque » que constituent les bachelier·es non généraux·ales sont progressivement écarté·es de certaines formations (Bodin et Orange, 2019). Parallèlement, on observe une hausse de la part des bachelier·es généraux·ales titulaires d’une mention bien ou très bien, de 20 % à 26 % entre 2016 et 2019. On recrute ainsi davantage de bachelier·res généraux·ales d’un bon niveau scolaire en droit, notamment pour les néo-bachelier·es et sur le territoire francilien. La part de ces mentionné·es dans les admis·es augmente très fortement à Paris 1, et Paris 2, mais aussi à Paris 5, alors qu’elle diminue à Cergy, Paris 13,Paris 8 ou encore à Créteil où le doyen de la faculté de droit déplorait en 2022 une baisse de niveau des admis·es. Notons enfin que la part des réorienté·es parmi les admis·es en LNS augmente de 5 points sur la période, passant de 12 % à 17 %, cette croissance étant particulièrement forte en région francilienne (+8 points) alors qu’elle baisse en région toulousaine (-6 points). Plusieurs indices convergent ainsi vers une sélection scolaire plus sensible des admis·es en droit dans certaines formations franciliennes (et pas seulement parisiennes). Comment cela se traduit-il dans la provenance des admis·es ?

Figure 1 • Évolution entre 2016 et 2019 de l’origine sociale des admises en L1 de droit non sélective par établissement

Figure 2 • Évolution entre 2016 et 2019 des caractéristiques scolaires des admis·es en L1 de droit non sélective par établissement

2.3. Le recrutement extra-académique et extra-régional des formations de droit

12On observe pour cela les admis·es non issu·es de l’académie de la formation. Pour l’Île-de-France, étant donné la modification des règles de priorité en 2019, deux variables sont construites : le pourcentage d’admis·es hors académie, et celui hors région francilienne4. La partie suivante s’intéresse plus en détail aux mobilités internes à l’Île de France.

13Les admis·es venant d’une autre académie augmentent fortement entre 2016 et 2019, passant de 24 % des admis·es à 42 % (taux qui reste inférieur à celui des LS, de 57 % en 2016 à 60 % en 2019). Cette augmentation touche les réorienté·es (+12 points) comme les néo-bachelier·es (+16 points), mais est surtout importante en région francilienne (+20 points), et nettement plus modérée sur l’académie toulousaine (+3 points). Cela s’explique par un maillage universitaire des formations en droit nettement plus lâche dans cette académie et celles limitrophes. En lien avec un réseau de transport également moins développé, les mobilités inter-académiques nécessitent presque systématiquement une décohabitation et donc une transformation plus conséquente des conditions de vie pour les concerné·es. De fait, les modalités post-bac franciliennes et non franciliennes sont différemment contraignantes, et le passage d’APB à Parcoursup n’a alors que peu transformé le profil socio-scolaire des admis·es en droit non originaires de l’académie des universités toulousaines.

14En outre, le recrutement extra-francilien des formations de la région capitale a augmenté de 6 points entre 2016 et 2019, soit 3 points de plus que pour l’académie de Toulouse. Ces admis·es représentent désormais 18 % des admis·es en droit en Île-de-France. Cette attractivité à l’échelle nationale et/ou internationale des licences de droit franciliennes concerne surtout les réorienté·es (+6 points) dont on peut faire l’hypothèse qu’ielles sont à la fois plus motivé·es pour construire une mobilité résidentielle et plus susceptibles (car plus âgé·es) de décohabiter du domicile parental.

15L’attractivité croissante des formations non sélectives concerne surtout les admissions parisiennes, et dans une moindre mesure celles versaillaises. Plus encore, la possibilité de classer les candidatures permet à l’académie parisienne d’attirer d’excellent·es bachelier·es sur le plan académique, et de renforcer la ségrégation scolaire déjà existante entre académies (voir tableau 1). De fait, cette part d’admis·es extra-régionaux·ales est également différenciée selon les formations : elle augmente de 8 points à Paris 1, de 13 points à Paris 5 et de 15 points à Paris 2, alors qu’elle est stable ou en baisse pour Cergy, Créteil ou Paris 8.

