1Le nombre de familles monoparentales ne cesse de croître (Insee, Tableaux de l’économie française, 2019). Depuis les années 1970, des politiques publiques spécifiques ont été introduites pour soutenir cette catégorie de ménage. Par exemple, la création de l’Allocation parent isolé dès 1976 témoigne d’une reconnaissance par les pouvoirs publics de la précarité souvent subie par ces ménages (Curraize & Périvier, 2009). Les mères représentent plus de 80 % des parents isolés. À l’occasion de la séparation, elles subissent une perte importante de niveau de vie. Elles sont particulièrement affectées par le chômage et leurs taux d’activité sont plus faibles que celui des mères en couple (Acs et al., 2016 et Périvier, 2020).

2Dans quelle mesure les situations de monoparentalité vécues par les jeunes femmes au début de leur carrière ont-elles un impact sur leurs trajectoires professionnelles, sur l’obtention d’un premier emploi ou sur l’accès à une situation d’insertion dans l’emploi durable (emploi en CDI à temps complet) ? Pour répondre à ces questions, nous quantifions le coût additionnel d’être mère isolée au-delà du coût des enfants supporté par les femmes en termes de carrière professionnelle¹.

La monoparentalité plus fréquente pour les jeunes femmes peu ou pas diplômées

3Les situations familiales sont contrastées selon le niveau de diplôme : 53 % des jeunes femmes les plus diplômées ont un enfant sept ans après la sortie de formation initiale, pour 46 % de celles possédant au plus le baccalauréat. En revanche ces dernières sont plus affectées par les situations de monoparentalité (Tableau 1) : parmi celles qui ont un enfant, 30 % des moins diplômées vont connaître des périodes de monoparentalité au cours des sept premières années de vie active, alors qu’elles ne sont que 10 % parmi les diplômées d’un bac+2 ou plus. De plus, les deux tiers des femmes peu diplômées exposées à la monoparentalité le sont dès la naissance de l’enfant. Autrement dit, elles ne vivaient pas en couple au moment de cette naissance, situations qui ne représentent que 40 % des cas de monoparentalité des jeunes mères les plus diplômées. Enfin, le temps moyen passé en situation de monoparentalité pour les moins diplômées est de plus de 30 mois, une durée moyenne supérieure de près de 5 mois par rapport aux mères isolées les plus diplômées.

La naissance d’un enfant retarde le début de la carrière des jeunes femmes

4Toutes choses égales par ailleurs, l’arrivée d’un enfant et la présence d’un enfant à charge retardent l’accès des femmes à un premier emploi. La présence d’un enfant de moins d’un an diminue le taux d’accès des jeunes femmes à un premier emploi, quelle que soit sa nature, de plus de 50 points de pourcentage, 66 pour les non-diplômées ou les diplômées du secondaire et 53 pour les diplômées du supérieur (Annexe). L’exercice de simulation (#2 – Méthodologie) montre que la naissance d’un enfant en début de carrière revient à retarder de 4 à 6 mois en moyenne l’accès à un premier emploi pour les femmes (Graphique 1). Le constat est assez similaire s’agissant de l’accès spécifique à un premier emploi à durée indéterminée à temps complet, la situation d’insertion la plus durable sur le marché du travail.

Graphique 1. Délai d’accès à l’emploi (en mois)

5On note néanmoins une différence selon le niveau de diplôme. Pour les femmes les moins diplômées, l’effet d’avoir un enfant à charge sur les durées d’accès aux emplois les plus stables, bien qu’encore présent, est réduit : avec en moyenne trois mois supplémentaires pour accéder à un CDI à temps complet (par rapport à une femme ayant le même profil, mais sans enfant). En revanche, ce délai supplémentaire se renforce pour les mères plus qualifiées, passant de quatre mois en moyenne pour un emploi quelconque à 13 mois pour un CDI à temps complet. Ces effets associés à la charge d’un enfant, distincts selon le diplôme de la mère, s’expliquent par l’évolution du temps consacré à l’enfant à mesure qu’il grandit. La présence d’un enfant de moins de trois ans affecte la recherche d’emploi de façon similaire des femmes les plus et les moins diplômées. Lorsque l’enfant a plus de trois ans, les mères les moins diplômées accèdent plus facilement à un emploi, y compris durable et à temps plein, du fait de l’accès à la scolarisation. Pourtant, ce n’est pas le cas pour les mères les plus diplômées. Cet effet concerne plus particulièrement les mères en couple les plus qualifiées n’ayant pas de CDI après au moins trois ans de vie active : cela peut refléter des préférences en matière de temps consacré aux enfants de cette population de mères, ou bien une exigence plus forte de ces dernières en matière de postes recherchés en CDI à temps complet².

