1La France est marquée par des fractures territoriales, résultats de phénomènes tels que le développement des métropoles, la désindustrialisation, les reconversions, ou la littoralisation des activités. Ce sont autant de contextes particuliers et de marchés du travail locaux et régionaux qui créent des conditions hétérogènes d’insertion professionnelle. Ainsi, selon qu’ils résident en métropole, dans les Départements et régions d’outre-mer (DROM), dans de grandes agglomérations, dans des espaces ruraux à économie industrielle ou des espaces ruraux à économie touristique, les jeunes se situent dans des contextes démographiques, économiques et géographiques qui ne sont évidemment pas neutres pour l’accès à l’emploi (Duguet et al. 2008 ; Dupray & Gasquet, 2004 ; Boudesseul et al. 2018)

2Au-delà des principales disparités individuelles constatées en fonction du diplôme, du sexe, ou de la catégorie sociale des parents, des configurations territoriales spécifiques ont accompagné ou freiné les processus d’insertion des jeunes sortis du système scolaire en 2010 (Boudesseul et al., 2018). Mais ces effets perdurent-ils sur les sept premières années de vie active ? Des travaux ont montré que les caractéristiques territoriales ont une influence sur le niveau des rémunérations ou sur les inégalités de salaires (Cipollone & D’Ippoliti, 2019 ; Charruau & Epaulard, 2017). Les évolutions salariales des jeunes débutants sont-elles aussi sensibles à leur lieu de résidence ? À partir de l’observation des sept premières années du parcours d’insertion de la Génération 2010, c’est l’importance du territoire en tant que déterminant des évolutions salariales des jeunes actifs qui est interrogée ici, en distinguant son effet sur les salaires des sédentaires et des mobiles, soit ceux ayant changé de zone d’emploi de résidence entre 2013 et 2017. In fine, l’analyse permet d’identifier des territoires qui cumulent des caractéristiques favorables à leur évolution salariale.

Profils des jeunes et dimensions territoriales

3Parmi les jeunes occupant un emploi dans le secteur privé sept ans après leur sortie du système scolaire, un peu plus d’un sur cinq a changé de zone d’emploi entre 2013 et 2017. Relativement aux travailleurs sédentaires, les individus qui composent la population mobile ont, en moyenne, un niveau de formation plus élevé. En revanche, en 2013 et donc avant leur mobilité, leurs conditions initiales de travail sont moins favorables : bien que plus diplômés, ils sont moins nombreux en CDI et leur salaire moyen est légèrement inférieur à celui des sédentaires (Tableau 1).

Tableau 1. Caractéristiques des sédentaires et des mobiles (2013)

4Une analyse économétrique permet de préciser, toutes choses égales par ailleurs, l’effet « territoire », pour les jeunes mobiles comme pour les sédentaires (Annexe 1). Pour tous les jeunes sédentaires, résider dans une zone d’emploi au revenu médian plus important que la médiane nationale octroie un avantage salarial, effet démultiplié à Paris. Mais d’autres caractéristiques ont des effets différenciés selon le niveau de diplôme. Ainsi, les jeunes sortant de l’enseignement secondaire ont plus de chances de connaître une évolution salariale positive s’ils résident dans des zones d’emploi où la part des jeunes est plus grande, ainsi que dans celles où le BTP représente une part importante de l’activité économique. Pour les jeunes sortant de l’enseignement supérieur, les zones d’emploi les plus favorables sont celles dont l’activité économique est marquée par le tertiaire ou l’industrie. A contrario, comme nous le détaillerons plus loin, la prédominance d’un secteur d’activité ne joue pas sur le salaire des jeunes mobiles.

5L’introduction du territoire comme dimension d’analyse permet ainsi d’interroger les interactions qui se jouent entre espace de résidence et débuts de carrière au-delà des caractéristiques intrinsèques des jeunes. En s’appuyant sur les dimensions significatives de l’analyse économétrique, c’est par une approche géographique que ce chapitre illustre, à l’aide d’exemples, des territoires qui cumulent les dimensions favorables aussi bien dans le cas de jeunes sédentaires que dans celui de jeunes mobiles.