16Pour la plupart des formations franciliennes extra-parisiennes, la comparaison des recrutements extra-académiques et extra-régionaux entre 2016 et 2019 montre que les évolutions socio-scolaires découlent de rééquilibrages intra-régionaux. C’est nettement moins le cas en Occitanie ouest, où la mobilité académique en 2019 n’a que peu augmenté comparativement à 2016. C’est pourquoi on s’intéresse désormais aux mobilités internes à l’Île-de-France, pour se demander quelles sont les caractéristiques socio-scolaires des admis·es francilien·nes recruté·es dans une autre académie de la région.

3. Des mobilités étudiantes qui accentuent les disparités de recrutement entre académies franciliennes

3.1. En Île-de-France, les universités parisiennes en droit drainent les meilleur·es bachelier·es sur le plan scolaire

17Déjà en 2016, l’analyse des admissions révèle une inégale propension à la mobilité en fonction du profil scolaire : tandis que 14 % des cristolien·nes admis·es dans une université de leur académie étaient titulaires d’un baccalauréat « général obtenu avec mention bien ou très bien » (GMBTB), ainsi que 18 % des versaillais·es admis·es dans un établissement de leur académie, respectivement 21 % et 24 % des cristolien·nes et versaillais·es admis·es dans une université parisienne présentaient un profil scolaire similaire (figure 3). Les mobilités de Créteil vers Versailles, et vice versa, concernent quant à elles des bachelier·es disposant en moyenne d’un moins bon dossier scolaire. Tout juste peut-on constater que les parisien·nes mobiles vers une université versaillaise en 2016 sont plus doté·es scolairement que celles et ceux restant étudier dans l’académie, qui présentent déjà un dossier scolaire supérieur à la moyenne des admis·es en licence de droit.

18Avec la levée de la sectorisation, et la possibilité offerte aux universités franciliennes de recruter parmi l’ensemble des bachelier·es de la région, le profil scolaire des étudiant·es mobiles, nettement plus nombreux·ses en 2019, évolue considérablement. Dans l’académie de Créteil, 54 % des mobiles vers une université parisienne sont titulaires d’un baccalauréat GMBTB, tandis que les mobiles vers une université versaillaise ou celles et ceux restant étudier dans l’académie sont pour leur part d’un profil scolaire moyen un peu moins bon qu’en 2016. En d’autres termes, les bon·nes bachelier·es francilien·nes évitent plus fréquemment les universités de leur académie d’origine pour rejoindre les formations parisiennes. On retrouve ce cas de figure à Versailles, puisque 61 % de celles et ceux partant étudier à Paris disposent d’un baccalauréat GMBTB, contre 13 % des restant es dans l’académie (5 points de moins qu’en 2016) et 9 % des mobiles vers Créteil.

19Le cas de figure inverse s'observe dans l’académie parisienne. Les parisien·nes mobiles sont des bachelier·es avec un moins bon dossier scolaire qu’auparavant, en plus d’être numériquement plus important en 2019 (661) qu’en 2016 (298) : seulement 12 % (−29 points) des admis se dans une université versaillaise et 5% (−6 points) dans une université cristolienne sont titulaires d’un baccalauréat GMBTB. Inversement, leur proportion parmi celles et ceux restant étudier à Paris grimpe à 60 % (+26 points). En résumé, la possibilité offerte de classer les étudiant·es chasse les parisien·nes d’un plus faible niveau scolaire vers les académies limitrophes pour permettre à celles et ceux des autres académies d’un meilleur niveau de venir y étudier. La ségrégation scolaire entre académies, déjà importante avant Parcoursup du fait des différences de population entre ces trois territoires (Frouillou, 2017), se renforce alors considérablement.

