1Le taux d’activité féminine sur le marché du travail est en augmentation régulière depuis 50 ans¹, notamment parce que les jeunes femmes semblent mieux positionnées que les jeunes hommes face à l’emploi : davantage diplômées, embauchées majoritairement dans le secteur des services qui résiste mieux aux aléas économiques (Couppié & Épiphane, 2018), et travaillant plus souvent à temps partiel (Couprie & Joutard, 2017).

2Ce contexte a priori favorable doit toutefois être nuancé. Malgré un rapprochement des conditions d’accès à l’emploi entre jeunes femmes et jeunes hommes au cours des années, dans les faits, les femmes restent davantage exposées à la précarisation des emplois (Couppié & Épiphane, 2019). Leurs formations les orientent vers des emplois où les salaires s’envolent rarement, elles accèdent moins aux postes à responsabilité, restent plus longtemps dans les contrats à durée déterminée et sont plus fréquemment concernées par les interruptions de carrière (Maruani, 2017). Parmi les jeunes âgés de 16 à 25 ans (Reist, 2020), le tiers des femmes inactives ou au chômage justifient l’éloignement du marché du travail pour des raisons de garde d’enfant ou d’aide auprès d’une personne dépendante, alors que cet argument n’est mis en avant que par 1 % des hommes. Or, un épisode de non-emploi affecte davantage les trajectoires des femmes, notamment les moins diplômées (Danner et al., 2020).

3De ce point de vue, la situation des jeunes femmes qui, dès la sortie des études, restent éloignées du monde du travail et de la formation mérite d’être davantage étudiée. En effet, identifiées au travers d’une catégorie institutionnelle, celle des NEET, qui ne rend pas toujours bien compte de la fracture sociale de la jeunesse², ces femmes peuvent être confrontées à des réalités sociales variées. Certaines ont les ressources pour trouver rapidement un emploi après une période d’inactivité ou de chômage, tandis que d’autres présentent, dès la fin de leur scolarité, des caractéristiques susceptibles de faire obstacle à une intégration rapide sur le marché de l’emploi. L’enquête Génération mise en place par le Céreq sur les sortants du système éducatif en 2010 suivis pendant sept ans permet de s’intéresser précisément à ces dernières afin de connaître leurs conditions de vie et les arbitrages qu’elles doivent assumer.

Estimer la vulnérabilité au regard de l’emploi dès la sortie des études

4L’engagement des pouvoirs publics en faveur de la jeunesse n’ignore plus cependant la réalité d’une sélection socioculturelle et académique qui joue en amont de la sortie des études. La situation des parents et le bagage scolaire du jeune, son ouverture socioéconomique construite durant les études (stage, emploi, séjour à l’étranger) et les contraintes qui freinent son insertion professionnelle (enfant à charge, permis, zone résidentielle, état de santé) expliquent de façon significative le temps cumulé à rester éloigné de l’emploi et de la formation. Une modélisation économétrique³ prend en considération l’effet propre de ces facteurs sur le nombre de mois d’inactivité et de chômage durant les sept ans après la fin des études. Cela permet de dégager une tendance moyenne de la durée d’éloignement selon le profil des sortants, qui peut être considérée comme un indicateur composite de vulnérabilité sur le marché du travail.

5Sur la base de la durée estimée pour chaque sortant, il est alors possible de procéder à un découpage en quartile de la population pour identifier trois classes (CL1, CL2 et CL3). La première classe (CL1) repère les 25 % de sortants dont la régression permet d’anticiper des durées cumulées d’inactivité ou de chômage les plus élevées tandis que le dernier quart regroupe des jeunes dont la durée cumulée hors du marché du travail est la moins élevée (CL3). Le reste de la population, soit la moitié de l’échantillon, constitue la deuxième classe (CL2). Dans la première classe, qui rassemble des jeunes maintenus de manière prolongée en marge de l’emploi au regard de leur profil, les femmes sont légèrement surreprésentées (Annexe). Cet écart statistiquement significatif rappelle l’intérêt d’approfondir la connaissance sur les conséquences de ce risque sur leurs conditions de vie après les études.