Déménager vers des métropoles-technopoles ou des zones touristiques stimule la progression salariale des jeunes

6Quels que soient les diplômes et la mobilité, les rémunérations des jeunes actifs sont favorisées dans des zones d’emploi qui se démarquent par le dynamisme de leur démographie et de leur marché du travail (Antunez, Baccaïni, Guérois & Ysebaert, 2017). Elles abritent des systèmes productivo-résidentiels¹ créateurs d’emplois (Davezies & Talandier, 2014). Par ailleurs, la nature de la spécialisation des emplois de ces zones induit plus de production de richesses, et donc de revenus, pour les actifs qui y travaillent (Carroué, 2013).

7Des zones métropolitaines comme Cergy sont favorables à toutes les catégories de jeunes (Annexe 2). Celle d’Annecy est plus favorable aux jeunes sédentaires, quel que soit leur niveau de diplôme, et aux jeunes mobiles diplômés de l’enseignement secondaire. La spécialisation de cette zone à la fois dans des emplois productifs et présentiels explique cette situation. Des clusters industriels à fort taux d’emploi productif comme Ancenis, Cholet ou Les Herbiers sont favorables aux jeunes sédentaires diplômés de l’enseignement secondaire et aux jeunes mobiles, quel que soit leur niveau de diplôme. Des métropoles-technopoles (spécialisées dans la recherche et des industries de haute technologie) comme Toulouse sont favorables à tous les jeunes mobiles, quel que soit leur niveau de diplôme.

8Il apparaît que deux caractéristiques ont des effets sur les niveaux de salaire des jeunes mobiles : le taux de chômage et le revenu médian de la zone d’emploi. Ainsi, les moins diplômés ont des salaires plus faibles lorsqu’ils arrivent dans des zones d’emploi où le chômage est plus important que la moyenne nationale. À l’inverse, les salaires des moins diplômés qui résidaient, avant 2013, dans une zone d’emploi au taux de chômage élevé, vont progresser d’autant plus qu’ils arriveront dans une zone avec un fort niveau d’emploi. Les diplômés du supérieur profitent d’un revenu médian de la zone d’emploi d’arrivée plus élevé que celui de l’ensemble du territoire. Les chances pour les plus diplômés d’améliorer leur niveau de salaire augmentent ainsi quand ils quittent des zones d’emploi au revenu médian modeste pour des zones d’emploi à la rémunération médiane plus élevée.

9L’arrivée dans certains territoires est bénéfique pour les salaires des sortants du secondaire comme dans la Vallée de l’Arve où l’économie productive est fortement spécialisée dans le décolletage, ou à Briançon ou Ajaccio, où l’économie présentielle a une forte dimension touristique, ou encore à Aix, Marseille, Strasbourg, Lille ou Paris, zones à forte dimension technopolitaine. Certaines zones présentent un profil touristique et viticole (Mâcon, Colmar ou Epernay) et offrent ainsi des opportunités salariales à des jeunes peu diplômés grâce aux emplois des industries agro-alimentaires, du négoce-commerce des vins, de la logistique, du transport, de l’œnotourisme et de l’immobilier.

Des progressions salariales favorables pour les jeunes sédentaires dans les zones frontalières et les clusters industriels

10Quel que soit leur niveau de diplôme, les jeunes actifs sédentaires bénéficient de conditions de rémunération favorables dans les zones d’emploi où dans l’ensemble les revenus médians sont supérieurs à la moyenne nationale, et plus particulièrement pour ceux qui résident à Paris. Le dynamisme démographique des zones d’emploi où l’indice de jeunesse² est supérieur à la moyenne nationale soutient la progression salariale des moins diplômés. Travailler dans une zone d’emploi où la part des emplois dans le BTP est supérieure à la moyenne nationale constitue également un avantage pour ces derniers.

11Pour les jeunes sédentaires sortis de l’enseignement secondaire, un avantage salarial est lié à la spécialisation de l’emploi industriel de ces zones dans des secteurs dynamiques et innovants³ (FNAU, 2016). L’accès rapide à de plus grands « gisements » d’emplois (accès à des métropoles par la route ou le rail) est aisé depuis certaines de ces zones. C’est le cas des zones frontalières comme Pontarlier, Morteau, Le Chablais ou Annecy qui constituent à la fois des zones d’emploi industriel et tertiaire sur place, et des zones de résidence de salariés travaillant en Suisse avec des salaires majorés par rapport à ceux du marché du travail français. C’est aussi le cas de zones industrielles et résidentielles pour des jeunes qui travaillent sur place et dans des métropoles voisines où les salaires sont élevés. C’est le cas de Rouen, Beauvais, Vernon-Gisors ou Mantes-la-Jolie (navettes avec Paris et les Hauts-de-Seine – La Défense), Villefranche-sur-Saône (navettes avec la métropole du Grand Lyon).