Figure 3 • Part des admis·es titulaires d’un baccalauréat général avec une mention bien ou très bien, en fonction de l’académie d’origine et de celle d’admission

3.2. Une sélection scolaire mais aussi sociale : la surreprésentation des admis·es favorisé·es parmi les mobiles vers l’académie de Paris

20Les mobilités observées ne sont pas uniquement scolaires, mais aussi sociales (Chareyron et al., 2022), qu’il s’agisse du genre ou du milieu d’origine. En moyenne d’un meilleur niveau scolaire, les filles sont plus nombreuses parmi les étudiant·es mobiles vers Paris, aussi bien dans l’académie de Créteil (77 % en 2016, 81 % en 2019) que de Versailles (respectivement 74 % et 79 %). La part de parisiennes entamant leurs études en droit à Paris augmente également : de 65 % des admis·es en 2016, elles en représentent 77 % en 2019.

21En outre, la corrélation entre origine sociale et niveau scolaire, documentée de longue date (Convert, 2003 ; Duru-Bellat et Kieffer 2008), se traduit par des mobilités socialement situées. Alors que les cristolien·nes et versaillais·es changeant d’académie sont déjà celles et ceux d’origine sociale favorisée en 2016, c’est d’autant plus le cas en 2019, et plus encore lorsque cette mobilité se fait vers une université parisienne. Sous APB, parmi les cristolien·nes restant étudier dans l’académie, 31 % ont au moins un parent catégorisé comme très favorisé, contre 15 % des mobiles vers une université versaillaise et 33 % vers un établissement parisien, pourcentages qui montent à 24 % et 40 % en 2019 (figure 4). De même, 48 % des versaillais·es restant étudier le droit dans leur académie en 2016 ont au moins un parent très favorisé, contre 28 % de celles et ceux allant à Créteil et 50 % à Paris. Trois ans plus tard, la part des versaillais·es favorisé·es admis·es en droit à Paris a fortement augmenté (63 %). En d’autres termes, les plus favorisé·es socialement profitent de la possibilité qui leur est offerte pour rejoindre les universités considérées comme plus prestigieuses, faisant preuve d’un « sens du placement étudiant » (Frouillou, 2017).

Figure 4 • Part des admis·es ayant au moins un parent catégorisé comme très favorisé, en fonction de l’académie d’origine et de celle d’admission

22De manière plus surprenante, on observe une augmentation de la part des plus favorisé·es originaires de Paris partant étudier le droit à Créteil entre 2016 (27 %) et 2019 (42 %), les mobiles vers Versailles et celles et ceux restant étudier à Paris étant toutefois nettement plus favorisé·es socialement. Ce résultat peut s’expliquer par la volonté d’entamer quoi qu'il en soit des études en droit pour les bachelier·es socialement favorisé·es malgré une position éloignée dans les listes d’attente des formations parisiennes, en lien avec la modification des règles d’admission et leur moindre niveau scolaire : iels restent alors plus enclin·es à postuler ailleurs, notamment dans l’académie de Créteil (l’université Paris 8 est par exemple accessible en métro depuis Paris). Signe du durcissement scolaire des conditions d’admission dans un établissement parisien, les parisien·nes partant étudier dans une université de l’académie de Créteil étaient davantage admis·es en procédure complémentaire en 2016 (61 %) qu’en 2019 (12 % seulement). On peut alors faire l’hypothèse que les francilien·nes souhaitant étudier le droit ont intégré les « règles du jeu » de la sélection introduites par Parcoursup, et candidatent dès la procédure normale dans un plus grand nombre d’établissements de la région, y compris en dehors de leur académie où iels ne postulaient que dans un second temps en 2016. À ce titre, il est intéressant de souligner que l’absence totale d’admis·es en procédure complémentaire dans une université parisienne en 2016, en lien avec le caractère en tension de la filière, ne s’observe pas en 2019 et ce alors que la sélectivité scolaire de ces universités se renforce considérablement. Ce résultat s’explique par une transformation des modalités de recrutement dans certaines universités de l’académie (Paris 5 notamment), qui ouvrent désormais des places lors de cette seconde phase de candidatures. Les données montrent cependant que le recrutement en procédure complémentaire dans Parcoursup est très différencié sur le plan scolaire selon les formations, puisque 21 % des 57 admis·es à Paris 5 lors de cette procédure complémentaire sont des bachelier·es GMBTB, contre aucun parmi les 76 admis·es en procédure complémentaire à Paris 8. Ainsi, loin de diversifier le recrutement, la procédure complémentaire des établissements parisiens est un moyen de recruter les bon·nes étudiant·es scolairement piégé·es au cours de la procédure normale, et contribue alors au renforcement des disparités de recrutement entre établissements.