Les mères isolées les moins diplômées ont un accès à l’emploi durable plus difficile

6L’effet de la monoparentalité sur les trajectoires professionnelles est variable selon le type d’emploi observé, et ceci quel que soit le niveau de qualification : « être mère isolée » ne modifie pas le taux d’accès à un premier emploi en début de carrière, une fois pris en compte l’impact négatif de la présence des enfants. On remarque néanmoins un faible effet positif de cette situation chez les moins qualifiées.

7Concernant l’obtention d’un premier CDI à temps complet, l’effet global de la monoparentalité devient, sans ambiguïté, de sens opposé selon le niveau de formation des femmes et met en évidence un renforcement des mécanismes inégalitaires à l’égard des moins qualifiées. En effet, la monoparentalité augmente les chances des diplômées du supérieur d’accéder à un CDI à temps complet de 8 points, alors qu’elle les réduit de 38 points pour les jeunes femmes ayant au mieux un diplôme secondaire. Pour ces dernières, les délais d’accès à un emploi stable sont importants, ce qui les conduit à recourir à des emplois plus instables, mais plus facilement et rapidement atteignables.

Timing de la monoparentalité : des effets différenciés pour les plus diplômées et convergents pour les moins qualifiées

8Les effets de la monoparentalité sur les chances d’accéder à un premier emploi à durée indéterminée des jeunes mères diplômées du supérieur dépendent du moment auquel survient la situation de monoparentalité. En repérant si la jeune femme habite seule au cours du mois de naissance du premier enfant, on distingue une monoparentalité dite « initiale », d’une monoparentalité plus tardive pour laquelle la jeune femme vivait en couple au moment de la naissance, mais habite seule par la suite. Alors que dans le premier cas, le soutien financier ou le soutien facilitant l’organisation des temps de vie est peu probable, dans le second il est certainement plus important.

9Être mère isolée dès la naissance de l’enfant implique en moyenne un « délai additionnel » d’accès à un CDI à temps complet de six mois supplémentaires comparé au temps d’accès moyen des mères en couple (54 mois contre 48 pour les mères en couple). En revanche, lorsque la monoparentalité intervient après la séparation des parents, les mères séparées, supportant seules la charge de l’enfant, accèdent plus rapidement à un CDI à temps complet par rapport aux mères vivant en couple (en moyenne un gain de temps de 3 mois par rapport aux mères toujours en couple, 45 mois contre 48) : même si l’ex-conjoint participe aux dépenses de l’enfant, la séparation implique une baisse du niveau de vie ; ces jeunes femmes recherchent activement un emploi pour compenser cette baisse de niveau de vie et acceptent probablement plus facilement un poste que les mères vivant en couple moins contraintes du fait des ressources de leur conjoint.

10En revanche, ces effets vont dans le même sens pour les moins qualifiées : quel que soit le moment auquel la monoparentalité intervient, ce statut de parent isolé accroît le délai moyen d’accès à un emploi stable par rapport aux mères toujours en couple : une mère isolée ayant le bac et âgée de 18 ans mettra entre 1,5 et 4,5 mois de plus en moyenne qu’une mère vivant en couple ayant les mêmes caractéristiques pour accéder à un CDI, en fonction du timing de la monoparentalité.

Conclusion

11Les situations de monoparentalité ont un effet contrasté sur l’accès à l’emploi des mères selon le niveau de diplôme. Les diplômées de niveau bac et infra vivent des périodes de monoparentalité plus fréquentes, qui durent plus longtemps et qui surviennent le plus souvent dès la naissance des enfants. Les effets propres sur les débuts de carrières sont variables. Pour l’ensemble des mères, ces situations n’aggravent pas significativement le délai d’accès à un premier emploi lié à la naissance d’un premier enfant (retard de quatre à six mois en moyenne). En revanche, être mère isolée retarde l’accès au CDI à temps complet des femmes les moins qualifiées, et donc leur insertion durable sur le marché du travail.

12Ces résultats ont été établis en regroupant les Générations des jeunes entrant sur le marché en 1998, 2004 et 2010. Or, les familles monoparentales constituent la catégorie de ménages ayant le plus bénéficié des mesures sociofiscales prises au cours de la période 2008-2018 (Périvier et al., 2020) : en particulier, la réforme de l’Allocation de soutien familial et l’introduction de la Garantie contre les impayés de pensions alimentaires intervenues entre 2012 et 2016 ont notamment soutenu le niveau de vie des mères isolées. Une analyse comparative des Générations permettrait d’établir dans quelle mesure ces réformes ont pu réduire ces effets négatifs en matière d’accès à l’emploi mis en évidence dans notre étude.