6Près des trois quarts des femmes dont le profil au regard de l’emploi est le plus fragile (CL1) se retrouvent confrontées à l’inactivité ou au chômage dès la fin des études. Cette situation concerne 40 % des sortantes considérées comme moyennement et peu vulnérables (CL2 et CL3). Alors que le délai d’accès à une première embauche est de trois mois en moyenne pour les femmes peu vulnérables (CL3), il est prolongé d’un an environ pour ces femmes identifiées comme les plus vulnérables (CL1) (Tableau 1). Interrogées trois ans après la fin des études, 43 % d’entre elles sont encore au chômage ou en inactivité. Quant à celles qui occupent un emploi, le recrutement s’effectue le plus souvent pour une durée limitée, notamment sur des contrats aidés (21 %), en intérim ou à durée déterminée (33 %). En définitive, avec seulement 40 % en emploi stable à trois ans (CDI, fonctionnariat), la grande majorité doit composer avec une certaine incertitude du lendemain. À titre de comparaison, les femmes considérées les moins vulnérables au regard de leur profil à la sortie des études (CL3), peu nombreuses à être en marge de l’emploi (10 %), sont en majorité sur des emplois stables (61 %).

7L’enquête à sept ans montre une amélioration générale des taux d’emploi et des conditions de travail. Ainsi, 91 % des femmes les moins vulnérables (CL3) sont en emploi, dont plus des trois quarts avec un contrat stable ; leur temps d’accès moyen au premier emploi à durée indéterminée (EDI) est de dix-neuf mois (Tableau 1). En comparaison, seulement 58 % des femmes les plus vulnérables (CL1) exercent une activité professionnelle, dont moins des deux tiers sur un emploi stable, et leur temps d’accès au premier EDI est de trente-quatre mois. Près de 80 % de ces femmes en emploi sont ouvrières ou employées pour 38 % des femmes avec un faible indice de vulnérabilité (CL3) et 60 % des autres femmes (CL2). Occupant des emplois modestes, plus souvent à temps partiel (au dernier emploi, plus du tiers sont dans ce cas pour 20 % des autres femmes), leur salaire demeure plus faible et proche du SMIC⁴.

Sortir des études sans ressources sociales et scolaires, la garantie jeune de rester précaire ?

8Les données de l’enquête permettent aussi de mieux cerner les aides financières dont sont bénéficiaires les femmes vulnérables. Pouvant être perçues comme des sources de revenus, ces aides révèlent cependant des bouleversements familiaux (départ du domicile conjugal, mise en couple, maternité…) ou professionnels qui peuvent expliquer leur rapport à l’emploi, voire un évitement de la vie professionnelle.

9Lors de la première séquence de chômage ou d’inactivité, deux répondantes sur cinq au profil fragile (CL1) sont soutenues financièrement par une aide publique. Ce faible taux de bénéficiaires s’explique par un temps de cotisation trop faible pour prétendre aux indemnités liées à l’activité professionnelle (30 % perçoivent des indemnités chômage ou de stage). Beaucoup ne remplissent pas non plus les conditions pour toucher le revenu de solidarité active (RSA) (15 % des femmes aidées) et doivent compter sur les allocations pour améliorer leurs conditions de vie, comme des aides au logement (28 %), familiales (19 %) ou autres (parent isolé, handicap… 9 %) quand elles peuvent y prétendre. Comparativement, les femmes sans emploi les moins vulnérables (CL3) sont bien plus nombreuses à bénéficier du soutien public (60 %), notamment des indemnités chômage ou de stage qui représentent une part essentielle des contributions (53 % des femmes concernées) ; elles sont moins nombreuses à recevoir le RSA (6 %), mais ont parfois des allocations ou autres subsides (38 %).

10Trois ans après la fin des études, les femmes les plus vulnérables perçoivent des aides d’un montant moyen de 630 euros mensuels. Évoluant dans un milieu social généralement peu favorisé, les apports financiers de la famille complètent peu ce soutien institutionnel. Beaucoup vivent seules ou sans conjoint en mesure de les aider davantage. Quatre ans plus tard, en 2017, 30 % des femmes NEET (ni en emploi, en éducation, en formation) reçoivent moins de 500 € mensuels. Les résultats de l’INJEP (Francou, 2020) confirment la structure des ressources financières des moins favorisées⁵, conduisant nombre d’entre elles à vivre en effet en dessous du seuil de pauvreté.

11Ces femmes éloignées du marché du travail n’apparaissent pas comme un public peu enclin à travailler ou déçu par le monde professionnel. Interrogées à sept ans, les deux tiers attestent que leur situation ne leur convient pas, leur priorité étant de trouver un emploi stable (59 %) ou d’améliorer leur situation professionnelle (25 %), plutôt que de ménager leur vie hors du temps de travail (16 %). En contact avec le service public de l’emploi, les femmes au chômage sont nombreuses d’ailleurs à affirmer pouvoir occuper un emploi à partir du mois prochain si l’opportunité leur est offerte (79 %). Toutefois, parmi celles exprimant le refus d’un emploi, quelques-unes expliquent être en instance d’une prochaine embauche ou d’un stage, exprimant rarement le souhait de ne pas travailler. L’argument majeur évoqué pour refuser l’emploi est le fait d’être empêchée, soit pour raison de santé, soit bien plus souvent pour s’occuper d’un (futur) enfant en bas âge.