4. La déconcentration géographique du recrutement francilien et ses effets socio-scolaires sur les formations, à travers quatre cas d’études

23Nous proposons enfin de centrer l’analyse sur quatre cas d’études, à l’échelle des formations, pour saisir la dimension spatiale du passage d’APB à Parcoursup, en considérant les évolutions socio-scolaires entre 2016 et 2019 et la manière dont ce recrutement s’inscrit dans l’espace. Pour cela, nous avons réalisé un travail cartographique à l’échelle régionale, à partir de la variable indiquant le code postal de l’établissement de provenance des admis·es. Pour que les cartographies de bassins de recrutement soient aisément comparables (sur le plan de la construction des classes en légende, comme sur le plan visuel), nous avons choisi une discrétisation commune aux différentes formations, et invitons à toujours observer les éléments de contexte indiqués sur les cartes (nombre total d’admis à l’échelle régionale notamment, car les formations n’ont pas le même poids). Ce travail, mené pour toutes les formations de droit d’Occitanie ouest et d’Île-de-France, a été doublé d’une approche par gradients consistant à calculer une matrice de distance entre chaque formation de droit et les communes de sa région, pour ensuite mesurer la part des admis à l’échelle régionale dont l’établissement d’origine se situe à moins de 2 km, plus de 10 km, etc.

Figure • 5 Gradients de recrutement régional de plusieurs licences en droit non sélectives franciliennes en 2016 et 2019

24La figure 5 permet de lire de manière synthétique la reconfiguration spatiale des recrutements en L1 de droit entre 2016 et 2019. Notons que ne figurent pas sur ce graphique les formations dont les gradients sont stables entre 2016 et 2019, à savoir Créteil, Paris 2 Melun et Paris 13 (académie de Créteil) ; Évry, Cergy, Orsay, et l’UVSQ (Versailles).

25Paris 1 et Paris 2 connaissent des évolutions parallèles : leur recrutement régional, très local en 2016 en conséquence de la priorité académique d’APB, s’élargit et devient plus francilien en 2019 avec Parcoursup (de 73 % à 32 % d’admis·es francilien·nes de moins de 5 km à Paris 1, de 55 % à 20 % à Paris 2).

26Pour certaines formations des académies de Créteil et de Versailles, on constate également une déconcentration du recrutement régional. Nanterre voit la part des admis·es venant de moins de 10 km passer de 69 % à 47 % entre 2016 et 2019, avec une forte réduction du recrutement sur la commune d’implantation de la formation (de 4 % à 1 % d’admis·es de moins de 2 km). Paris 8 connaît les mêmes évolutions et passe de 8 % des admis·es francilien·nes venant de moins de 2 km à 0 % (et la part des moins de 5 km passe de 25 % à 11 %). La déconcentration du recrutement régional concerne également Saclay Sceaux, qui passe de 17 % à 1 % d’admis·es de moins de 2 km. Au contraire, Paris 5 est dans une situation originale car son recrutement est beaucoup moins parisien que Paris 1 ou Paris 2 en 2016 (16% d'admis-es de moins de 5 km) et une part croissante de recrutement de proximité en 2019 (26% d’admis·es francilien·nes de moins de 5 km). On peut faire l’hypothèse qu’elle recrute notamment des parisien·nes ne pouvant entrer à Paris 1 ou Paris 2 du fait de la reconfiguration des priorités d’accès en 2019.

27Parmi les formations de droit parisiennes, dont nous avons vu qu’elles recrutaient plus largement en 2019 qu’en 2016 sur le plan géographique, mais avec une accentuation de la sélection scolaire, nous proposons de détailler cartographiquement le recrutement de Paris 2 Assas (dont les évolutions sont assez proches de Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et de Paris 5 Descartes5.