12Résider dans une zone où le revenu médian est plus élevé que la moyenne profite à tous les jeunes sédentaires. C’est d’autant plus favorable pour les diplômés du supérieur que la part des emplois relevant du tertiaire et de l’industrie est supérieure à la moyenne nationale dans ce type de zone. Le profil économique diversifié de zones métropolitaines telles que Cergy, Melun et Lyon explique leur caractère avantageux. Cergy et Melun sont des zones à économie plus présentielle parce qu’elles constituent des satellites parisiens en tant que villes nouvelles résidentielles depuis les années 1960. La métropole lyonnaise se caractérise par une économie à la fois productive, technopolitaine et présentielle.

Conclusion : le territoire, la famille et les conditions d’emploi

13Certains types de territoires urbains et ruraux en France métropolitaine sont favorables aux salaires des jeunes débutants. Au sein de cet ensemble de territoires (zones d’emploi) hétérogènes, des métropoles-technopoles cohabitent avec des espaces ruraux polarisés par de petites et moyennes villes constituant des clusters industriels, des zones touristiques et des zones frontalières. Les jeunes bénéficient, dans ces zones, de ressources productrices d’emplois spécialisés et en croissance, créatrices de richesses et générant des salaires plus élevés.

14Les jeunes actifs sédentaires bénéficient en outre de ressources personnelles attachées au territoire. Ainsi, après sept ans de carrière, avoir des parents cadres influence toujours positivement leur évolution salariale. Mais cet impact de l’origine sociale n’est en revanche plus significatif pour les jeunes qui, au cours de leurs sept premières années de vie active, ont changé de zone d’emploi de résidence et se sont donc éloignés des ressources parentales.

15Les jeunes mobiles vers des zones d’emploi cumulant des caractéristiques favorables se distinguent des autres jeunes actifs par la priorité qu’ils accordent à leur vie professionnelle après les sept premières années de carrière. Ils sont aussi moins souvent en couple et moins souvent parents. Cependant, si la mobilité n’est pas toujours favorable aux conditions d’emploi, elle peut contribuer à un équilibre personnel. Par exemple, les jeunes mobiles qui arrivent dans des zones d’emploi plutôt favorables à des jeunes sédentaires s’estiment, après sept ans de vie professionnelle, majoritairement (59 %) employés au-dessous de leurs compétences et sont moins enclins à souhaiter rester le plus longtemps possible dans leur emploi. Des mobilités moins porteuses sur le plan salarial semblent néanmoins offrir d’autres avantages. Ainsi, des jeunes mobiles vers des zones telles que Lyon, Melun ou Cergy, sont plus nombreux à être parents en 2017 et ils affirment prioriser leur vie hors travail.

16Plus généralement, l’importance donnée à la qualité de vie sur un territoire pourrait s’accentuer chez les jeunes actifs. En effet, la géographie du lieu de travail et du lieu de résidence a été récemment interrogée à l’occasion de la crise sanitaire liée au Covid-19. Le confinement a permis d’expérimenter de nouvelles formes d’organisation. Si les enjeux territoriaux de cette crise ne sont pas encore tous mesurés, il est néanmoins probable que l’impact du territoire sur le salaire et les conditions d’emploi se distingueront toujours selon les niveaux de diplôme, mais que de nouveaux effets pourraient apparaître. Pourraient être concernés certains profils spécifiques, comme les cadres parisiens conservant leur rémunération en moyenne plus importante et faisant le choix de s’installer dans des territoires plus favorables à la vie familiale, à moins de deux heures de train de la capitale. Ainsi, l’intensification du télétravail pour une partie de la population, souvent les plus diplômés, a permis l’expression de préférences résidentielles qui pourraient, si elles se confirment, transformer la relation emploi-territoire-résidence.