12Cet enjeu de la maternité amène à regarder de plus près la situation des mères dès la sortie de l’école (5 % des sortantes en 2010) : peu diplômées et sans expérience professionnelle antérieure, ces femmes n’entrent pas dans la catégorie de ce que les institutions européennes qualifient de « NEET vulnérables » en raison du montant des prestations familiales accordées qui en font le public jeune le plus aidé financièrement (Francou, 2020). Ces aides publiques qui composent l’essentiel de leurs ressources tendent toutefois à diminuer dans le temps… tout comme l’intérêt des employeurs, sceptiques au regard de leur éloignement durable du marché du travail et des responsabilités familiales dont elles sont désormais investies (Chaintreuil & Épiphane, 2013).

13Ainsi, sur le long terme, ces jeunes mères sont particulièrement exposées à la précarité, avec le risque de s’être socialisées dans une dépendance aux allocations ou aux minima sociaux et celui de dépasser la limite d’âge pour bénéficier des aides à l’insertion proposées aux moins de 25 ans. D’ailleurs, si les personnes éloignées de l’emploi et de la formation sont prioritaires pour les dispositifs d’accompagnement à l’insertion, comme le CIVIS ou PACEA⁶, deux femmes sans emploi sur cinq en ont bénéficié au moment de l’interrogation à sept ans, beaucoup ne remplissant déjà alors plus les conditions. De plus, comme pour la plupart des femmes de la classe 1, le faible niveau de qualification affecte non seulement leur employabilité, mais lorsqu’elles trouvent à s’insérer, les contrats restent peu motivants, généralement de courte durée, faiblement rémunérés et parfois contraignants (horaires de nuit, déplacements, épuisants physiquement…) avec un enfant en bas âge. Pour ces jeunes mères, se pose alors la question de répartir leur temps entre la recherche de soutien financier pour subvenir aux besoins d’un enfant (garderie, soin, éducation...), la nécessité de suivre une formation pour compléter un niveau scolaire fragile et la recherche d’un emploi mieux rémunéré que les allocations auxquelles elles peuvent prétendre. Ce dilemme peut concerner l’ensemble des femmes vulnérables qui se trouvent confrontées à l’expérience de la maternité alors même qu’elles n’ont pas encore pu établir une stabilité professionnelle.

Une entrée retardée dans la « vie adulte »

14Dans les représentations collectives pourtant, le retrait des femmes du marché du travail ou leur positionnement professionnel fragile paraît moins préoccupant que celui des hommes, car il est plus facilement associé à la possibilité de se consacrer aux responsabilités familiales… encore faut-il avoir pu fonder un foyer, car les femmes les plus vulnérables sont aussi celles qui ont le plus de difficultés à accéder à l’autonomie résidentielle et à s’intégrer socialement. À la dernière enquête à sept ans, deux femmes sur cinq de ce groupe (CL1) vivent toujours au domicile des parents tandis que cette situation concerne une minorité des autres femmes (14 %). Or, cette solidarité de proximité, si elle permet des économies budgétaires, peut aussi supposer davantage d’implication dans le nid familial (soin aux parents, garde de la fratrie, travaux domestiques…) susceptible de reporter un projet d’insertion professionnelle.

15Autre indication de retard dans l’entrée dans la vie adulte, non sans lien avec le précédent, l’accès à la parentalité. Le fait d’être mère à la fin des études a certes un impact sur leur trajectoire, notamment le maintien en marge de l’emploi. Cependant, 60 % des sortantes parmi les plus vulnérables (CL1) n’ont pas d’enfant lors de la dernière enquête en 2017, pour 52 % des femmes les moins vulnérables et 57 % des autres femmes. Leur insertion professionnelle, rythmée par des alternances entre emplois précaires et expériences de chômage ou d’inactivité, entraîne aussi une « désynchronisation » des étapes de leur transition vers l’âge adulte, dont celle de fonder un foyer et/ou d’avoir un enfant.