Figure 6 • Recrutements franciliens de Paris 2 et Paris 5 en 2016 et 2019 pour l’admission en L1 de droit non sélective

28La figure 6 montre la réduction très importante du recrutement parisien de Paris 2 entre 2016 et 2019 (de 907 à 300 admis·es), qui va de pair avec un recrutement extra-francilien plus important mais aussi, et surtout, une déconcentration de l’aire de recrutement vers la première et deuxième couronne francilienne, avec une place importante de l’Ouest (en particulier avec Saint-Germain-en-Laye). Au contraire, le nombre d’admis·es parisien·nes augmente pour Paris 5, même si son bassin de recrutement polarise assez fortement la Seine-Saint-Denis. La cartographie des bassins de recrutement de Nanterre et Cergy en 2016 et 2019 (figure 7) montre des résultats comparables à Paris 2, à savoir une déconcentration vers d’autres académies et notamment un recrutement nouveau dans quelques arrondissements parisiens (connectés au RER A comme le 20^e)6. Pour Nanterre, l’extension de l’aire de recrutement à la Seine-Saint-Denis est notable, ce qui peut expliquer le recrutement plus populaire précédemment observé (figure 1).

Figure 7 • Recrutements franciliens de Cergy et Nanterre en 2016 et 2019 pour l’admission en L1 de droit non sélective

29Comme vu précédemment, cette reconfiguration des bassins de recrutement est corrélée à une modification de la stratification socio-scolaire des formations, selon un principe proche des vases communicants. L’élargissement du recrutement géographique correspond pour Paris 2 à une sélection socio-scolaire accrue des admis·es entre 2016 et 2019, puisque l’on passe de 41 % à 78 % de bachelier·es GMBTB en trois ans (figure 2). Au contraire, ces proportions, déjà plus faibles, diminuent à Nanterre ainsi qu’à Cergy. À titre de comparaison, Créteil voit cette part passer de 12% à 7%, Paris 8 de 3% à 1%. La croissance moyenne de la part de bachelier·es GMBTB dans les LNS de droit recouvre donc des réalités scolaires et géographiques très différentes selon les formations franciliennes entre 2016 et 2019.

Conclusion

30À partir des licences non sélectives de droit, en Île-de-France et en Occitanie ouest, nous avons montré que les reconfigurations des modalités d’accès en L1, via les portails d’affectation APB (2016) puis Parcoursup (2019), font jouer non seulement les caractéristiques scolaires des candidat·es (en lien avec la généralisation de la sélection sur dossier depuis 2018), mais aussi la dimension spatiale de leur parcours scolaire à travers la localisation de leur établissement d’origine (en lien avec les priorités académiques et l’attractivité régionale ou nationale des formations). En Île-de-France, l’élargissement du recrutement géographique entre 2016 et 2019 va de pair avec une sélection scolaire accrue dans les formations de droit parisiennes, qui se construit grâce à l’attraction des bachelier·es avec mention issu·es des autres académies, ce que ne permettait pas APB en 2016. Dans l’académie de Toulouse, où la concurrence entre formations est moindre du fait d’une offre de formation moins nombreuse et d’un éloignement des établissements plus important, le changement de plateforme ne modifie qu’à la marge les bassins de recrutement des universités, mais se traduit comme pour l’Île-de-France par une diminution de la part des bachelier·es non généraux·ales.

31Ce travail ouvre des pistes de recherche autour de deux axes. Le premier concerne la stratification socio-scolaire des formations du supérieur et pourrait être approfondi en élargissant le travail à d’autres filières, disciplines ou régions académiques pour observer comment le changement des modalités d’accès en L1, en lien avec les évolutions de la démographie étudiante et les politiques dessinant les offres de formation (localisation et capacités d’accueil), contribuent à un accroissement des inégalités à géométries (et géographies) variables selon les configurations locales. Le deuxième axe de recherche pourrait se construire à partir d’une approche par candidat·e, en travaillant sur les paniers de candidatures, les propositions d’admission et le calendrier dans lequel elles sont acceptées (ou non). Les trajectoires d’accès au supérieur qu’elles dessinent, analysées conjointement dans leur dimension spatiale et temporelle, permettraient alors de documenter plus finement le sens du placement étudiant à l’entrée en L1.