16Sept ans après la fin de leurs études, une minorité de ces jeunes femmes vivent sous le même toit en couple (37 %), mais près de la moitié ont néanmoins un conjoint. Cette situation améliore les conditions de vie matérielles, ne serait-ce que par l’apport direct de revenus complémentaires. De fait, la plupart des partenaires travaillent (81 %), avec un salaire moyen de 1 624 euros nets mensuels, ce qui s’explique notamment par le fait que 68 % d’entre eux n’ont pas validé un diplôme supérieur pouvant conduire sur des emplois mieux valorisés. Comparativement, la vie à deux concerne davantage les autres femmes (69 %), lesquelles partagent aussi leur quotidien avec un partenaire le plus souvent diplômé du supérieur (62 %), plus fréquemment en emploi (90 %) et dont les rémunérations en moyenne se situent autour de 2 000 euros.

Conclusion

17En France, au regard d’autres pays comme le Royaume-Uni, les aides sociales paraissent nombreuses et peuvent laisser penser qu’elles apportent un confort de vie qui n’encourage pas à se lancer dans le monde du travail. Pour autant, rares sont les jeunes à n’avoir jamais travaillé depuis la sortie de formation et celles et ceux qui cumulent des difficultés personnelles, scolaires ou familiales favorisant peu leur employabilité, auraient bien du mal à exister socialement sans ce soutien gouvernemental. Comme le rappellent les approches de Castel, quand l’assistance n’est plus effective (fin de droit, suppression des aides, rupture de contact avec les organismes d’accueil…), il existe une probabilité non négligeable de sortir de la zone de vulnérabilité marquée par le « précariat », le chômage de longue durée et la fragilité relationnelle, pour basculer dans celle de la désaffiliation définie par une absence de travail et un isolement social (Martin, 2013).

18Les femmes les plus vulnérables repérées dans cette recherche en fonction de leur profil à la fin des études en 2010, soit le quart des sortantes, sont dans ce glissement, leur intégration sociale reposant sur une aide étatique dont le montant autorise peu de marges de manœuvre. Par ailleurs, le fait que les salaires proposés ne soient pas plus élevés que les aides sociales reçues, tout en apportant des contraintes financières nouvelles, comme la nécessité de passer le permis de conduire ou de faire garder ses enfants, est aussi un motif qui n’encourage pas à aller vers le monde des entreprises.

19Davantage dépendantes de ces aides qu’actrices de leur devenir, l’effacement de ces femmes du marché du travail est d’autant plus silencieux et accepté qu’il trouve aisément dans les représentations collectives une justification dans les priorités que les femmes mettent à cet âge à vouloir fonder une famille. Or, cette recherche rappelle que ce projet est avant tout lié à une stabilité sociale et professionnelle, la précarité réduisant les probabilités d’entrer dans une vie adulte en tant que parent. Ainsi, ces jeunes femmes parmi les plus vulnérables font-elles l’expérience d’une double relation négative (Castel, 1994, p. 20) : « par rapport au travail, lorsque l’alternance du chômage et du sous-emploi ne permet pas de définir une trajectoire professionnelle stable ; par rapport aux repères socio-relationnels, lorsque la famille n’a pas grand-chose à transmettre comme capital social… ».

20L’étude de la population féminine définie comme la plus vulnérable montre, à la suite des analyses de Franssen (2011), qu’il n’est pas toujours opportun de centrer la réflexion des politiques publiques sur la confrontation au non-emploi, qui reste une expérience que beaucoup de femmes vivront dans les économies où l’insertion et la stabilité professionnelles se trouvent déterminées par des logiques de compétitivité et de rentabilité. En revanche, se présenter à la sortie des études avec un capital global fragile, sans aucune connaissance du marché de l’emploi et pris dans des contraintes de mobilité (santé, enfant, absence de permis) génère des risques d’éviction du marché du travail qui méritent toute l’attention des pouvoirs publics. Pour ces jeunes femmes qui, dès la fin de l’école, peinent à trouver les leviers dans leur histoire personnelle, dans leur entourage et auprès des acteurs économiques pour mettre un pied dans la vie active, le risque est grand de connaître un épisode d’inactivité ou de chômage, mais il l’est surtout de ne pouvoir échapper à une forme d’exclusion économique et sociale et à une dépendance aux parents ou au conjoint dès lors que les aides s’effritent. Il paraît alors utile de proposer un accompagnement vers l’emploi dès leur sortie des études, mais aussi de le poursuivre au fil des années, avec des incitations financières et des services de soutien suffisants pour leur permettre de sortir du statut de femme « vulnérable ».